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Décisions

CA Rouen, ch. civ. et com., 21 juin 2018, n° 16/05941

ROUEN

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Coopérative Métropolitaine D'entreprise Générale (SA)

Défendeur :

Protec Feu Risques Spéciaux (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brylinski

Conseillers :

Mme Bertoux, Mme Mantion

T. com Rouen, du 22 janv. 2016

22 janvier 2016

FAITS ET PROCEDURE,

La société Protec Feu Risques Spéciaux (PFRS) exerçant sous l'enseigne Uxello, propose des solutions de protection incendie. Elle fait partie du groupe Vinci.

Le 9 août 2013, elle s'est vu confier par la société Coopérative Métropolitaine d'Entreprise Générale (CMEG) entreprise générale de bâtiment titulaire d'un marché conclu avec la société Valorcaux maître d'ouvrage, la réalisation du système de lutte contre l'incendie d'un centre d'ordures ménagères situé à Brametot (76), pour un montant de 358 000 € HT, sous la maîtrise d'oeuvre du cabinet M..

Un échange de correspondances a lieu concernant des modifications techniques entraînant des modifications du CCTP et des surcoûts.

La société CMEG, par courriel du 17 octobre 2013, a confirmé à la société PFRS que le maître d'ouvrage ne l'a pas agréée comme sous-traitant et qu'a priori il ne souhaite pas le faire ; le cabinet M., maître d'œuvre, par courrier adressé à la société CMEG le 5 novembre 2013, a refusé le dossier de sous-traitance de la société PFRS.

La société CMEG a retransmis ce courrier le 8 novembre 2013 à la société PFRS et, en conséquence, lui a confirmé la résiliation de plein droit du contrat de sous-traitance conformément aux conditions générales (art. 2-1).

La société PFRS, le 26 novembre 2013, a présenté un mémoire de réclamation d'un montant de 159 835,09 € HT à la société CMEG qui, le 9 janvier 2014, lui a refusé toute indemnisation.

La société PFRS, par acte signifié le 20 octobre 2014, a fait assigner la société CMEG devant le tribunal de commerce de Rouen afin de notamment, d'obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 216 274 €.

Le tribunal de commerce de Rouen, par jugement rendu le 22 janvier 2016, a :

- jugé que la résiliation est du fait du maître d'œuvre et que ses conséquences ne peuvent relever de la loi relative à la sous-traitance ;

- condamné la société CMEG à payer à la société PFRS la somme de

18 800€ HT avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 26 novembre 2013 ;

- condamné la société CMEG à payer à la société PFRS la somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la société PFRS de ses autres demandes ;

- condamné la société CMEG aux entiers dépens.

La société CMEG a interjeté appel de ce jugement et, aux termes de ses dernières conclusions en date du 3 avril 2018, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens développés en appel, demande à la cour de :

- la recevoir en son appel, le dire bien fondé ;

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rouen le 22 janvier 2016 en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société PFRS une somme de 18 800 € HT, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 26 novembre 2013 ;

- débouter la société PFRS de son appel incident ;

Statuant à nouveau,

- débouter purement et simplement la société PFRS de l'ensemble de ses demandes ;

- constater l'absence de faute, de lien de causalité avec un prétendu préjudice, et de justificatifs d'un préjudice ;

- condamner la société PFRS à payer à la société CMEG la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens.

La société PFRS, aux termes de ses dernières conclusions en date du 9 mars 2018, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé détaillé des moyens développées en appel, demande à la cour de :

- confirmer le jugement en date du 22 janvier 2016 du tribunal de commerce de Rouen en ce qu'il a jugé que la résiliation était du fait du maître d'oeuvre et que ses conséquences ne peuvent relever la loi sur la sous-traitance ;

- infirmer le jugement en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts accordés à la société PFRS ;

Statuant à nouveau,

- condamner la société CMEG à payer à la société PFRS la somme de

233 751,92€ ainsi décomposée en réparation de son préjudice :

Dépenses engagées pour la réalisation de l'affaire 53 235, 01 €

Dépenses engagées pour obtenir le contrat 14 970, 00 €

Manque à gagner sur l'affaire 13 400, 00 €

Chômage partiel montage et atelier 72 280, 22 €

Sous activité responsable d'affaire 5 564, 00 €

Non absorption des frais généraux 56 452, 69 €

Perte de clients potentiels 15 000, 00 €

Perte de contrat de maintenance 2 850, 00 €

Montant total 233 751, 92 €

- condamner la société CMEG à payer à la société PFRS la somme de 5 000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société CMEG aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Vincent B.-P..

DISCUSSION

Le 2 mai 2013, la société CMEG a transmis le dossier d'agrément du sous-traitant au maître d'oeuvre afin que celui-ci soit accepté.

Le 9 août 2013 les parties ont signé un contrat de sous-traitance dont l'article 2-1 des conditions générales stipule que 'Avant l'exécution des travaux objet du présent contrat, l'entrepreneur principal, conformément à l'article 3 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, doit faire accepter le sous-traitant et faire agréer ses conditions de paiement par le maître de l'ouvrage. Il informe le sous-traitant de la décision prise par le maître de l'ouvrage.

Lorsque le sous-traitant n'aura pas été accepté ni les conditions de paiement agréées par le maître de l'ouvrage, l'entrepreneur principal sera néanmoins tenu envers le sous-traitant mais ne pourra invoquer le contrat de sous-traitance à l'encontre du sous-traitant.

Le présent contrat est résilié de plein droit en cas de refus d'acceptation du sous-traitant ou d'agrément de ses conditions de paiement par le maître de l'ouvrage'.

Par mail en date du 17 octobre 2013, la société CMEG l'ayant informée par mail du 17 octobre 2013 que le maître d'ouvrage ne l'avait pas agréée comme sous-traitant, la société PFRS a demandé un document officiel de suspension ou de résiliation du contrat; le cabinet M., par courrier du 5 novembre 2013, a informé la société CMEG de son refus de retenir le sous-traitant PFRS au motif que sa proposition technique n'est pas adaptée au projet ; la société CMEG a retransmis ce courrier à la société PFRS le 8 novembre 2013, lui faisant également part de la résiliation de plein droit du contrat de sous-traitance conformément aux dispositions de l'article 2-1 des conditions générales.

La société PFRS fait principalement valoir qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975, le refus d'agrément doit émaner du maître d'ouvrage et non du maître d'oeuvre comme en l'espèce, si bien que celui-ci n'est pas valide et que la société CMEG doit être tenue de l'indemniser de son préjudice en application des dispositions de l'article 1794 du code civil.

La société CMEG fait principalement valoir qu'en transmettant le refus d'agrément, elle a simplement agi en porte-parole du maître de l'ouvrage et de son conseil.

L'agrément ou le refus d'agrément peut valablement émaner d'un mandataire du maître d'ouvrage ayant reçu mission de maître d'œuvre ; en conséquence, il importe peu que le courrier signifiant à la société PFRS qu'elle n'était pas agréée ait été adressé par le maître d'œuvre, alors qu'il ressort d'un compte-rendu de réunion en date du 8 octobre 2013 que la société Valor'Caux y avait indiqué ne pas vouloir de Protec-Feu en qualité de sous-traitant, de sorte qu'il est établi que le maître d'ouvrage refusait l'agrément.

En conséquence, le contrat de sous-traitance doit être considéré comme résilié de plein droit, de sorte que les dispositions de l'article 1794 du code civil relatives à la résiliation unilatérale du marché à forfait ne sont pas applicables.

La résiliation dans ces conditions ne pouvant être considérée comme fautive, la société PFRS ne peut être accueillie en sa demande en paiement de dommages et intérêts au titre manque à gagner sur l'affaire, chômage partiel montage et atelier, sous activité responsable d'affaire, non absorption des frais généraux, perte de clients potentiels, perte de contrat de maintenance.

Aux termes de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975, reprises dans le contrat de sous-traitance, lorsque le sous-traitant n'aura pas été accepté ni les conditions de paiement agréées par le maître de l'ouvrage, l'entrepreneur principal sera néanmoins tenu envers le sous-traitant mais ne pourra invoquer le contrat de sous-traitance à l'encontre du sous-traitant.

Il ne peut être reproché à la société CMEG d'avoir commis une faute en s'abstenant de s'assurer de l'acceptation de l'agrément et des conditions de paiement de la société PFRS par le maître de l'ouvrage avant qu'il soit procédé aux études d'exécution préparatoires aux travaux, dès lors que c'est bien d'un commun accord, suite aux échanges des différentes parties, que les études d'exécution préparatoires aux travaux ont débuté.

Mais la conséquence du défaut d'agrément étant la résiliation du contrat de sous-traitance, et non sa résolution ou son annulation, elle ne produit d'effet que pour l'avenir ; il en résulte que la société PFRS peut demander paiement des prestations qu'elle a pu réaliser postérieurement à la signature du contrat de sous-traitance pour le compte de la société CMEG titulaire du marché principal, que ce soit pour finaliser l'étude des spécifications techniques en fonctions des demandes du maître d'ouvrage ou pour le début d'exécution.

A l'appui de sa demande au titre de ses prestations postérieures à la signature de son contrat de sous-traitance, la société PFRS produit aux débats, notamment :

- 25 courriels se rapportant aux demandes du maître d'œuvre ou de la société CMEG, d'adaptation par la société PFRS de ses plans de mise en œuvre ;

- les comptes rendus de chantier attestant de la présence de la société PFRS

- une lettre du 25 juillet 2013 de la société PFRS adressant à l'entreprise principale un devis correspondant à une nouvelle demande en cours de chantier ;

- un mail de la société PFRS en date du 4 octobre 2013 adressant à la société CMEG la décomposition du prix global forfaitaire afin de tenir compte des modifications et adaptations demandées en cours de chantier ;

- 8 plans établis entre août et septembre 2013 par la société PFRS pour l'exécution de ses prestations contractuelles ;

- la note de calcul hydraulique établie le 15 septembre 2013 ;

- un plan de cheminement de tuyauterie et d'emplacement du conteneur ;

- la facture du détendeur.

Les comptes rendus de réunion produits par la société CMEG ne font état d'aucun travail réellement effectué par la société PFRS mais simplement de discussions techniques, dont des divergences importantes portant notamment sur le calcul de la cuve contesté par M. M., et qui sont à l'origine du refus d'agrément.

La société PFRS ne rapporte pas la preuve suffisante d'un travail effectif de nature à justifier la somme de 53 235,01 € au titre de travaux d'exécution du contrat ; il sera fait droit à sa demande en paiement à hauteur de la somme de

5 400 € HT, correspondant à la facturation qu'elle avait établie au titre de l'avancement de ses prestations le 18 octobre 2013, lendemain de la date à laquelle elle a été informée de son refus d'agrément.

En revanche la société CMEG ne saurait être tenue au paiement de dépenses liées aux études et travaux de la société PFRS à l'appui de sa candidature et pour obtenir le contrat de sous-traitance, qui correspondent à des dépenses normales auxquelles s'expose une société concourant à un appel d'offre et dont l'entrepreneur principal n'a pas à répondre.

La société PFRS est en conséquence mal fondée en sa demande en paiement de la somme de 14 970 €.

En considération de l'ensemble de ces éléments, la société CMEG sera condamnée à payer à la société PFRS la somme de 5 400 € HT en principal, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 26 novembre 2013 ; le jugement sera réformé en ce sens.

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux indemnités de procédure et dépens de première instance ; en cause d'appel chacune des parties succombant partiellement en ses prétentions conservera la charge de ses frais et dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la résiliation est du fait du maître d'œuvre et que ses conséquences ne peuvent relever de la loi relative à la sous-traitance ;

Condamné la société CMEG à payer à la société PFRS la somme de 18 800€ HT avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 26 novembre 2013 ;

Confirme le jugement entrepris pour le surplus ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et, y ajoutant,

Dit que le contrat de sous-traitante est résilié conformément à l'article 3 alinéa 2 de la loi du 31 décembre 1975 et à l'article 2-1 alinéa 3 des conditions générales du contrat de sous-traitance ;

Condamne la société CMEG à payer à la société PFRS la somme de

5 400 € HT au titre de la facture d'acompte en date du 18 octobre 2013, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 26 novembre 2013 ;

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ;

Dit que chacune des parties conservera la charge des frais et dépens par elle exposés en cause d'appel.