CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 25 juin 2015, n° 14/20593
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Gras Savoye Ouest AFR (SAS), Gras Savoye (SAS)
Défendeur :
AFD Courtage d'Assurances (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Picard
Conseillers :
Mme Rossi, Mme Luc
La société Gras Savoye Ouest AFR, ci-après GSO AFR, société de courtage implantée dans l'ouest de la France, a été créée le 1er janvier 2007 entre la société Gras Savoye et messieurs Pierre-Emmanuel F. et Philippe R..
Monsieur F. en était le directeur général et l'actionnaire à hauteur de 24,5% par l'intermédiaire de sa société PEFFI.
Le 30 juin 2008, étaient signées une promesse unilatérale de vente et une promesse unilatérale d'achat entre Gras Savoye et PEFFI. Ces promesses comportaient en leur article 8 un engagement de non-concurrence au profit de Gras Savoye.
Par acte du 5 décembre 2008, les sociétés PEFFI et GSO AFR ont conclu un protocole de co-courtage, comprenant en son article 9 un engagement de non-concurrence pendant la durée du protocole et durant un délai de cinq ans après son expiration.
Le 30 novembre 2009, suivant le protocole d'accord convenu entre les parties, la société PEFFI, dont monsieur F. est l'unique associé et gérant, a cédé sa participation au sein de GSO AFR à Gras Savoye pour un prix de cession de 2.592.171,60 euros. Le prix a intégralement été versé par virement bancaire. Il était convenu à l'article 4 "SORT DES ACCORDS EN VIGUEUR" "Sort des promesses" "En cas de Réalisation, le Cédant et le Cessionnaire reconnaissent expressément que les Promesses deviendront automatiquement caduques à compter de la Date de Réalisation, du fait de la cession de la totalité de la participation du Cédant dans le capital social de la Société."
Une quittance de la somme de 2.596.725 euros était établie le 10 janvier 2010 par monsieur F., agissant en qualité de gérant de l'eurl PEFFI, au profit de la société Gras Savoye "en règlement de la cession de la pleine propriété de 111.252 actions de GRAS SAVOYE OUEST-AFR intervenue le 8 décembre 2009." Cette dernière date correspondant à l'ordre de mouvement bancaire afférent.
Le 12 janvier 2010, GSO AFR a résilié le protocole de co-courtage conclu avec PEFFI moyennant le respect d'un préavis de six mois.
Le 24 février 2010, monsieur F. était également révoqué de son mandat de directeur général de la société GSO AFR.
Considérant établie la captation de ses clients par monsieur F., la société GSO AFR a adressé le 19 mai 2010 un courrier recommandé à monsieur F. afin de lui rappeler l'obligation de non-concurrence à laquelle lui-même et la société PEFFI étaient tenus en vertu du protocole de co-courtage.
Le 1er juillet 2010, la société AFD Courtage d'Assurances était constituée entre monsieur F., son épouse et l'eurl PEFFI, avec pour gérant monsieur F..
Deux mises en demeure ont encore été adressées par lettres recommandées les 23 décembre 2010 et 27 septembre 2011.
Par acte du 15 novembre 2012, les sociétés GSO AFR et Gras Savoye ont introduit une première instance à l'encontre de monsieur F. et de la société PEFFI puis, au mois d'août 2013, l'ont régularisée à l'égard de la société AFD Courtage.
Par jugement du 6 juin 2014, le tribunal de commerce de Paris a condamné solidairement monsieur F. et l'eurl PEFFI à payer à la société GSO AFR la somme de 17.536,19 euros à titre de dommages et intérêts, interdit à monsieur F., la société PEFFI et la société AFD Courtage d'Assurances, sous astreinte de 100 euros par infraction constatée, de démarcher les clients de la société GSO AFR existant à la date d'expiration du protocole du 5 décembre 2008 ou de contracter avec eux sous quelque forme que ce soit, directement ou indirectement, et ce jusqu'au 12 juillet 2015 , débouté la société GSO AFR de toutes ses demandes, condamné solidairement monsieur F. et la société PEFFI à payer à la société GSO AFR la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et débouté les parties de toutes demandes autres, plus amples ou contraires.
Le 29 septembre 2014, le tribunal de commerce a rendu une décision en rectification d'omission matérielle en ajoutant au dispositif de la décision du 6 juin la mention "Ordonne l'exécution provisoire sans constitution de garantie."
Les sociétés Gras Savoye et GSO AFR ont interjeté appel par déclaration au greffe le 14 octobre 2014.
Dans leurs dernière conclusions notifiées par voie électronique le 18 mai 2015 , les appelantes demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris, condamner solidairement monsieur F. et la société PEFFI à verser les sommes de 648.000 euros à la société Gras Savoye et 50.000 euros à la société GSO AFR à titre de dommages et intérêts, faire interdiction à monsieur F., à la société PEFFI et à la société AFD Courtage d'Assurances, sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée, de démarcher les clients de la société GSO AFR ou de contracter avec eux sous quelque forme que ce soit, directement ou indirectement, et ce jusqu'au 12 juillet 2015 , dire que la cour d'appel de Paris restera compétente pour liquider ladite astreinte par application de l'article L. 131-3 du code des procédures civiles d'exécution , condamner solidairement monsieur F., la société PEFFI et la société AFD Courtage d'Assurances à leur payer la somme de 8.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel.
Elles soutiennent que les clauses de non-concurrence souscrites dans les promesses de cession et d'achat du 30 juin 2008 et dans le protocole de co-courtage du 5 décembre 2008 couvrent à la fois un engagement de non-concurrence et un engagement de non-rétablissement par l'intermédiaire d'une société. Elles font valoir que ces clauses sont valides, puisque ne s'appliquant qu'à l'égard des clients de GSO AFR, mais encore justifiées et proportionnées au regard du prix de cession. Elles maintiennent que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, les clauses contenues dans les promesses du 30 juin 2008 n'étaient pas frappées de caducité. Elles soutiennent que la constitution de la société AFD Courtage en juin 2010 avec une activité identique à celle de GSO AFR et sans information préalable de celle-ci constitue à elle seule une violation de l'engagement de non-concurrence souscrit par la société PEFFI et monsieur F. puisqu'ils s'étaient engagés à ne pas prendre, directement ou indirectement, une participation dans une société concurrente sans l'accord exprès de Gras Savoye. Elles maintiennent que la violation de cette obligation de ne pas faire doit être sanctionnée par la restitution à Gras Savoye du prix de cession à hauteur de 25 %, soit 648.000 euros. Enfin, elles font valoir que monsieur F. et la société PEFFI ont également violé leur engagement de ne pas contracter avec les clients de GSO AFR, neuf de ces clients ayant affirmé avoir contracté avec AFD Courtage et elles entendent également établir, au moyen de courriers de divers clients ayant résilié leur contrat, que la société AFD Courtage a continué de capter la clientèle de GSO AFR. Aussi réclament-elles la somme de 50.000 euros correspondant selon elles aux commissions que GSO AFR aurait dû percevoir de l'ensemble des clients captés sur la durée de la clause de non-concurrence, soit jusqu'en juillet 2015.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 mai 2015 , monsieur F., l'eurl PEFFI et la société AFD Courtage d'Assurances, intimés, demandent à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 6 juin 2014 tel que rectifié par jugement du 29 septembre 2014, débouter les sociétés GSO AFR et Gras Savoye de toutes leurs demandes fins et conclusions et les condamner à leur payer la somme de 5.000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
Ils soutiennent, en premier lieu, que la clause de non-concurrence stipulée à l'article 8 de la promesse unilatérale de vente est caduque dans la mesure où le protocole de cession du 30 novembre 2009 prévoyait en son article 4 qu'en cas de cession totale des participations du cédant dans le capital de la société les promesses devenaient caduques, et qu'aucune reprise de la clause de non-concurrence n'était prévue dans le protocole de cession. En second lieu, ils opposent que la clause de non-concurrence stipulée à l'article 9 du protocole de co-courtage n'établit pas une interdiction de rétablissement définitive et absolue, la création de la société AFD Courtage ne pouvant caractériser en elle-même une violation de la clause. Ils contestent tout fait de démarchage, les clients attestant avoir suivi monsieur F. de leur propre initiative, et considèrent que seule l'imprudence de monsieur F. peut être retenue pour avoir accepté ces clients sans l'autorisation expresse de Gras Savoye. Enfin, sur le préjudice, ils contestent celui allégué au profit de la société Gras Savoye, et, pour le reste, soulignent que la preuve n'est pas faite d'un dommage supérieur à celui admis par le tribunal.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 mai 2015.
SUR CE,
Sur la clause de non-concurrence stipulée à la promesse du 30 juin 2008
Il ressort des mentions expresses précitées de l'article 4 du protocole d'accord du 30 novembre 2009, encadrant la cession des actions de la société GSO AFR à la société Gras Savoye, qu'à compter de sa réalisation la promesse du 30 juin 2008 avec les clauses qu'elle contenait est devenue caduque. Il en résulte que les appelantes ne sont pas fondées à se réclamer de l'exécution de la clause de non-concurrence contenue au dit acte, seule ayant vocation à s'appliquer la clause de non concurrence convenue à l'acte du 5 décembre 2008 ci-après examinée, n'étant pas discutée l'absence de toute stipulation de cette nature au protocole du 30 novembre 2009.
Sur la clause de non-concurrence stipulée au contrat de co-courtage du 5 décembre 2008
L'article 9 du contrat de co-courtage du 5 décembre 2008 contient les termes suivants :"Pendant toute la durée du présent protocole et pendant une durée de cinq (5) ans à compter de son expiration, la société EURL PEFFI et Monsieur Pierre-Emmanuel F. (i) souscrivent au profit de la Société et de toute société l'ayant absorbée ou à laquelle elle aura été apportée, un engagement de non-concurrence s'appliquant sur l'ensemble du territoire national, aux clients de la Société GRAS SAVOYE OUEST AFR et de ses filiales existant à la date d'expiration du présent protocole. (ii) s'interdisent formellement, jusqu'à la date ci-dessous, de prendre directement ou indirectement, sous quelque forme que ce soit, sans l'accord express de GRAS SAVOYE formulé par écrit, un intérêt quelconque dans une société ayant en France une activité concurrente aux domaines d'activité exercés par la Société, sauf à ce que la ou les sociétés concernées s'engagent expressément à ne pas avoir pour clients, les clients de la société GRAS SAVOYE OUEST AFR existant à la date d'expiration du présent protocole. Cet engagement de non-concurrence sera étendu à toute société avec laquelle GRAS SAVOYE OUEST AFR pourrait être fusionnée."
L'engagement de non-concurrence ainsi défini expirera le 12 juillet 2015, le contrat et son avenant ayant été résiliés suivant lettre du 12 janvier 2010 avec un préavis de six mois.
La validité de cette clause, admise par les premiers juges, n'est plus discutée par les intimés devant la cour. Donne en revanche lieu à débat sa portée. Les parties appelantes considérant que cette stipulation pose le principe de l'interdiction de prendre une participation, la seule exception à ce principe imposant que la société concurrente prenne un engagement exprès, ce qu'elle n'a pas fait.
Cependant, il convient d'admettre comme l'ont retenu les premiers juges que la clause litigieuse, limitée à la seule clientèle de la société GSO AFR et pour une durée de cinq années, ne porte pas interdiction absolue de rétablissement, ledit rétablissement étant interdit "sauf à ce que la ou les sociétés concernées s'engagent expressément à ne pas avoir pour clients, les clients de la société Gras Savoye Ouest AFR." Ainsi, seul l'objet de l'engagement est précisé :"ne pas avoir pour clients, les clients de GRAS SAVOYE" mais non sa forme, et il n'est pas stipulé en particulier qu'un tel engagement "exprès" devrait être recueilli par la société Gras Savoye. Ainsi, sans ajouter ni soustraire à la commune intention des parties, il importe de retenir qu'il s'agissait pour celles-ci d'interdire au cédant d'exercer une activité concurrente auprès de la clientèle de la cessionnaire.
Il en résulte, que s'il n'est pas établi que les parties intimées aient commis des agissements en vue de capter certains clients de la société Gras Savoye, il reste qu'elles ne pouvaient en tout état de cause accepter de contracter avec ces derniers sans l'accord préalable de la cessionnaire.
Aux termes de l'article 1145 du code civil "Si l'obligation est de ne pas faire, celui qui y contrevient doit des dommages et intérêts par le seul fait de la contravention."
Le manquement contractuel de la société PEFFI et de monsieur Pierre-Emmanuel F. est établi puisque la société AFD Courtage dont ils sont associés a conclu des contrats d'assurance avec neuf anciens clients de monsieur F. sans l'accord de la société Gras Savoye.
Reste donc à examiner le préjudice en étant résulté pour la société Gras Savoye et pour la société Gras Savoye Ouest AFR.
La société Gras Savoye réclame à l'encontre solidairement de monsieur F. et de la société PEFFI la somme de 648.000 euros correspondant à la restitution du prix d'acquisition à hauteur de 25 %. Cependant, d'une part, et comme l'a jugé le tribunal de commerce, cette demande ne saurait prospérer à l'encontre de monsieur F. qui n'a pas perçu le prix n'étant pas personnellement partie à la cession. S'agissant de la demande formée à l'encontre de la société PEFFI, l'appelante ne caractérise pas mieux le bien-fondé de sa prétention, la clientèle ayant été reprise non par elle-même mais par GSO AFR.
Pour ces motifs et conformément à la décision des premiers juges, la société Gras Savoye sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts ainsi soutenue.
La société Gras Savoye Ouest AFR réclame à l'encontre solidairement de monsieur F. et de la société PEFFI la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts représentant son manque à gagner à la suite du départ de certains de ses clients vers la société AFD Courtage.
Ainsi, neuf clients au titre desquels les intimés ne contestent pas devoir la somme de 17.536,19 euros, représentant les commissions perdues sur la période du 12 juillet 2010 au 31 décembre 2012, retenue par les premiers juges. Cependant, il convient avec les appelantes d'admettre que l'indemnisation doit tenir compte de la période couverte par la clause de non concurrence restant à courir jusqu'au 12 juillet 2015 . Il sera donc alloué de ce chef la somme totale de 35.072 euros.
La société GSO AFR sur laquelle pèse la charge d'établir le préjudice qu'elle allègue fait état d'autres résiliations qu'elle impute à la société AFD Courtage sans établir en tout état de cause que les clients concernés auraient contracté à la suite avec celle-ci, elle n'apporte pas non plus d'éléments chiffrés sur ce point au soutien de sa demande d'indemnisation. Il conviendra dès lors de s'en tenir à la seule somme de 35.072 euros au paiement de laquelle monsieur F. et la société PEFFI seront condamnés in solidum. Les premiers juges étant à cet égard partiellement infirmés, le surplus de la décision déférée étant confirmée s'agissant en particulier des dispositions relatives aux frais irrépétibles, aux dépens et au prononcé de l'astreinte.
Sur les frais irrépétibles et les dépens d'appel
L'équité justifie de déroger aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, chaque partie conservant l'entière charge de ses frais irrépétibles d'appel.
La solution retenue fonde de faire masse des dépens d'appel qui seront supportés pour moitié par la société Gras Savoye et la société Gras Savoye Ouest AFR, et pour l'autre moitié, par monsieur Pierre-Emmanuel F. et la société EURL PEFFI.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement rendu le 6 juin 2014 par le tribunal de commerce de Paris sauf en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts accordés à la société Gras Savoye Ouest AFR,
Statuant de nouveau sur ce dernier point,
Condamne in solidum la société PEFFI et monsieur Pierre-Emmanuel F. à payer à la société Gras Savoye Ouest AFR la somme de 35.072 euros,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande,
Fait masse des dépens d'appel qui seront supportés pour moitié par la société Gras Savoye et la société Gras Savoye Ouest AFR, et, pour l'autre moitié, par monsieur Pierre-Emmanuel F. et la société EURL PEFFI.