CA Douai, ch. 1 sect. 2, 29 juin 2005, n° 02/05980
DOUAI
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Voirie Assainissement Travaux Publics "VATP" (SAS)
Défendeur :
Moulin (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avoués :
SCP Masurel-Thery-Laurent, SCP Nasurel-Thery-Laurent
Avocats :
Me Soinne, Me Rou Vroy, Me Pambo, Me Talleux, Me Mercier
Courant 1995, la SCI DU MOULIN a confié à la Société LENSEL des travaux d’extension d’un bâtiment à Nieppe.
La SAS VATP est intervenue sur le chantier pour réaliser une prestation de reprofilage et compactage du parking.
La réception des travaux a été prononcée le 8 octobre 1995.
Saisi par la Société LENSEL et la SAS VATP qui sollicitaient la condamnation de la SCI DU MOULIN à leur payer le solde du prix des travaux réalisés, le Tribunal de Grande Instance d’Hazebrouck, par jugement en date du 21 aout 2002 :
- a débouté les demandeurs de l’ensemble de leurs demandes ;
- les a condamnés à payer la somme de 1 500 euros à la SCI du MOULIN, en application de L’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
- les a condamnés aux entiers dépens.
Par déclaration du 17 octobre 2002, la SAS VATP, la SELARL SOINNE et associés prise en sa qualité de représentant des créanciers de la SAS VATP et Maitre Éric ROUVROY, pris en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan de la SAS VATP ont interjeté appel de cette décision.
Par conclusions déposées le 17 mai 2004, ils demandent à la Cour :
- de reformer le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
- de dire que la SCI DU MOULIN a engagé, à l’égard de la SAS VATP, sa responsabilité civile quasi délictuelle, par application des articles 1382 et 1383 du code civil et pour non-respect des dispositions de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 ;
- de condamner en conséquence la SCI DU MOULIN à payer à la SAS VATP la somme de 19 216,75 euros TTC, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure de l’entreprise principale du 16 novembre 1995, à titre de dommages et intérêts ;
- de condamner la SCI DU MOULIN à payer à la SAS VATP la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, par application de l’article 1382 du code civil ;
- de la condamner à payer à la SAS VATP la somme de 3 000 euros par application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
- de déclarer la décision à intervenir opposable à Maitre Jean-Luc MERCIER pris en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan de cession de la société LENSEL VERELST
- de condamner la SCI DU MOULIN au paiement de tous les frais et dépens de première instance et d’appel.
A l’appui de leurs prétentions, les appelants exposent que la SAS VATP est intervenue en qualité de sous-traitant de la Société LENSEL et que les prestations qu’elle a réalisées, pour un prix de 103 751,28 francs, consistant en la fourniture et la pose de revêtement de parking, ainsi que dans la location d'une niveleuse étaient totalement distinctes de celles prévues dans le marché initial.
Ils font valoir qu’il ressort de deux courriers en date des 24 novembre 1995 et 10 mai 1996 ainsi que des mentions figurant sur les factures de la Société LENSEL que, dès juillet 1995, la SCI DU MOULIN avait connaissance de la présence de la SAS VATP sur le chantier.
Les appelants allèguent qu’à la date du 31 juillet 1995, la SCI DU MOULIN était encore redevable à l’égard de l’entreprise principale d’une somme totale de 382 496,15 francs.
Ils soulignent qu’en ne mettant pas en demeure la Société LENSEL de lui présenter son sous-traitant aux fins d’acceptation et d’agrément et en s’abstenant de vérifier que la SAS VATP bénéficiait des garanties légales de paiement, la SCI DU MOULIN a violé les dispositions de l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, qu’elle a ainsi engagé sa responsabilité quasi délictuelle et doit réparer le préjudice subi par le sous-traitant.
Par conclusions déposées le 13 aout 2003, Maitre Jean-Luc MERCIER, pris en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan de la Société LENSEL VERELST SA demande à la Cour :
- de lui donner acte de ce qu’il s’en rapporte à justice sur les mérites de l’appel interjeté par la SAS VATP, la SELARL SOINNE et associés, prise en sa qualité de représentant des créanciers de la SAS VATP et Maitre Éric ROUVROY pris en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan de la SAS VATP ;
De statuer ce que de droit sur les dépens.
Par conclusions déposées le 15 mars 2005, la SCI DU MOULIN demande à la Cour :
- de confirmer le jugement déféré :
- de débouter la SAS VATP de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- à titre infiniment subsidiaire, de dire que la SAS VATP ne peut lui réclamer une somme supérieure à 9 217,37 euros correspondant au montant de sa facture, sous déduction de la moins-value par rapport au marché initial ;
- de condamner la SAS VATP, la SELARL SOINNE et associés, prise en sa qualité de représentant des créanciers de la SAS VATP et Maitre Éric ROUVROY, pris en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan de la SAS VATP à lui payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi que celle de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile:
- de les condamner aux dépens de première instance et d’appel.
La SCI DU MOULIN soutient que tous les travaux exécutés sur le chantier étaient inclus dans le marché global et forfaitaire, ayant fait l’objet du devis accepté par elle et dont elle a intégralement régie le prix.
Elle fait valoir qu’aucun contrat de sous-traitance n’a été signé et qu’aucun courrier ne lui a été adressé par l’entreprise générale ou le sous-traitant pour solliciter l’agrément de la SAS VATP.
Elle allègue qu’elle n’a eu connaissance de l’intervention de l’appelante que fin novembre 1995 lorsque, des désordres étant apparus, la Société LENSEL a demandé à la SAS VATP de prendre contact avec le maitre de l’ouvrage. Elle souligne qu’à cette date, elle avait régie le solde des sommes dues à la Société LENSEL.
MOTIFS :
Ainsi que le souligne SCI DU MOULIN, la SAS VATP, qui invoque l’existence d’un sous-traité la liant à la Société LENSEL ne verse aux débats aucun contrat écrit.
Cependant, le sous-traité étant un contrat d’entreprise de droit privé, il ne nécessite aucune forme particulière et peut être purement verbal. Il se forme dès que l’offre faite par l’entrepreneur principal est acceptée par le sous-traitant. Cet accord de volonté peut être tacite et résulter de l’exécution du contrat par le sous-traitant.
En l’espèce, la SAS VATP produit un bon de commande de “travaux de VRD en fourniture et pose” établi le 12 juillet 1995 par la Société LENSEL, concevant le “reprofilage et compactage du parking ”et portant les références de la SCI DU MOULIN. Il est acquis aux débats que cette prestation a été réalisée par la SAS VATP sur le chantier d’extension du bâtiment appartenant à la SCI DU MOULIN.
Dans deux courriers en date du 24 novembre 1995 et du 10 mai 1996, le gérant de la SCI évoque au demeurant la mauvaise qualité des travaux de revêtement du parking effectués par la SAS VATP à laquelle il reconnait expressément la qualité de sous-traitant de la Société LENSEL.
L'existence du sous-traité liant la SAS VATP a la Société LENSEL est par conséquent établie.
Dans le courrier précité du 24 novembre 1995, il est indiqué par le gérant de la SCI : “En juillet 1995 vous avez réalisé, par l’intermédiaire d’un sous-traitant dénommé Société VATP, des travaux de revêtement de parking.”
Les appelants et la SCI versent en outre aux débats la copie d’une facture émise par la Société LENSEL le 31 juillet 1995, à destination de la SCI DU MOULIN, concernant des travaux de “menuiserie aluminium” et de “parking en enrobés”, pour un montant total de 163 051,28 francs TTC.
Seul l’exemplaire produit par la SAS VATP porte la mention dactylographiée suivante : “dont paiement direct Ste EDS : 59 300 francs ITC, Ste VATP : 103 751,28 francs TTC”. Il convient de noter que les caractères d’impression de cette facture sont sensiblement différents de ceux des trois autres factures de la Société LENSEL en date du 31 juillet 1995 et de celle du 31 août 1995. Il y a donc lieu d’en déduire que cet exemplaire n’est pas celui qui a été adressé à la SCI le 31 juillet 1995 et qu’il a été nécessairement établi à une date postérieure au 31 aout 1995.
Quant à l’exemplaire produit par la SCI DU MOULIN, il est revêtu de la mention manuscrite suivante : “ 50 000 BDS, 87 480,00 VATP”. Que l’on considère que cette mention a été portée par l‘émetteur, à savoir la Society LENSEL ou par le destinataire de la facture, il en résulte nécessairement que la SCI DU MOULIN a eu connaissance de l’existence de la SAS VATP au plus tard le 11 septembre 1995, date à laquelle elle s’est acquittée du règlement partiel de ladite facture à l’aide d’un chèque d’un montant de 59 300 francs établi à l’ordre de la Société BDS, autre sous-traitant.
En ne mettant pas en demeure à cette date l’entrepreneur principal de lui présenter son sous-traitant aux fins d’acceptation et d'agrément et en s'abstenant de vérifier que la SAS VATP bénéficiait des garanties légales de paiement, comme l’y obligeait pourtant l’article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975, la SCI DU MOULIN a engagé sa responsabilité quasi-délictuelle à l’égard de la SAS VATP. Elle est donc tenue de réparer le préjudice causé au sous-traitant par sa négligence.
Il ressort des relevés de compte bancaire de la SCI qu’à la date du 11 septembre 1995 elle avait déjà réglé à la Société LENSEL la somme de 1 008 456,39 francs se décomposant comme suit :
- 200 000 francs le 6 juin 1995.
- 55 287,09 francs le 8 juin 1995,
- 652 182 70 francs le 13 juillet 1995,
- 100 986,60 francs le 3 aout 1995.
II convient en outre d’ajouter à cette somme celles versées à la Société BSD le 11 septembre 1995, à hauteur de 59 300 francs et 9 476, 14 francs, soit un total de 1 077 232,53 francs.
Au vu de la clause “conditions de vente”, insérée au contrat signé par les représentants de la Société LENSEL et de la SCI DU MOULIN, il apparait que le prix du marché d’extension de bâtiment a été fixe à 1 066 601 francs HT il a été en outre stipulé d’une part que serait déduit de cette somme celle de 149 060,50 francs, correspondant au règlement direct d’un sous-traitant, la Société FACE par le maitre de l’ouvrage et d’autre part que les travaux supplémentaires feraient l’objet d’un devis et ne seraient effectués qu’après la signature dudit devis.
Le montant total des sommes qui devaient être versées par la SCI a la Société LENSEL au titre du marché s’élève donc à 917 540,50 euros HT, soit 088 203.03 francs TTC.
L’exemplaire du marché produit par les appelants ne comporte pas l’ensemble des pages annoncées dans la table des matières. La rubrique VRD y est notamment absente, ce qui interdit tout contrôle sur la nature des travaux contractuellement prévus.
Il est cependant acquis aux débats que la SCI n’a signé aucun devis supplémentaire relatif à la prestation réalisée par la SAS VATP. Il en résulte donc que les travaux effectués par cette entreprise étaient inclus dans le marché initial.
Le préjudice subi par la SAS VATP, en lien causal avec la négligence fautive de la SCI du Moulin, ne peut être que de la somme de 1 672,44 euros, correspondant à la différence entre les sommes dues par cette dernière a l’entrepreneur principal au titre du marché, soit 165 895,48 euros (1 088 203,03 francs) et les sommes déjà versées par le maitre de l’ouvrage à la Société LENSEL à la date du 11 septembre 1995 soit 164 223,04 euros (1 077 232,53 francs).
II convient par conséquent de condamner la SCI DU MOULIN à verser à la SAS VATP la somme de 1 672,44 euros à titre de dommages et intérêts.
A titre de complément d’indemnisation, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 8 avril 1998, date de la mise en demeure de la Société LENSEL par son sous-traitant. (Pièce n°29 des appelants)
- sur les demandes de dommages et intérêts pour résistance et procédure abusive :
Tant les appelants que la SCI DU MOULIN succombent en une partie de leurs prétentions.
Le caractère abusif des demandes des appelants et de la résistance de l’intimée n’est donc en aucune façon démontré.
Il ne peut dès lors être fait droit aux demandes de dommages et intérêts présentées sur ces fondements.
- sur les demandes au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile :
Le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a condamné la SAS VATP à payer à la SCI DU MOULIN la somme de 1 5000 euros au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par ailleurs, la SCI DU MOULIN sera d’une part condamnée à verser aux appelants la somme de 3 000 euros, à titre d’indemnisation des frais non compris dans les dépens qu’ils ont exposés et d’autre part déboutée de sa demande présentée sur le même fondement.
- sur les dépens :
Il convient d’infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a condamné la SAS VATP aux dépens.
Enfin, la SCI DU MOULIN sera condamnée aux dépens de l’instance d’appel.
PAR CES MOTIFS :
Infirme le jugement déféré en ce qu’il a :
Débouté la SAS VATP de l’ensemble de ses demandes ;
Condamné la SAS VATP à payer à la SCI DU MOULIN la somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Condamné la SAS VATP aux dépens ;
Et, statuant à nouveau de ces chefs,
Condamne la SCI DU MOULIN à payer à la SAS VATP la somme de 1 672,44 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 8 avril 1998 ;
Déboute la SAS VATP de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
Déboute la SCI DU MOULIN de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Confirme pour le surplus le jugement déféré ;
Y ajoutant,
Condamne la SCI DU MOULIN à payer à la SAS VATP la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Déboute la SCI DU MOULIN de sa demande au titre de l’article 700 du nouveau code de procédure civile, présentée en cause d’appel ;
Déclare le présent arrêt opposable à Maitre Jean-Louis MERCIER, pris en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan de cession de la Société LENSEL VERELST ;
Condamne la SCI DU MOULIN aux dépens de l’instance d’appel ;
Autorise la SCP MASUREL-THERY-LAURENT avoués, à les recouvrer directement en application de L’article 699 du nouveau code de procédure civile.