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Décisions

CA Toulouse, 3e ch., 15 octobre 2020, n° 19/04288

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Au Bon Co-Pain (SARL)

Défendeur :

Locam Location Automobiles et Matériels (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Beneix-Bacher

Conseillers :

M. Poirel, M. Maffre

JEX Toulouse, du 25 sept. 2019

25 septembre 2019

EXPOSÉ DU LITIGE :

Par exploit d'huissier en date du 20 novembre 2018, la SAS Locam, agissant en vertu d'un jugement du tribunal de commerce de Saint-Etienne en date du 15 mai 2018 qui a condamné, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, la Sarl AU BON CO-PAIN à payer à la Sas LOCAM la somme principale de 11946,48€ outre 1€ de clause pénale, avec intérêts légaux à compter du 30 novembre 2016, a fait procéder à une saisie-vente des biens de son débiteur consistant en quatre tables, huit chaises, une vitrine réfrigérée, une tour-sandwich, une trancheuse à pain, une panière, une diviseuse, une façonneuse et un réfrigérateur, pour le recouvrement d'une dette s'élevant à 10 296,31€, jugement frappé d'appel selon déclaration de la Sarl AU BON CO-PAIN en date du 4 juillet 2018.

Par exploit d'huissier en date du 30 novembre 2018, la Sarl AU BON CO-PAIN a fait assigner la Sas LOCAM devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Toulouse aux fins de suspension des effets de la saisie par l'octroi d'un report de l'exigibilité de sa dette de 24 mois.

Par jugement en date du 25 septembre 2019, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Toulouse a rejeté cette demande et :

-Dit que le jugement du 15 mai 2018, numéro de rôle général 2018J00424, rendu par le tribunal de commerce de Saint-Etienne (42) constitue un titre exécutoire,

-Dit que le juge de l'exécution ne peut connaître des demandes tendant à remettre en cause le titre exécutoire dans son principe ou la validité des droits et obligations qu'il constate,

-Débouté la Sarl AU BON CO-PAIN de sa demande de suspension des effets de la saisie-vente du 20 novembre 2018, ainsi que de délai de report de 24 mois pour le paiement des sommes dues en vertu du jugement du 15 mai 2018, numéro de rôle général 2018J00424, rendu par le tribunal de commerce de Saint-Etienne (42),

-Débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- Condamné la Sarl AU BON CO-PAIN aux entiers dépens, les frais d'exécution forcée restant à sa charge,

-Rappelé le caractère exécutoire du présent jugement.

Par déclaration électronique en date du 1er octobre 2019, la Sarl AU BON CO-PAIN a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.

Dans ses dernières conclusions en date du 4 décembre 2019, elle demande à la cour, au visa des articles R 221-40 du Code des procédures civiles d'exécution et 1345-5 du Code civil, de:

-Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

-Suspendre les effets des deux commandements de payer valant saisie-vente en date du 20 novembre 2018,

-Dire et juger qu'il y a lieu d'octroyer à la Sarl AU BON CO-PAIN de plus larges délais,

-Octroyer à la Sarl AU BON CO-PAIN une suspension de 24 mois le temps de permettre à la cour d'appel de Lyon de statuer au fond sur la créance dont se prévaut la société Locam,

-Condamner la société LOCAM au paiement d'une somme de 3 000,00€ en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Statuer ce que de droit sur les dépens.

Au soutien de son appel, elle observe que :

-le contrat de crédit-bail conclu avec la société Locam, le 30 novembre 2016, avait pour objet le financement d'un contrat de prestation de service conclu le 19 octobre 2016 avec la société HUMELAB sous l'enseigne TANDEM MEDIA portant sur un service d'animation publicitaire moyennant un loyer mensuel de 311€ TTC sur 48 mois, cette dernière étant tenue de la fourniture d'un écran de télévision, de sa mise en service, de sa maintenance et de son entretien, la société HUMELAB étant clairement mentionnée en première page sur le contrat de financement,

-le jugement du tribunal de commerce de Saint-Etienne servant de base aux poursuites a été rendu en son absence et se trouve actuellement frappé d'appel devant la cour d'appel de Lyon,

-elle a assigné la société prestataire de service devant le tribunal de commerce de Chartres aux fins de constatation de la caducité du contrat et la cour d'appel de Lyon a ordonné le sursis à statuer dans l'attente d'une décision irrévocable rendue à la suite de la saisine du tribunal de commerce de Chartres,

-le matériel saisi est indispensable à l'exploitation de son activité et leur vente nuirait gravement à la poursuite de celle-ci,

- au 31décembre 2017, elle enregistrait une perte comptable de 20 088€ et si au 31 décembre 2018, elle est parvenue à générer un résultat de 5 952€, la perte de son matériel entraînerait nécessairement de graves difficultés et sa cessation de paiement,

-elle justifie remplir les conditions posées par les dispositions de l'article 1343-5 du Code civil pour le bénéfice des plus larges délais.

En droit, elle fait valoir qu'en application d'une jurisprudence constante de la cour de cassation le contrat de prestation de service et de crédit-bail concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants constituant par principe un ensemble contractuel indivisible et que les clauses inconciliables avec leur interdépendance sont réputées non écrites, de sorte que la disparition du premier entraîne la caducité de l'autre et que la créance de la société Locam n'est pas exigible.

Dans ses dernières conclusions en date du 29 novembre 2019, la Sas Locam demande, au visa des dispositions des articles 1134 et suivants et 1149 ancien du Code civil, L 211-11 et R 211-1 du Code des procédures civiles d'exécution, de :

-Dire non fondé l'appel de la société AU BON CO-PAIN, l'en débouter et confirmer le jugement entrepris,

-Condamner la Sarl AU BON CO-PAIN à régler à la société Locam une somme de 2 000,00€ en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

-La condamner en tous les dépens d'instance et d'appel.

Pour conclure à la confirmation, elle fait essentiellement valoir qu'elle dispose d'un titre exécutoire, le jugement du tribunal de commerce de Saint-Etienne ayant autorité de chose jugée conformément aux dispositions de l'article 1355 du Code civil, qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge de l'exécution de modifier le dispositif du jugement, qu'il n'est pas juge d'appel n'ayant pas à trancher le litige au fond et que la SARL AU BON CO-PAIN qui n'honore plus ses paiements depuis septembre 2017 a d'ores et déjà bénéficié par la présente procédure des plus larges délais, qu'elle ne dit rien de son patrimoine et a déjà obtenu sur son appel le sursis à statuer sur le jugement valant titre exécutoire.

MOTIFS DE LA DECISION :

Il sera préalablement observé que malgré ses développements au terme desquels elle conclut à une absence d'exigibilité de la créance de la société Locam, la Sarl AU BON CO-PAIN n'en tire aucune conséquence dans son dispositif, ne remettant pas en cause l'acte de saisie entrepris dont elle demande seulement de suspendre les effets, sans en solliciter la mainlevée.

De même, si le juge de l'exécution n'a aucun pouvoir pour suspendre les effets d'un commandement de payer, ne pouvant, au terme des dispositions de l'article R 121-2 du Code des procédures civiles d'exécution suspendre l'exécution d'une décision servant de fondement aux poursuites, il a le pouvoir, après signification d'un commandement ou d'un acte de saisie, d'accorder des délais eux-mêmes suspensifs de la mesure d'exécution.

En application des dispositions combinées des articles 1343-5 du Code civil et 510 du Code de procédure civile, le juge de l'exécution a le pouvoir de reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier. Sa décision suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées par le créancier. Les majorations d'intérêts ou les pénalités prévues en cas de retard ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge. Toute stipulation contraire est réputée non écrite.

En l'espèce, la SARL AU BON CO-PAIN justifie notamment par la production de ses derniers bilans disponibles, du 31 décembre 2017 et de ses comptes annuels de 2018 avoir accusé un déficit de 20 088€ en 2017, situation qu'elle a pu rétablir sur l'exercice 2018 demeurant cependant une situation fragile à laquelle la vente de son matériel saisi, indispensable à la poursuite de son activité, serait fatale.

Par ailleurs, l'évolution des procédures actuellement pendantes devant la cour d'appel de Lyon et le tribunal de commerce de Chartres susceptibles de remettre en cause tout ou partie de la créance de la société Locam, ne permet pas d'écarter la bonne foi de la Sarl AU BON CO-PAIN.

Enfin, il n'est pas objecté en réplique que l'octroi des délais de grâce sollicités serait préjudiciable à la société Locam qui serait dans le besoin, sa situation financière étant ignorée de la cour.

La décision entreprise sera en conséquence infirmée et il sera fait droit à la demande de délais comme indiqué au dispositif, étant observé qu'il n'est versé aux débats qu'un seul exploit de saisie-vente en date du 20 novembre 2018.

La Sarl AU BON CO-PAIN supportera les entiers dépens de première instance et d'appel d'une procédure engagée dans son unique intérêt, le jugement entrepris étant confirmé en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de première instance et rejeté les demandes en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et sera en conséquence déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a statué sur les dépens et les demandes en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Statuant à nouveau des chefs réformés :

Accorde à La Sarl AU BON CO-PAIN un délai de report de sa dette de 24 mois.

Suspend, pendant ce délai, les effets de l'acte de saisie-vente du 20 novembre 2018 portant sur le matériel de la Sarl AU BON CO-PAIN.

Rejette la demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Laisse les dépens du présent recours à la charge de la Sarl AU BON CO-PAIN.