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Décisions

Cass. crim., 7 février 2001, n° 00-83.023

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

M. Challe

Avocat général :

Mme Fromont

Avocat :

SCP Piwnica et Molinié

Paris, du 27 mars 2000

27 mars 2000

LA COUR,

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-1, 121-6, 121-7 et 433-2 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable de trafic d'influence passif commis par un particulier et l'a condamné à une peine d'emprisonnement de 12 mois dont 6 mois assortis du sursis simple, à une amende de 100 000 francs et à l'interdiction des droits civiques pendant 5 années ;

" aux motifs qu'indépendamment des mises en cause d'Adolphe X... par Thierry Y... et plusieurs victimes, l'information a mis en évidence l'existence de plusieurs chèques remis par Thierry Y... mais encaissés sur les comptes de X... ou de sa société Marluc ; qu'il est indéniable que Thierry Y... ne disposait personnellement d'aucune relation lui permettant d'obtenir des passe-droits pour les personnes le sollicitant pour l'obtention d'un logement dans des HLM ou un kiosque ; qu'il est démontré que cet intermédiaire était Adolphe X... ; que, dès lors, il est acquis que, contre remise d'argent, il a accepté de soudoyer Alain Z... afin d'obtenir un appartement ou un kiosque pour les clients rabattus par Thierry Y... de sorte qu'il existe un faisceau d'indices précis et concordants permettant à la Cour de retenir le prévenu dans les liens de la prévention ;

" alors, d'une part, qu'aux termes de l'article 121-1 du Code pénal, le prévenu n'est responsable pénalement que de son propre fait ; que le délit de trafic d'influence passif commis par un particulier suppose que celui-ci invoque personnellement son influence réelle ou supposée auprès d'un dépositaire de l'autorité publique, pour solliciter des candidats au logement, remise de dons, présents ou avantages quelconques destinés à rémunérer son intervention ; qu'en l'espèce, s'il est établi que les candidats au logement ou à l'attribution d'un kiosque à journaux ont été en relation directe avec Thierry Y..., lequel prétendait connaître une personne censée pouvoir intervenir auprès d'un responsable placé à l'hôtel de ville, aucune des constatations de l'arrêt n'établit que le prévenu ait personnellement et directement fait état de ses relations auprès des candidats au logement et sollicité des remises de fonds, de sorte que le délit prévu par l'article 178 de l'ancien Code pénal et 433-2 du Code pénal n'est pas caractérisé ;

" alors, d'autre part, qu'en tout état de cause, aucun fait de complicité du délit de trafic d'influence passif ne peut être retenu à l'encontre d'Adolphe X..., concernant les rencontres ou les conversations téléphoniques avec les candidats au logement dès lors que celles-ci, postérieures aux sollicitations initiales de Thierry Y... et aux versements de fonds, ne répondent pas à l'exigence d'antériorité ou de concomitance imposée par l'article 121-7 du Code pénal pour l'aide et l'assistance et ne procèdent pas davantage d'un accord antérieur à la consommation du délit, conclu entre les deux prévenus ; qu'en conséquence, l'arrêt attaqué ne pouvait sans violer les textes susvisés condamner Adolphe X... " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'Adolphe X..., commerçant, est intervenu courant 1992 et 1993, auprès d'un conseiller municipal de Paris, Alain Z..., président de la Semidep, qui gère le parc immobilier de cette ville, pour faire attribuer des appartements et un kiosque à journaux à des particuliers qui ont été contactés par Thierry Y..., lequel a exigé de ceux-ci le versement de sommes d'argent dont une partie a été reversée au prévenu ;

Attendu que, pour déclarer Adolphe X... coupable de trafic d'influence, les juges d'appel, par motifs propres et adoptés, relèvent que Thierry Y... a toujours affirmé qu'il avait agi à l'instigation d'Adolphe X... dont il était client du magasin depuis plusieurs années et avec la complicité de celui-ci qui lui indiquait les pièces à fournir par les futurs locataires ; qu'ils retiennent que, ne disposant personnellement d'aucune relation lui permettant d'obtenir des passe-droits pour les personnes le sollicitant pour l'obtention de logements ou d'un kiosque, Thierry Y... devait nécessairement passer par un intermédiaire ayant des relations au sein de la Semidep ; qu'ils ajoutent qu'il est suffisamment démontré que cet intermédiaire était Adolphe X..., lequel, contre remise d'argent, a accepté de soudoyer Alain Z... ;

Attendu que, si c'est à tort que la cour d'appel a déclaré le prévenu coupable de trafic d'influence, en qualité d'auteur principal, les faits retenus à la charge de celui-ci, tels qu'ils ont été souverainement constatés par les juges du fond, n'en constituent pas moins la complicité de ce délit, contrairement à ce qui est soutenu au moyen, lequel ne peut être accueilli ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-3, 112-1, 131-10, 131-26, 131-27 et 433-2 du Code pénal, 4, 42 et 178 de l'ancien Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a prononcé à l'encontre d'Adolphe X... pour une durée de cinq années, l'interdiction des droits civiques ;

" alors que seules peuvent être prononcées les peines légalement applicables à la date où les faits ont été commis ; que l'article 42 ancien du Code pénal, applicable à la date des faits reprochés à Adolphe X..., ne prévoyait pas l'interdiction de représenter ou d'assister une partie en justice, que dès lors la disposition pénale prévue à l'article 131-26. 3° du Code pénal nouveau, applicable à compter du 1er mars 1994, qui prévoit l'interdiction de représenter ou d'assister une partie devant la justice, est une disposition complémentaire nouvelle plus sévère qui ne peut s'appliquer à des faits antérieurs à son entrée en vigueur ; qu'en se prononçant ainsi, la Cour a entaché son arrêt d'une violation des textes susvisés " ;

Attendu que le demandeur ne saurait faire grief à la cour d'appel d'avoir prononcé à son encontre l'interdiction des droits civiques pendant 5 ans, dès lors que cette interdiction ne s'applique qu'aux droits de vote, d'élection et d'éligibilité, prévus par l'article 42. 1° et 2° ancien du Code pénal, repris par l'article 131-26. 1° et 2° de ce Code ;

Qu'ainsi le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le deuxième moyen cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 433-2 du Code pénal, 2, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a confirmé la condamnation du prévenu au paiement d'une somme de 110 000 francs pour Alain A... et d'une somme de 25 000 francs pour Micheline B..., parties civiles du chef du délit de trafic d'influence passif commis par un particulier ;

" aux motifs qu'aucune disposition de la loi ne permet de réduire, à raison d'une faute de la victime, le montant des réparations civiles dues à celle-ci par l'auteur d'une infraction intentionnelle contre les biens, la partie civile étant en droit d'obtenir la réparation intégrale de son préjudice, sans que sa prétendue imprudence ou négligence puisse lui être opposée ;

" alors que le délit de trafic d'influence passif commis par un particulier en vue de faire obtenir d'un dépositaire de l'autorité publique, une décision favorable à un tiers qui a accepté de remettre des fonds pour cette intervention, constitue une infraction contre la chose publique qui porte atteinte à l'intérêt général ; que cette infraction ne peut concomitamment consommer une atteinte aux biens que si le tiers qui verse les fonds ignore le caractère illicite de cette intervention, la seule acceptation de cette sollicitation, en connaissance de cause, réalisant pour le tiers, le délit de trafic d'influence actif commis par un particulier ; qu'en l'espèce, il résulte des énonciations des premiers juges et de l'arrêt attaqué qu'Alain A... et Micheline B... ont été informés par Thierry Y... qu'ils pouvaient, moyennant finance, obtenir une intervention destinée à faciliter l'attribution de la gestion d'un kiosque à journaux pour le premier et d'un logement municipal pour la seconde, par un responsable de la ville de Paris, et qu'ils ont à cet effet, en connaissance de cause, versé une somme de 110 000 francs pour Alain A... et une de 25 000 francs pour Micheline B... pour rémunérer cette intervention ; que, dès lors, la demande de ces particuliers est irrecevable, ceux-ci ayant été informés préalablement du caractère illicite du versement des fonds auquel ils ont consenti, de sorte que l'arrêt n'est pas légalement justifié " ;

Vu l'article 2 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 433-2 du Code pénal ;

Attendu que la personne qui, de mauvaise foi, a remis une somme d'argent à l'auteur principal d'un délit de trafic d'influence ou à son complice, en vue d'obtenir une décision favorable d'une autorité publique, est irrecevable à se constituer partie civile contre eux ;

Attendu qu'appelée à statuer sur les demandes de dommages-intérêts d'Alain A... et de Micheline B..., constitués parties civiles, la cour d'appel, confirmant le jugement entrepris, a condamné Adolphe X..., solidairement avec Thierry Y..., à leur payer les sommes respectives de 110 000 francs et 25 000 francs ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, après avoir constaté que les parties civiles avaient sciemment remis des fonds à Thierry Y..., afin qu'il abuse de son influence pour leur faire obtenir, par l'intermédiaire d'Adolphe X..., un kiosque à journaux et un appartement et alors qu'elles étaient elles-mêmes susceptibles de faire l'objet de poursuites du chef de trafic d'influence, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés ;

D'où il suit que la cassation est encourue ; qu'elle aura lieu sans renvoi, la Cour de Cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 27 mars 2000, mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues :

DIT irrecevables les constitutions de partie civile ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi.