Cass. com., 30 septembre 2020, n° 18-24.947
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme de Cabarrus
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Richard
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 13 septembre 2018), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 25 janvier 2017, pourvoi n° 15-14.754), la Selarl Laboratoire d'analyses de biologie médicale des Carmes (la société), devenue la société [...] , avait pour associés MM. I..., D..., Q..., U..., Mme H... et la société JMC Finances. Ayant été exclue de la société par une décision d'assemblée générale extraordinaire du 30 septembre 2009, Mme H... a assigné MM. I..., D..., Q... et U... et la société pour demander l'annulation de son exclusion et la réparation de son préjudice en résultant.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa dixième branche, et le second moyen, ci-après annexés
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le premier moyen, pris en ses neuf premières branches
Enoncé du moyen
3. Mme H... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à voir constater la nullité de son exclusion en qualité d'associée, ses demandes relatives à ses droits à dividendes, ses demandes pécuniaires relatives aux conséquences de son exclusion et ses demandes indemnitaires en découlant alors :
« 1°/ que l'associé exerçant au sein d'une société d'exercice libéral mentionnée à l'article R. 6212-72 du code de la santé publique peut en être exclu, soit lorsqu'il est frappé d'une mesure disciplinaire entraînant une interdiction d'exercice ou du droit de donner des soins aux assurés sociaux, égale ou supérieure à trois mois, soit lorsqu'il contrevient aux règles de fonctionnement de la société ; qu'en décidant en l'espèce que la décision d'exclusion de Mme H... de la société était justifiée, sans constater ni préciser à quelles "règles de fonctionnement de la société" Mme H... avait contrevenu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 6212-86 du code de la santé publique, devenu R. 6223-66 du même code ;
2°/ qu'en l'absence de dispositions légales, réglementaires ou statutaires en ce sens, l'absence d'investissement personnel d'un associé dans le fonctionnement d'une société ne suffit pas à caractériser un manquement aux règles de fonctionnement de la société justifiant son exclusion ; qu'en retenant cependant en l'espèce, pour justifier l'exclusion de Mme H... de la société, que "l'activité de Mme H... au sein de la société se limitait exclusivement à l'exercice de son activité professionnelle de biologie de la reproduction à raison de 22 h par semaine" et que "hormis l'exercice de son activité professionnelle spécifique, rien ne permet de justifier de la participation active de Mme H... à la vie sociale dans l'intérêt commun", la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a violé l'article R. 6212-86 du code de la santé publique, devenu l'article R. 6223-66 du même code ;
3°/ que la cour d'appel a constaté qu'aux termes des protocoles des 6 octobre 2003 et 28 juin 2006, partiellement repris dans les statuts de la société et dans son règlement intérieur, qu'elle bénéficiait de conditions particulières d'exercice, d'astreinte et de rémunération, Mme H... exerçait exclusivement une activité relative à la biologie de la reproduction, et était "dispensée d'astreintes et gardes", moyennant toutefois un rémunération "inférieure d'1/3 à celles des autres associés" ; qu'en retenant dès lors, pour justifier l'exclusion de Mme H... de la société, un investissement insuffisant de celle-ci dans la société par rapport aux autres associés, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1134 du code civil, devenu l'article 1103 du même code ;
4°/ que la cour d'appel a constaté que le procès-verbal d'assemblée générale du 25 mars 2008 établissait que Mme H... avait émis le souhait de consacrer ses après-midi à une activité de gérance, qu'elle avait vainement sollicité que soit défini son rôle dans le laboratoire K..., aucune réponse ne lui ayant été apportée par les autres associés ; qu'il résultait de ces constatations que Mme H..., pleinement investie dans ses fonctions professionnelles spécifiques historiques, entendait également s'investir dans la gérance de la société ; qu'en retenant cependant à l'encontre de Mme H..., pour justifier son exclusion, et qu'elle n'avait pas pris d'elle-même l'initiative d'assumer ses fonctions de gérance en sa qualité d'associé-cogérante sans avoir à attendre que ses fonctions soient définies par ses associés, la cour d'appel a violé l'article L. R. 6212-86 du code de la santé publique, devenu l'article R. 6223-66 du même code ;
5°/ que l'exercice par Mme H... de sa seule spécialité relative à la biologie de la reproduction au sein de la société, son refus temporaire d'assurer des fonctions de direction du laboratoire, ainsi que la présentation de diverses propositions de résolution finalement rejetées lors d'une assemblée générale ne caractérisent pas un quelconque manquement aux règles de fonctionnement de la société ; qu'en statuant par de tels motifs inopérants pour justifier l'exclusion de Mme H... de la société, la cour d'appel a derechef violé l'article R. 6212-86 du code de la santé publique, devenu l'article R. 6223-66 du même code ;
6°/ que l'article R. 4127-77 du code de la santé publique dispose qu'il est du devoir du médecin de participer à la permanence des soins dans le cadre des lois et des règlements qui l'organisent ; que le texte n'impose pas au médecin d'organiser la permanence des soins en interne ; que la cour d'appel a constaté que les associés de Mme H... proposaient que le remplacement de cette dernière soit assuré par Mme S..., pharmacien biologiste disposant du certificat de biologie de la reproduction travaillant au sein du laboratoire, laquelle devait solliciter son agrément auprès de l'agence de la biomédecine ; que Mme H... a refusé cette proposition au motif que Mme S... n'était pas médecin et préféré organisé son remplacement par un recours à un intervenant extérieur en signant une convention le 3 mars 2008 avec le CHU de Caen– Laboratoire de fécondation in vitro portant sur la permanence de l'activité de préparation en sperme en vue d'insémination intra conjugale au [...] lors des absences de Mme H... ; qu'en retenant cependant à l'encontre de Mme H..., pour justifier son exclusion, qu'elle n'avait pas organisé son remplacement en interne, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas et a violé l'article R. 4127-77 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la cause ;
7°/ qu'en retenant, pour justifier l'exclusion de Mme H..., qu'elle n'avait pas organisé son remplacement en interne et avait unilatéralement décidé d'organiser son remplacement par un recours à un intervenant extérieur et à titre onéreux, ce qui n'aurait pas été conforme à l'intérêt social, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants, le recours à un intervenant extérieur pour assurer la permanence des soins n'étant pas en soi un acte contraire à l'intérêt social et ne suffisant pas, en toute hypothèse, à caractériser un manquement aux règles de fonctionnement de la société justifiant une exclusion ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article R. 4127-77 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la cause, ensemble l'article R. 6212-86 du code de la santé publique, devenu l'article R. 6223-66 du même code ;
8°/ que la saisine par Mme H... du juge des référés pour tenter d'obtenir l'affectation à son service PMA d'une technicienne, ne suffit pas à caractériser un manquement aux règles de fonctionnement de la société justifiant son exclusion ; qu'en retenant cependant en l'espèce, pour justifier l'exclusion de Mme H... de la société, qu'"il n'est pas davantage conforme à l'intérêt social d'exiger du personnel supplémentaire en judiciarisant les relations entre associés à cette fin alors que l'activité de biologie de la reproduction est en décroissance", la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants et a violé l'article R. 6212-86 du code de la santé publique, devenu l'article R. 6223-66 du même code ;
9°/ que le seul fait d'avoir interrogé la DDASS pour vérifier si le laboratoire fonctionnait en conformité avec les dispositions légales et réglementaires, sans avoir informé préalablement ses associés de cette démarche, "quand bien même le fonctionnement aurait-il été illégal" (sic) ne suffit pas à caractériser un manquement aux règles de fonctionnement de la société justifiant son exclusion ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article R. 6212-86 du code de la santé publique, devenu l'article R. 6223-66 du même code. »
Réponse de la Cour
4. L'arrêt énonce que, selon l'article R. 612-86 du code de la santé publique, l'associé exerçant dans une société d'exercice libéral mentionnée à l'article R. 6212-72 du même code peut être exclu lorsqu'il contrevient aux règles de fonctionnement de la société, et précise que ces règles, qui doivent être respectées par chacun de ses membres associés professionnels, gérants exerçant en son sein, sont, d'une part, toute règle légale relevant du droit des sociétés auquel renvoie l'article 1er, alinéa 4, des statuts, tout texte réglementaire applicable aux sociétés d'exercice libéral de directeurs de laboratoires de biologie médicale, toute règle légale relevant du droit de la biologie médicale inclus notamment dans le code de la santé publique, d'autre part, toute disposition déontologique, et, enfin, les accords contractuels spécifiques, protocoles, statuts, règlement intérieur, convenus entre les parties, susceptibles de déroger aux dispositions légales et réglementaires qui ne sont pas d'ordre public.
5. Constatant que Mme H... avait trois qualités au sein de la société, associée professionnelle à parts égales avec ses coassociés, cogérante et directrice d'un site du laboratoire, l'arrêt retient que, si l'article 2.3 des statuts stipule que « sauf cas exceptionnel et avec son accord, Mme H... ne sera pas tenue d'effectuer les permanences (gardes, etc...) et/ou les sujétions des autres secteurs d'activité en dehors de la biologie de la reproduction » et que cette dérogation justifie que sa rémunération en sa qualité de cogérant soit inférieure d'un tiers à celle des autres cogérants, ces modalités d'exercice dérogatoires reconnues statutairement ne la dispensent toutefois pas de se comporter comme une associée soucieuse de l'intérêt social ni d'assurer la direction effective d'un laboratoire et de participer à la gestion de la société.
6. L'arrêt relève ensuite que l'article 14 des statuts de la société stipule que « les gérants doivent consacrer aux affaires sociales le temps et les soins nécessaires à leur bonne marche » et qu'« Afin de permettre une gestion harmonieuse des secteurs non techniques de la société, chacun des gérants s'obligera à prendre en charge l'un, au moins, des secteurs suivants dont la liste n'est pas limitative : matériel roulant, téléphonie, informatique, comptabilité, services généraux, relations avec les tutelles, etc. », ajoutant que l'article 9 du règlement intérieur stipule que : « (a) En application des dispositions de l'article R. 6212-85 du code de la santé publique, chaque laboratoire exploité par la SELARL est dirigé par un directeur de laboratoire d'analyses de biologie médicale, associé au capital social de la SELARL et participant effectivement à la gestion de la société. Cette direction effective implique, pour chacun des associés gérants, d'assurer le bon fonctionnement du laboratoire où il exerce, en veillant à l'harmonie des relations des salariés, à l'approvisionnement en produits, à la conformité des pratiques au GBEA et à la Politique Qualité de la SELARL, ainsi qu'au respect des obligations légales, réglementaires, conventionnelles ou imposées par les autorités de tutelle. Il s'assure de la rentabilité du laboratoire (par la surveillance, notamment de tableaux de bord) et du respect des contrats avec les fournisseurs ainsi qu'à leurs échéances. / (b) Chacun des gérants s'oblige à prendre en charge, pour la SELARL, un ou plusieurs secteurs techniques et un ou plusieurs services administratifs. »
7. L'arrêt retient ensuite qu'à la date de l'assemblée générale du 25 mars 2008, l'activité de Mme H... au sein de la société se limitait exclusivement à l'exercice de son activité professionnelle de biologie de la reproduction à raison de 22 heures hebdomadaires, sans qu'elle ne consacre de temps à ses mandats d'associée-cogérante-directrice de laboratoire, et que Mme H... ne fait état d'aucune mission dont elle se serait chargée dans l'intérêt commun. Il retient encore que si Mme H... a proposé, lors de cette assemblée générale, de consacrer ses après-midi à une activité de gérance, elle ne peut se retrancher derrière l'absence de réponse à cette proposition dès lors qu'associée à parts égales de la société et directrice du laboratoire [...], elle est censée savoir en quoi consiste le travail de gérance, sans attendre que ce travail lui soit défini par ses coassociés et cogérants, ce d'autant que si la gérance du site ne lui incombait pas lorsqu'elle en était salariée, elle était en mesure de connaître les missions d'un gérant, et qu'une fois chargée de la gérance, il lui incombait de s'enquérir des fonctions du gérant sans attendre que ses coassociés et cogérants lui proposent de lui confier tel ou tel secteur technique ou administratif.
8. Enfin, l'arrêt retient qu'en ne soumettant pas à l'approbation de ses associés l'accord qu'elle a signé avec le CHRU de Caen le 3 mars 2008 portant « sur la permanence de l'activité de préparation de sperme en vue d'insémination intra conjugale au [...] lors des absences de Mme H... », cette dernière a violé l'article 14 des statuts.
9. De ces énonciations, constatations et appréciations, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les sixième, septième, huitième et neuvième branches, la cour d'appel a pu déduire que Mme H... avait contrevenu aux règles de fonctionnement de la société, qu'elle a précisément identifiées, de sorte que l'exclusion de Mme H... était justifiée.
10. Par conséquent, le moyen, pour partie inopérant, n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.