Cass. crim., 10 avril 2002, n° 01-84.286
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Soulard
Avocat général :
M. Marin
Avocat :
SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez
Sur le premier moyen de cassation : (Publication sans intérêt) ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 175 de l'ancien Code pénal, 432-12 du Code pénal, 7, 8 et 591 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a refusé de constater la prescription de l'action publique s'agissant du délit de prise illégale d'intérêts dans l'achat par la commune de Conca d'une maison appartenant à Mme Y... ;
" aux motifs que " le SRPJ d'Ajaccio a été saisi pour enquête par note du procureur de la République en date du 15 mai 1997 ; que le délit de prise illégale d'intérêt se commet lors de chacune des actions entrant dans les attributions de l'auteur ; qu'en l'espèce les faits ont donc été commis non seulement lors de la délibération du conseil municipal ayant décidé l'acquisition le 20 novembre 1993 et lors de l'établissement de l'acte administratif de vente le 1er décembre 1993, mais aussi lors du mandatement du prix par le maire le 1er juin 1994, soit moins de trois ans avant l'acte de saisine pour enquête, interruptif de prescription ; qu'en conséquence, l'exception de prescription est rejetée " ;
" alors que les délits sont prescrits après trois ans révolus à compter du jour où ils ont été commis ; que le délit de prise illégale d'intérêts est commis à compter du jour où la personne investie d'un mandat public a pris ou reçu un intérêt quelconque dans une entreprise ou une opération dont elle a, au moment de l'acte, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement ; que lorsque un agent public prend un intérêt illégal dans un acte dont il a la charge d'assurer la surveillance ou l'administration, l'acte par lequel il ordonne le paiement ne constitue qu'un effet de l'acte par lequel il a pris un intérêt illégal ; que l'ordonnancement du prix d'une vente dans laquelle un agent public a pris un intérêt illégal ne peut donc être considéré comme un élément constitutif du délit de prise illégale d'intérêts à compter duquel la prescription commencerait à courir ; que le délit de prise illégale d'intérêts était donc constitué au jour de la délibération du conseil municipal ayant décidé l'acquisition de la maison de Mme Y..., soit le 20 novembre 1993, ou au plus tard au jour de l'acte de vente, soit le 1er décembre 1993 ; que la cour d'appel qui a refusé de constater que l'action publique était prescrite le 15 mai 1997 a violé les articles précités " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le conseil municipal de Conca, réuni sous la présidence de son maire, François X..., a voté l'acquisition de la maison de Mme Y... pour y établir le conservatoire du costume corse ; que le paiement du prix de cette acquisition, effectué en exécution d'un mandat émis par le maire, a permis à Mme Y... de rembourser un emprunt qu'elle avait contracté par ailleurs et de libérer ainsi François X... de l'engagement de caution qu'il avait pris à son égard ;
Attendu que, pour juger non prescrite l'action engagée contre François X... du chef de prise illégale d'intérêts, la cour d'appel énonce que les faits ont été commis non seulement lors de la délibération du conseil municipal ayant décidé l'acquisition mais aussi lors du mandatement du prix par le maire, le 1er juin 1994, soit moins de trois ans avant l'acte de saisine pour enquête ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen ;
Qu'en effet, le délit de prise illégale d'intérêts se prescrit à compter du dernier acte administratif accompli par l'agent public par lequel il prend ou reçoit directement ou indirectement un intérêt dans une opération dont il a l'administration ou la surveillance ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le troisième moyen de cassation : (Publication sans intérêt) ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 175 de l'ancien Code pénal, 432-12 et 432-17 du Code pénal et 388, 459, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré François X... coupable de prise illégale d'intérêts résultant de l'attribution de subventions à la SARL Corse Sud Distillerie par l'Assemblée de Corse ;
" aux motifs que François X... n'a pris aucune part à la décision initiale d'aide à la société dont il était le gérant ; que cependant, en présidant les travaux de la Commission des Finances réunie le 10 mai 1994 qui ont précédé le vote de l'Assemblée de Corse en date du 16 mai 1994 (auquel il a participé en donnant procuration à Pierre Jean Z...), puis en prenant part personnellement au vote du 25 juillet 1994 ayant adopté le règlement des aides, il a incontestablement participé à la nouvelle prise de décision qui a permis à la société Corse Sud Distillerie de conserver la subvention dont l'octroi avait été remis en cause ; que ce faisant, comme l'a démontré le tribunal, il s'est rendu coupable du délit de prise illégale d'intérêts ;
" alors que François X... a soutenu dans ses conclusions d'appel que la subvention attribuée en 1993 à la société Corse Sud Distillerie sur le fondement du premier règlement de l'Assemblée de Corse lui était acquise, le paiement d'une subvention attribuée ne pouvant être refusé que lorsque la décision d'attribution est illégale, ce qui n'avait pas été démontré ; qu'il en résultait nécessairement que François X... n'avait pas pris ou conservé un intérêt dans une entreprise ou une opération dont il avait la charge d'assurer l'administration ou la surveillance, alors que la subvention était déjà acquise à la société Corse Sud Distillerie ; que la cour d'appel, qui a cependant considéré que François X... avait conservé la subvention en participant à la délibération par laquelle a été adopté le nouveau règlement de l'aide de la collectivité territoriale afin de pouvoir procéder au paiement des subventions attribuées en vertu du premier règlement, ce qui était constitutif de prise illégale d'intérêts, a insuffisamment motivé sa décision ;
" et alors que François X... soutenait que la délibération du 16 mai 1994 était antérieure à la désaffectation et à la " réaffectation " de la subvention attribuée à la société Corse Sud Distillerie intervenues le 8 juillet 1994, ce qui impliquait qu'il n'avait aucun intérêt privé en jeu lors de l'adoption de ce règlement et qu'en tout état de cause, il n'avait pas participé à la délibération du 16 mai 1994, ayant donné une procuration à M. Z..., procuration qui était en blanc, ce qui empêchait, en application du principe de la responsabilité personnelle prévu par l'article 122-1 du Code pénal, de retenir la culpabilité de François X... pour sa participation à cette délibération ; que, par ailleurs, il soutenait que la délibération du 25 juillet 1994 était postérieure à la décision de désaffectation et de " réaffectation " de la subvention, si bien qu'elle ne pouvait pas non plus être à l'origine de l'intérêt conservé dans l'entreprise ou l'opération que constituait l'adoption du nouveau règlement des aides ; que la cour d'appel n'a pas répondu à ce chef péremptoire de conclusions, contrairement à ce qu'imposent les articles 459 et 512 du Code de procédure pénale ;
" et alors que la participation de François X... à la commission de Finances de la collectivité territoriale n'était pas visée dans la citation comme un des faits constitutifs du délit de prise illégale d'intérêts ; que, par conséquent, la cour d'appel a excédé les limites de sa saisine en considérant la participation à la commission des Finances comme un des faits constitutifs du délit en violation des articles 459 et 512 du Code de procédure pénale ;
" et alors qu'en tout état de cause, si la préparation d'une décision prise par d'autres peut être un acte d'administration ou de surveillance constitutif de prise illégale d'intérêts, encore faut-il que la préparation d'une telle décision soit suffisamment précise pour établir que l'agent investi d'un mandat public a pris un intérêt dans l'opération qu'il a préparée et qu'il avait conscience d'une telle prise d'intérêts ; que la cour d'appel n'ayant pas expliqué en quoi la commission avait pu intervenir dans la détermination des conditions d'attribution des subventions, alors que celle-ci ne se prononce que sur des masses budgétaires et alors que les conditions d'attribution de telles subventions n'ont été déterminées que par la délibération de l'Assemblée de Corse du 14 mai 1994 et éventuellement du 25 juillet 1994, la cour d'appel a insuffisamment motivé sa décision " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la société Corse Sud Distillerie, dont François X... était le gérant associé, s'est vu attribuer une aide publique en application d'un règlement adopté par l'Assemblée de Corse, le 3 août 1992 ; que, cependant, le payeur de Corse a refusé de procéder au versement de cette aide au motif qu'elle ne remplissait pas les conditions prévues par le règlement ;
Que, le 16 mai 1994, l'Assemblée de Corse a adopté un nouveau règlement, sur le fondement duquel les aides ont été versées à la société Corse Sud Distillerie, au titre des années 1991 et 1994 ;
Attendu que, pour déclarer François X... coupable de prise illégale d'intérêts, la cour d'appel relève, notamment, que l'intéressé, conseiller territorial de Corse, a donné procuration à un autre élu afin qu'il prenne part à la délibération du 16 mai 1994 ;
Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Qu'il s'ensuit que le moyen ne peut être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.