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Décisions

Cass. com., 8 juin 2017, n° 15-29.378

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

Paris, du 25 nov. 2014

25 novembre 2014

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société SCA Tissue France est titulaire du brevet européen EP 1 799 083, désignant la France, ayant pour titre "distributeur de papier toilette dans lequel est logé un rouleau, le rouleau de papier toilette et le distributeur" ; que ce brevet couvre, aux termes de sa revendication 1, un distributeur de papier, comprenant un boîtier dans lequel est logé un rouleau d'une bande de papier, qui comprend des prédécoupes transversales à la bande définissant des feuilles de papier rectangulaires, dont la largeur est transversale et la longueur longitudinale, le boîtier comportant un orifice de distribution, par lequel la bande de papier est dévidée, la largeur d'une feuille étant comprise entre 125 mm et 180 mm et le rapport de la largeur d'une feuille sur sa longueur étant compris entre 0,45 et 1, de préférence entre 0,5 et 0,65, caractérisé en ce que ledit papier est un papier toilette et ledit distributeur comporte une buse avec ledit orifice de distribution, ladite buse et ledit rouleau de papier étant agencés pour que les feuilles de papier se dévident une à une et sortent avec un froissement réduit à la sortie de la buse ; qu'elle a assigné les sociétés Sipinco et Global hygiène en contrefaçon de ce brevet ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 613-4 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour rejeter les demandes formées par la société SCA Tissue France sur le fondement de la contrefaçon par fourniture de moyens en raison de la mise sur le marché de rouleaux de papier tels que ceux décrits au brevet, l'arrêt énonce que ce dernier couvre une invention de combinaison consistant dans l'association de moyens, papier toilette et buse, que seul l'agencement des moyens coopérant entre eux en vue d'un résultat commun est protégé et qu'en pareil cas, le moyen se rapportant à un élément essentiel de l'invention brevetée ne peut consister dans l'un seulement des éléments combinés, pour le seul motif que ce moyen entre dans la constitution de l'invention et contribue au résultat qu'elle produit ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la contrefaçon, par fourniture de moyens, d'un brevet couvrant une invention consistant en une combinaison de moyens peut résulter de la fourniture d'un moyen se rapportant à un élément essentiel de celle-ci, lorsque le tiers sait ou lorsque les circonstances rendent évident que ce moyen est apte et destiné à la mise en oeuvre de cette invention, lors même qu'il en est un élément constitutif, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Sur le moyen, pris en sa troisième branche :

Vu l'article L. 613-4 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour statuer ainsi, l'arrêt retient que la seule livraison ou offre de livraison de rouleaux de papier, qui ne sont que des consommables, ne saurait constituer un acte de contrefaçon par fourniture de moyens ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'est interdite, à défaut de consentement du propriétaire du brevet, la livraison ou l'offre de livraison, sur le territoire français, à une personne autre que celles habilitées à exploiter l'invention brevetée, des moyens de mise en oeuvre, sur ce territoire, de cette invention se rapportant à un élément essentiel, de sorte qu'il est indifférent que ce moyen puisse consister en un élément consommable, s'il revêt ce caractère essentiel, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche :

Vu l'article L. 613-4 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour statuer ainsi, l'arrêt retient, enfin, qu'aucun document émanant de la société Sipincone fait état d'une compatibilité de ses rouleaux de papier toilette avec les distributeurs commercialisés par la société SCA Tissue France et qu'il n'est pas démontré que la société Global hygiène aurait personnellement fait état d'une telle compatibilité ;

Qu'en se déterminant ainsi, alors que dans ses conclusions d'appel, la société SCA Tissue France faisait valoir que, compte tenu de ses dimensions spécifiques, le papier incriminé ne correspondait pas aux papiers toilettes se trouvant couramment dans le commerce, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si cette circonstance était établie et, en ce cas, si elle ne devait pas être prise en considération pour examiner si les sociétés Sipinco et Global hygiène savaient, ou si cette circonstance rendait évident, que ces rouleaux étaient aptes et destinés à la mise en oeuvre de l'invention, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes formées par la société SCA Tissue France au titre de la contrefaçon, par fourniture de moyens, du brevet européen EP 1 799 083, l'arrêt rendu le 25 novembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne les sociétés Sipinco et Global hygiène aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer à la société SCA Tissue France la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit juin deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Hémery et Thomas-Raquin, avocat aux Conseils, pour la société Tissue France.

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société SCA Tissue France de ses demandes en contrefaçon par fourniture de moyens à l'encontre de la SAS Sipinco et de la SAS Global Hygiène ;

AUX MOTIFS QUE « Les faits de contrefaçon reprochés à la SAS Sipinco : (
) en ce qui concerne l'existence d'actes de contrefaçon indirecte par fourniture de moyens au sens de l'article L. 613-4, il convient de relever que selon la SA SCA Tissue France elle-même, son invention consiste en une nouvelle combinaison entre, d'une part, un papier toilette spécifique et d'autre part, l'utilisation d'une buse de distribution des feuilles associée à une bande de ce papier spécifique prédécoupée, de telle manière à avoir une distribution des feuilles une à une, avec un froissement réduit à la sortie de la buse (pages 10 et 11 de ses conclusions) ; qu'il s'ensuit qu'il s'agit d'une invention de combinaison consistant dans l'association de moyens (papier toilette et buse) coopérant, en raison notamment de leur agencement particulier tel que décrit au brevet, en vue d'un résultat commun (distribution des feuilles une à une, peu froissées) ; que seul l'agencement des moyens coopérant entre eux en vue d'un résultat commun est protégé par le brevet ; que dans un tel cas, le moyen se rapportant à un élément essentiel de l'invention brevetée au sens de l'article L. 613-4, ne peut consister dans l'un seulement des éléments combinés, pour le seul motif que ce moyen (en l'espèce le rouleau de papier) entre dans la constitution de l'invention et contribue au résultat qu'elle produit ; qu'au surplus, il ne saurait y avoir de contrefaçon par fourniture de moyens lorsqu'est fourni comme en l'espèce un consommable à intégrer au dispositif breveté, ce dernier existant indépendamment du consommable lui-même ; qu'enfin, il n'a été relevé aucun document émanant de la SAS Sipinco faisant état d'une compatibilité de ses rouleaux de papier toilette avec les distributeurs commercialisés par la SAS SCA Tissue France (anciennement Georgia Pacific France) ; qu'en effet, la mention « compatibilité Smartone » apposée sur des documents découverts à l'occasion de la saisie-contrefaçon effectuée le 08 février 2011 dans la Maison familiale et rurale de [...]

n'est pas le fait de la SAS Sipinco, étant relevé que cette Maison familiale et rurale n'est pas sa cliente et qu'elle était fournie par une société GAMA 29 à laquelle elle est étrangère ; que l'attestation du président directeur général de la SODIP A. Reverdy selon laquelle la SAS Sipinco aurait « présenté à la SODIP A. Reverdy un – 6 – rouleau de papier toilette référencé 1520.01 comme étant destiné à être utilisé dans des distributeurs de marque Smartone de la société Georgia Pacific France » ne saurait suffire à entraîner la conviction de la cour en l'absence de tout document objectif confirmant cette affirmation ; qu'en effet, cette affirmation n'est pas cohérente avec l'indication dans l'attestation que la SOPIP A. Reverdy exploitait des distributeurs Rulopak qu'elle achetait également auprès de la SAS Sipinco de telle sorte que cette dernière n'aurait eu aucun intérêt à faire mention d'une compatibilité de ses rouleaux de papier 1520.01 avec les distributeurs de la SAS SCA Tissue France ; que dès lors, la seule livraison ou offre de livraison de rouleaux de papier toilette pouvant être intégrés au dispositif breveté ne saurait constituer un acte distinct de contrefaçon par fourniture de moyens ; que la SAS SCA Tissue France sera donc déboutée de sa demande en contrefaçon par fourniture de moyens à l'encontre de la SAS Sipinco ; Les faits de contrefaçon reprochés à la SAS Global Hygiène : que la SAS SCA Tissue France reproche également à la SAS Global Hygiène des faits de contrefaçon indirecte dans la mesure où les rouleaux de papier référencés 1520.01 ainsi que les rouleaux de papier référencés I.366.Lnt reproduisent les caractéristiques du papier constituant un élément essentiel de l'invention objet du brevet n° EP 1 799 083 ; qu'elle fait valoir que ces papiers, qui sont destinés aux distributeurs SmartOne (ou leur copie) participent au résultat de l'invention objet du brevet et que selon la fiche technique des rouleaux référencés I.366.Lnt, ceux-ci sont dotés d'un mandrin extractible alors que les distributeurs de papier toilette SmartOne sont les seuls actuellement sur le marché, qui requièrent des rouleaux de papier toilette dotés de tels mandrins pour être mis en oeuvre ; qu'elle ajoute que ces papiers sont livrés sur le territoire français et sont destinés à être utilisés, notamment dans les distributeurs SmartOne et que de ce fait la SAS Global Hygiène commet des actes de contrefaçon par fourniture de moyens des revendications 1, 2, 7 et 9 du brevet n° EP 1 799 083 ; que comme la SAS Sipinco, la SAS Global Hygiène réplique qu'aucune mention de compatibilité de ses rouleaux avec les produits de la SAS SCA Tissue France n'a été découverte lors des opérations de saisie-contrefaçon ; qu'elle ajoute que le caractère extractible des mandrins n'entre pas dans le champ du brevet invoqué et qu'en outre, les distributeurs de papier Lotus ne sont pas les seuls à fonctionner sans mandrin ; que ceci exposé, pour les mêmes raisons que pour la SAS Sipinco, il sera indiqué que s'agissant d'une invention de combinaison, la seule livraison ou offre de livraison de rouleaux de papier toilette (au demeurant ne constituant qu'un consommable à intégrer au dispositif breveté) ne saurait constituer un acte de contrefaçon par fourniture de moyens au sens de l'article L. 613-4 ; qu'au surplus, pour les mêmes motifs relatifs notamment aux éléments découverts lors de la saisie-contrefaçon opérée dans la Maison familiale et rurale de [...], il n'est pas

davantage démontré que la SAS Global Hygiène aurait personnellement fait état d'une compatibilité des rouleaux référencés 1520.01 ou I.366.Lnt avec les distributeurs de la SAS SCA Tissue France ; que dès lors en l'absence de démonstration d'actes de contrefaçon par fourniture de moyens, la SAS SCA Tissue France sera déboutée de l'ensemble de ses demandes en contrefaçon à l'encontre de la SAS Global Hygiène » ;

1°) ALORS QUE la contrefaçon par fourniture de moyens est établie en cas de livraison ou d'offre de livraison des moyens de mise en oeuvre de l'invention se rapportant à un élément essentiel de celle-ci, lorsque le tiers sait ou lorsque les circonstances rendent évident que ces moyens sont aptes et destinés à la mise en oeuvre de l'invention ; que la contrefaçon par fourniture de moyens peut être caractérisée, en présence d'une invention portant sur une combinaison de moyens, lorsque le tiers fournit l'un des moyens constitutifs de cette invention, qui est nécessaire, en coopération avec les autres moyens, à l'obtention du résultat objet de cette invention et qu'il sait que ce moyen est apte et destiné à la mise en oeuvre de l'invention ; qu'en partant, au contraire, du principe que « le moyen se rapportant à un élément essentiel de l'invention brevetée, au sens de l'article L. 613-4, ne peut consister dans l'un seulement des éléments combinés, pour le seul motif que ce moyen (en l'espèce le rouleau de papier) entre dans la constitution de l'invention et contribue au résultat qu'elle produit », la cour d'appel a violé l'article L. 613-4 du code de la propriété intellectuelle ;

2°) ALORS QU'en relevant, tout à la fois, d'une part, que le rouleau de papier est un moyen entrant dans la constitution de l'invention brevetée, et d'autre part, que le dispositif breveté existe indépendamment du rouleau de papier, la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QUE, quand bien même serait-il un « consommable », le produit livré peut constituer un moyen de mise de l'invention se rapportant à un élément essentiel de celle-ci dès lors qu'il est nécessaire, en coopération avec les autres moyens, à l'obtention du résultat objet de cette invention ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a précisément constaté que le rouleau de papier constituait l'un des moyens constitutifs de l'invention coopérant, avec la buse, en vue du résultat recherché par l'invention, à savoir la distribution des feuilles une à une, peu froissées ; qu'en se fondant, dans ces conditions, pour écarter la contrefaçon par fourniture de moyens, sur la circonstance que le rouleau de papier serait un « consommable », la cour d'appel s'est déterminée par un motif inopérant, en violation de l'article L. 613-4 du code de la propriété intellectuelle ;

4°) ALORS QUE la contrefaçon par fourniture de moyens est établie lorsque le tiers sait ou que les circonstances rendent évident que les moyens litigieux sont aptes et destinés à la mise en oeuvre de l'invention ; que ce n'est que dans l'hypothèse où les moyens litigieux sont des produits se trouvant couramment dans le commerce qu'il est exigé d'établir spécifiquement que le tiers a incité la personne à qui il livre à commettre l'infraction ; qu'en se bornant à relever qu'il n'était pas établi que les sociétés Sipinco et Global Hygiène avaient fait état de la compatibilité des rouleaux avec les distributeurs de la société SCA Tissue France, sans constater ni que les rouleaux litigieux seraient des produits se trouvant couramment dans le commerce, ni que les sociétés Sipinco et Global Hygiène ne savaient pas que ces rouleaux étaient aptes et destinée à la mise en oeuvre de l'invention, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 613-4 du code de la propriété intellectuelle.