Cass. crim., 14 décembre 2005, n° 05-83.898
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
Mme Labrousse
Avocat général :
M. Davenas
Avocat :
SCP Waquet, Farge et Hazan
Vu le mémoire et les observations complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 111-4, 121-3 et 432-12 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale et défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Bernard X... coupable du délit de prise illégale d'intérêts pour avoir fait adopter par le conseil d'administration de l'hôpital local de Saint-Galmier, en sa qualité de directeur de cet établissement, le principe et les modalités de financement sur le budget hospitalier de travaux de construction et d'aménagement de sa villa personnelle ;
"aux motifs que "le conseil d'administration qui était composé de personnalités se reposant sur la capacité professionnelle de Bernard X..., a adopté par une délibération prise le 6 octobre 1998, sur la proposition de ce dernier, le principe de la réalisation de travaux de rénovation du logement de fonction sis à Saint-Galmier pour un montant de 500 000 francs ; ( ) que le conseil d'administration de l'hôpital, à qui Bernard X... a fait part de la nécessité de disposer d'un deuxième logement de fonction, a approuvé au cours de sa réunion du 12 octobre 1999 les devis qu'il avait fait établir pour sa villa en cours de construction et qui concernaient la viabilité, l'alimentation électrique, divers équipements de carrelage et sanitaires ; que, de par son intervention dans la préparation et l'exécution des décisions du conseil d'administration de l'établissement hospitalier, il doit être considéré comme ayant la charge de l'administration, de la surveillance, de la liquidation ou des paiements de ces opérations ; ( ) que Bernard X..., en tant qu'ordonnateur, a établi les mandats correspondant aux factures de travaux réalisés dans sa maison et les a transmis au percepteur pour paiement ( ) ; que certains de ces paiements étaient imputés sur le budget de fonctionnement de l'hôpital, alors que d'autres étaient inclus dans le marché public de rénovation de la Maison d'accueil des personnes âgées ; ( ) que Bernard X... a ainsi personnellement bénéficié de la somme de 303 937,10 francs, à titre de contribution à l'aménagement de la cuisine, de la salle de bains, aux installations électriques et à la viabilité de sa nouvelle demeure ; ( ) que Bernard X... a agi en parfaite connaissance de cause, n'ignorant pas, compte tenu de sa longue expérience de la fonction publique, que des travaux effectués au sein d'une propriété privée ne peuvent être financés par des fonds publics ; qu'il a, ce faisant, créé une interférence entre son intérêt privé et des affaires concernant la collectivité publique ;
"alors, d'une part, que le délit de prise illégale d'intérêts requiert que le prévenu ait, au moment de l'acte, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement de l'opération dans laquelle il avait un intérêt ; que le simple fait de soumettre des devis de travaux à l'approbation du conseil d'administration d'un établissement hospitalier et de mandater les paiements correspondant aux factures de travaux ne peut suffire à établir que le directeur de l'hôpital avait la charge de la surveillance, de l'administration ou du paiement desdits travaux, dès lors que l'opération a été initiée par le président du conseil d'administration de l'hôpital et décidée par ce conseil, et que les paiements ont été effectués par le percepteur de l'établissement ;
"alors, d'autre part, qu'une décision pénale doit caractériser sans insuffisance ni contradiction de motifs, en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit dont elle déclare le prévenu coupable ; que l'arrêt relève que le prévenu " rappelle qu'il ne disposait plus du logement de fonction de l'hôpital ; qu'il pensait pouvoir compenser cette perte d'avantages par la prise en charge d'une quote-part des frais d'aménagement de son domicile, sachant qu'il s'était engagé à reverser totalement ou partiellement cette somme en cas de départ " ; que Bernard X... établissait ainsi qu'il n'avait pas eu conscience d'enfreindre la loi pénale lors de l'accomplissement des faits litigieux ; qu'en se bornant, pour caractériser l'élément intentionnel du délit, à affirmer que le prévenu ne pouvait ignorer que des travaux effectués au sein d'une propriété privée ne peuvent être financés par des fonds publics, sans s'expliquer sur les circonstances qui avaient été mises en avant devant elle, la cour d'appel a entaché sa décision d'une insuffisance de motifs" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, par délibération du 6 octobre 1998, le conseil d'administration de l'hôpital de Saint-Galmier, dont Bernard X... était directeur, a décidé le financement de travaux de rénovation dans le logement de fonction attribué à ce dernier ; que, le 12 octobre 1999, ledit conseil d'administration, à qui Bernard X... avait fait part de la nécessité de disposer d'un second logement de fonction, a approuvé les devis présentés par ce dernier et relatifs à des dépenses d'investissement, d'un montant de 303 937,10 francs, afférentes à une maison qu'il faisait construire pour son usage personnel ; que ces dépenses ont été imputées, soit sur le budget de fonctionnement de l'hôpital soit, à concurrence de 100 000 francs, sur la dotation budgétaire allouée par cet établissement au marché public de rénovation de la Maison d'accueil pour personnes âgées ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de prise illégale d'intérêts, l'arrêt relève que Bernard X... a fait établir les devis soumis à l'approbation du conseil d'administration et qu'en sa qualité d'ordonnateur, il a rédigé les mandats correspondant aux factures et les a transmis au percepteur pour paiement ; que les juges énoncent qu'étant intervenu dans la préparation et l'exécution des décisions du conseil d'administration de l'établissement hospitalier, il doit être considéré comme ayant eu la charge de l'administration, de la surveillance, de la liquidation ou du paiement de ces opérations ; qu'ils ajoutent que le prévenu a agi en parfaite connaissance de cause, n'ignorant pas, compte tenu de sa longue expérience dans la fonction publique, que des travaux effectués au sein d'une propriété privée ne peuvent être financés par des fonds publics et qu'il a en outre délibérément omis de transmettre à la Direction départementale de l'action sanitaire et sociale, autorité de tutelle, la délibération du 12 octobre 1999 qui a entériné le principe et les modalités du financement des travaux litigieux ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs exempts d'insuffisance, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Que, d'une part, le délit de prise illégale d'intérêt est consommé dès que le prévenu a pris, reçu ou conservé, directement ou indirectement, un intérêt dans une affaire dont il avait l'administration ou la surveillance, celles-ci se réduiraient-elles à de simples pouvoirs de préparation ou de proposition de décisions prises par d'autres ;
Que, d'autre part, le mandatement des charges afférentes à une opération dans laquelle le prévenu a pris, reçu ou conservé un intérêt vaut liquidation au sens de l'article 432-12, peu important que les paiements fussent effectués par une tierce personne ;
D'où il suit que le moyen, qui, en sa seconde branche, se borne à remettre en question l'appréciation souveraine par les juges du fond des faits et circonstances de la cause, ne peut être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 15 du Pacte sur les droits civils et politiques des Nations-Unies, 112-1, 121-3 et 432-14 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale et défaut de motifs ;
"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré Bernard X... coupable du délit de favoritisme pour avoir attribué au cabinet Vallet-Tassin un marché de maîtrise d'oeuvre d'un montant de 547 847 francs HT sans recourir à une procédure d'appel d'offres ;
"aux motifs que "Bernard X... fait plaider sa relaxe, arguant de la modification par les décrets du 7 mars 2001 et du 7 janvier 2004 des seuils des marchés publics soumis aux procédures d'attribution ; que leur relèvement à 90 000 euros, puis 150 000 euros, rendent non obligatoire l'observation desdites procédures ; que ces dispositions plus favorables rétroagissent sur le délit poursuivi ; privant de base légale la prévention ; ( ) que sur l'élément légal de l'infraction, l'incrimination dont s'agit était applicable au moment des faits et toujours en vigueur ; que la base légale de la poursuite est ainsi suffisamment rappelée ; qu'en outre, le respect des règles et des procédures qui ont pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics, doit être apprécié au jour de leur mise en oeuvre ; qu'à cet égard, le montant des marchés, s'il conditionne le choix de la procédure applicable au moment où elle est engagée, n'est pas un élément constitutif de l'infraction de favoritisme" ;
"alors que le délit de favoritisme requiert, aux termes de l'article 432-14 du Code pénal, l'accomplissement d'un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics ; que la disposition prétendument méconnue ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics constitue par conséquent l'un des supports légaux indispensable du délit ; qu'en l'espèce, ce support légal consistait dans la disposition du Code des marchés publics fixant le seuil à partir duquel les marchés de maîtrise d'oeuvre devaient être soumis à appel d'offres ; qu'il en résulte que les règlements, publiés postérieurement aux faits poursuivis, qui modifiaient ce seuil dans un sens favorable au prévenu et qui retirait à ces faits leur caractère punissable, devaient, en vertu du principe de la rétroactivité de la loi pénale plus douce, être appliqués rétroactivement ; que l'arrêt attaqué a ainsi violé l'article 112-1 du Code pénal ;
"et aux motifs que " courant juillet 2001, le percepteur en poste à Saint-Galmier a vérifié les factures afférentes aux travaux réalisés dans le cadre du programme de rénovation de la maison d'accueil des personnes âgées ; qu'il a constaté que le cabinet Vallet-Tassin avait perçu des honoraires d'un montant de 527 847 francs HT pour la maîtrise d'oeuvre de l'opération ( ) ; que Marc Y... a constaté que les dispositions de l'article 314 bis du Code des marchés publics n'avaient pas été respectées, bien que le seuil de 450 000 francs ait été dépassé ; que ce marché avait été fractionné et réparti sur les années 1999 et 2000 ; ( ) que Bernard X..., entendu sur ces faits, a indiqué que le cabinet Vallet-Tassin avait été choisi uniquement pour sa compétence, ayant précédemment travaillé pour l'hôpital ; qu'il a imputé au maître de l'ouvrage délégué, à savoir la direction départementale de l'équipement en la personne de Didier Z..., le choix de ce cabinet ; mais qu'il résulte d'un courrier adressé le 23 novembre 1998 par Bernard X... à Didier Z..., mentionnant "je retiens l'offre du cabinet Vallet-Tassin que je vous demande d'informer officiellement ", qu'il est le seul décisionnaire ; qu'il a reconnu qu'aucune procédure d'appel d'offres n'avait été mise en oeuvre, s'agissant du lot ingénierie ; qu'il a expliqué que ce cabinet avait fixé ses honoraires sur la base d'un pourcentage pour un montant qui à l'origine ne dépassait pas 300 000 francs, sur une opération évaluée globalement à 2 millions de francs ; mais que l'augmentation du coût global de l'opération qui a finalement atteint cinq millions de francs, avait eu pour conséquence de porter le montant des honoraires du cabinet Vallet-Tassin à une somme supérieure à 500 000 francs ; qu'il a soutenu ne pas avoir eu d'autre solution que de poursuivre le marché déjà accordé ; qu'il apparaît toutefois pour le moins curieux que l'évaluation globale du marché soit passée de deux millions de francs en fin 1998 à cinq millions de francs en juin 1999, en quelques mois ; qu'en raison d'une telle augmentation (150 %), le lot en cause aurait dû donner lieu à des consultations dans le respect des règles de la commande publique, ce d'autant que son coût était connu et approuvé par le conseil d'administration du 22 juin 1999 ; qu'en outre, la maîtrise d'oeuvre relative aux travaux complémentaires réalisés en 1999 tels que le remplacement du système de distribution d'eau chaude, l'installation d'une climatisation, la construction d'un salon de soins pour les pensionnaires et l'amélioration des systèmes de sécurité incendie, distincts du marché initial, aurait pu aisément être soumise à la procédure d'appel d'offres ; ( ) que l'absence de mise en concurrence, laquelle est imputable au prévenu, constitue bien un acte contraire aux dispositions législatives et réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics ; que cet acte a procuré un avantage injustifié au cabinet Vallet-Tassin" ;
"alors, d'une part, que ne constitue pas un acte contraire au Code des marchés publics le franchissement d'un seuil de soumission à un appel d'offres en cours d'exécution du marché tant que l'augmentation du prix versé au cocontractant résulte de circonstances imprévisibles pour la personne publique adjudicataire lors de la conclusion du contrat ; que Bernard X... a été retenu dans les liens de la prévention pour ne pas avoir soumis à appel d'offres un marché de maîtrise d'oeuvre dont le montant était estimé à moins de 300 000 francs au moment de la conclusion du contrat, avant de s'élever à 547 847 francs en cours d'exécution ; qu'en ne recherchant pas si le franchissement du seuil en cours d'exécution résultait d'une erreur de prévision répréhensible lors de la conclusion du marché, en novembre 1998, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa condamnation ;
"alors, d'autre part, que le délit de favoritisme est une infraction intentionnelle ; qu'il ne peut par conséquent être retenu qu'à condition qu'il soit constaté que le prévenu a méconnu une disposition légale et réglementaire en connaissance de cause ; qu'il ressort au contraire des constatations de l'arrêt que le marché de maîtrise d'oeuvre a été attribué sans appel d'offres préalable par suite d'une erreur d'évaluation du volume financier de l'opération à laquelle il se rapportait et que Bernard X... s'en est au surplus remis aux compétences et analyses de son conducteur d'opération, Didier Z... ; qu'il n'est donc pas établi que l'absence d'appel d'offres ait été décidée par le prévenu en connaissance de cause ; qu'ainsi, l'élément intentionnel de l'infraction n'a pas été caractérisé par la cour d'appel" ;
Sur le moyen pris en sa première branche :
Attendu que la cour d'appel a écarté, à bon droit, l'application de l'article 28 du Code des marchés publics, tel qu'il résulte des décrets des 7 mars 2001 et 7 janvier 2004, ayant relevé le seuil au- delà duquel une mise en concurrence est obligatoire pour les marchés de maîtrise d'oeuvre dès lors, que d'une part, les faits ont été commis antérieurement à l'entrée en vigueur de ce texte et que, d'autre part, les dispositions législatives, support légal de l'incrimination, n'ont pas été modifiées ;
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de favoritisme pour avoir attribué la maîtrise d'oeuvre du marché public de rénovation de la Maison d'accueil pour personnes âgées, pour un montant de 527 874 francs hors taxes, au cabinet Vallet-Tassin, sans mise en compétition, l'arrêt relève que Bernard X... a seul décidé du choix de ce cabinet et qu'en raison de l'augmentation de l'évaluation globale du marché, passée de 2 millions de francs fin 1998 à 5 millions de francs en juin 1999, le lot ingénierie aurait dû donner lieu à des consultations dans le respect des règles de la commande publique, d'autant que son coût était connu et a été approuvé par le conseil d'administration du 22 juin 1999 ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, relevant de son pouvoir souverain d'appréciation, d'où il résulte que le marché litigieux a été attribué en violation de l'article 314 bis du Code des marchés publics, alors en vigueur, et dès lors que l'élément intentionnel du délit de favoritisme est caractérisé par l'accomplissement en connaissance de cause d'un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;