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CC, 16 septembre 2016, n° 2016-563 QPC

CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Décision

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Michel CHARASSE, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT

CC n° 2016-563 QPC

16 septembre 2016

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 16 juin 2016 par la Cour de cassation (chambre commerciale, arrêt n° 681 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Dominique B., par la SELARL Jean-Pierre Marcille, avocat au barreau de Rouen. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2016-563 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 1843-4 du code civil, « dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 relative au droit des sociétés »

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • le code civil ;
  • la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 modifiant le titre IX du livre III du code civil ;
  • les arrêts de la Cour de cassation du 4 mai 2010 (chambre commerciale, n° 08-20.693), du 15 janvier 2013 (chambre commerciale, n° 12-11.666) et du 16 septembre 2014 (chambre commerciale, n° 13-17.807) ;
  • le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

  • les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 8 juillet 2016 ;
  • les observations présentées pour la SELARL Centre d'imagerie scintigraphique rouennais, partie en défense, par la SCP Potier de la Varde - Buk Lament, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 18 juillet 2016 ;
  • les pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Jean-Pierre Marcille, avocat au barreau de Rouen, pour le requérant, Me Vincent Gacouin, avocat au barreau de Rouen, pour la partie en défense et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 8 septembre 2016 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 1843-4 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 4 janvier 1978 mentionnée ci-dessus dispose : « Dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible »

2. Selon le requérant, il résulte de ces dispositions telles qu'interprétées par la jurisprudence constante de la Cour de cassation que la date d'évaluation des droits sociaux est fixée, en l'absence de dispositions statutaires sur ce point, à la date la plus proche du jour de leur remboursement et non à la date de la perte de la qualité d'associé. Il en résulterait une méconnaissance du droit de propriété et du principe d'égalité devant la loi.

3. En posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à la disposition législative contestée.

4. Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, telle qu'elle ressort des arrêts mentionnés ci-dessus, que les dispositions contestées prévoient que, pour évaluer la valeur des droits sociaux en cas de contestation sur cette dernière, lors d'une cession, d'un retrait ou d'une exclusion, l'expert désigné doit retenir la date la plus proche du remboursement de ces droits sociaux.

- Sur l'atteinte au droit de propriété :

5. Selon le requérant, l'interprétation de la disposition contestée par la Cour de cassation, en ce qu'elle conduit à retenir comme date d'évaluation des droits sociaux non celle à laquelle l'associé les a cédés, s'est retiré ou a été exclu de la société mais celle qui est la plus proche du remboursement de la valeur de ces droits, méconnaît les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. L'atteinte au droit de propriété résulterait du fait qu'entre la décision de sortie de la société et la date retenue pour l'évaluation des droits sociaux, l'associé cédant, retrayant ou exclu, qui ne disposerait plus de ses droits de vote, pourrait se voir imposer une perte de valeur sur laquelle il n'aurait aucune prise.

6. La propriété figure au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789. Selon son article 17 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ». En l'absence de privation du droit de propriété au sens de cet article, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.

7. En premier lieu, les dispositions contestées, telles qu'interprétées par la jurisprudence, ne prévoient pas, en elles-mêmes, la possibilité d'exclure un associé ou de le forcer à céder ses titres ou à se retirer. Elles se bornent à déterminer la date d'évaluation de la valeur des droits sociaux. Elles n'entraînent pas en conséquence de privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789. Le grief tiré de la méconnaissance de cet article doit donc être écarté.

8. En second lieu, le délai qui peut s'écouler, en application de la disposition contestée telle qu'interprétée par la jurisprudence, entre la décision de sortie de la société et la date de remboursement des droits sociaux est susceptible d'entraîner une atteinte au droit de propriété de l'associé cédant, retrayant ou exclu. Toutefois, pendant cette période, l'associé concerné conserve ses droits patrimoniaux et perçoit notamment les dividendes de ses parts sociales. Par ailleurs, cet associé pourrait intenter une action en responsabilité contre ses anciens associés si la perte provisoire de valeur de la société résultait de manœuvres de leur part. Au regard de leur objectif, qui est de permettre une juste évaluation de la valeur litigieuse des droits sociaux cédés, les dispositions contestées ne portent donc pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété. Le grief tiré de la méconnaissance de l'article 2 de la Déclaration de 1789 doit être écarté.

- Sur l'atteinte au principe d'égalité :

9. Selon le requérant, en retenant que la valeur des droits sociaux de l'associé cédant, retrayant ou exclu doit être déterminée en se plaçant à la date la plus proche du remboursement de ceux-ci, les dispositions contestées sont à l'origine d'une différence de traitement sans rapport avec leur objet. Il en résulterait une méconnaissance du principe d'égalité devant la loi.

10. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

11. Les dispositions contestées fixent dans tous les cas, et quelle que soit la nature des sociétés concernées, la date de l'évaluation à celle qui est la plus proche du remboursement des droits sociaux de l'associé cédant, retrayant ou exclu, sauf disposition contraire des statuts. Elles n'introduisent en conséquence aucune différence de traitement. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi doit donc être écarté.

12. L'article 1843-4 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 4 janvier 1978, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er.- L'article 1843-4 du code civil dans sa rédaction résultant de la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 modifiant le titre IX du livre III du code civil est conforme à la Constitution.

Article 2.- Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.