AMF, 4 décembre 2015, n° SAN-2015-20
AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Membres :
Mme Belliard, Mme Drummond, Mme Fulgéras, M. Lepitre, M. Millou, M. Thouch
Présidents :
M. Pinault, Mme Tric
La Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (ci-après « AMF »), réunie en formation plénière ;
Vu le code monétaire et financier, notamment ses articles L. 421-10, L. 421-11, L. 621-10, L. 621-14, L. 621-15, R. 621-5 à R. 621-7 et R. 621-38 à R. 621-40 ;
Vu le règlement général de l’AMF, notamment ses articles 512-3, 631-1 et 631-2 ;
Vu les règles de marché d’Euronext, notamment l’article 8105/1 ;
Vu les notifications de griefs adressées le 13 janvier 2014 aux sociétés Euronext Paris SA et Virtu Financial Europe Ltd, par lettres recommandées avec demande d’avis de réception ;
Vu la décision du 30 janvier 2014 du président de la Commission des sanctions désignant M. Christophe Soulard, membre de la Commission des sanctions, en qualité de rapporteur ;
Vu les lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 5 février 2014 informant les mises en cause de la désignation de M. Christophe Soulard en qualité de rapporteur et de la faculté qui leur était offerte d’être entendues, à leur demande, conformément au I de l’article R. 621-39 du code monétaire et financier ;
Vu les lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 6 février 2014 informant les mises en cause, en application de l’article R. 621-39-2 du code monétaire et financier, de la faculté qui leur était offerte de demander la récusation du rapporteur dans un délai d’un mois ;
Vu la lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 25 février 2014, par laquelle le Président de la Commission des sanctions a informé le conseil de la société Virtu Financial Europe Ltd, en réponse à une demande du 23 janvier 2014, que le délai dont elle disposait initialement pour présenter ses observations était prolongé jusqu’au 25 avril 2014 ;
Vu les observations en réponse à la notification de griefs adressées par Mes Florian Bouaziz et Eric Dezeuze, le 14 mars 2014, pour le compte de la société Euronext Paris SA ;
Vu les observations en réponse à la notification de griefs adressées par Me François Barrière, le 25 avril 2014, pour le compte de la société Virtu Financial Europe Ltd, et la demande d’audition par le rapporteur qui y était formulée ;
Vu les lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 14 janvier 2015, par lesquelles le rapporteur a demandé aux mises en cause la traduction en langue française des pièces annexées à leurs observations rédigées en langue anglaise, et au Secrétaire général de l’AMF la traduction en langue française des passages du rapport d’enquête figurant en langue anglaise ainsi que des pièces nécessaires à la compréhension du dossier, traductions qui lui ont été transmises les 21 janvier 2015, 13 février 2015 et 23 mars 2015 ;
Vu les lettres recommandées avec demande d’avis de réception des 10 et 17 février 2015 par lesquelles le rapporteur a invité la société Euronext Paris SA à se présenter pour être entendue le 8 avril 2015, et la société Virtu Financial Europe Ltd à se présenter aux mêmes fins le 31 mars 2015 ;
Vu les procès-verbaux d’audition de la société Virtu Financial Europe Ltd du 31 mars 2015 et de la société Euronext Paris SA du 8 avril 2015 ;
Vu les éléments complémentaires versés à la procédure par la société Virtu Financial Europe Ltd par lettre du 8 avril 2015 et par la société Euronext Paris SA par lettre du 16 avril 2015 ;
Vu la lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 17 avril 2015 par laquelle le rapporteur a demandé à la société Euronext Paris SA la traduction en langue française des pièces, rédigées en langue anglaise, jointes aux éléments complémentaires transmis le 16 avril 2015, ces traductions ayant été reçues le 24 avril 2015 ;
Vu le rapport de M. Christophe Soulard du 12 mai 2015 ;
Vu les lettres du 12 mai 2005 remises par porteur, auxquelles était joint le rapport du rapporteur, convoquant les mises en cause à la séance de la Commission des sanctions du 24 juin 2015 ;
Vu les observations en réponse au rapport du rapporteur déposées le 28 mai 2015 par Bredin Prat, avocats, pour le compte de la société Euronext Paris SA ;
Vu les observations en réponse au rapport du rapporteur déposées le 8 juin 2015 par Sullivan et Cromwell LPP, avocats, pour le compte de la société Virtu Financial Europe Ltd ;
Vu les lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 12 juin 2015 informant les mises en cause du report de la séance de la Commission des sanctions au 4 novembre 2015 ;
Vu les lettres du président de la Commission des sanctions des 22 juin et 6 juillet 2015 informant le conseil de la société Virtu Financial Europe Ltd du rejet de ses demandes de report de la séance ;
Vu la lettre du président de la Commission des sanctions du 20 juillet 2015 informant le conseil de la société Euronext Paris SA du rejet de sa demande de report de la séance ;
Vu les lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 18 septembre 2015 informant les mises en cause de la composition de la Commission des sanctions au cours de la séance du 4 novembre 2015 et de la faculté dont elles disposaient de demander la récusation d’un ou plusieurs de ses membres ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Après avoir entendu au cours de la séance publique du 4 novembre 2015 :
- M. Christophe Soulard, en son rapport ;
- Mme Audrey Micouleau, représentant le Collège de l’AMF ;
- Mme Sarah Finkelstein, représentant du directeur général du Trésor, qui a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler ;
- la société Euronext Paris SA, représentée par M. Anthony Attia, son président directeur-général, accompagné de Mme Christelle Georges, responsable juridique, et assistée par ses conseils Mes Eric Dezeuze, Florian Bouaziz et Bogdan Voinov du cabinet Bredin Prat ;
- la société Virtu Financial Europe Ltd représentée par M. Venu Palaparthi muni d’un pouvoir spécial et assistée par ses conseils Me John Hugues III et Mes Richard Vilanova, Olivier de Vilmorin, et Arnaud Berdou, du cabinet Sullivan & Cromwell, ainsi que par Mme Claudine Pierson, interprète ;
- Mme Cécile Hirsch, interprète ;
Les mises en cause ayant eu la parole en dernier.
FAITS ET PROCEDURE
I. Faits
I.1 Présentation d’Euronext Paris SA
La société Euronext Paris SA (ci-après « Euronext ») est une entreprise de marché agréée en France, en charge de la gestion du marché règlementé Euronext. Elle appartient au groupe Euronext qui réunit les bourses d’Amsterdam, de Bruxelles, de Paris, de Porto et de Lisbonne.
A l’origine, l’émission d’ordres sur le marché réglementé français géré par Euronext n’était pas payante.
Puis, pour des raisons techniques, ses plateformes n’étant pas en mesure de traiter des flux d’ordres croissants, Euronext a mis en place un ratio quotidien d'ordres par transaction par membre, c’est-à-dire un ratio entre le nombre d’ordres passés et le nombre de transactions exécutées pour un même titre sur une même journée (le « ratio ordres/transaction »), au-delà duquel une pénalité financière était appliquée pour tout nouvel ordre passé.
Face à la concurrence des plateformes alternatives de négociation et compte tenu de la montée en puissance du trading haute fréquence (high frequency trading, ci-après « HFT »), Euronext a accéléré la modernisation de ses infrastructures et fait évoluer sa grille tarifaire. Entre janvier 2008 et mars 2009, le ratio ordres/transaction est passé de 10/1 à 30/1 puis enfin à 100/1, et n’a pas évolué depuis.
Lorsqu’Euronext souhaite développer la liquidité sur le marché pour un titre, elle met en place un programme de liquidité avec certains membres, définis comme des « Apporteurs de Liquidité » dans les Règles de marché d’Euronext. La liste de ces Apporteurs de Liquidité, qui détaille leurs noms et le type de produits sur lesquels ils interviennent, est publiée et mise à jour sur son site Internet.
Les tarifs applicables aux Apporteurs de Liquidité ne sont pas décrits dans la grille tarifaire d’Euronext. Les membres sont informés, par l’intermédiaire du site Internet d’Euronext, de la mise en place de programmes de liquidité ainsi que des engagements minimum souscrits par les Apporteurs de Liquidité.
Les termes et conditions généraux pour devenir Apporteur de Liquidité sont recensés dans un document également publié sur le site Internet d’Euronext.
Ces programmes de liquidité étaient initialement mis en oeuvre par Euronext sur les titres les moins liquides pour développer ou maintenir une certaine liquidité sur ces derniers : les Apporteurs de Liquidité s’engageaient à être présents sur ces titres en contrepartie d’avantages tarifaires.
En 2009, aucun programme de liquidité n’existait sur les titres les plus liquides du marché actions Euronext, c’est-à-dire les 100 titres figurant dans l’indice « Euronext 100 ». Dans son instruction n°04-01, publiée le 3 décembre 2008, intitulée « Manuel de négociation sur l’Universal Trading Platform » et prise en application de ses Règles, Euronext a indiqué que « Sauf décision contraire d’Euronext, rendue publique par avis, les Titres figurant dans l’indice Euronext 100 ne peuvent avoir d’Apporteur de Liquidité ».
I.2. Présentation de Madison Tyler Europe Limited (MTE)
La société Madison Tyler Europe Limited (ci-après « MTE ») est une société de droit irlandais créée le 7 avril 2008, qui était filiale à 100 % de la société américaine Madison Tyler Holdings LLC. Au cours de l’année 2011, les groupes Madison Tyler et Virtu Financial se sont rapprochés et leurs deux sociétés mères ont fusionné. MTE, filiale européenne du groupe, a alors changé de dénomination sociale pour devenir « Virtu Financial Europe Ltd » (ci-après « Virtu »).
En 2009, MTE exerçait, depuis ses locaux situés à Londres, une activité de trading pour compte propre.
Son équipe était composée d’une douzaine de personnes.
A compter de son admission sur Euronext le 20 juin 2008, MTE est intervenue directement sur la plateforme d’Euronext Paris en tant que « membre de marché », sans avoir le statut de prestataire de services d’investissement. Le 30 avril 2012, MTE, devenue Virtu, a résilié son contrat de membre de marché d’Euronext. MTE intervenait également sur 4 autres plateformes de négociation - BATS, Turquoise, Nasdaq Europe et Chi-X - ainsi que sur deux autres marchés réglementés.
Le 8 janvier 2009, MTE a conclu avec Euronext un contrat de colocation lui permettant d’installer ses ordinateurs dans les locaux d’Euronext à Aubervilliers.
L’activité de MTE relevait du HFT. Sa stratégie d’investissement était appliquée à des titres très liquides, comme les titres du CAC 40, à partir d’algorithmes mis en oeuvre par des programmes informatiques lui permettant d’intervenir extrêmement rapidement. Selon Virtu, cette activité reposait sur une « simple stratégie d’arbitrage » visant à tirer profit des différences de prix existant entre les différentes plateformes de négociation auxquelles MTE était connectée : « l’arbitrageur achète l’action sur la plateforme où elle est sous-évaluée et la vend sur celle où elle est surévaluée ». La très grande majorité des interventions examinées dans le cadre de l’enquête étaient le fait de l’algorithme baptisé « Soap » et les deux autres programmes utilisés, « Tourist » et « Schwamm » en constituaient des variantes appliquant une stratégie similaire.
La stratégie d’arbitrage de MTE se déployait par des interventions dans un intervalle de temps très court (de l’ordre de la milliseconde) pour tirer profit d’un écart de prix minime (de l’ordre du centime d’euro) sur une quantité de titres limitée. Les ordres passés étaient exclusivement des ordres de petite taille (entre 100 et 400 titres suivant les plateformes), avec des retournements de position (achat/vente ou vente/achat) extrêmement rapides (réalisés en moins d’une seconde dans 80,8 % des cas). Ces retournements de position ont généré une plus-value dans 89,1 % des cas.
La stratégie mise en oeuvre par l’algorithme utilisé principalement par MTE avait pour objectif de réaliser la séquence d’exécution suivante :
- détecter sur l’une des 5 plateformes auxquelles MTE était connectée (Euronext, BATS, Chi-X, Turquoise et Nasdaq Europe) le meilleur prix proposé à l’achat ou à la vente pour un titre donné (cet ordre au meilleur prix est désigné ci-après ordre « support ») ;
- passer des ordres passifs sur les 4 autres plateformes, chacun à un prix légèrement inférieur (pour un ordre à l’achat) ou légèrement supérieur (pour un ordre à la vente) et pour une quantité équivalente à celle de l’ordre « support » ;
- voir l’un de ces 4 ordres passifs exécuté sur l’une des plateformes face à un ordre agressif entré par un autre intervenant ;
- déboucler immédiatement la position ainsi prise sur cette plateforme, face à l’ordre « support » de la plateforme initiale ;
- annuler dans le même temps les 3 autres ordres passifs restant sur les 3 autres plateformes.
MTE réalisait ainsi une plus-value correspondant à la différence de prix existant pour un même titre entre la plateforme de l’ordre « support » et celle où l’un des ordres passifs de MTE était exécuté.
Si l’algorithme tendait vers cet objectif, il était également programmé pour annuler et repositionner les ordres placés lorsqu’il ne lui était pas possible d’accomplir l’ensemble des 5 étapes et d’assurer in fine la réalisation d’une plus-value sur la séquence.
La stratégie étant dépendante de l’ordre « support » initialement placé au meilleur prix sur une des 5 plateformes, MTE était obligée de se repositionner constamment en fonction de l’évolution de cet ordre (qui pouvait être annulé, modifié ou exécuté face à une contrepartie tierce). Concrètement, à chaque évolution de l’ordre « support » de la plateforme initiale, MTE annulait (ou modifiait) instantanément les 4 ordres passifs positionnés sur les 4 autres plateformes et entrait (ou modifiait) 4 nouveaux ordres correspondant au nouvel ordre « support » identifié.
Comme l’a expliqué Virtu au cours de la procédure, MTE ne voulait maintenir les ordres passifs placés sur les 4 autres plateformes que si elle était certaine de pouvoir déboucler sa position face à l’ordre « support » initial, pour éviter que l’un de ces ordres passifs soit exécuté sans qu’il lui soit possible de revendre les titres ainsi acquis (ou de racheter les titres vendus) au meilleur prix.
La vitesse d’intervention était un paramètre majeur de la mise en oeuvre de cette stratégie qui était profitable uniquement si MTE parvenait à détecter l’ordre au meilleur prix avant les autres intervenants, à se déboucler face à cet ordre tout de suite après avoir acquis ou vendu la même quantité de titres sur une autre plateforme, et à annuler les ordres qu’elle ne voulait plus exécuter. Si ces ordres étaient exécutés alors qu’elle n’avait plus la possibilité de se déboucler face à un ordre « support » au meilleur prix, elle pouvait subir une perte. C’est pourquoi les interventions de MTE se faisaient dans un intervalle de temps extrêmement court ; sur les 27 titres en cause en l’espèce et pour la période considérée, l’achat/vente se produisait en moins de 10 millisecondes dans 66,8 % des cas.
Par ailleurs, l’algorithme comportait des paramètres destinés à contrôler en permanence les risques auxquels MTE était exposée et qui donnaient lieu à des modifications et à des repositionnements (annulations et nouvelles entrées) des ordres passés par MTE.
L’algorithme pouvait considérer plusieurs ordres « support » au même moment et appliquer sa stratégie simultanément de chaque côté du carnet d’ordres (à l’achat ou à la vente) sur chacune des 5 plateformes, de sorte que les séquences d’intervention d’une durée très courte se multipliaient sur les carnets d’ordres des 5 plateformes, sur la totalité des heures d’ouverture des marchés.
L’ordre « support » correspondant au meilleur prix toutes plateformes confondues était le plus souvent identifié sur Euronext Paris, qui était à l’époque la plateforme « dominante » offrant le plus de liquidité.
II. Procédure
II.1 Enquête
En 2010, le Secrétaire général de l’AMF a ouvert une enquête sur un intervenant suspecté de procéder à des manipulations de cours relevant de la technique du « layering ». L’analyse des carnets d’ordres des plateformes sur lesquelles intervenait cet acteur a conduit la Direction des enquêtes et des contrôles de l’AMF (ci-après « DEC ») à remarquer les interventions de MTE qui « émett[ait] à haute fréquence des ordres dont seule une très faible proportion était exécutée mais qui représentaient une part très significative du carnet d’ordres » et qui étaient susceptibles de constituer une manipulation de cours.
C’est ainsi que, le 8 juillet 2011, le Secrétaire général de l’AMF a ouvert une enquête distincte portant sur les interventions de MTE sur le marché des 27 titres suivants : Sanofi Aventis (FR0000120578), Total (FR0000120271), France Télécom (FR0000133308), Danone (FR0000120644), Gaz de France (FR0010208488), LVMH (FR0000121014), Bouygues (FR0000120503), Peugeot (FR0000121501), Vivendi (FR0000127771), Vinci (FR0000125486), EDF (FR0010242511), Alstom (FR0010220475), Crédit Agricole (FR0000045072), L’Oréal (FR0000120321), Schneider Electric (FR0000121972), Saint- Gobain (FR0000125007), Renault (FR0000131906), EADS (NL0000235190), Accor (FR0000120404), Carrefour (FR0000120172), Essilor INTL (FR0000121667), Lafarge (FR0000120537), STMicroelectronics (NL0000226223), AXA (FR0000120628), PPR (FR0000121485), Michelin (FR0000121261) et Cap Gemini (FR0000125338), à compter du 15 février 2009.
Compte tenu du volume de données concernées, de l’impossibilité de récupérer des données complètes et fiables sur une longue période, notamment auprès des plateformes BATS, Chi-X et Turquoise, et de la difficulté de l’exercice de synchronisation de données provenant de plusieurs sources paramétrées suivant des échelles de temps distinctes, le périmètre de l’enquête a été réduit à la période du 21 juillet 2009 au 2 septembre 2009, soit 32 séances de bourse.
Les enquêteurs se sont essentiellement appuyés sur les données fournies par Euronext et par la société MTE elle-même et ont choisi d’analyser dans le détail la journée d’investissement du 28 août 2009 sur l’un des 27 titres (EDF), considérée comme représentative de l’activité de MTE sur la période en cause, en examinant la « vision du marché du point de vue de MTE », c’est-à-dire les flux d’informations reçues par MTE depuis les différentes plateformes auxquelles elle était connectée. Les enquêteurs ont également pu, à travers différents échanges avec les représentants de MTE, obtenir des explications sur les séquences observées.
La production, par MTE, de l’algorithme « Soap » utilisé pour ces interventions a permis d’établir un descriptif de la stratégie suivie en des termes qui n’ont donné lieu à aucun désaccord entre la DE CET MTE.
A partir des données collectées, la DEC a quantifié les interventions de MTE sur les différentes plateformes concernées et établi des statistiques destinées à mesurer l’importance absolue et relative du nombre d’ordres, d’annulations d’ordres, de transactions passés par MTE ainsi que ses modalités d’intervention (durée d’un ordre, délai de latence entre deux ordres…).
L’enquête a révélé que, sur Euronext, il existait un décalage temporel de plusieurs millisecondes entre le « flux de confirmation d’ordres » reçu par MTE (c’est-à-dire celui par lequel MTE recevait les confirmations d’Euronext concernant sa propre activité : saisies/annulations d’ordres, transactions…) et le « flux de marché » reçu par l’ensemble des membres de marché (c’est-à-dire celui par lequel Euronext envoyait les données anonymisées afférentes à l’activité de l’ensemble des intervenants : ordres saisis, modifiés, annulés).
Il est également apparu que MTE avait bénéficié, entre mars 2009 et juin 2010, d’une exemption du ratio ordres/transaction consentie par Euronext, qui lui a permis de passer de très nombreux ordres et de les annuler ensuite, sans encourir les pénalités dues en cas de dépassement du ratio quotidien de 100 ordres pour 1 transaction, pénalités d’un montant estimé à 19,16 millions d’euros sur la totalité de la période d’exemption.
A l’issue de l’enquête, en application de l'article 144-2-1 du règlement général de l'AMF, la DEC a, par lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 24 juillet 2013, informé Euronext et Virtu de manière circonstanciée des faits éventuellement susceptibles de leur être reprochés au regard des constats effectués.
Les 31 juillet et 23 août 2013, Euronext et Virtu, par l’intermédiaire de leurs conseils, ont déposé leurs observations en réponse.
II.2. Notifications de griefs et procédure de sanction
Après examen du rapport de la DEC, le Collège de l’AMF s’est réuni le 10 décembre 2013 en formation plénière, en application de l’article L. 621-2 du code monétaire et financier, et a décidé de notifier des griefs aux sociétés Virtu et Euronext, ce qui a été fait par lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 13 janvier 2014.
En substance, il est fait grief à :
- Euronext de n’avoir pas exercé son activité avec neutralité et impartialité, dans le respect de l’intégrité du marché, en accordant un avantage commercial de façon discrétionnaire à l’un de ses membres, en violation des articles L. 421-11, I 1° du code monétaire et financier et 512-3 du règlement général de l’AMF ;
- Virtu, d’une part, d’avoir, en violation des articles 631-1 et 631-2 du règlement général de l’AMF, manqué à son obligation de s’abstenir de procéder à une manipulation de cours constituée par l’émission d’ordres qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications trompeuses sur l’offre, la demande ou le cours des instruments financiers objets de l’enquête et par la position dominante de MTE dans le carnet d’ordres qui aurait créé des conditions de transaction inéquitables pour les autres participants du marché, et, d’autre part, d’avoir, en violation de l’article 8105/1 du Livre I des Règles de Marché d’Euronext, généré un nombre d’interventions pouvant être jugé excessif dans le carnet d’ordres d’Euronext Paris car sans commune mesure avec le nombre de transactions exécutées, ce comportement ayant empêché un fonctionnement ordonné du marché.
Conformément aux dispositions de l'article R. 621-38 du code monétaire et financier, le président de l'AMF a transmis, le 13 janvier 2014, copie des notifications de griefs au président de la Commission des sanctions qui a désigné, le 30 janvier 2014, M. Christophe Soulard en qualité de rapporteur, ce dont les mises en cause ont été informées par lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 5 février 2014 leur rappelant la faculté d'être entendues, à leur demande, conformément au I de l'article R. 621-39 du code monétaire et financier.
Par lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 6 février 2014, les mises en cause ont été informées, en application de l'article R. 621-39-2 du code monétaire et financier, de leur faculté de demander la récusation du rapporteur dans le délai d'un mois, dans les conditions prévues par les articles R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du même code.
Le 14 mars 2014, Euronext a déposé ses observations en réponse à la notification de griefs par l'intermédiaire de ses avocats.
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 25 février 2014, en réponse à une demande datée du 23 janvier 2014, le président de la Commission des sanctions a informé le conseil de Virtu que le délai dont sa cliente disposait initialement pour présenter ses observations était prolongé jusqu’au 25 avril 2014. A cette date, Virtu, par l’intermédiaire de son avocat, a déposé ses observations en réponse à la notification de griefs et a, à cette occasion, demandé à être entendue.
Par lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 14 janvier 2015, le rapporteur a sollicité des conseils des mises en cause la traduction en langue française des pièces annexées à leurs observations en réponse aux notifications de griefs rédigées en langue anglaise. Par courrier du même jour, il a sollicité du Secrétaire général de l’AMF la traduction en langue française de l'ensemble des passages du rapport d'enquête y figurant en langue anglaise ainsi que de l'ensemble des pièces ou extraits de pièces nécessaires à la compréhension du dossier.
Ces traductions ont été transmises le 21 janvier 2015 par le conseil de Virtu, le 13 février 2015 par les conseils d’Euronext, et le 23 mars 2015 par le Secrétaire général de l’AMF.
Le 9 février 2015, Virtu a élu domicile à l’adresse de son conseil pour les besoins de la procédure de sanction.
Par courriers du 10 et du 17 février 2015, le rapporteur a invité à se présenter en audition, d’une part, Euronext, le 8 avril 2015, et, d’autre part, Virtu, le 31 mars 2015. Des éléments complémentaires à ces auditions ont été transmis au rapporteur par Virtu par courrier du 8 avril 2015 et par Euronext par courrier du 16 avril 2015.
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 17 avril 2015, le rapporteur a sollicité des conseils d’Euronext la traduction, en langue française, des pièces jointes aux éléments complémentaires transmis par leur client qui étaient rédigées en langue anglaise. Le rapporteur a reçu les traductions le 24 avril 2015.
Par courriers remis par porteur le 13 mai 2015, auxquels était joint le rapport du rapporteur, les mises en cause ont été convoquées à la séance de la Commission des sanctions du 24 juin 2015 et informées du délai de quinze jours dont elles disposaient pour présenter des observations en réponse au rapport du rapporteur, conformément aux dispositions du III de l’article R. 621-39 du code monétaire et financier, ainsi que de leur droit à se faire assister de tout conseil de leur choix, selon les dispositions du II de l’article R. 621-40 du code monétaire et financier.
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 18 mai 2015, en réponse à une demande datée du 13 mai 2015, le président de la Commission des sanctions a informé le conseil de Virtu que le délai dont son client disposait initialement pour présenter ses observations était prolongé jusqu’au 8 juin 2015. A cette date, Virtu, par l’intermédiaire de son avocat, a déposé ses observations en réponse au rapport du rapporteur.
Le 28 mai 2015, Euronext a déposé ses observations en réponse au rapport du rapporteur, par l'intermédiaire de ses avocats.
Par lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 12 juin 2015, les mises en cause ont été informées que la séance de la Commission des sanctions initialement prévue le 24 juin 2015 était reportée au 4 novembre 2015.
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 22 juin 2015 et par lettre du 6 juillet suivant, en réponse à des demandes datées des 16 et 30 juin 2015, le président de la Commission des sanctions a informé le conseil de Virtu qu’il ne lui était pas possible de répondre favorablement à ses demandes de report de la séance.
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 20 juillet 2015, en réponse à une demande datée du 16 juillet 2015, le président de la Commission des sanctions a informé le conseil d’Euronext qu’il ne lui était pas possible de répondre favorablement à sa demande de report de la séance.
Par lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 18 septembre 2015, les mises en cause ont été informées de la composition de la Commission des sanctions lors de la séance, ainsi que du délai de quinze jours dont elles disposaient, en application de l'article R. 621-39-2 du code monétaire et financier, pour demander, conformément aux articles R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du même code, la récusation de l'un ou plusieurs des membres de cette Commission.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I. SUR LE GRIEF NOTIFIÉ À EURONEXT
Considérant qu’il est reproché à Euronext, en accordant à MTE une exemption du ratio ordres/transaction pour une période de seize mois allant du 1er mars 2009 au 30 juin 2010, de ne pas avoir exercé ses activités avec neutralité et impartialité, dans le respect de l'intégrité du marché et, ainsi, d’avoir manqué aux obligations professionnelles lui incombant en sa qualité d'entreprise de marché en application des dispositions de l’article 512-3 du règlement général de l’AMF ; que sont aussi invoquées les dispositions de l’article L. 421-11, I 1° du code monétaire et financier ;
Considérant que, selon la notification de griefs, l’exemption précitée, accordée de manière discrétionnaire et non publique a permis à MTE d’augmenter très fortement le nombre de ses ordres sans encourir une surfacturation d’un montant estimé à 19,1 millions d’euros, d’améliorer ses algorithmes plus rapidement et à moindre frais que ses concurrents et d’obtenir une information plus rapide sur l’état réel du carnet d’ordres, tandis qu’elle entraînait, pour les autres membres du marché, une modification de la représentation du carnet d’ordres ainsi qu’un déséquilibre dans le fonctionnement de celui-ci, à leur détriment ;
Considérant que l’article 512-3 du règlement général de l’AMF, inchangé depuis les faits, prévoit que « L'entreprise de marché et le tiers mentionné au troisième alinéa de l'article 512-1 exercent leurs activités avec diligence, loyauté, neutralité et impartialité, dans le respect de l'intégrité du marché » ; que l’article L. 421-11, I 1° du code monétaire et financier, inchangé depuis les faits, dispose « I. - L'entreprise de marché prend les dispositions nécessaires en vue de : / 1. Détecter, prévenir et gérer les effets potentiellement dommageables, pour le bon fonctionnement du marché réglementé ou pour les membres du marché, de tout conflit d'intérêts entre les exigences de bon fonctionnement du marché réglementé qu'elle gère et ses intérêts propres ou ceux de ses actionnaires » ;
I.1. Sur la précision et la prévisibilité du manquement notifié à Euronext
Considérant qu’Euronext soutient que les deux textes précités définissant ses obligations professionnelles en termes très généraux, il n’était pas raisonnablement prévisible que l’octroi à un intervenant HFT d'une exemption du ratio ordres/transaction puisse conduire à caractériser un manquement professionnel à son encontre, de sorte que les impératifs constitutionnels de précision et de prévisibilité des incriminations ont été méconnus ;
Considérant que le grief notifié ne porte pas sur l’octroi à un intervenant HFT d'une exemption du ratio ordres/transaction, qu’aucun texte précis n’incrimine en tant que tel, mais sur la méconnaissance induite par cet octroi de l’obligation d’Euronext d’exercer son activité avec neutralité et impartialité, dans le respect de l'intégrité du marché édictée par l’article 512-3 du règlement général de l’AMF, pris en application de l’article L. 421-11, I 1° du code monétaire et financier qui impose à l’entreprise de marché de gérer, prévenir et détecter les effets potentiellement dommageables, pour le bon fonctionnement du marché géré ou pour les membres du marché, de tout conflit d'intérêts entre les exigences de ce bon fonctionnement et ses intérêts propres ; que cette obligation résultait de façon suffisamment précise des dispositions précitées ; qu'à la date des faits, lesdites dispositions étaient suffisamment claires et précises pour qu’il apparaisse de façon raisonnablement prévisible pour Euronext que le comportement litigieux constituait un manquement à ses obligations professionnelles passible d’une sanction en application de l'article L. 621-15 du code monétaire et financier, peu important l’absence de position de l’AMF et de précédent de la Commission des sanctions les explicitant ; que le moyen mettant en cause la précision et la prévisibilité du manquement n’est pas fondé ;
I.2. Sur la modification de la portée du grief par le rapport du rapporteur
Considérant qu’Euronext soutient que le rapporteur a minimisé l’aspect du grief notifié relatif au HFT et a fait état, pour la première fois, de l’existence d’un conflit d’intérêts non identifié, prévenu et géré par elle, portant ainsi une accusation nouvelle et tardive qui est irrecevable à ce stade de la procédure ;
Considérant que la Commission des sanctions, qui se prononce sur les seuls griefs notifiés par le Collège, n’est pas saisie de l’accusation prétendument nouvelle invoquée, qui aurait été formulée dans le rapport du rapporteur ; que le moyen est donc inopérant ;
I.3. Sur la caractérisation du manquement
Considérant que la notification de griefs se fonde à titre principal sur l’article 512-3 précité du règlement général de l’AMF, pris pour l’application de l’article L. 421-11, I 1°, en indiquant qu’Euronext pourrait « avoir porté atteinte à l'intégrité du marché et (…) ne pas avoir agi avec « neutralité et impartialité » vis-à-vis des autres membres de marché » ;
Considérant que la notification de griefs précise en quoi l’intégrité du marché pourrait avoir été affectée par l’octroi de l’exemption tarifaire accordée de manière discrétionnaire et non publique à MTE et mentionne les effets potentiellement dommageables induits par cette mesure pour le marché ou pour ses membres en faisant état notamment de la modification de la représentation du carnet d’ordres et du déséquilibre dans le fonctionnement de celui-ci qui en seraient résulté ; que, dès lors, Euronext n’a pu se méprendre sur le contenu du grief notifié ;
Considérant que l’exemption de ratio ordres/transaction de 100/1 accordée à MTE a permis à cette dernière de passer et annuler un nombre d’ordres excédant largement ce ratio sans encourir les pénalités normalement prévues en cas de dépassement ; que, selon Euronext, l’octroi de cette exemption est intervenu dans le cadre de la mise en oeuvre d’un programme pilote, baptisé « Programme Algorithmes », dont les objectifs étaient détaillés et bien déterminés et qui ne s’adressait pas seulement à MTE mais aussi à d’autres membres pratiquant le HFT, Euronext l’ayant « mis en oeuvre au profit des membres pratiquant le trading algorithmique qui lui en ont fait la demande », à savoir trois autres membres en sus de MTE ; qu’Euronext soutient également que le Programme Algorithmes s’inscrivait dans l’un de ses programmes de liquidité décrits ci-avant et précise qu’il a succédé à la tarification dite « Pack Epsilon », qui n’aurait pas eu le succès escompté, et précédé le Programme dit « SLP » ;
Considérant qu’il n’est pas contesté qu’Euronext a souhaité dès 2008 développer des conditions tarifaires attractives et des programmes de liquidité pour ses membres pratiquant le HFT afin d’accueillir ces nouveaux intervenants et faire face à l’émergence des nouvelles plateformes de négociation due à l’entrée en vigueur de la directive MIF ; que c’était notamment l’objet du Pack Epsilon mis en place dès juillet 2008 ;
Considérant, toutefois, qu’aucune documentation relative au programme « Algorithmes » ne figure au dossier ; que celle relative à l’exemption dont a bénéficié MTE se limite aux courriers d’octroi et de retrait de celle-ci datés respectivement des 28 février 2009 et 25 juin 2010, qui ne mentionnent aucun programme particulier ; qu’aucune limitation de durée n’était prévue pour cette exemption qui, en définitive, a duré plus de seize mois ; que l’absence totale de document justifiant de l’existence du programme en cause, de ses critères d’éligibilité, des contreparties à la charge des membres bénéficiaires, et d’une durée limitée de l’avantage consenti par Euronext vient en contradiction avec l’idée d’un programme, même pilote ;
Considérant, en outre, qu’Euronext a indiqué en audition que l’adhésion à l’expérimentation d’un programme test prenait en principe la forme d’une « lettre signée qui contient une durée limitée et des obligations réciproques », les engagements des membres pouvant être variés (« engagements de prix (ex : être à la meilleure limite pendant tant de temps), des engagements de taille et des engagements de présence d’un côté ou de l’autre du carnet d’ordre[s] ») et la durée du test pouvant « aller de deux mois à maximum 6-8 mois » car selon les termes d’Euronext : « Au-delà, il ne s’agit plus d’une expérimentation » ; que si ces indications sont relatives aux phases d’expérimentation des programmes mis en oeuvre aujourd’hui par Euronext, aucun élément ne permet d’expliquer que cette pratique n’ait pas été mise en oeuvre dès le mois de mars 2009 pour l’exemption accordée à MTE ;
Considérant, par ailleurs, que pour contester le caractère discrétionnaire de l’avantage conféré à MTE et justifier de ce qu’elle aurait agi avec neutralité et impartialité vis-à-vis des autres membres de marché, Euronext soutient que MTE n’a pas été le seul membre pratiquant le trading algorithmique à en bénéficier ;
Considérant, cependant, que seuls deux autres membres d’Euronext ont bénéficié d’une exemption tarifaire pour un ratio illimité ordres/transaction, un troisième ayant bénéficié d’un ratio de 200/1 ; que ces exemptions ont été accordées pour des périodes très courtes, de deux à quatre mois, et seulement à compter du mois d’avril 2010, alors que MTE en a bénéficié dès mars 2009 et pendant 16 mois ; qu’elle n’était pourtant pas le seul membre d’Euronext à pratiquer le HFT à cette époque et à être susceptible de permettre à Euronext d’améliorer la liquidité de son marché actions, de préserver et augmenter ses parts de marché et de tester sa nouvelle plateforme UTP ; que les trois membres mentionnés par Euronext lors de la séance, comme ayant également bénéficié en 2009 d’une exemption du ratio ordres/transaction comparable à celle accordée à MTE, faisaient en réalité partie d’un programme pilote distinct baptisé « SLP » et reposant sur des principes différents dès lors qu’il impliquait des obligations d’apport de liquidité en échange d’une tarification spécifique ; que l’argument en défense tiré de l’exemption dont ont bénéficié ces trois sociétés ne saurait donc être retenu ; qu’Euronext n’apporte aucune explication convaincante sur les raisons de la différence de traitement dont a bénéficié MTE par rapport aux autres membres de marché ; que l’absence de neutralité et d’impartialité dans laquelle Euronext a, en l’espèce, exercé son activité est démontrée ;
Considérant, enfin, qu’il est établi que l’exemption consentie à MTE n’a pas été portée à la connaissance des autres membres de marché, qui pouvaient d’autant moins en soupçonner l’existence qu’Euronext avait annoncé quelques mois plus tôt, le 3 décembre 2008, à l’ensemble de ses membres qu’il ne pouvait y avoir d’Apporteur de Liquidité sur les titres « figurant dans l’indice Euronext 100 », c’est-à-dire les titres les plus liquides du marché, dont font partie les 27 titres objets de l’enquête ; que l’instruction dans laquelle était insérée cette annonce, intitulée « Manuel de négociation sur l’Universal Trading Platform », ne se référait pas « seulement aux formes classiques d’apport de liquidité [...] pertinentes pour des valeurs qui ne faisaient pas l’objet d’une fragmentation entre plusieurs plateformes de négociation », comme le soutient Euronext dans ses observations en réponse au rapport du rapporteur, mais portait justement sur la nouvelle plateforme UTP d’Euronext qui devait lui permettre de faire face à l’émergence des plateformes alternatives de négociation ; que l’octroi de l’exemption de ratio à MTE qui, selon Euronext, avait pour objectif « d’améliorer la liquidité de son marché », y compris sur des titres figurant dans l’indice Euronext 100, s’inscrit en contradiction avec l’information donnée par l’annonce précitée ; qu’en ne révélant pas l’exemption de ratio accordée à l’un de ses membres alors qu’elle avait annoncé qu’aucun Apporteur de Liquidité ne pouvait intervenir sur les titres « figurant dans l’indice Euronext 100 », Euronext n’a pas agi de façon neutre et impartiale, peu important l’absence d’obligation de publier les exemptions tarifaires accordées par elle ;
Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède que les conditions et modalités dans lesquelles l’exemption de ratio ordres/transaction a été accordée à MTE par Euronext afin de lui permettre d’améliorer ses algorithmes - à savoir : en dehors de tout programme prédéfini, de manière non publique alors qu’elle avait annoncé à ses membres qu’aucun Apporteur de Liquidité ne pouvait intervenir sur les titres sur lesquels a pu intervenir MTE, sans contrepartie, sans limitation de durée et en définitive pour une durée de seize mois -, est contraire à l’obligation d’Euronext d’exercer son activité avec neutralité et impartialité ;
Considérant que l’article 512-3 du règlement général de l’AMF impose aux entreprises de marché d’exercer leur activité dans le respect de l’intégrité du marché ;
Considérant qu’il résulte des déclarations d’Euronext que l’octroi de l’exemption de ratio a eu pour conséquence de modifier les modalités selon lesquelles MTE est intervenue sur le marché, cette dernière ne pouvant mettre en oeuvre sa stratégie d’investissement, qui nécessitait de pouvoir annuler de nombreux ordres avant leur exécution, sans avoir la garantie d’être exemptée des pénalités en cas de dépassement du ratio quotidien ; qu’en effet, l’application de ces pénalités aurait fait perdre à MTE l’intérêt économique de la stratégie qu’elle souhaitait mettre en oeuvre ;
Considérant qu’il résulte du rapport établi par la cellule Market Integrity d’Euronext sur le comportement de MTE en janvier 2009, que le dépassement du ratio ordres/transaction, s’il n’était pas en lui-même susceptible de constituer un manquement à l’une de ses règles de marché, pouvait entraîner une perturbation du marché de nature à dégrader le service ou à empêcher le marché de fonctionner de manière ordonnée ; que toutefois, le rapport conclut en l’espèce à l’absence de violation de cette règle par MTE pour le mois de janvier 2009, dès lors que le ratio maximum fixé par Euronext pour MTE sur cette période (30/1) n’avait pas été dépassé lors des journées visées par le rapport ; que si, en janvier 2009, MTE respectait encore le ratio auquel elle était soumise, elle a reconnu que, pour la période du 21 juillet au 2 septembre 2009, son ratio ordres/transaction était de 146/1, soit bien supérieur au ratio limite de 100/1 au-delà duquel les autres intervenants étaient alors redevables de pénalités financières ;
Considérant que l’exemption de ratio accordée à MTE n’ayant pas été portée à la connaissance du marché, les autres membres d’Euronext n’étaient pas en mesure de savoir qu’un seul membre pouvait intervenir de façon aussi massive ; que l’octroi de l’exemption de ratio a permis à MTE d’intervenir sur Euronext Paris extrêmement rapidement et de manière massive sur la période en cause, à savoir 110,1 millions de fois dans le carnet d’ordres, représentant 65,6 % des interventions, alors que les transactions qu’elle a réalisées dans le même temps n’ont représenté que 2 % du volume exécuté sur ce marché ; que par exemple, pour le titre EDF au cours de la journée du 28 août 2009, MTE a représenté 81,44 % des interventions, a inséré ou modifié 5,5 millions d’ordres dont la durée de vie n’a pas excédé 2 millisecondes, et 41,6 millions d’ordres dont la durée de vie n’a pas excédé 1 seconde, ces ordres ayant représenté en moyenne, sur les 27 valeurs étudiées, 26,63 % du volume placé aux 5 meilleures limites à la vente et 26,79 % du volume placé aux 5 meilleures limites à l’achat ;
Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède que l’octroi de l’exemption de ratio à MTE a eu pour conséquence de modifier les modalités d’intervention de ce membre sur le marché, sans que les autres membres en aient connaissance ; qu’en octroyant une telle exemption, sans en informer les autres membres tout en ayant par ailleurs annoncé qu’elle publierait un avis dans l’hypothèse où un Apporteur de Liquidité interviendrait sur les titres les plus liquides, Euronext n’a pas mis les membres du marché autres que MTE en mesure de comprendre la modification des conditions de négociation qui en résultait et a ainsi créé une disparité de traitement ; qu’elle n’a donc pas exercé son activité « dans le respect de l’intégrité du marché » au sens de l’article 512-3 du règlement général de l’AMF ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article 512-3 du règlement général de l’AMF est caractérisé ;
Considérant que le fait qu’un tel manquement aux obligations de neutralité et d’impartialité soit caractérisé démontre également qu’Euronext n’avait pas en l’occurrence identifié, prévenu et géré les effets potentiellement dommageables, mentionnés à l’article L. 421-11, I 1° du code monétaire et financier, que pouvait entraîner la décision d’exemption tarifaire, discrétionnaire et non publique, prise par elle ; que les intérêts légitimes invoqués par Euronext pour prendre une telle décision n’en étaient pas moins contraires, dans les modalités de mise en oeuvre de celle-ci, aux exigences de bon fonctionnement du marché règlementé qu’elle gère ; que le grief tiré de la méconnaissance des dispositions de l’article susmentionné est donc également caractérisé ;
II. SUR LES GRIEFS NOTIFIÉS À MTE
II.1. Sur le grief de manipulation de cours
Considérant que la notification de griefs relève que MTE utilisait trois algorithmes dont la stratégie consistait à procéder à un arbitrage entre les différentes plateformes de négociation en plaçant de façon simultanée et indépendante des ordres à l’achat et à la vente à des limites proches des meilleures limites avant, en cas d’exécution, de déboucler sa position par le placement d’un ordre de l’autre côté du carnet d’ordres ; qu’elle retient ensuite qu’ « en utilisant cette stratégie de trading de façon quasi systématique sur BATS, CHI-X, Nasdaq Europe, Turquoise et Euronext Paris, entre le 21 juillet 2009 et le 2 septembre 2009, MTE pourrait avoir, d’une part, émis des ordres qui ont donné des indications fausses ou trompeuses sur l’offre, la demande ou le cours des [27 titres objet de l’enquête] et, d’autre part, s’être assuré une position dominante sur le marché des titres objets de l’enquête avec pour effet la création de conditions de transaction inéquitables pour les autres intervenants du marché » ; qu’elle considère enfin que ces éléments, qui sont « susceptibles de porter atteinte au bon fonctionnement des marchés et à la protection des investisseurs », pourraient être constitutifs d’une manipulation de cours sur le fondement des articles 631-1 et 631-2, 6° du règlement général de l’AMF ;
II.1.1. Textes applicables
Considérant que l’article 631-1 du règlement général de l’AMF, dans sa version applicable à l’époque des faits, non modifiée dans un sens moins sévère, énonce :
« Toute personne doit s’abstenir de procéder à des manipulations de cours.
Constitue une manipulation de cours :
1° Le fait d’effectuer des opérations ou d’émettre des ordres :
a) Qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l’offre, la demande ou le cours d’instruments financiers ou ;
b) Qui fixent, par l’action d’une ou de plusieurs personnes agissant de manière concertée, le cours d’un ou plusieurs instruments financiers à un niveau anormal ou artificiel, à moins que la personne ayant effectué les opérations ou émis les ordres établisse la légitimité des raisons de ces opérations ou de ces ordres et leur conformité aux pratiques de marché admises sur le marché réglementé concerné ;
2° Le fait d’effectuer des opérations ou d’émettre des ordres qui recourent à des procédés donnant une image fictive de l’état du marché ou à toute autre forme de tromperie ou d’artifice.
En particulier, constituent des manipulations de cours :
a) Le fait, pour une personne ou pour plusieurs personnes agissant de manière concertée, de s’assurer une position dominante sur le marché d’un instrument financier, avec pour effet la fixation directe ou indirecte des prix d’achat ou des prix de vente ou la création d’autres conditions de transaction inéquitables ;
b) Le fait d’émettre au moment de l’ouverture ou de la clôture ou, le cas échéant lors du fixage, des ordres d’achat ou de vente d’instruments financiers du marché ayant pour objet d’entraver l’établissement du prix sur ce marché ou pour effet d’induire en erreur les investisseurs agissant sur la base des cours concernés » ;
Considérant que le 6° de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF, dans sa version applicable à l’époque des faits, non modifiée dans un sens moins sévère, dispose :
« Sans que ces éléments puissent être considérés comme formant une liste exhaustive ni comme constituant en eux-mêmes une manipulation de cours, l’AMF prend en compte, pour apprécier les pratiques mentionnées au 1° de l’article 631-1 : […]
6° L’effet des ordres qui sont émis sur les meilleurs prix affichés à l’offre et à la demande de l’instrument financier, ou plus généralement de la représentation du carnet d’ordres auquel ont accès les participants au marché et qui sont annulés avant leur exécution […] » ;
Considérant que le règlement général de l’AMF prévoit à son article 611-1, dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits, que son livre VI relatif aux abus de marché est applicable aux instruments financiers admis aux négociations sur un marché réglementé et aux opérations portant sur ces instruments, que celles-ci aient été effectivement exécutées ou non sur un marché réglementé ; qu’il en résulte que les articles 631-1 et 631-2 du même règlement sont applicables aux opérations litigieuses effectuées par MTE, quel que soit leur lieu d’exécution, dès lors qu’elles concernent 27 titres admis aux négociations sur le marché réglementé d’Euronext ;
II.1.2. Examen du bien-fondé du grief de manipulation de cours
Considérant que le comportement d’un opérateur peut être jugé manipulatoire sur l’ensemble du périmètre visé par la notification de griefs, dès lors que des présomptions de manipulation sont confortées, pour l’un quelconque des titres concernés, par la constatation, sur plusieurs jours de bourse, déterminés de façon aléatoire tout au long de la période poursuivie, de pratiques considérées comme manipulatoires, ou par la démonstration que les logiciels d’intervention utilisés étaient programmés dans le sens d’un recours systématique à de telles pratiques, ou encore par tout autre élément de preuve dont il aurait pu être déduit qu’il y avait assurément eu, sur le titre et durant la période visés par la notification de griefs, des manipulations de cours (AMF CDS, 12 mai 2011, Kraay Trading) ;
Considérant qu’en l’espèce, le grief porte sur 27 titres et 32 séances de bourse ; que Virtu ne conteste pas que l’algorithme « Soap » a été à l’origine de la très grande majorité des ordres passés sur ces titres, les deux autres algorithmes utilisés suivant au demeurant la même stratégie, et qu’il a fonctionné, selon les modalités décrites dans le rapport d’enquête et son annexe 6.1, de manière identique pendant la période considérée pour les 27 titres et sur les 5 plateformes en cause ; que, dès lors, si un comportement manipulatoire de MTE était constaté concernant le titre EDF pour la journée du 28 août 2009 et corroboré par les données générales relatives aux interventions de celle-ci sur la période considérée pour les 27 titres et les 5 plateformes en cause, le manquement de manipulation de cours serait caractérisé sur l’ensemble du périmètre visé ;
Considérant que, contrairement à ce que laisse entendre l’argument de Virtu selon lequel la stratégie inter-plateforme de MTE correspond à une stratégie classique et légitime d’arbitrage, la notification de griefs ne met en cause ni le recours à l’arbitrage en tant que tel, ni la stratégie utilisée par MTE dans son principe, dont elle indique qu’ils « ne sont pas contraires en eux-mêmes aux dispositions précitées du règlement général de l’AMF », mais les conditions de mise en oeuvre de cette stratégie par l’algorithme de MTE en ce qu’elles auraient conduit à donner des indications fausses ou trompeuses sur l’offre, la demande ou le cours des titres en cause et permis à MTE de s’assurer une position dominante sur le marché de ces titres créant des conditions de transaction inéquitables pour les autres intervenants ;
II.1.2.1 Sur l’émission d’ordres qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l’offre, la demande ou le cours des instruments financiers au sens du 1° de l’article 631-1 du règlement général de l’AMF
Considérant que pour soutenir que MTE a émis des ordres qui ont donné des indications fausses ou trompeuses sur l’offre, la demande ou le cours des 27 instruments financiers en cause, la notification de griefs se fonde sur : (i) le nombre de ses interventions au regard des transactions effectivement effectuées par MTE et des interventions des autres intervenants ; (ii) la rapidité d’intervention de MTE et la durée de vie extrêmement courte de ses ordres et (iii) l’effet des ordres de MTE qui sont émis sur les meilleurs prix affichés à l’offre et à la demande de l’instrument financier ou plus généralement sur la représentation du carnet d’ordres auquel ont accès les participants au marché et qui sont annulés avant leur exécution au sens du 6° de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF ;
Considérant que la notification de griefs décrit l’activité de MTE sur les différentes plateformes en se fondant notamment sur le nombre de « messages » émis par MTE, définis par les enquêteurs comme l’ensemble des « interventions » dans le carnet d’ordres, - c’est-à-dire les entrées, modifications et annulations d’ordres - qui donnent lieu à une information envoyée par la plateforme aux autres intervenants ; que contrairement à ce que soutient Virtu, un tel indicateur est pertinent dès lors que la prise en compte, en plus des ordres entrés, des modifications et annulations d’ordres permet effectivement d’apprécier « l’effet des ordres […] affichés » et, de manière générale, « la représentation du carnet d’ordres auquel ont accès les participants au marché » au sens du 6° de l’article 631-2 précité ;
- Sur l’activité de MTE au regard du nombre de ses interventions, en comparaison avec les transactions effectuées par elle et les interventions des autres intervenants
Considérant que la notification de griefs relève que « sur la période allant du 21 juillet au 2 septembre 2009 (soit sur 32 séances de bourse) et sur les 27 titres objets de l’enquête, MTE a émis au total 313,8 millions de messages (insertions/modifications/annulations d’ordres) dans les carnets d’ordres de BATS, CHI-X, Nasdaq Europe, Turquoise et Euronext Paris » et que « Sur Euronext Paris, les 110,1 millions de messages émis par MTE ont représenté 65,6 % des interventions sur les 27 titres en cause » ; qu’elle ajoute que « MTE n’a réalisé que 7% des transactions sur la période soit un ratio d’exécution moyen – i.e (nombre de messages). (nombre de transactions) – de 253 :1 sur Euronext Paris » en précisant que « ce ratio d’exécution, qui était très supérieur au ratio de 100 :1 en principe prévu par Euronext (…) était atypique car pour le reste du marché (hors MTE), le ratio moyen était de 11,7 :1 » ; qu’elle considère que « ce constat est valable pour l’ensemble des 27 titres objets de l’enquête, sur la période du 21 juillet au 2 septembre 2009 » au vu d’un tableau indiquant les volumes exécutés et les messages passés, par plateforme et par titre ;
Considérant, à titre liminaire, que Virtu soutient à juste titre que leurs numérateurs étant différents, la comparaison faite par la notification de griefs entre le ratio messages/transaction relevé pour MTE (« 253/1 ») et le ratio ordres/transaction fixé par Euronext pour l’application des pénalités financières (100/1) est dépourvue de pertinence ; que le premier ratio qui s’élève en réalité selon les pièces du dossier à 251/1 et non 253/1, conserve néanmoins son intérêt pour l’examen du grief, qui exige d’apprécier l’effet des ordres passés par MTE et non d’établir un dépassement par cette dernière du ratio d’Euronext ; qu’au demeurant, force est de constater que le ratio ordres/transaction de 146/1 dont se prévaut MTE est supérieur au ratio limite de 100/1 fixé par Euronext ;
Considérant que, concernant le titre EDF pour la journée du 28 août 2009, MTE a inséré 576 237 messages dans les carnets d’ordres des 5 plateformes, dont 206 133 sur Euronext Paris, et a effectué 1 506 transactions, dont 605 sur Euronext Paris ; que le ratio messages/transaction est de 341/1 sur cette dernière plateforme, de 2 358/1 sur BATS, de 120/1sur Chi-X , de 495/1 sur Turquoise et de 1 249/1 sur Nasdaq Europe ; que MTE a représenté 81,44 % des interventions sur Euronext Paris, 93,6 % sur BATS, 27,7 % sur Chi-X et 58 % sur Turquoise, alors que, pour la même journée, elle n’a été à l’origine que de 2,8 % des volumes échangés sur Euronext Paris, 17,6 % sur BATS, 10,3 % sur Chi-X et 11,2 % sur Turquoise ; que dès lors, pour la journée considérée et sur ce titre, l’activité de MTE s’est caractérisée par un nombre très important d’interventions, au regard du nombre de transactions effectuées par elle et de l’activité des autres intervenants ;
Considérant que, pendant la période et pour les 27 titres visés par la notification de griefs, MTE a émis 313,81 millions de messages dans les carnets d’ordres de BATS, CHI-X, Nasdaq Europe, Turquoise et Euronext Paris et a été, de loin, le plus important opérateur par le nombre de ses interventions sur au moins quatre de ces plateformes ; qu’en particulier, sur Euronext Paris, le deuxième opérateur le plus important sur la période et les titres en cause est intervenu 11 fois moins (10,4 millions d’interventions contre 110,1 millions pour MTE) tout en échangeant un volume de titres quatre fois supérieur (11,1 milliards d’euros contre 2,5 milliards pour MTE) ; que la proportion des messages entrés par MTE par rapport à ceux entrés par l’ensemble des intervenants a été, en moyenne, sur la période examinée, de 62,7 % sur Euronext Paris, de 63,6 % sur BATS et de 33,9 % sur Chi-X, 50,9 % sur Turquoise ; que cette moyenne pouvait être largement dépassée sur un des 27 titres pour une journée donnée : sur BATS, MTE a ainsi représenté plus de 90 % des interventions sur 51 couples jour/titre ; que cette quantité de messages était sans rapport avec l’activité réelle de MTE, dès lors que, sur la même période, la proportion des transactions qu’elle a réalisées par rapport au volume total exécuté a été de 2 % sur Euronext Paris, 8,6 % sur BATS, 6,5 % sur Chi-X et 6,8 % sur Turquoise ; que MTE affichait un ratio messages/transaction particulièrement élevé sur chacune des 5 plateformes : 251/1 sur Euronext Paris, 398/1 sur BATS, 135/1 sur Chi-X, 328/1 sur Turquoise et 877/1 sur Nasdaq Europe ; que si, selon Virtu, le taux d’exécution des ordres est, de manière habituelle, de l’ordre de 10 %, il reste que les ratios de MTE étaient atypiques, comme le démontre celui de 251/1 précité sur Euronext Paris, comparé à celui, moyen, de 11,7/1 messages/transaction relevé pour les autres opérateurs ;
Considérant qu’il est ainsi établi que l’activité de MTE, pour la période considérée et sur les 27 titres objets de l’enquête, s’est caractérisée par un nombre extrêmement important d’interventions tant au regard du nombre de transactions effectuées par elle que de l’activité des autres intervenants ;
- Sur l’activité de MTE au regard de sa rapidité d’intervention et de la durée de vie de ses ordres
Considérant que la notification de griefs retient que MTE est « souvent intervenu de manière très rapide », en insérant ou modifiant des ordres d’une durée de vie très courte, ce qui « montre un caractère atypique de MTE par rapport au reste du marché, tant au niveau du nombre d’ordres modifiés ou annulés extrêmement rapidement qu’au niveau de la proportion représentée par les ordres de courte durée dans l’ensemble des ordres d’un intervenant » ; qu’elle précise que « cette durée de vie des ordres extrêmement courte ne permettait pas aux autres intervenants de marché d'être informés de l'existence de ces ordres avant leur disparition du carnet dans la mesure où, en 2009, il n'était pas techniquement possible de réagir à un ordre entré dans le carnet en moins d'une à deux millisecondes. En conséquence, un autre intervenant ne pouvait volontairement interagir avec un ordre qui était annulé dans la milliseconde suivant sa saisie » ;
Considérant que pour le titre EDF, sur la journée du 28 août 2009, 87 % des phases d’exécution (achat/vente ou vente/achat) de MTE, toutes plateformes confondues, ont duré moins d’une seconde, 77 % moins de 10 millisecondes et 13 % moins de cinq millisecondes ; que, sur Euronext Paris, MTE a émis l’intégralité des ordres ou modifications d’ordres ayant eu une durée de vie inférieure à 2 millisecondes et 99,83 % de ceux ayant eu une durée de vie inférieure à 10 millisecondes ; qu’il en résulte que, pour la journée et le titre considérés, les interventions de MTE ont été extrêmement rapides et la durée de vie de ses ordres extrêmement brève ;
Considérant que sur la période et pour les 27 titres visés par la notification de griefs, moins de 10 millisecondes ont séparé deux interventions successives de MTE dans 89,9 % des cas ; que, sur Euronext Paris, MTE a inséré ou modifié 41,6 millions d’ordres d’une durée de vie de moins d’une seconde, dont 5,5 millions d’ordres d’une durée de vie de 2 millisecondes et 3,5 millions d’ordres d’une durée de vie d’une milliseconde, 66,35 % des ordres passés par elle durant moins d’une seconde, 40 % moins de 50 millisecondes, 24,72 % moins de 10 millisecondes et 8,72 % moins de 2 millisecondes ; que, sur la même plateforme, les ordres qu’elle a passés ont représenté 99,1 % des ordres du marché d’une durée de vie inférieure à 2 millisecondes et l’intégralité des ordres de moins de 1 milliseconde, sans qu’aucun autre opérateur n’intervienne de manière significative pour des durées aussi courtes ; qu’en comparaison, le deuxième intervenant le plus actif sur cette période n’a inséré ou modifié aucun ordre d’une durée de vie inférieure à 2 millisecondes et seulement 0,6 million d’ordres dont la durée de vie n’a pas excédé 1 seconde ; que les deux autres intervenants les plus rapides ont affiché une proportion d’ordres d’une durée de vie inférieure à 2 millisecondes bien moindre que MTE, de, respectivement, 4,01 % et 0,01 % ;
Considérant qu’il ressort de ces éléments que les interventions de MTE sur l’ensemble du périmètre considéré étaient extrêmement rapides et la durée de vie de ses ordres extrêmement brève au regard notamment des pratiques comparables des autres opérateurs alors actifs sur le marché ;
Considérant en outre et surtout que, comme indiqué plus haut, il existait un décalage pouvant atteindre 5 millisecondes entre la vitesse d’envoi par Euronext à chaque intervenant de la confirmation de ses propres ordres ou modification d’ordres et la vitesse d’envoi des données sur tous les ordres à l’ensemble des intervenants, de sorte que, pour au moins tous les ordres annulés en moins de 2 millisecondes, soit 5,5 millions d’ordres passés par MTE sur la période considérée, lorsque les autres intervenants étaient informés de l’insertion d’un tel ordre, celui-ci n’existait en réalité déjà plus ; que ce dernier point, qui est l’effet de la rapidité et de la fréquence avec laquelle MTE était à même de retirer ses ordres, avait notamment pour conséquence que le carnet d’ordres accessible à tout moment aux autres membres du marché ne reflétait pas la réalité des ordres encore présents ;
- Sur l’activité de MTE au regard du critère de manipulation de cours de l’article 631-2 6° du règlement général de l’AMF relatif à l’effet des ordres émis sur les meilleurs prix affichés à l’offre et à la demande de l’instrument financier ou, plus généralement, sur la représentation du carnet d’ordres auquel ont accès les participants au marché et qui sont annulés avant leur exécution
Considérant que la notification de griefs retient d’abord qu’en l’absence de synchronisation parfaite entre le « flux de confirmation », défini comme le flux donnant à chaque membre de marché des informations concernant sa propre activité, et le « flux de marché », donnant à tous les membres l’ensemble des données de marché anonymisées, MTE a pu identifier ses propres ordres comme ceux d’un autre intervenant « générant ainsi une cascade d’insertions et annulations d’ordre en l’absence de tout événement de marché », « ce qui générait une activité artificielle » ; qu’elle ajoute que « MTE n’avait l’intention d’être exécutée que sur une seule plateforme et affichait ainsi, toutes plateformes confondues, un volume sans commune mesure avec le volume qu’elle avait l’intention d’exécuter [ce qui] générait des fluctuations très rapide et fréquentes du volume de titres disponibles en carnet sans que les autres intervenants de marchés puissent en comprendre l’origine » ; qu’elle en déduit que « dans la mesure où les ordres placés par MTE se situaient à des niveaux proches de la meilleure limite, la perception du marché par d’autres intervenants était faussée s’ils prenaient en compte les limites proches du carnet d’ordres en vue de réaliser des achats ou ventes de titres » et que « la représentation du carnet était également continuellement faussée en raison du très grand nombre d’ordres insérés ou modifiés par MTE et annulés pour la plupart avant d’être exécutés » ;
Considérant que Virtu fait valoir que la stratégie mise en oeuvre se bornait à réagir à « l’arrivée de nouvelles informations » et répondait à un « évènement de marché » provenant en pratique d’une évolution de l’ordre « support » sur lequel MTE s’appuyait ; que cette circonstance est indifférente pour la caractérisation du grief, qui ne met pas en cause les raisons expliquant les modifications des positions de MTE mais l’effet de ses interventions sur le marché et la perception qu’en avaient les autres intervenants ; qu’à titre d’exemple, le rapport d’enquête cite une séquence sur le titre EDF au cours de la journée du 28 août 2009, au cours de laquelle, en 1 milliseconde, l’algorithme SOAP a saisi, modifié ou annulé 26 ordres sur les différentes plateformes après avoir enregistré une nouvelle information tenant à la hausse de la meilleure limite à l’achat et à la réduction du volume offert à la meilleure limite à la vente – ces 26 interventions donnant lieu à une modification significative des meilleures limites à la vente et à l’achat sur les différentes plateformes ;
Considérant que si Virtu soutient que MTE avait bien l’intention d’obtenir l’exécution de chacun des ordres placés sur les plateformes « au moment de leur passation », il ressort néanmoins de sa propre analyse du fonctionnement de l’algorithme Soap, exposée devant le rapporteur de la Commission des sanctions, qu’au cours de chaque séquence d’investissement construite à partir d’un ordre « support » sur une plateforme, 3 des 4 ordres placés par MTE sur les autres plateformes n’avaient pas, « au moment de leur passation », vocation à être exécutés, sans toutefois que MTE puisse au préalable déterminer ceux qui ne seraient pas exécutés, à défaut de savoir sur quelle plateforme un ordre agressif viendrait s’apparier en premier avec l’un des ordres passifs ; que la volonté d’exécution de MTE était en outre conditionnée par une multitude de paramètres, au premier rang desquels l’évolution de l’ordre « support » ; qu’en effet, elle ne durait qu’aussi longtemps que cet ordre était maintenu en l’état sur la plateforme affichant le meilleur prix, soit en pratique quelques millisecondes, MTE annulant, dès que l’ordre « support » était modifié, tous les ordres passifs correspondants sur les autres plateformes pour éviter qu’ils soient exécutés ; qu’ainsi, dans la grande majorité des séquences d’investissement initiées sur la base d’un nouvel ordre « support », l’algorithme conduisait surtout, par construction, à faire en sorte que tous les ordres passifs correspondants entrés par MTE soient annulés dès que possible dès lors qu’un seul d’entre eux avait été exécuté ; que c’est donc à juste titre que la notification de griefs retient que la plupart des ordres entrés par MTE n’avaient pas vocation à être exécutés et que les volumes affichés par MTE sur l’ensemble des plateformes ne correspondaient pas à ceux qu’elle avait l’intention d’exécuter ;
Considérant que l’intense activité générée par les ordres de MTE, placés dans les meilleures limites des carnets d’ordres des différentes plateformes, pouvait donner l’impression erronée d’une forte demande à l’achat ou à la vente, sans commune mesure avec les volumes sur lesquels MTE intervenait réellement ; que l’appréhension du fonctionnement du marché était rendue encore plus difficile pour les membres d’Euronext Paris, dès lors que leur ignorance de l’exemption du ratio maximal ordres/transaction de 100/1 accordée à MTE les empêchait de comprendre que l’importante activité générée par cette dernière provenait d’un seul et même opérateur et que, pour une part significative des ordres passés de MTE, ils étaient informés de leur existence par Euronext alors que ces ordres n’existaient déjà plus ;
Considérant par ailleurs qu’il ressort de l’analyse des interventions sur le titre EDF pour la journée du 28 août 2009 que l’algorithme de MTE pouvait réagir face à lui-même en générant automatiquement des entrées et annulations d’ordres sans qu’aucune intervention d’un tiers dans le marché ne soit venue justifier un tel repositionnement ; qu’il arrivait aussi que, réagissant de manière automatique à tous les ordres affichés aux meilleurs prix, l’algorithme soit trompé par d’autres intervenants qui entraient des ordres sans intention de les exécuter dans le but de donner une forte impression acheteuse ou vendeuse (manipulation de type « layering ») ; que l’algorithme répercutait alors sur 4 plateformes les ordres identifiés aux meilleurs prix sur une autre et démultipliait ainsi les effets des ordres « leurres » de l’intervenant manipulateur en contribuant de la sorte à détériorer la lisibilité des carnets d’ordres pour les autres intervenants ; que la constance du fonctionnement structurel de l’algorithme permet de considérer que les incidents survenus le 28 août 2009 en ce qui concerne le titre E DF se sont également produits sur le reste de la période considérée pour les 27 titres en cause, sans qu’il soit possible d’en déterminer l’ampleur ;
Considérant qu’il résulte de ces éléments que la multiplication des ordres annulés avant leur exécution, notamment aux meilleures limites des carnets d’ordres, a créé une confusion quant à la réalité de l’offre et de la demande sur les titres en cause, de sorte que le critère de manipulation de cours visé au 6° de l’article 631-2 du règlement général de l’AMF est satisfait ;
Considérant qu’il est établi par les développements qui précèdent qu’entre le 21 juillet et le 2 septembre 2009, les modalités d’intervention massives et extrêmement rapides de MTE dans les carnets d’ordres des 27 titres de chacune des 5 plateformes considérées ont altéré de manière significative la représentation de chacun de ces carnets d’ordres et que les ordres émis par MTE ont donné ou ont été susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l’offre et la demande des mêmes instruments financiers ;
II.1.2.2. Sur la position dominante ayant créé des conditions de transaction inéquitables pour les autres participants du marché
Considérant qu’aux termes de l’article 631-1 du règlement général de l’AMF : « (…) En particulier, constituent des manipulations de cours : a) Le fait, pour une personne ou pour plusieurs personnes agissant de manière concertée, de s’assurer une position dominante sur le marché d’un instrument financier, avec pour effet la fixation directe ou indirecte des prix d’achat ou des prix de vente ou la création d’autres conditions de transaction inéquitables ; » ; que cet exemple est susceptible d’être rattaché à l’une des définitions de manipulation de cours énoncées aux paragraphes 1° a), 1° b) ou 2° du même article ;
Considérant que, selon la notification de griefs, MTE s’est assurée une position dominante sur le marché des 27 titres objets de l’enquête, sur les plateformes Euronext Paris, BATS, CHI-X et Turquoise, « en raison du très grand nombre d’interventions et du volume d’interventions qu’elle a effectuées dans le carnet », ce qui a créé des conditions de transactions inéquitables pour les autres participants du marché ;
Considérant qu’une position dominante peut être acquise non seulement au niveau des exécutions mais aussi au niveau des ordres ;
- Sur l’existence d’une position dominante assurée par les interventions de MTE
Considérant qu’afin d’établir la position dominante sur Euronext Paris, BATS, Chi-X et Turquoise, la notification de griefs se fonde sur le « très grand nombre d’interventions et le volume d’interventions » effectuées dans le carnet d’ordres, en précisant que « le volume des ordres placés par MTE était atypique, y compris par rapport aux autres acteurs de marché réalisant des transactions à haute fréquence » ;
Considérant, s’agissant du titre EDF pour la journée du 28 août 2009, que MTE a été l’intervenant le plus important sur Euronext Paris, BATS, Chi-X et Turquoise, ses messages ayant représenté, respectivement, 81,44 %, 93,6 %, 27,7 % et 58 % du total des messages sur ces plateformes, ses ordres plus de 29 % du total du volume des titres EDF offerts à l’achat ou à la vente sur les 5 plateformes étudiées et entre 29 % et 66 % du volume d’ordres présents aux 5 meilleures limites à l’achat ou à la vente ; que les interventions de MTE étaient donc massives tant en ce qui concerne le nombre de messages passés dans le carnet d’ordres que les volumes d’ordres émis aux 5 meilleures limites ;
Considérant que pour la période considérée et pour les 27 titres visés, qui sont tous des titres du CAC40 particulièrement liquides avec une moyenne de 15,5 millions d’interventions par séance, MTE a représenté en moyenne, sur 30 séances de bourse de la période examinée, 62,7 %, 63,6 %, 33,9 % et 50,9 % des messages entrés sur Euronext Paris, BATS, Chi-X et Turquoise, et un poids encore bien plus important sur un nombre significatif de couples jour/titre ; que dès lors, pour la période considérée et sur les 27 titres étudiés, il est établi que MTE est intervenue de manière massive et a été de loin l’opérateur le plus actif en nombre de messages passés sur Euronext Paris, BATS, Chi-X et Turquoise ;
Considérant, par ailleurs, que pour la période considérée et sur les 27 titres étudiés, les ordres de MTE ont représenté en moyenne, sur Euronext Paris, plus de 26 % du volume placé aux 5 meilleures limites à la vente et à l’achat, cette moyenne étant largement dépassée pour certains couples jour/titre comme par exemple sur les titres Bouygues et Vinci, pour lesquels MTE a représenté le 22 juillet 2009, respectivement, 48,9 % et 52,43 % du volume aux 5 meilleures limites à l’achat ; que ces volumes étaient bien supérieurs à ceux placés aux 5 meilleures limites par les autres intervenants et en moyenne supérieur de 150 % à celui du second intervenant le plus actif ; que, si pour des raisons techniques, les données nécessaires pour établir des statistiques de même nature aux 5 meilleures limites sur les plateformes BATS, Chi-X et Turquoise n’ont pas pu être recueillies, il reste que la stratégie suivie par l’algorithme, consistant à placer des ordres passifs sur quatre plateformes à un prix légèrement moins intéressant par rapport au meilleur prix constaté sur la première plateforme, conduisait nécessairement MTE à placer une quantité importante d’ordres aux meilleures limites des différents carnets d’ordres ; que les données portant sur le titre EDF pour la journée du 28 août 2009 confirment d’ailleurs que les volumes d’ordres entrés par MTE à l’achat et à la vente aux 5 meilleures limites du carnet d’ordres d’Euronext Paris se retrouvent dans les mêmes proportions sur Chi-X et Turquoise et dans des proportions encore plus significatives sur BATS ; que dès lors, il est établi que, pour la période considérée et sur les 27 titres étudiés, MTE est intervenue de manière massive aux meilleures limites à l’achat et à la vente sur Euronext Paris, BATS, Chi-X et Turquoise ;
Considérant, enfin, que MTE ne représentait qu’une faible part des volumes traités sur les différentes plateformes, comprise entre 2 % (sur Euronext) et 8,6 % (sur BATS) alors qu’elle intervenait dans des proportions bien supérieures à celles des autres intervenants les plus actifs ; qu’ainsi, sur Euronext Paris, le deuxième opérateur le plus important sur la période et les titres en cause est intervenu 11 fois moins que MTE mais a échangé dans le même temps un volume de titres quatre fois plus important ; que la disproportion entre les interventions de MTE et celles des autres intervenants ressort nettement du graphique figurant dans le rapport d’enquête qui représente, pour les vingt intervenants les plus actifs sur le marché Euronext Paris, le nombre d’interventions réalisées rapporté aux montants des transactions, pour les 27 titres en cause et sur la période considérée ;
Considérant qu’il résulte de ces éléments que les modalités d’intervention de l’algorithme de MTE au cours de la période allant du 21 juillet au 2 septembre 2009 ont permis d’assurer à cette dernière une position dominante sur le marché des 27 titres considérés sur les plateformes Euronext Paris, Chi-X, BATS et Turquoise visées par la notification de griefs ;
- Sur la création de conditions de transaction inéquitables pour les autres intervenants
Considérant qu’aux termes de la notification de griefs « cette position dominante a créé des conditions de transaction inéquitables pour les autres participants de marché, c’est-à-dire selon la loi et la jurisprudence, des conditions de marché conduisant des intervenants à acheter plus cher ou à vendre moins cher qu’ils ne l’auraient fait à défaut, ou à ne pas réaliser de transactions ou, plus généralement, à être défavorisés au bénéfice de l’intervenant en situation de position dominante » ; qu’afin d’établir l’existence de conditions de transaction inéquitables, la notification de griefs se fonde sur la circonstance que les autres intervenants de marché devaient procéder à l’analyse d’un nombre extrêmement important d’informations générées par l’intense activité de MTE, compliquée par leur ignorance de ce que tous les ordres de MTE émanaient d’un seul donneur ordre, alors que dans le même temps, MTE pouvait identifier ses propres ordres dans le flux de données de marché et avait donc moins d’interventions à prendre en compte ; qu’elle précise que le caractère inéquitable des conditions de transactions a été accentué par la vitesse d’intervention de MTE ; qu’elle se réfère à différents exemples chiffrés en indiquant par exemple que « la stratégie « soap » a pu passer jusqu’à 26 ordres en 2 millisecondes sur un même titre (…) sans qu’aucun intervenant n’intervienne dans le carnet » ;
Considérant que les interventions massives et extrêmement rapides de MTE sur les 27 titres en cause ont considérablement altéré la représentation pour tout opérateur des carnets d’ordres et de l’état de l’offre et de la demande pour chacun des 27 titres visés, pourtant indispensable à tout investisseur souhaitant intervenir en bourse ; qu’à cet égard, le préambule de la Directive Abus de marché de 2003 a souligné en ces termes l’importance de la transparence des marchés financiers : « 15. Les opérations d'initiés et les manipulations de marché empêchent une transparence intégrale et adéquate du marché, qui est un préalable indispensable aux opérations pour tous les acteurs économiques intervenant sur des marchés financiers intégrés » ; qu’il est ainsi établi que les intervenants autres que MTE agissaient dans des conditions de transaction inéquitables sur chacune des plateformes concernées ;
Considérant, au surplus, qu’il résulte de l’examen d’une séquence d’intervention sur Euronext, citée par le rapport d’enquête, qu’en recevant dans le « flux de confirmation d’ordres » d’Euronext des informations concernant l’exécution, la modification ou l’annulation de certains de ses propres ordres, MTE pouvait identifier une modification du carnet d’ordres et se repositionner en conséquence alors que les autres intervenants, qui recevaient le « flux de marché » d’Euronext quelques millisecondes plus tard, n’étaient même pas encore informés de cette modification ; que le décalage dans le temps entre la réception du flux de confirmation des ordres et du flux de marché était particulièrement important sur Euronext Paris et Turquoise ; que l’algorithme avait ainsi la possibilité d’identifier les propres ordres de MTE et d’interpréter les « flux de marché » d’une manière différente des autres intervenants, en sachant notamment que la très grande majorité des messages passés étaient les siens ; que les autres opérateurs qui souhaitaient intervenir sur les mêmes titres que MTE étaient donc défavorisés par rapport à elle, de sorte que la position dominante de MTE a créé pour les tiers des conditions de transaction inéquitables sur ces plateformes ;
Considérant, en conséquence, que les modalités d’intervention de l'algorithme de MTE sur la période considérée ont permis à cette dernière de s'assurer une position dominante sur les plateformes Euronext Paris, BATS, CHI-X et Turquoise, pour les 27 titres en cause, qui a eu pour effet la création de conditions de transaction inéquitables pour les autres intervenants de ces plateformes ;
II.1.2.3. Sur les moyens soulevés en défense par Virtu
Considérant que Virtu considère qu’à supposer établis les éléments constitutifs d’une manipulation de cours, le manquement reproché ne pourrait être caractérisé à son encontre dès lors que MTE, d’une part, démontre la légitimité de sa stratégie, d’autre part, n’avait pas d’intention de manipulation et, enfin, ne pouvait raisonnablement prévoir que son comportement était susceptible de constituer un manquement ;
Considérant, sur le premier moyen, qu’aux termes du 1° de l’article 631-1 du règlement général de l’AMF, la manipulation de cours n’est pas constituée lorsque « la personne ayant effectué les opérations ou émis les ordres établi[t] la légitimité des raisons de ces opérations ou de ces ordres et leur conformité aux pratiques de marché admises sur le marché réglementé concerné » ; que ces dispositions prévoient ainsi deux conditions cumulatives de légitimité et de conformité aux pratiques admises ; que la légitimité des opérations en cause ne doit être examinée que si les opérations s’inscrivent dans le cadre des « pratiques de marché admises » mentionnées au Chapitre II du titre I du Livre VI du règlement général de l’AMF qui, conformément à l’article 612-4 du même règlement, sont publiées par l’AMF sur son site Internet ; que les interventions de MTE ne s’inscrivant dans aucune des pratiques de marché admises, le moyen doit être écarté ;
Considérant, sur le deuxième moyen, que les articles 631-1 et 631-2 du règlement général de l’AMF ne font aucune référence au caractère intentionnel du manquement ; qu’en particulier, le 1° a) de l’article 631-1 du même règlement mentionne le fait « d’effectuer des opérations ou d’émettre des ordres » et l’effet qu’il produit, à savoir « donner des indications fausses ou trompeuses », circonstances qui peuvent être constatées de manière objective sans qu’il soit besoin d’établir l’intention de l’auteur des interventions en cause ; que le manquement de manipulation de cours est, selon la réglementation, un manquement objectif qui peut être caractérisé sans qu’il soit besoin d’établir que l’auteur des faits avait une intention manipulatoire ; que le moyen n’est donc pas fondé ;
Considérant, sur le troisième moyen, que Virtu soutient que les accusations portées à son encontre doivent être « rejetées » dès lors que, reposant sur « un certain nombre de théories juridiques nouvelles et sans précédent, théories dont MTE n’était pas informée », elles méconnaissent le principe de légalité ; que les pratiques de marché, les techniques de trading et l’ingéniosité des intervenants évoluant sans cesse, les législateurs européen et français ont donné une définition précise des critères devant permettre de caractériser une manipulation de cours, tout en énonçant des exemples qui ne sont pas exhaustifs ; qu’ainsi, l’article premier de la Directive Abus de Marché de 2003 énonce que « Les définitions de la manipulation de marché sont adaptées de manière à pouvoir couvrir les nouveaux comportements qui constituent de fait des manipulations de marché » ; que l’article 631-2 du règlement général de l’AMF précise que les sept éléments qu’il énumère comme étant susceptibles d’être pris en compte pour apprécier l’existence d’une manipulation de cours ne peuvent « être considérés comme formant une liste exhaustive » ; qu’il en résulte que, contrairement à ce que soutient Virtu, le principe de légalité n’est pas méconnu par la caractérisation de manipulations de cours d’un nouveau genre, pourvu que, comme en l’espèce, les comportements en cause soient couverts par les textes alors applicables ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, d'une part, que les modalités d'intervention massives et extrêmement rapides de MTE dans les carnets d'ordres des 27 titres de chacune des 5 plateformes considérées étaient susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l’offre ou la demande au sens du 1) a) de l’article 631-1 du règlement général de l’AMF et, d'autre part, que les modalités d’intervention de l'algorithme de MTE sur la période considérée ont permis à cette dernière de s'assurer une position dominante sur les plateformes Euronext Paris, BATS, CHI-X et Turquoise pour les 27 titres en cause, qui a eu pour effet la création de conditions de transaction inéquitables pour les autres intervenants de ces plateformes ; qu’ainsi, le manquement de manipulation de cours est caractérisé au regard des articles 631-1 et 631-2 du règlement général de l’AMF, pour les 27 titres objets de l’enquête, sur la période du 21 juillet 2009 au 2 septembre 2009 ;
II.2. Sur le grief de manquement aux obligations professionnelles
Considérant qu'il est reproché à MTE d'avoir adopté un comportement qui pourrait causer une dégradation du service ou empêcher un fonctionnement ordonné du marché, en violation de l'article 8105/1 du Livre I des Règles de Marché d'Euronext ;
Il.2.1. Rappel des textes applicables
Considérant que l'article L. 421-10 du code monétaire et financier, dans sa version applicable à l'époque des faits, dispose : « En vue de la reconnaissance du marché réglementé, l'entreprise de marché établit les règles du marché. Ces règles, transparentes et non discrétionnaires, assurent une négociation équitable et ordonnée et fixent des critères objectifs en vue de l'exécution efficace des ordres. Elles fixent également les conditions d'admission des membres du marché conformément aux dispositions de l'article L. 421-17. / [...] Ces règles sont approuvées par l'Autorité des marchés financiers, qui vérifie leur conformité aux dispositions législatives et réglementaires applicables, ainsi que leur caractère proportionné aux objectifs poursuivis. [...] Les règles du marché sont publiées par l'entreprise de marché dans les conditions fixées par le règlement général de l'Autorité des marchés financiers » (soulignement ajouté) ; que la rédaction de cet article n'ayant pas été modifiée dans un sens moins sévère, ses dispositions s'appliquent dans leur rédaction en vigueur à l'époque des faits ;
Considérant que les conditions de publication des « règles professionnelles approuvées par l'Autorité des marchés financiers » sont précisées par l'article 511-12 du règlement général de l'AMF qui, dans sa version applicable à l'époque des faits et non modifiée dans un sens moins sévère, prévoit que « les décisions de l'AMF approuvant les règles de marché sont publiées [...] sur le site de l'AMF » ; que les règles professionnelles approuvées par l'AMF comprennent notamment les règles harmonisées d'Euronext dont la décision d'approbation a fait l'objet d'une publication sur le site de l'AMF dans la section intitulée
« Règles professionnelles approuvées » ;
Considérant que l'article 8105/1 des Règles de marché Euronext, qui n'a pas été modifié depuis son approbation par une décision de l’AMF du 5 septembre 2006, prévoit « Au cours de l'utilisation des Platesformes de Négociation d'Euronext et autres dispositifs complémentaires, Il est fait interdiction au Membre d'adopter un comportement qui pourrait causer une dégradation du service ou empêcher un fonctionnement ordonné du marché. De tels comportements recouvrent (de façon non limitative) la soumission injustifiée ou excessive de messages électroniques ou requêtes à la Plate-forme de Négociation d'Euronext » ;
Il.2.2. Examen du bien-fondé du grief
Considérant que l'article 8105/1 des Règles de marché d'Euronext invoqué par la notification de griefs figure dans le Chapitre 8 « Règles de conduite » du Livre I ; qu’un avantage commercial consenti à un membre du marché par Euronext, tel que l’exemption du ratio ordres/transaction de 100/1 dont a bénéficié MTE, ne peut avoir pour effet de l’affranchir du respect de ces règles, qui sont applicables sans distinction à tous les membres qui réalisent des transactions sur les marchés Euronext ; qu’en outre, l’exemption accordée concernait les ordres et non les « messages », de sorte qu’elle ne pouvait avoir pour effet d’exonérer MTE du respect de l’obligation de ne pas soumettre des messages de manière injustifiée ou excessive, de nature à empêcher un fonctionnement ordonné du marché ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient Virtu, la soumission excessive de « messages » à laquelle se réfère l’article 8105/1 des Règles de marché d'Euronext précité ne recouvre pas seulement l’hypothèse où, en raison de leur nombre, ces messages « seraient susceptibles d’entraîner « une dégradation du service », tel par exemple le « quote-stuffing » susceptible de ralentir les opérations sur le système informatique d’Euronext » mais aussi, aux termes mêmes de l’article en cause, celle où ce nombre empêcherait « un fonctionnement ordonné du marché » ;
Considérant que, pendant la période considérée de 32 séances de bourse et pour les 27 titres concernés, le nombre d'interventions de MTE sur Euronext, c’est-à-dire le nombre d’entrées, modifications et annulations d’ordres, représentant autant de « messages » au sens de l'article 8105/1 précité soumis à la plateforme, s’est élevé à 110,1 millions et a représenté 65,6 % de l'ensemble des interventions ou messages des membres du marché sur les mêmes titres, mais seulement 2 % du volume exécuté ; que par comparaison, le deuxième opérateur le plus important sur la période et les titres en cause est intervenu 10,4 millions de fois, soit 11 fois moins que MTE, tandis qu’il a échangé dans le même temps un volume de titres bien supérieur, soit 11,1 milliards d'euros contre 2,5 milliards pour MTE ;
Considérant par ailleurs que, sur la période et pour les 27 titres en cause, MTE a inséré ou modifié sur Euronext Paris 41,6 millions d’ordres d’une durée de vie de moins d’une seconde, dont 5,5 millions d’ordres d’une durée de vie de 2 millisecondes et 3,5 millions d’ordres d’une durée de vie d’une milliseconde ; qu’il a en outre été exposé que, compte tenu du décalage avec lequel Euronext transmettait le « flux de marché » aux autres participants, une large part des ordres entrés par MTE, et en particulier tous les ordres annulés en moins de 2 millisecondes, soit 5,5 millions d’ordres sur le périmètre considéré, étaient portés à la connaissance des autres intervenants alors qu’ils n’existaient déjà plus ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que MTE a adopté un comportement qui pouvait causer une dégradation du service ou empêcher un fonctionnement ordonné du marché ; qu’au demeurant, et bien qu’elle ne soit pas requise pour caractériser le grief, la réalité de l'atteinte au fonctionnement ordonné du marché est établie en l’espèce ; qu’en effet, il résulte de l'examen du grief précédent que MTE a procédé à une manipulation de cours en adoptant un comportement qui a eu pour effet (i) de perturber la perception des carnets d'ordres des 27 titres que pouvaient avoir les autres intervenants sur Euronext et (ii) de lui assurer une position dominante sur cette plateforme et sur les 27 titres en cause, avec pour effet la création de conditions de transaction inéquitables pour les autres intervenants ;
Considérant qu’il est ainsi établi que les modalités d'intervention de l’algorithme de MTE a conduit cette dernière à soumettre un nombre excessif de messages à la plateforme de négociation d'Euronext et à adopter un comportement ayant eu pour conséquence d'empêcher un fonctionnement ordonné du marché ; que le manquement à l'article 8105/1 des Règles de marché d'Euronext est donc caractérisé ;
III. IMPUTABILITE
Considérant, s’agissant du manquement notifié à Euronext, que les obligations édictées par l’article 512-3 du règlement général de l’AMF et par l’article L. 421-11, I 1° du code monétaire et financier pèsent sur les entreprises de marché ; qu’Euronext étant une entreprise de marché, le manquement fondé sur la violation de ces articles lui est bien imputable ;
Considérant, s’agissant des manquements notifiés à Virtu, que l’article 631-1 du règlement général de l’AMF précise que l’obligation d’abstention de procéder à une manipulation de cours s’applique à « toute personne » ; que le manquement fondé sur la violation de cet article et de l’article 631-2 du même règlement est donc bien imputable à Virtu ; que l’article 8105/1 des Règles de marché d’Euronext figure parmi les dispositions édictant des règles de bonne conduite applicables aux membres d’Euronext ; que MTE ayant été membre d’Euronext du 20 juin 2008 au 30 avril 2012, le manquement fondé sur la violation de cet article lui est donc également imputable ;
IV. SANCTION
Considérant que, selon l’article L. 621-15 II c) du code monétaire et financier, la Commission des sanctions peut sanctionner toute personne qui, sur le territoire français ou à l’étranger, s’est livrée à une manipulation de cours dès lors que ces actes concernent un instrument financier admis aux négociations sur un marché réglementé ; que le manquement de manipulation de cours, notifié à Virtu, qui porte sur 27 titres admis aux négociations sur Euronext, peut être sanctionné, que les opérations se soient déroulées en France ou à l’étranger ;
Considérant qu’il résulte par ailleurs du a) du II de cet article, par renvoi à l’article L. 621-9, II 4° et 5° du même code, que la Commission des sanctions peut sanctionner les entreprises de marché ainsi que les membres des marchés réglementés non prestataires de services d’investissement au titre de tout manquement à leurs obligations professionnelles définies par les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l’AMF ; qu’ainsi, le manquement notifié à Euronext, entreprise de marché, pour non-respect de son obligation professionnelle définie par les articles 512-3 du règlement général de l’AMF et L. 421-11, I 1° du code du code monétaire et financier, peut faire l’objet d’une sanction de la Commission des sanctions, tout comme le manquement notifié à Virtu, membre d’Euronext non prestataire de services d’investissement à l’époque des faits, pour n’avoir pas respecté son obligation professionnelle définie à l’article 8105/1 du Livre I des Règles de marché Euronext, qui sont des règles professionnelles approuvées par l’AMF en vertu de l’article L. 421-10 du code monétaire et financier ;
Considérant qu’en application du a) du III de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier applicable à l’époque des faits, les sanctions applicables à l’encontre de chacune des mises en cause sont l'avertissement, le blâme, l'interdiction à titre temporaire ou définitif de l'exercice de tout ou partie des services fournis, la radiation du registre ; que les faits objet des notifications de griefs s’étant déroulés entre les mois de février 2009 et de juin 2010, une sanction pécuniaire peut être prononcée soit à la place, soit en sus de ces sanctions, dont le montant ne peut être supérieur à 10 millions d’euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés, au regard du a) du III de cet article pour chacune des mises en cause ;
IV.1. Sanction d’Euronext
Considérant que le non-respect par Euronext de son obligation professionnelle d’agir avec neutralité et impartialité, dans le respect de l’intégrité du marché, est d’une particulière gravité s’agissant de principes qui conditionnent le bon fonctionnement même du marché et qui sont donc au premier rang de ceux qu’une entreprise de marché doit impérativement et en toutes circonstances respecter ;
Considérant qu’il convient, pour assurer l’individualisation de la sanction, de tenir compte de la situation financière d’Euronext qui a enregistré en 2014 un chiffre d’affaires de 251,5 millions d’euros et un résultat net de 99,3 millions d’euros, en progression de 165 % par rapport à l’exercice précédent, ce qui représente environ la moitié des résultats du groupe dont elle fait partie ;
Considérant que, compte tenu de ces circonstances, il sera prononcé à l’encontre d’Euronext une sanction pécuniaire fixée, en fonction de la gravité du manquement commis et en relation avec les avantages ou les profits réalisés, à cinq millions d’euros ;
IV.2. Sanction de Virtu
Considérant que la stratégie ayant donné lieu à la manipulation de cours et au manquement à une obligation professionnelle en tant que membre de marché d’Euronext a permis à MTE de dégager un profit estimé à 782 000 euros sur la période considérée toutes plateformes et tous titres confondus ; qu’il a été démontré que le manquement de manipulation de cours était caractérisé sur l’ensemble du périmètre considéré de sorte que, contrairement à ce que soutient Virtu, ce montant peut être pris en compte pour déterminer la sanction ;
Considérant que pour apprécier la gravité des manquements commis, il y a lieu de prendre en considération l’importance que revêt la transparence des marchés pour la protection de l’ensemble des investisseurs ; qu’il convient également de tenir compte de l’importance pour un membre d’Euronext de respecter les règles de bonne conduite d’Euronext, en particulier celle interdisant d’adopter un comportement qui empêche un fonctionnement ordonné du marché ;
Considérant, s’agissant de la situation financière de Virtu, que la société, qui n’a plus d’activité en France depuis 2011 et une activité réduite en dehors de l’Europe, a réalisé un chiffres d’affaires de 90 millions de dollars et un résultat net de 20 millions de dollars en 2014 ;
Considérant que Virtu fait valoir que son intervention sur les marchés a eu un effet bénéfique pour les autres investisseurs ;
Considérant, à cet égard, d’abord, que les différentes études sur le HFT citées par la mise en cause ne démontrent pas l’effet bénéfique invoqué dans le cas d’espèce ; que, s’agissant des allégations selon lesquelles la stratégie de l’algorithme de MTE sur la période et pour les titres en cause a apporté de la liquidité au marché, il ressort du dossier que les ordres effectivement exécutés représentaient une petite minorité des ordres entrés par MTE ; qu’il a encore été relevé que MTE ne cherchait au maximum à voir exécuter qu’un seul des 4 ordres passifs qu’elle passait sur les différentes plateformes, dans la limite du volume de l’ordre « support » entré sur la plateforme d’origine ; que, dès lors, s’il peut être admis que les interventions de l’algorithme de MTE opéraient un transfert de liquidité d’une plateforme à une autre en permettant aux contreparties qui n’étaient pas connectées à toutes les plateformes d’accéder indirectement à la liquidité provenant de la plateforme sur laquelle figurait l’ordre « support », les allégations de Virtu selon lesquelles « MTE multipliait les effets de la source initiale de liquidité et introduisait davantage de liquidité sur le marché » ne peuvent qu’être contestées ;
Considérant, ensuite, que l’argument selon lequel l’activité de MTE a été « nettement bénéfique aux contreparties de MTE, car l’arbitrage de MTE les a aidé à obtenir de meilleurs cours d’exécution » ne tient pas compte de ce que le meilleur cours disponible sur le marché était toujours obtenu par MTE, celle-ci permettant à ses contreparties de bénéficier d’un prix plus intéressant que ceux affichés sur la plateforme sur laquelle leur ordre était entré mais pas du prix le plus intéressant du marché ; qu’en tout état de cause, la question du profit éventuellement retiré par les contreparties de MTE des exécutions réalisées face à elle ne concerne que les cas, minoritaires, où la stratégie de l’algorithme allait au bout de ses étapes et aboutissait effectivement à des transactions, de sorte que l’effet prétendument bénéfique de l’activité de MTE doit a minima être fortement relativisé ; qu’à cet égard, Virtu ne justifie pas des éléments de calcul du chiffre de 2,5 millions d’euros qui correspondrait selon elle au montant que l’activité de MTE aurait fait gagner aux autres opérateurs de marché ;
Considérant que, compte tenu de ces circonstances, il sera prononcé à l’encontre de Virtu une sanction pécuniaire fixée, en fonction de la gravité du manquement commis et en relation avec les avantages ou les profits réalisés, à cinq millions d’euros ;
V. PUBLICATION
Considérant que la publication de la présente décision ne risque ni de perturber gravement les marchés financiers ni de causer un préjudice disproportionné aux personnes sanctionnées ; qu'elle sera donc ordonnée ;
PAR CES MOTIFS,
Et après en avoir délibéré sous la présidence de M. Michel Pinault, par Mme Marie-Hélène Tric, présidente de la 2ème section, Mmes Edwige Belliard, France Drummond et Anne-José Fulgéras, MM. Christophe Lepitre, Lucien Millou et Miriasi Thouch, membres de la Commission des sanctions, en présence du secrétaire de séance,
DECIDE DE :
- prononcer à l’encontre d’Euronext Paris SA une sanction pécuniaire de 5 000 000 (cinq millions) d’euros ;
- prononcer à l’encontre de Virtu Financial Europe Limited une sanction pécuniaire de 5 000 000 (cinq millions) d’euros ;
- publier la présente décision sur le site Internet de l’Autorité des marchés financiers.