Cass. crim., 21 novembre 2001, n° 00-87.532
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
M. Challe
Avocat général :
M. Chemithe
Avocat :
SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 485, 486, 398, 512, 592 et 593 du Code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué mentionne que la juridiction était composée lors des débats et du délibéré de M. Mauri, président, et de MM. Grafmuller et Ros, conseillers, puis, lors du prononcé, de M. Fey, président, et de MM. Stoltz et Ros, conseillers, tandis qu'il a été prononcé publiquement le 10 octobre 2000 par la cour d'appel sans autre précision ;
" alors que ne met pas la Cour de Cassation en mesure d'exercer son contrôle sur la régularité de la composition de la juridiction l'arrêt attaqué qui fait état, pour l'audience des débats et celle de son prononcé, de deux compositions différentes sans mentionner une reprise des débats et sans indiquer qu'il a été prononcé, comme l'exige la loi, par le seul des magistrats ayant participé aux débats et au délibéré " ;
Attendu que les mentions de l'arrêt attaqué mettent la Cour de Cassation en mesure de s'assurer que les mêmes magistrats ont participé aux débats et au délibéré et que l'arrêt a été lu par l'un d'eux, en application de l'article 485 du Code de procédure pénale ;
Que, dès lors le moyen ne peut être admis ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 432-12 du nouveau Code pénal, L. 2, L. 4, L. 36 et L. 52 du Code des domaines de l'Etat, L. 311-1 et suivants du Code des communes, de la loi du 5 janvier 1988, de l'arrêté du 1er septembre 1955, des articles L. 121 du nouveau Code pénal et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :
" en ce que l'arrêt attaqué a retenu l'administrateur d'un Port autonome (Louis-Kotra X..., le demandeur) dans les liens de la prévention du chef de prise illégale d'intérêt, en répression l'a condamné à une peine d'emprisonnement de trois mois avec sursis et à une amende de 600 000 FCFP ;
" aux motifs que le Port autonome de Nouvelle-Calédonie était un établissement public et commercial chargé d'assurer l'administration, l'entretien et l'exploitation du Port de Nouméa ; que son administration était assurée par un conseil d'administration (CA) comportant dix-huit membres dont six étaient élus et les autres désignés par l'exécutif du territoire ; que le demandeur, membre du CA depuis plusieurs années, avait été désigné par l'exécutif du territoire ; qu'il était par ailleurs détenteur du quart du capital de la société STILES et se comportait en fait comme son gérant ; qu'à ce titre, par courrier du 22 août 1997, adressé au directeur du Port autonome, il avait demandé une remise gracieuse des redevances dues par la société STILES pour la location de docks et bureaux ; que, le 3 décembre 1997, la commission des finances du Port autonome avait décidé de proposer au CA de donner à suite à cette demande ; que le demandeur n'était pas présent à cette réunion ; que le 19 décembre 1997 le CA s'était réuni pour examiner parmi d'autres questions à l'ordre du jour le projet de budget 1998 ; qu'après l'exposé de la proposition de la commission des finances relative à la demande du demandeur, il était mentionné page 10 du procès-verbal de réunion l'arrivée de celui-ci, suivie page 12 du vote du conseil approuvant l'ensemble des travaux de la commission des Finances ; que huit des dix-huit membres du CA avaient témoigné que le demandeur était présent au moment du vote et qu'il avait participé à ce vote, les autres ne se rappelant pas des conditions de sa participation au vote ; qu'aucun n'avait soutenu qu'il se serait délibérément abstenu ou aurait quitté la salle ; que le demandeur maintenait être sorti à l'invitation du président du CA pendant que la demande de la STILES était examinée et avoir été rappelé sur l'invitation du président qui lui avait annoncé que la requête était acceptée ; que, selon le demandeur, le vote global était purement formel puisque la décision était prise déjà d'intégrer la remise de dette de la STILES dans le chapitre du budget soumis au vote ; que le président du CA niait que le demandeur eût été invité à sortir puis à rentrer dans la salle mais admettait avoir pu, au moment où ce dernier arrivait, lui annoncer que sa demande de remise gracieuse était acceptée ; que cependant le Port autonome de Nouméa était un établissement public à caractère industriel et commercial qui gérait des fonds publics provenant des produits et taxes autorisés par le congrès du territoire ainsi que de subventions de l'Etat, du territoire ou de collectivités publiques ; que selon l'article 3 des statuts du Port autonome les immeubles existant à l'intérieur du périmètre de l'établissement restaient la propriété soit du territoire, soit de l'Etat, soit de la province, soit de la commune, qu'il s'ensuivait que les locaux loués à la STILES par le Port autonome dépendant de ses immeubles relevait non du domaine privé du Port mais du domaine public (sic) ; qu'en l'espèce, s'agissant de la gestion d'immeubles dépendant du domaine public, l'action du Port autonome ne pouvait que s'inscrire dans le cadre d'une mission de service public ; qu'il s'ensuivait que les membres du CA participant à cette action exerçaient une mission de service public ;
que le délit prévu et puni par l'article 432-12 du Code pénal était constitué dès lors que la personne chargée d'une mission de service public recevait un intérêt quelconque dans une entreprise ou une opération dont elle avait au moment de l'acte en tout ou partie la charge d'assurer la surveillance ou l'administration ; que l'infraction de prise illégale d'intérêt était caractérisée dès lors que son auteur avait pris part à la préparation de la décision ou qu'il était investi de prérogatives partagées avec d'autres ; que le demandeur, au nom de la société STILES dont il était actionnaire et gérant de fait, avait sollicité le 22 août 1997 du CA du Port autonome dont il était membre une remise gracieuse des redevances dues ; qu'il avait participé à la réunion du CA du 19 décembre 1997 au cours de laquelle cette question avait été évoquée et avait participé au vote accordant cette remise gracieuse ainsi que cela ressortait des déclarations des huit membres du conseil d'administration présents, peu important qu'il n'eût pas participé à la discussion précédant ce vote ou que ce vote n'eût été que formel ;
" alors que, d'une part, l'Etat, les communes et, d'une façon générale, toutes les collectivités publiques sont propriétaires de biens qui peuvent faire partie soit de leur domaine public soit de leur domaine privé ; qu'en retenant que le demandeur était chargé d'une mission de service public au sens de l'article 432-12 du nouveau Code pénal dès lors que, selon l'article 3 des statuts du Port autonome de Nouvelle-Calédonie, les immeubles existant à l'intérieur du périmètre de l'établissement restaient la propriété soit du territoire, soit de l'Etat, soit de la province, soit de la commune, et relevaient par conséquent du domaine public et non du domaine privé, la cour d'appel a érigé en principe que l'Etat, les communes, les collectivités publiques ne pouvaient être propriétaires que de biens faisant partie du domaine public ;
" alors que, d'autre part, après avoir admis que le demandeur était absent lors de la réunion du 3 décembre 1997 au cours de laquelle la commission des finances du Port autonome avait proposé d'accorder la remise sollicitée par la société STILES, qu'il était également absent lorsque au cours de la réunion du 19 décembre 1997 le conseil d'administration du Port autonome avait examiné cette proposition qu'il n'était arrivé qu'après, et que le président du CA avait lui-même reconnu qu'au moment où il était arrivé à cette réunion, il lui avait annoncé que la demande de remise gracieuse était acceptée, la cour d'appel ne pouvait lui faire reproche d'avoir participé au vote du budget global en affirmant que peu importait que celui-ci n'eût été que purement formel, en d'autres termes inutile, sans préciser en quoi cette dernière circonstance importait peu, alors même qu'il résultait de ses constatations que la décision d'accorder une remise à la société STILES était antérieure à ce vote ;
" alors que, enfin, il n'y a point de délit sans intention de le commettre ; que la cour d'appel ne pouvait s'abstenir de caractériser l'intention délictueuse qui aurait été celle du demandeur qui la contestait formellement " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Louis-Kotra X..., membre du conseil d'administration du Port autonome de Nouméa, désigné à cette fonction par l'organe exécutif du territoire de la Nouvelle-Calédonie, a sollicité de ce conseil, au nom de la Société de transport des îles, dont il était actionnaire et gérant de fait, et qui louait une partie des docks et bureaux du Port autonome, la remise gracieuse des redevances impayées en 1996 et 1997 s'élevant à 2 930 000 FCFP ; que cette remise de dettes lui a été accordée ;
Attendu que, pour déclarer Louis-Kotra X... coupable de prise illégale d'intérêts, les juges retiennent que le Port autonome de Nouméa est un établissement public à caractère industriel et commercial auquel a été confiée une mission d'intérêt général qui gère des fonds publics provenant des produits et taxes autorisés par le Congrès du Territoire ; qu'ils énoncent que les Ports autononomes assurent concurremment une mission de service public et une activité de nature industrielle et que le conseil d'administration, organe essentiel de décision de ces établissements, a concurremment en charge ces deux fonctions ; qu'ils relèvent que l'intéressé a participé à la réunion du 22 août 1997, au cours de laquelle a été évoquée la question de la remise gracieuse des redevances et au vote émis par le conseil d'administration, dans sa séance du 19 décembre 1997, accordant cette mesure, peu important qu'il n'ait pas pris part à la discussion précédant ce vote ou que celui-ci n'ait été que formel ;
Attendu qu'en l'état de ces seuls motifs, procédant de son appréciation souveraine, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Qu'en effet, un membre du conseil d'administration d'un Port autonome, établissement public à caractère industriel et commercial, doit être regardé comme une personne chargée d'une mission de service public, au sens de l'article 432-12 du Code pénal ;
Que, par ailleurs, l'intention coupable est caractérisée par le seul fait que l'auteur a accompli sciemment l'acte constituant l'élément matériel du délit reproché ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.