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Décisions

Cass. com., 17 juillet 2001, n° 99-14.268

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Champalaune

Avocat général :

M. Jobard

Avocat :

SCP Gatineau

Grenoble, ch. com., du 13 janv. 1999

13 janvier 1999

Attendu, selon l'arrêt attaqué, (Grenoble, 13 janvier 1999) que le 15 décembre 1995, M. Roger X..., associé minoritaire, a cédé à son neveu Jean-Christophe X..., ses parts dans la SARL "entreprise X... Frères" (la société X...) ; que l'acte de cession ne comportait pas de clause de non-rétablissement ; que M. Roger X... a ensuite été embauché par la société Regibat, créée par un ancien salarié de la société X... ; que cette dernière, son gérant, Jean-Christophe X..., et l'épouse de celui-ci ont assigné la société Régibat et M. Roger X... aux fins d'entendre dire que M. Roger X... n'avait pas respecté ses engagements contractuels avec l'aide et la complicité de la société Régibat et que M. Roger X... et la société Régibat avaient commis des actes de concurrence déloyale, ainsi qu'aux fins de condamnation en dommages-intérêts et de fermeture de l'établissement exploité par la société Régibat ; qu'à la suite de la liquidation judiciaire de la société X... prononcée par jugement du 23 octobre 2000, M. Y..., désigné en qualité de liquidateur, a déclaré reprendre l'instance engagée par la société X... ;

Sur le premier moyen, pris en ses six branches :

Attendu que M. Y..., es qualité et les époux Z... et Nathalie X... font grief à l'arrêt infirmatif attaqué de les avoir déboutés de leur demande, alors, selon le moyen :

1 / que les juges du fond ne peuvent laisser sans réponse les moyens que les parties développent dans leurs conclusions ; qu'en l'espèce, M. Jean-Christophe X... et la société X... soutenaient dans leurs conclusions d'appel que, nonobstant l'absence de stipulation expresse d'une clause de non-concurrence à la charge de M. Roger X... dans la convention de cession de parts sociales, existaient des documents émanant de M. Roger X... constituant des commencements de preuve par écrit d'une telle obligation de non-concurrence, que M. Roger X... avait violée par son comportement déloyal ; que la cour d'appel qui a laissé ce moyen sans réponse, même implicite, a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

2 / que le cédant de parts sociales doit à son cessionnaire la garantie de la jouissance paisible du bien cédé et de son éviction ; que cette garantie implique l'interdiction pour le cédant d'une proportion non négligeable des parts d'une petite société dont il était le gérant, connu et associé dans sa région à l'activité de sa société, de ne faire aucun acte susceptible de vider les parts sociales vendues de leur substance, en concurrençant la société dont il venait de céder les parts ; qu'en l'espèce, M. Roger X..., gérant de la société X... pendant plus de 20 ans, connu dans sa région, a cédé 25 % des parts de cette société, soit la totalité de ce qu'il possédait, à son neveu Z..., destiné à reprendre la gérance laissée vacante par son oncle ; qu'en participant seulement trois mois plus tard au lancement d'une société concurrente, pour laquelle il a travaillé, en mettant à son profit les connaissances acquises dans la direction de la société X..., dont il venait de céder les parts, M. X... a manqué à ses obligations, en particulier la garantie de jouissance paisible et d'éviction due à son vendeur ; que la cour d'appel, qui n'a aucunement recherché l'existence d'un tel manquement, au motif inopérant que la cession de parts sociales ne s'analysait pas en une cession de la société, ni même de la clientèle, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1625 et suivants du Code civil ;

3 ) que constitue un acte de concurence déloyale le fait pour un ancien dirigeant de société de profiter de la notoriété acquise grâce à cette société, et de ses réminiscences concernant la clientèle, pour créer et entretenir une confusion au détriment de son ancienne société et au profit d'une entreprise nouvellement créée et de démarcher systématiquement la clientèle pour la détourner en se servant de son nom, associée dans l'esprit de celle-ci à l'ancienne société; qu'en l'espèce, la cour d'appel n'a aucunement recherché dans quelle mesure le fait pour M. Roger X... de démarcher systématiquement la clientèle de la société entreprise X... pour la détourner vers la société Régibat, en utilisant sa connaissance de la clientèle de la société X..., et son nom, nécessairement associé par ladite clientèle à l'entreprise X..., dont il avait cédé le contrôle effectif à son neveu, n'avait pas créé une confusion dans l'esprit de la clientèle, préjudiciable aux consorts X... en ce qu'elle avait provoqué la perte de nombreuses commandes d'anciens clients de la société X... au profit de la société Régibat, et sanctionnable à ce titre sur le fondement de la concurrence déloyale ; que la cour d'appel a privé ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

4 ) que les juges du fond sont tenus d'examiner les pièces versées au dossier par les parties ; qu'en l'espèce, les consorts X... produisaient des documents attestant sans contestation possible de la volonté de M. Roger X... de cesser toute activité au sein de la société entreprise X... et de laisser les commandes à son neveu Z... ; que la cour d'appel, qui n'a aucunement examiné ces pièces, particulièrement probantes comme émanant de Roger X... lui-même et s'est contentée d'attestations peu pertinentes pour affirmer erronément que M. Jean-Christophe X... aurait "évincé" son oncle d'une société qu'il avait lui-même voulu quitter, a violé l'article 455 du Code civil ;

5 ) que constitue un acte de concurrence déloyale le débauchage de plusieurs salariés d'un concurrent, entraînant la désorganisation et la déstabilisation de son entreprise; qu'il n'est nul besoin qu'un tel débauchage, entraînant cette désorganisation s'accompagne en outre de manoeuvres, telles la violation d'une clause de non-concurrence ou d'un contrat de travail en cours d'exécution, ou encore la proposition d'un salaire démesurément élevé ; qu'en l'espèce, les consorts X... justifiaient du débauchage de nombreux salariés, ayant désorganisé l'entreprise X... et déstabilisé les équipes de travail ;

que la cour d'appel qui a cru pouvoir exiger en outre des manoeuvres, pour caractériser une concurrence déloyale déjà avérée, a ajouté une condition à la loi et partant violé l'article 1382 du Code civil ;

6 ) qu'un prétendu usage ne saurait autoriser des pratiques illicites et constitutives de concurrence déloyale; que la cour d'appel a constaté le débauchage par la société Régibat de plusieurs salariés de la société X..., mais a néanmoins réfuté à tort toute concurrence déloyale, prétexte pris d'une habitude de mobilité du petit personnel dans le bâtiment; que les juges du fond, qui n'ont pas recherché si le fait pour d'anciens salariés et dirigeants d'une société, créant une entreprise dans le même domaine et dans le même secteur géographique, d'attirer dans la nouvelle entreprise une bonne partie du personnel de leur ancienne société, n'était pas constitutif de concurrence déloyale, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'appréciant souverainement la portée des éléments de preuve soumis à son examen, la cour d'appel, qui retient qu'aucune clause de non-concurrence ou de non-rétablissement n'a été stipulée lors de la cession de parts, et que l'allégation d'un empêchement moral ne la convainc pas en raison de la rédaction par un professionnel de l'acte de cession des parts lui-même, de la modification des statuts et de l'annonce légale, qui estime que la clause de non-concurrence n'a pas été envisagée entre les parties, et qui en déduit que M. Roger X... n'a commis aucun manquement à un engagement de non-concurrence contractuel, même tacite ou implicite, et a tenu celui de se retirer de l'entreprise, a répondu aux conclusions prétendument omises ;

Attendu, en deuxième lieu, qu'en l'état des conclusions d'appel de la société X... et des époux X... faisant valoir qu'en elle-même la participation de M. Roger X... à la création d'une entreprise concurrente caractérisait un manquement à la garantie d'éviction due par lui en sa qualité de cédant d'une partie des parts sociales de la société X..., sans préciser en quoi ce rétablissement était de nature à empêcher M. Jean-Christophe X... à poursuivre l'activité de la société X... ou de réaliser l'objet social de celle-ci, la cour d'appel, qui énonce que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie autorise le cédant à se rétablir en situation de concurrence avec le cessionnaire, et que M. Roger X... n'avait pas participé à un montage tendant à vider de toute valeur les parts cédées, a légalement justifié sa décision ;

Attendu, en troisième lieu, qu'ayant énoncé qu'un professionnel est libre de faire connaître ses activités antérieures auprès de la nouvelle clientèle qu'il veut s'attacher et retenu que la diffusion de documents commerciaux par lesquels M. Roger X... et le fondateur de la société Régibat écrivaient qu'ils sont "à disposition pour tous travaux de bâtiment" n'était pas en elle-même déloyale, écartant ainsi le grief de démarchage systématique de la clientèle de la société X... et la confusion alléguée, la cour d'appel a procédé à la recherche prétendûment omise et a légalement justifié sa décision ;

Attendu, en quatrième lieu, qu'ayant constaté l'absence de qualification professionnelle du personnel ayant suivi M. X... et le fondateur de la société Régibat dans cette nouvelle société, la cour d'appel qui a ainsi écarté la désorganisation alléguée, a pu décider que le débauchage, hors toute manoeuvre, n'était pas constitué et a légalement justifié sa décision, abstraction faite des motifs généraux mais surabondants critiqués par la sixième branche du moyen ;

Et attendu, en cinquième lieu, que la quatrième branche du moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine, par les juges du fond, d'éléments de preuve versés aux débats dont ils ont déduit que M. Roger X... avait été évincé de l'entreprise X... par son neveu, faits au demeurant sans incidence sur la solution du litige, s'agissant d'apprécier soit la violation, par M. Roger X... d'un engagement de non-concurrence ou de l'obligation légale de garantie, soit la participation, en tant que salarié de la société Régibat, à des actes de concurrence déloyale au détriment de l'entreprise X... ;

Qu'il suit de là qu'inopérant en ses quatrième et sixième branches, et non fondé en ses autres branches, le moyen ne peut être accueilli ;

Et sur le second moyen :

Attendu que M. Y... es qualités et les époux Z... et Nathalie X... font grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir refusé d'ordonner la fermeture judiciaire de l'établissement exploité par la société Régibat à Upie sous peine d'astreinte de 60 000 francs par mois à compter du 30ème jour suivant la signification de la décision à intervenir, alors, selon le moyen, que la victime d'agissements déloyaux, outre l'indemnisation de son préjudice, est en droit d'exiger des tribunaux la cessation des agissements déloyaux à l'origine de son dommage ; que dès lors que c'est l'implantation même d'une société dans le périmètre géographique d'un concurrent qui apparaît fautive, les tribunaux peuvent, et même doivent, interdire toute activité commerciale à cette société, sans préjudice des indemnités versées, et sans que cette interdiction puisse en rien constituer un abus de droit du fait que la société a été légalement formée ; qu'en l'espèce, les juges du fond, qui avaient constaté le caractère fautif de l'implantation de la société Régibat à quelques kilomètres de la société X..., mais ont néanmoins refusé d'ordonner la cessation de son activité, considérée à tort comme un abus de droit, n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs constatations, et ont violé l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel ayant écarté, contrairement aux premiers juges, le caractère fautif des agissements allégués à l'encontre de M. Roger X... et de la société Régibat, le moyen manque par le fait même qui lui sert de base ; qu'il ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.