CA Poitiers, 2e ch. civ., 27 février 2018, n° 17/005691
POITIERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Société Générale
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Sallaberry
Conseillers :
M. Pascot, M. Waguette
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Par acte notarié du 20 mars 2007, M. Laurent X... et son épouse Mme Sylvie A... ont souscrit deux prêts immobiliers, l'un de 16.125€ au taux de 0% sur 96 mois et l'autre de 173.009,91€ au taux de 4,70% sur 360 mois, en vue de financer l'acquisition d'une maison d'habitation sise à [...] (34) au prix de 163.000 €.
L'exigibilité anticipée des prêts a été prononcée par lettre du 9 février 2016 et un commandement de payer aux fins de saisie-vente a été délivré aux débiteurs le 17 mars 2016.
Par acte du 20 août 2016, ces derniers ont fait assigner la Société Générale devant le Juge de l'exécution aux fins de solliciter la suspension pour une période de 2 ans du règlement des deux prêts et la fixation des intérêts aux taux légal pour les sommes correspondant aux échéances reportées pendant la durée du délai de 2 ans. Ils ont ensuite maintenu sur le fondement de l'article 1343-5 du Code Civil, leur demande de délai uniquement concernant le prêt de 173.009,91 €, le prêt de 16.125 € ayant pris fin en 2015. La Société Générale s'est opposée aux demandes.
Par jugement du 23 janvier 2017, le juge de l'exécution près du tribunal de grande instance de Niort a statué comme suit :
Reporte le paiement de la somme due par M et Mme X... à la Société Générale à l'expiration d'un délai de 24 mois à compter de la notification du présent jugement ;
Dit que la somme due produira intérêt aux taux légal pendant ce délai de 24 mois ;
Dit que la somme due par M et Mme X... à la Société Générale devra être versée à l'issue du délai de 24 mois ;
Rappelle que la présente décision prise en application de l'article 1343-5 du Code civil suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier et que les majorations d'intérêts ou les pénalités encourues à raison du retard cessent d'être dues pendant le délai fixé par le juge ;
Condamne la Société Générale à verser à M et Mme X... la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne la Société Générale aux entiers dépens.
Le premier juge a fait droit à la demande au vu des arguments et pièces des époux X..., après avoir relevé que la Société Générale s'opposait à la demande en raison des précédents délais déjà octroyés par elle mais n'en justifiait par aucune pièce.
La Société Générale a formé appel le 14 février 2017 de la décision et demande à la Cour, dans ses dernières conclusions du 24 mars 2017 demandant à la cour de :
Vu l'acte notarié du 20 mars 2007, l'exigibilité du prêt prononcé le 9 février 2016 et le commandement délivré le 17 mars 2016 ;
Dire et juger la Société Générale recevable et bien fondée en son appel.
Infirmer le jugement rendu le 23 janvier 2017 par le juge de l'exécution de Niort.
Statuant à nouveau,
Débouter les époux les époux X... de leur demande de suspension pour une période de deux ans des sommes dues au titre du prêt d'un montant initial de 173.009,91 €.
Les condamner aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'au paiement d'une somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La Société Générale expose que la demande de "suspension pour deux ans du règlement des prêts" formée par les époux X... devant le juge de l'exécution ne peut être satisfaite sur le fondement de l'article 1343-5 du Code civil puisque la déchéance du terme était acquise, suivant lettre prononçant l'exigibilité en date du 9 février 2016. Elle reproche au premier juge d'avoir relevé qu'elle ne justifiait pas des échéanciers déjà octroyés alors que les époux X... en faisaient eux-même état dans leur assignation. Elle indique que les premières difficultés ont commencé en 2011, que des échéanciers ont été accordés dès 2012 sans être respectés et qu'elle a été très conciliante puisqu'elle a attendu février 2016 pour prononcer la déchéance du terme.
M et Mme X..., par dernières conclusions du 12 mai 2017 demandent à la cour de confirmer le jugement, débouter la Société Générale de ses demandes et la condamner au paiement d'une indemnité de 2500€ en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Ils expliquent que lors de l'octroi du prêt, Madame était sans profession et Monsieur agent commercial, qu'il a créé en 2009 une société dont la liquidation judiciaire a été prononcée le 9 janvier 2013, que Monsieur est poursuivi en qualité de caution des engagements de sa société et Madame, qui était conjoint collaborateur, pour des cotisations non réglées. Ils ajoutent que Monsieur a retrouvé un emploi en mai 2015 et qu'ils ont demandé à la Société Générale par lettre du 8 décembre 2015 un report d'un an et un apurement de l'arriéré à raison de 200€ par mois et que la banque a refusé cette proposition et provoqué la déchéance du terme. Ils reconnaissent que les premières difficultés remontent à octobre 2011 mais insistent sur le fait qu'ils ont toujours opéré des règlements même après la déchéance du terme ce qui a permis notamment de solder le prêt à taux 0. Ils ajoutent que Monsieur a été licencié pour motif économique en juin 2016, que Madame travaille en contrat à durée déterminée jusqu'au 31 mars 2018 et que leur immeuble de [...] est en vente. En droit, ils indiquent que l'article 1343-5 du Code civil mentionne la possibilité de reporter les sommes dues, peu important qu'il y ait ou non déchéance du terme.
Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits ainsi que de leurs moyens et prétentions.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 12 décembre 2017.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Aux termes de l'article 510 du Code de procédure civile :
" Sous réserve des alinéas suivants, le délai de grâce ne peut être accordé que par la décision dont il est destiné à différer l'exécution.
En cas d'urgence, la même faculté appartient au Juge des référés.
Après signification d'un commandement ou d'un acte de saisie, selon le cas, le Juge de l'exécution a compétence pour accorder un délai de grâce. Cette compétence appartient au Tribunal d'Instance en matière de saisie des rémunérations.
L'octroi du délai doit être motivé."
Aux termes de l'article 1343-5 du Code civil :
"Le Juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues. Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondantes aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.
Il peut subordonner ces mesures à l'accomplissement par le débiteur d'actes propres à faciliter ou à garantir le paiement de la dette.
La décision du Juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le Juge.
Toute stipulation contraire est réputée non écrite.
Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux dettes d'aliment."
En l'espèce les époux X... ont demandé au premier juge par assignation du 24 août 2016 de "suspendre pour une durée de deux ans le règlement des prêts". Ils justifient avoir reçu un commandement aux fins de saisie-vente délivré à la demande de la banque le 17 mars 2016.
La demande de "suspension du règlement des prêts" s'analyse en une demande de report de paiement des sommes dues au titre des prêts, en cas d'exigibilité prononcée. Les dispositions susvisées qui permettent le report du paiement des sommes dues, n'exigent pas que la déchéance du terme n'ait pas été prononcée, les effets de celle-ci se trouvant seulement suspendus du fait de la décision de report. Le moyen soulevé de ce chef par la Société Générale sera donc écarté.
Il n'est pas contesté que le prêt à taux 0 de 16.125€ a été soldé.
M et Mme X... justifient des raisons de leurs difficultés de paiement ainsi que de leur situation actuelle puisqu'il ressort des pièces produites d'une part que la société créée par M. X... a fait l'objet d'une décision de liquidation judiciaire le 9 janvier 2013 avec une cessation de paiement au 1er septembre 2012, qu'il a retrouvé un emploi en mai 2015 mais a fait l'objet d'un licenciement économique le 15 juin 2016et justifie percevoir les allocations chômage à hauteur de 84,48€ par jour soit 2.534,40€ jusqu'au 30 avril 2017, d'autre part que Mme X... a travaillé en contrat à durée déterminée du 25 avril 2016 au 11 octobre 2016 puis du 10 avril 2017 au 31 mars 2018. Le couple justifie en outre avoir deux enfants à charge.
Ils démontrent en outre avoir procédé à divers versements d'acompte puisqu'il ressort des décomptes produits par la banque en pièces 1 et 2 qu'ils ont effectués des versements mensuels correspondant à environ 997 ou 998 € par mois de mars à octobre 2012 puis de janvier 2014 à septembre 2015 puis à nouveau à compter de mai 2016.
S'il est exact que leurs difficultés sont anciennes et que la banque a fait preuve de patience puisqu'elle leur a accordé dans le passé des délais de paiement et n'a prononcé la déchéance du terme qu'en février 2016, il est néanmoins établi que M et Mme X... sont débiteurs de bonne foi, ont procédé à des versements d'acompte et justifient en outre par la production de plusieurs mandats de vente de juillet et août 2016 avoir mis activement en vente leur maison de [...] afin de rembourser leur prêt.
Au vu de ces éléments, il convient de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
La Société Générale succombant dans toutes ses demandes, les dépens d'appel seront mis à sa charge et elle devra régler aux intimés la somme de 1.500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
- Confirme le jugement déféré ;
Y ajoutant,
- Condamne la Société Générale à verser à M. Laurent X... et à son épouse Mme Sylvie A... une indemnité de 1.500€ au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Rejette le surplus des demandes ;
- Condamne la Société Générale aux dépens d'appel.