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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch. civ., 28 janvier 2014, n° 11/07063

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Domaine de Brémontier (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme O'yl

Conseillers :

M. Bancal, M. Ramonatxo

Avocats :

SCP Michel Puybaraud, Me Brassier, SCP Combeaud, Me Guignard

TGI de Bordeaux, 1re ch. civ., du 18 oct…

18 octobre 2011

La SCI DOMAINE DE BREMONTIER a été constituée les 26 et 27 décembre 1979 entre monsieur LAURENT D., porteur de 25 parts, ANNIE G. épouse de monsieur LAURENT D., porteur de 25 parts, et de monsieur BRUNO D. porteur de 50 parts ; elle a pour objet social l'acquisition, la gestion et l'entretien d'une propriété d'agrément située à CAMBES d'une contenance de 4 ha 74a 23 ca ;

Son gérant est monsieur LAURENT D. ;

Elle a acquis le 14 mars 1980 la propriété visée dans son objet social ;

Monsieur BRUNO D. a informé ses associés au mois de juin 2005 qu'il souhaitait se retirer de la société et leur a proposé de céder ses parts moyennant le prix de 650 000 € à titre transactionnel et forfaitaire ; les pourparlers entrepris ont échoué ;

Il a saisi le président du tribunal de grande instance de BORDEAUX statuant en référé pour obtenir sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil et 145 du code de procédure civile la désignation d'un expert pour fixer la valeur de ses parts sociales ; par ordonnance du 26 novembre 2006 sa demande a été rejetée ;

Par LRAR en date du 2 janvier 2007 monsieur BRUNO D. a demandé à monsieur LAURENT D. en sa qualité de gérant de la SCI DOMAINE DE BREMONTIER la convocation d'une assemblée générale ayant pour ordre du jour l'autorisation de son retrait ;

Lors de cette assemblée générale réunie le 2 février 2007 monsieur LAURENT D. et madame ANNIE D. ont déclaré ne pas s'y opposer dès lors que les comptes de monsieur BRUNO D. seront à jour envers ses associés, la société et les tiers ; le gérant a ainsi fait état des divers frais devant être supportés par la SCI auxquels monsieur D. s'est déclaré étranger, n'accédant pas à la propriété et n'ayant pas participé aux résultats ;

Ultérieurement celui-ci a proposé de recourir à une expertise pour évaluer la propriété et de procéder à un audit complet des comptes mais n'a obtenu aucune réponse de ses associés ;

Monsieur BRUNO D. saisissait le président du tribunal statuant en la forme des référés d'une demande de désignation d'un expert judiciaire pour évaluer ses parts sociales et établir les comptes de la SCI DOMAINE DE BREMONTIER, demande dont il a été débouté par ordonnance en date du 28 janvier 2008 ;

Enfin il faisait assigner le 31 juillet 2008 ses deux associés et la société devant le tribunal de grande instance de BORDEAUX ;

Par le jugement critiqué le tribunal de grande instance de BORDEAUX a :

- autorisé le retrait total de monsieur BRUNO D. de la SCI DOMAINE DE BREMONTIER

- renvoyé les parties à faire déterminer la valeur des droits sociaux dans les conditions prévues par l'article 1843-4 du code civil

- ordonné une expertise confiée à monsieur L. aux frais avancés des trois associés à l'effet de :

. Établir ou vérifier la comptabilité de la SCI DOMAINE DE BREMONTIER

. Faire évaluer les avantages personnels dont ont bénéficié les associés (jouissance privative de certains bâtiments de la copropriété)

. rechercher dans quelles conditions et avec quelle contrepartie monsieur G. a occupé un bâtiment situé sur la propriété et fournir tous éléments permettant de vérifier l'existence et l'étendue du préjudice allégué;

- condamné in solidum monsieur LAURENT D. et madame ANNIE D. à payer à monsieur BRUNO D. une somme de 4000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- ordonné l'exécution provisoire

- condamné monsieur LAURENT D. et madame ANNIE D. aux dépens ;

Monsieur LAURENT D., madame ANNIE D. et la SCI DOMAINE DE BREMONTIER qui ont relevé appel demandent à la cour de :

Vu l'article 1843-4 du code civil,

- infirmer le jugement

- débouter monsieur BRUNO D. de toutes ses demandes

Subsidiairement,

- autoriser son retrait à ses torts exclusifs

- dire qu'il appartiendra à monsieur BRUNO D. de saisir le président du tribunal de grande instance aux fins d'obtenir la désignation d'un expert

Très subsidiairement,

- dire que la mission de l'expert inclura celle de faire les comptes entre les associés e égard à la situation du DOMAINE DE BREMONTIER

- dire que monsieur BRUNO D. supportera les frais et honoraires de l'expert judiciaire

- condamner monsieur BRUNO D. à payer à la SCI DOMAINE DE BREMONTIER :

. 46 400 € de dommages intérêts en réparation du dommage subi

. 2 199 715,97 € au titre de sa participation dans les frais de réparation et d'entretien du domaine de BREMONTIER

. 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Monsieur BRUNO D. demande à la cour de :

A titre principal,

- confirmer le jugement déféré

A titre subsidiaire, pour le cas où la cour n'ordonnait pas son retrait judiciaire,

- ordonner la dissolution anticipée de la SCI DOMAINE DE BREMONTIER du fait de la mésentente entre associés en application de l'article 1844-7 du code civil et désigner un liquidateur pour y procéder avec mission de :

. Effectuer les actes courants de la société jusqu'à la parfaite liquidation conformément à

L’article 23 des statuts

. Procéder à l'établissement des comptes sociaux et des comptes entre les parties

. Procéder à la restitution des apports subsistants

En tout état de cause,

- débouter monsieur LAURENT D. et madame ANNIE D. de leurs demandes

- les condamner au paiement d'une somme de 6000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Sur le retrait

Les appelants font valoir que monsieur BRUNO D. ne justifie pas d'un juste motif lui permettant de se retirer de la société, son retrait étant motivé en fait par le refus de contribuer aux travaux nécessités par le domaine; ils relèvent qu'il n'a jamais émis la moindre contestation sur la gestion de la société et que contrairement à ce qu'il soutient il a habité sur le domaine et occupe toujours une partie des lieux ; ils estiment qu'au cas où il serait fait droit à sa demande de retrait celui-ci ne peut qu'être ordonné à ses torts exclusifs ;

L'article 12 des statuts de la SCI DOMAINE DE BREMONTIER dispose que « Sans préjudice des droits des tiers un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société avec l'autorisation de l'unanimité des autres associés ; le retrait peut aussi être autorisé par décision de justice pour justes motifs ; l'associé qui se retire a droit au remboursement de la valeur des droits concernés fixée à la date de clôture du dernier exercice approuvé précédant la date d'effet du retrait, soit à l'amiable, soit à défaut d'accord amiable par un expert désigné et intervenant comme il est dit à l'article 1843-4 du code civil ....» ;

selon l'article 1869 du code civil « sans préjudice du droit des tiers un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société, dans les conditions prévues par les statuts ou à défaut après autorisation donnée par une décision unanime des statuts ; ce retrait peut également être autorisé pour justes motifs par une décision de justice ; à moins qu'il ne soit fait application de l'article 1844-9, l'associé qui se retire a droit au remboursement de la valeur de ses droits sociaux, fixée, à défaut d'accord amiable conformément à l'article 1843-4 » ;

il est inexact de prétendre que la demande de retrait de monsieur BRUNO D. serait motivée par l'importance des travaux qu'il aurait à supporter ; en effet c'est depuis l'année 2005 ainsi qu'en témoignent les échanges de courrier entre les notaires des parties que celui-ci souhaite se retirer de la SCI DOMAINE DE BREMONTIER ; toutefois les pourparlers engagés n'ont pu aboutir à un accord amiable ;

la demande de retrait présentée par monsieur BRUNO D. lors de l'assemblée générale de la SCI DOMAINE DE BREMONTIER réunie à sa demande le 2 février 2007 n'a pas recueilli l'accord unanime de ses associés, ceux-ci indiquant qu' « ils ne s'y opposeraient pas dès lors que les comptes de monsieur BRUNO D. seront à jour envers les associés, envers la SCI DE BREMONTIER et envers les tiers » ; c'est au cours de cette assemblée générale dont la tenue était motivée par la demande de retrait que pour la première fois monsieur LAURENT D. et son épouse ont fait état de travaux importants sur les bâtiments, de travaux d'arrachage des vignes et des travaux de confortation de la falaise ;

Ils n'ont cependant pas répondu à la lettre qu'il leur a adressée le 26 mars 2007 leur proposant de désigner un expert foncier et un expert-comptable pour évaluer ses parts et établir les comptes de la société ;

Ainsi que l'a justement relevé le premier juge, aucune assemblée générale n'a été tenue par la société, celle-ci ne dispose pas de comptabilité, monsieur BRUNO D. n'est pas convoqué aux assemblées générales, ne reçoit aucune information, ne participe pas aux bénéfices de la société ( loyers, fermages ), est tenu à l'écart de la vie sociale ; en outre les attestations et constats qu'il produit tendent à démontrer qu'il ne peut jouir du domaine et est traité comme un intrus, - tous éléments qui constituent de justes motifs au sens de l'article 1869 du code civil ;

En conséquence le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a autorisé le retrait de monsieur BRUNO D. de la société ; cette autorisation reposant sur de justes motifs, il ne peut être demandé qu'elle soit aux torts et griefs de celui-ci ;

Sur l'expertise

Les appelants font reproche au premier juge d'avoir ordonné une expertise sans la moindre limitation dans le temps alors que la prescription quinquennale doit jouer et que BRUNO D. n'a jamais émis la moindre contestation ;

L’expert désigné par le jugement déféré a reçu mission d'une part d'établir ou vérifier la comptabilité de la SCI, d'autre part d'évaluer les avantages personnels dont ont pu bénéficier les associés et enfin rechercher dans quelles conditions et avec quelle contrepartie monsieur G. a logé sur la propriété et déterminer le préjudice éventuellement subi ;

il ne peut être sérieusement reproché à monsieur BRUNO D., qui se retire de la société, alors qu'il est démuni de tout document social, de toute information sur la vie de la société, de pallier sa carence en sollicitant une expertise pour établir la comptabilité de la société et les avantages éventuellement retirés par les associés notamment en occupant les lieux ;

Le fait qu'il ne se soit pas plaint auparavant de la situation ne lui interdit nullement de solliciter une telle expertise et de souhaiter recouvrer ses droits ;

Outre que la bonne compréhension de la comptabilité et de la vie de la société impose de remonter dans le temps, il appartiendra au seul juge chargé éventuellement de statuer au fond sur les demandes formulées par les parties de décider si certaines d'entre elles se heurtent à la prescription ;

Sur la demande au titre de l’indemnité d'occupation

Les appelants réclament la condamnation de monsieur BRUNO D. au paiement de la somme de 46 400 € au titre de l'occupation indue de monsieur G. d'une partie de la propriété ;

Monsieur G. a bénéficié d'un contrat de bail à titre gratuit en 2003 consenti par monsieur BRUNO D. portant sur un atelier, un bureau et une cuisine dont la vétusté n'est pas contestée ;

Le juge d'instance de BORDEAUX saisi par la SCI DOMAINE DE BREMONTIER par jugement en date du 20 mai 2008 a déclaré le bail inopposable à la SCI, a ordonné l’expulsion de monsieur G. et l'a condamné à défaut à payer une somme de 800 € à titre d'indemnité d'occupation ;

Or, outre qu'il est soutenu qu'en contrepartie monsieur G. comme il l'atteste effectuait des travaux d'entretien ou de gardiennage sur la propriété, voire travaillait pour le compte de la société LAURANNIE installée sur le domaine, l'expertise ordonnée a notamment pour objet de rechercher les conditions de son occupation et le préjudice éventuellement occasionné ;

Celui-ci n'étant pas établi, la demande présentée à ce titre ne peut qu'être rejetée ;

Sur la participation aux travaux

Les appelants demandent la condamnation de monsieur BRUNO D. au paiement de la somme de 2 199 715,97 € au titre des travaux qui doivent être entrepris sur le domaine ; ils versent aux débats à cet effet un devis de la société BAT RENOV en date du 24 juillet 2007 d'un montant de 847 311,95 pour des travaux de charpente couverture zinguerie maçonnerie sur les bâtiments ainsi qu'un devis de la société GTBA en date du 5 décembre 2008 d'un montant de 3 552 120 € au titre des travaux de confortation de la falaise ( à la suite d'un éboulement survenu en septembre 2006) ;

Outre que ces devis sont postérieurs à l'assemblée générale au cours de laquelle monsieur BRUNO D. a t confirmé sa demande de retrait de la société, ils sont insuffisants à établir le montant des travaux et leur urgence

L'expertise qu'ils sollicitent à titre subsidiaire de ce chef entre dans le cadre de l'article 1843-4 du code civil et sera en conséquence rejetée ;

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'intimé à hauteur de 3000 € ;

Les dépens seront supportés par les appelants qui échouent dans leur recours ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire prononcé par sa mise à disposition au greffe,

- confirme le jugement déféré

- condamne la SCI DOMAINE DE BREMONTIER, monsieur LAURENT D. et madame ANNIE D. à payer à monsieur BRUNO D. une somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- les condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.