Cass. com., 14 octobre 2020, n° 18-19.181
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Guérin
Rapporteur :
Mme Lefeuvre
Avocat général :
M. Douvreleur
Avocats :
SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Gadiou et Chevallier
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 4 avril 2018), la société d'investissement du groupe E... (la société Sigle) a, le 23 novembre 2010, acquis 95 % des actions de la société par actions simplifiée Austrasie, société holding d'un groupe spécialisé dans la distribution de véhicules utilitaires, les 5 % restant étant détenus par la société de droit luxembourgeois Citrus Development (la société Citrus).
2. Le 26 novembre 2014, la société Sigle a notifié à la société Citrus un projet de cession de ses actions de la société Austrasie à M. N.... La société Citrus a, dans un premier temps, déclaré renoncer à exercer son droit de préemption, puis s'est ravisée, avant d'indiquer, le 2 février 2015, qu'elle n'exercerait pas son droit aux conditions indiquées.
3. L'assemblée générale de la société Austrasie du 11 mars 2015 a décidé l'exclusion de la société Citrus.
4. Par un jugement du 19 mars 2015, la société Austrasie a été mise sous sauvegarde.
5. La société Citrus l'a assignée, ainsi que son administrateur judiciaire, la SCP A... et M..., et la société Sigle, en annulation des délibérations de l'assemblée ayant prononcé son exclusion.
6. La société Austrasie ayant fait l'objet d'un plan de sauvegarde, homologué le 29 septembre 2016, la société D... et S... a été désignée en qualité de commissaire à son exécution.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. La société Citrus fait grief à l'arrêt de rejeter l'ensemble de ses demandes, alors :
« 1°/ que l'article 15 des statuts de la SAS Austrasie stipule qu'en cas de désintérêt d'un associé se manifestant par son absence répétée aux assemblées générales, son exclusion peut être prononcée ; qu'en relevant, pour débouter la société Citrus de sa demande d'annulation de la résolution d'assemblée générale ayant prononcé son exclusion, qu'il ne convenait pas de rechercher si son désintérêt pour le fonctionnement de la société Austrasie était ou non avéré, ses absences répétées lors des assemblées générales important seules, la cour d'appel, qui a méconnu les stipulations statutaires, a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ que, lorsque les juges du fond sont saisis de la régularité d'une résolution prononçant l'exclusion d'un associé, ils doivent vérifier la réalité et la gravité des fautes retenues par l'assemblée générale des actionnaires à l'appui de la mesure d'exclusion litigieuse ; qu'en se bornant à retenir, pour débouter la société Citrus de sa demande d'annulation de la délibération ayant prononcé son exclusion, que la procédure avait été respectée dès lors qu'elle était fondée sur ses absences répétées aux assemblées générales, la cour d'appel, qui n'a pas vérifié la cause de ces absences, et n'a donc pas vérifié la réalité des fautes ainsi retenues à son encontre, a privé sa décision de toute base légale au regard l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°/ que la cour d'appel a constaté qu'à la date d'exclusion de la société Citrus, la société Sigle savait que la cession ne se réaliserait pas aux conditions proposées par M. N... ; qu'en retenant, pour écarter l'existence d'un abus de majorité, que la société Citrus avait été mise en mesure d'exercer son droit de préemption dès lors qu'elle avait eu connaissance des conditions posées par M. N..., la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code ;
4°/ qu'en retenant qu'à la date de son exclusion, la société Citrus, qui n'était pas susceptible d'obtenir l'agrément du constructeur, n'avait aucun intérêt à exercer son droit de préemption, fut-il assorti de conditions plus favorables, la cour d'appel, qui a statué par une motivation inopérante à écarter un abus de majorité de la société Sigle, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code. »
Réponse de la Cour
8. En premier lieu, après avoir relevé que l'article 15 des statuts de la société Austrasie stipule que l'exclusion d'un associé peut être prononcée en cas de désintérêt, se manifestant par une absence répétée aux assemblées générales, l'arrêt constate que la société Citrus n'a pas assisté aux assemblées générales ordinaires des 27 juin 2011, 30 juin 2012, 29 juin 2013 et 27 juin 2014 ni à l'assemblée générale extraordinaire du 29 juin 2013 et retient que les motifs qu'elle invoque, tenant à l'existence d'un litige pendant devant un organisme de médiation et à l'éloignement du lieu de tenue des assemblées, ne permettent pas de légitimer ces absences. De ces seules constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, invoquée par la deuxième branche, a pu déduire, sans méconnaître la loi des parties, que les conditions de fond et de forme prévues par les statuts pour prononcer l'exclusion de la société Citrus étaient réunies.
9. En second lieu, après avoir rappelé qu'il appartient à la société Citrus de démontrer l'existence de l'abus de majorité qu'elle allègue, ce qui suppose de rapporter la preuve d'une décision prise contrairement à l'intérêt social et dans l'unique dessein de favoriser l'actionnaire majoritaire au détriment de la minorité, l'arrêt retient qu'il n'est pas démontré que l'exclusion de la société Citrus, dans les conditions et pour un motif prévus par les statuts, était destinée à priver celle-ci de la possibilité d'exercer son droit de préemption à des conditions plus favorables, cependant qu'il est, par ailleurs, établi qu'à cette date, elle n'était pas susceptible d'obtenir l'agrément du constructeur, la société Renault Trucks, et qu'elle n'avait donc aucun intérêt à exercer ce droit, fût-il assorti de conditions plus favorables.
10. En déduisant de ces constatations et appréciations, rendant inopérant le grief de la troisième branche et faisant ressortir que la décision d'exclusion n'était pas motivée par l'unique dessein de favoriser l'actionnaire majoritaire au détriment de la société Citrus, que celle-ci ne rapportait pas la preuve de l'abus de majorité allégué, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.
10. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.