Livv
Décisions

Cass. com., 27 juin 2018, n° 16-20.644

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

TGI Paris, du 3 avr. 2014

3 avril 2014

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 mai 2016), que la Société d'équipement pour l'environnement (la SEE) est titulaire du brevet européen intitulé « Broyeur, notamment destiné à la réduction de végétaux ou autres matériaux », déposé le 30 juin 2000 sous le numéro EP 00 490 026.2, avec revendication de priorité unioniste de la demande de brevet FR 99 08736 du 1er juillet 1999, publié sous le numéro EP 1 066 883 et délivré le 8 octobre 2008 ; qu'ayant appris que la société X... fabriquait, détenait et commercialisait un broyeur multi-végétaux dénommé « Xylomix », mettant en oeuvre et reproduisant, selon elle, certaines des caractéristiques revendiquées dans ce brevet, la SEE a porté ce dernier à la connaissance de cette société le 29 octobre 2010 puis, après avoir fait procéder à une saisie-contrefaçon le 7 octobre 2011, l'a assignée en contrefaçon ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société X... fait grief à l'arrêt de retenir qu'elle a commis des actes de contrefaçon directe de la revendication 1 du brevet EP 1 066 883 dont la SEE est propriétaire alors, selon le moyen :

1°/ que deux moyens sont équivalents lorsque, bien que de forme différente, ils exercent une fonction identique ; que la fonction du moyen est l'action de produire un premier effet technique et doit être distinguée du résultat, lequel n'est pas brevetable ; que, pour décider que les moyens utilisés dans le broyeur « Xylomix » argué de contrefaçon, dont le rotor comprend, grâce aux tôles de calibrage, un moyen de définition du gabarit des fragments de végétaux ou autres matériaux à évacuer et, grâce aux tôles séparatives, des moyens de ventilation créant un flux d'air pour permettre l'évacuation de ces fragments, étaient équivalents aux moyens protégés par la caractéristique h de la revendication 1 du brevet aux termes de laquelle sont disposés sur le rotor des moyens de ventilation positionnés par rapport aux outils de coupe de façon à définir le gabarit des fragments de végétaux ou autres matériaux, la cour d'appel a énoncé que le résultat recherché dans le broyeur «Xylomix» et dans le brevet était de même nature, ce résultat visant à définir un gabarit de coupe des fragments de végétaux et autres matériaux tranchés par les outils de coupe et à créer un flux d'air permettant leur évacuation, pour en déduire que les moyens en présence exerçaient la même fonction en vue de parvenir à un résultat identique ; qu'en concluant de l'identité de résultat à l'identité des fonctions exercées par les moyens et à l'existence d'une contrefaçon par équivalence, la cour d'appel, qui a statué au prix d'une confusion entre la fonction et le résultat des moyens, a violé l'article L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle ;

2°/ que deux moyens sont équivalents lorsque, bien que de forme différente, ils exercent une fonction identique ; que la fonction du moyen est l'action de produire un premier effet technique et doit être distinguée du résultat, lequel n'est pas brevetable ; que la cour d'appel, qui a directement déduit l'équivalence des moyens en présence de l'identité de leur résultat, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la fonction des moyens couverts par la caractéristique h de la revendication 1 du brevet ne résidait pas dans la coopération, grâce à leur positionnement relatif, des outils de coupe et des moyens de ventilation pour la définition d'un gabarit des morceaux coupés dont l'évacuation était assurée par les moyens de ventilation, fonction qui n'était pas reproduite par le moyen argué de contrefaçon dans lequel il n'existe aucune coopération, pour définir le gabarit de coupe, entre les outils de coupe et les moyens de ventilation, lesquels sont situés en dehors de la zone de coupe, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle ;

3°/ que la contrefaçon par équivalence de moyens suppose que le moyen breveté n'exerce pas une fonction connue ; qu'en concluant de l'identité du résultat recherché par les moyens couverts par la caractéristique h de la revendication 1 du brevet et par les moyens du broyeur « Xylomix » argué de contrefaçon, consistant en la définition d'un gabarit des morceaux coupés dont l'évacuation est assurée par les moyens de ventilation, au fait que ces moyens exerçaient la même fonction de sorte qu'ils étaient équivalents sans s'expliquer en tout état de cause, comme elle y était invitée, sur le fait que, à la supposer admise, la fonction de calibrage exercée par les tôles de calibrage distinctes des moyens de ventilation était connue de l'art antérieur, comme l'admettait la SEE elle-même, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle ;

4°/ que l'étendue de la protection conférée par le brevet est déterminée par les revendications ; que la revendication, qui définit le périmètre de la protection que le breveté a entendu se réserver, doit être prise dans ce qu'elle contient, sans qu'il soit possible de la modifier ; qu'en considérant que la caractéristique i de la revendication 1 du brevet, selon laquelle les outils de coupe, les outils de défibrage ou d'éclatement et les moyens de ventilation sont positionnés les uns par rapport aux autres, selon le sens de rotation du rotor, de façon à autoriser successivement le défibrage ou l'éclatement, la définition du gabarit des fragments à trancher, la coupe et l'évacuation des végétaux ou autres matériaux, et qui revendiquait une séquence nécessaire dans laquelle l'intervention des outils de défibrage ou d'éclatement, fléaux, précédait nécessairement celle des outils de coupe, couteaux, n'impliquait aucune obligation de faire fonctionner les fléaux avant les couteaux, de sorte que le broyeur argué de contrefaçon, dans lequel l'action des fléaux ne précédait pas nécessairement celle des couteaux, constituait la contrefaçon directe de la caractéristique i de la revendication 1 du brevet, la cour d'appel a violé les articles 69 de la Convention de Munich du 5 octobre 1973 sur la délivrance de brevets européens, L. 613-2 et L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle ;

5°/ que selon la caractéristique i de la revendication 1 du brevet, les outils de coupe, les outils de défibrage ou d'éclatement et les moyens de ventilation sont positionnés les uns par rapport aux autres, selon le sens de rotation du rotor, de façon à autoriser successivement le défibrage ou l'éclatement, la définition du gabarit des fragments à trancher, la coupe et l'évacuation des végétaux ou autres matériaux ; que la cour d'appel ne pouvait retenir, sans dénaturer les termes clairs et précis de la revendication selon lesquels l'action des outils de défibrage ou d'éclatement précédait nécessairement celle des outils de coupe, qu'il n'existait aucune obligation de faire fonctionner les fléaux avant les couteaux, violant ainsi l'article 1134 du code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir considéré, par motifs propres et adoptés, que, selon la caractéristique h de la revendication 1 du brevet, le rotor équipant le broyeur exerce une double fonction de calibrage et de ventilation, que, telle que décrite, cette fonction est nouvelle et que le résultat recherché vise à définir un gabarit de coupe des fragments de végétaux ou autres matériaux permettant leur évacuation, l'arrêt retient que le rotor du broyeur « Xylomix » comprend, grâce aux tôles de calibrage séparant les paires de fléaux entre elles, un moyen de définition du gabarit des fragments à évacuer et, grâce aux tôles séparatives, des moyens de ventilation créant un flux d'air pour permettre l'évacuation de ces fragments, et en déduit que les moyens utilisés dans le rotor du broyeur « Xylomix », bien qu'étant de forme différente par rapport aux moyens de la caractéristique h de la revendication 1 du brevet, exercent la même fonction, en vue de parvenir à un résultat identique ; qu'en cet état, la cour d'appel, qui n'a pas opéré de confusion entre la fonction et le résultat des moyens et n'était pas tenue de procéder aux recherches invoquées par les deuxième et troisième branches, que ses constatations rendaient inopérantes, a retenu à juste titre que la contrefaçon par équivalence de ladite revendication était caractérisée ;

Et attendu, en second lieu, que c'est par une interprétation, exclusive de dénaturation, que la cour d'appel a considéré que le terme «autoriser» figurant dans la caractéristique i de la revendication 1 n'impliquait aucune obligation de faire fonctionner les fléaux avant les couteaux mais prévoyait la possibilité d'un tel ordre chronologique, lequel constituait un mode de réalisation particulier de l'invention, défini à la revendication 6 placée dans sa dépendance ; que le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, qui, sous le couvert de violation de la loi, discute l'appréciation souveraine, par les juges du fond, de la portée de ladite caractéristique et de sa reproduction par la séquence du rotor du broyeur «Xylomix» faisant fonctionner les couteaux avant les fléaux, n'est pas fondé ;

D'où il suit que le moyen, pour partie inopérant, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le deuxième moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches :

Attendu que la société X... fait grief à l'arrêt de retenir qu'elle a commis des actes de contrefaçon directe des revendications 2, 3, 4 et 5 du brevet EP 1 066 883 dont la SEE est propriétaire alors, selon le moyen :

1°/ que la cassation de la disposition ayant déclaré contrefaite la revendication 1 principale du brevet EP 1 066 883, qui sera prononcée sur le premier moyen de cassation, aura pour effet d'entraîner par voie de conséquence la cassation de la disposition déclarant contrefaites les revendications dépendantes 2, 3, 4 et 5 du brevet, en application de l'article 625 du code de procédure civile ;

2°/ que la revendication 5 du brevet EP 1 066 883 prévoit que les lignes axiales suivant lesquelles s'étendent les fléaux sont décalées de 90° par rapport aux lignes de coupe, ce qui signifie, clairement et précisément, que la référence à prendre en compte pour le calcul du décalage angulaire est la ligne de coupe des couteaux, c'est-à-dire leur tranchant ; qu'en considérant, pour déclarer contrefaite la revendication 5, que l'angle de 90° se calculait en prenant pour référence les lignes axiales reliant le « corps des couteaux » et non leur tranchant, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de la revendication 5 du brevet EP 1 066 883 en violation de l'article 1134 du code civil ;

3°/ que les dessins ne servent qu'à interpréter les revendications ; qu'en retenant qu'il apparaissait clairement à l'examen des figures du brevet que l'angle de 90° se calculait en prenant pour référence les corps des couteaux, la cour d'appel, qui a fait prévaloir les enseignements qu'elle a déduits des dessins sur les termes clairs et précis de la revendication, a violé les articles 69 de la Convention de Munich du 5 octobre 1973 relative à la délivrance de brevets européens, L. 613-2 et L. 615-1 du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, en premier lieu, que le rejet du premier moyen rend le grief de la première branche sans portée ;

Et attendu, en second lieu, qu'en retenant qu'à l'examen des figures 2 et 5 du brevet EP 1 066 883, il apparaît clairement et sans ambiguïté que l'angle de 90° se calcule en prenant pour référence les lignes axiales reliant, d'une part, les corps des couteaux et, d'autre part, les centres des fléaux, la cour d'appel s'est fondée à juste titre, et sans en faire prévaloir les enseignements, sur les dessins pour procéder à l'interprétation, nécessaire et exclusive de dénaturation, de l'expression « ligne de coupe » figurant dans la revendication 5 et, ainsi, après avoir souverainement apprécié la portée de cette dernière, considérer que le rotor du broyeur «Xylomix » en reproduit les caractéristiques ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société X... fait grief à l'arrêt de retenir qu'elle a commis des actes de contrefaçon par fourniture de moyens des revendications 1 à 5 du brevet EP 1 066 883 dont la SEE est propriétaire alors, selon le moyen :

1°/ que la cassation, sur les premier et deuxième moyens, des dispositions de l'arrêt par lesquelles il a été jugé que le rotor de la société X... constituait la contrefaçon directe des moyens couverts par le brevet entraînera par voie de conséquence la cassation de l'arrêt en ce qu'il condamne cette société pour contrefaçon par fourniture de moyens de mise en oeuvre de l'invention brevetée se rapportant à un élément essentiel de cette invention, en application de l'article 625 du code de procédure civile ;

2°/ que la contrefaçon par fourniture de moyens n'est constituée que lorsque le tiers fournisseur sait ou que les circonstances rendent évident que les moyens de mise en oeuvre de l'invention se rapportant à un élément essentiel de sa mise en oeuvre sont aptes et destinés à cette mise en oeuvre; qu'en se bornant à constater, en se fondant sur la brochure du broyeur « Xylomix » dans laquelle la société X... soulignait la possibilité, à l'aide d'un seul rotor, de passer en mode couteaux, fléaux ou mixte, que l'acquéreur d'un broyeur comprenant un rotor simple avait par la suite la possibilité de faire l'acquisition de couteaux ou de fléaux, lesquels sont vendus séparément du broyeur, pour le faire fonctionner en « mode mixte », ce qui réalisait un usage sans autorisation de l'invention brevetée, la cour d'appel, qui a ainsi uniquement fait apparaître que les moyens fournis étaient aptes à la mise en oeuvre de l'invention mais qui n'a pas caractérisé en quoi ces moyens étaient destinés à cette mise en oeuvre, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 613-4 du code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu, d'une part, que le rejet des premier et deuxième moyens rend le grief de la première branche sans portée ;

Et attendu, d'autre part, qu'après avoir constaté que la société X... livrait ou offrait de livrer sur le territoire français des rotors «Xylomix» dits « simples », ne comprenant que des couteaux seuls ou des fléaux seuls, à ses clients, non habilités à exploiter l'invention objet du brevet EP 1 066 883, et que la brochure commerciale de ce broyeur, saisie lors des opérations de saisie-contrefaçon, vantait la possibilité, à l'aide d'un seul rotor, de « passer rapidement en mode couteaux, fléaux ou mixte » et présentait le rotor, qualifié de « 3 en 1 », comme le seul « capable de répondre à toutes les demandes du marché », l'arrêt retient que l'utilisateur qui a acheté un broyeur comprenant un rotor « simple » peut faire l'acquisition de couteaux ou de fléaux, lesquels sont vendus séparément du broyeur, pour le faire fonctionner en mode mixte, et, ainsi, faire un usage de l'invention brevetée sans y être habilité ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, dont elle a souverainement déduit que les caractéristiques des cinq revendications dudit brevet pouvaient être mises en oeuvre en équipant un rotor « Xylomix » de l'ensemble de ces différents outils de coupe, ce qui était décrit comme un avantage, la cour d'appel, qui a caractérisé en quoi les moyens fournis étaient aussi bien aptes que destinés à la mise en oeuvre de l'invention, a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la Société d'équipement pour l'environnement la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept juin deux mille dix-huit.