CA Grenoble, 13 juin 2003, n° 02/01533
GRENOBLE
Arrêt
LA COUR,
Par jugement en date du 28 février 2002, le tribunal correctionnel de BOURGOIN-JALLIEU a, statuant sur l'action publique :
- déclaré Lucien X... coupable d'avoir à BOUVESSE-QUIRIEU, les 2 juillet 1998, 4 juin 1999 et 15 juin 1999, étant dépositaire de l'autorité publique, en qualité d'adjoint au maire, et investi d'un mandat électif public, pris, reçu ou conservé, directement ou indirectement, un intérêt dans une opération de vente d'un terrain lui appartenant, dont il avait, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance ou l'administration, notamment :
- en participant à la délibération du conseil municipal, modifiant le P.O.S. rendant constructible un terrain lui appartenant, -en participant à la délibération du conseil municipal, autorisant le maire à signer l'acte de vente de son terrain à la commune,
- et en vendant ledit terrain à la commune ; faits prévus et réprimés par les articles 432-12 et 433-22 du Code pénal ; en répression l'a condamné à la peine d'amende de 1 200 euros ;
Il a été régulièrement formé appel de ce jugement par le prévenu, puis par le procureur de la République. A l'audience, le prévenu déclare ne pas se reconnaître coupable des faits reprochés. M. l'Avocat Général requiert confirmation du jugement entrepris.
Suivant conclusions auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens et prétentions, le prévenu, appelant, fait valoir qu'en qualité d'adjoint, il n'a aucune charge communale propre, que la révision du plan d'occupation des sols, concernait l'ensemble des élus, que le seuil de 100 000 Frs concerne la fourniture de service et qu'il n'avait pas d'intention délictuelle. Il demande à la Cour d'infirmer le jugement entrepris et de le relaxer.
MOTIFS DE L'ARRET :
Attendu qu'il résulte du dossier de la procédure que deux habitants de la commune de BOUVESSE-QUIRIEU ont déposé plainte auprès de la Cour des comptes à l'encontre de Lucien X..., adjoint au maire de cette commune du chef de prise illégale d'intérêts ; Qu'il ressort de l'enquête que M. X..., adjoint au maire, membre de la commission de l'urbanisme et du plan d'occupation des sols, a siégé au conseil municipal qui, le 2 juillet 1998, a approuvé une révision dudit plan, préparée et proposée par la commission ad hoc, aboutissant au classement en zone constructible de l'un de ses terrains ; que le 6 février 1999, il a siégé au conseil municipal ayant autorisé le maire à acheter le terrain sur les nouvelles bases de négociation, mais s'est retiré au moment du vote de cette autorisation ; que le 4 juin 1999, il a siégé au conseil municipal autorisant le maire à signer l'acte de vente dudit terrain à la commune au prix de 590 760 francs pour un terrain de 13 128 m ;
Attendu que Lucien X... a rejeté toute culpabilité dans la commission des faits reprochés ; qu'il a déclaré qu'il aurait pu vendre le terrain en cause plus cher, mais avait préféré le laisser accessible à la commune pour la construction de douze logements sociaux, et qu'il avait don à la commune de sept cents mètres carrés ; qu'il a encore précisé qu'après avoir proposé le prix de 50 francs le mètre carré, il avait finalement indiqué le prix de 45 francs le mètre carré pour permettre à la commune de réaliser l'opération souhaitée ; que le prix global d'achat du terrain a été présenté au service des Domaines qui l'ont approuvé ;
Qu'il a encore, reconnaissant être membre de la commission de l'urbanisme, indiqué qu'à l'origine, son terrain était classé en zone NA et que la révision dénoncée avait abouti à le classer en zone NB, lui permettant d'occuper 2 000 m pour deux constructeurs ;
SUR CE, LA COUR
Attendu qu'il ressort de l'enquête préliminaire et des débats devant la Cour que les faits reprochés à Lucien X... ont été exactement relatés, discutés et qualifiés par les premiers juges ;
Attendu, en effet, qu'en dépit de ses conclusions, il ne peut être contestable qu'est caractérisée la condition préalable du délit reproché relative à la qualité du prévenu ; qu'en effet, il n'est pas discutable que Lucien X... est effectivement investi d'un mandat électif au sens de l'article 432-12 précité ;
Que n'est pas davantage contestable la deuxième condition préalable dudit délit, le classement et la vente de son terrain par M. X... entrant dans les entreprises ou opérations dont il avait la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement, au sens de la loi ; qu'en effet, il était effectivement dans son pouvoir d'élu municipal, adjoint au maire, membre de la commission de l'urbanisme et du plan d'occupation des sols, de participer à la préparation et à la prise de la décision sur la révision du plan d'occupation des sols, donc de classement de son terrain en zone constructible, puis sur la vente de son terrain ;
Attendu qu'aux termes des auditions de M. X..., des 28 juillet 2000 et 7 décembre 2000, il a reconnu avoir participé à l'ensemble des réunions de la commission de révision du plan d'occupation des sols puis au vote de la révision ainsi préparée et proposée ; qu'il a également admis avoir participé, au sein du conseil municipal, au vote ayant, le 4 juin 1999, définitivement autorisé le maire à signer l'acte de vente, à la commune de BOUVESSE-QUIRIEU, de son terrain au prix de 590 760 francs pour une superficie de 13 128 mètres carrés ;
Que n'est pas recevable l'explication donnée par M. X... de son maintien dans le conseil municipal le 4 juin 1999, alors que l'article 432-12 du Code pénal lui fait, dans son dernier alinéa, interdiction de participer à la délibération du conseil municipal relative à l'achat d'un terrain lui appartenant ; Attendu que s'il est établi que lors de la séance du conseil municipal en date du 6 février 1999, il s'est retiré au moment du vote de la décision d'acheter son terrain, il n'en demeure pas moins, à la lecture même de la délibération ad hoc, parvenue à la sous-préfecture de LA TOUR DU PIN le 1er mars 1999, qu'il est demeuré présent au temps de l'explication de la décision proposée au vote ; Attendu qu'en cet état, est caractérisé l'élément matériel de la prise d'intérêts, lequel n'exige nullement l'obtention d'un profit ;
Qu'au demeurant, lors de ses deux auditions, M. X... a lui-même indiqué avoir bénéficié de la révision du P.O.S. opérée, allant même jusqu'à préciser dans son audition du 7 décembre 2000 qu'il avait été " le seul élu à avoir bénéficié de la modification du P.O.S. " et que cette modification lui permettait de vendre son terrain " au cas par cas ", éventuellement à des particuliers alors que la précédente classification l'obligeait à " une vente globale soit quatre lots consécutifs " ;
Attendu qu'aux termes combinés des alinéas 2 et 5 de l'article 432-12 précité, l'exception alléguée concernant les communes de moins de 3500 habitants suppose, en toute hypothèse, pour que l'élu municipal en cause puisse en bénéficier, qu'il ne participe pas à la délibération relative à la conclusion ou à l'approbation du contrat dont il est bénéficiaire, le montant de 16 000 euros invoqué, qui ne concerne effectivement que la fourniture de services, étant juridiquement indifférent ;
Attendu que contrairement à ses conclusions, est caractérisé l'élément moral dudit délit, constitué par un dol général, dès lors que M. X... a nécessairement eu conscience de prendre un intérêt illicite, le droit positif n'exigeant pas la caractérisation d'un dol spécial, d'autant qu'il n'est pas démontré, ni même allégué, qu'il ait été contraint ou atteint d'un trouble psychique ou neuropsychique au sens des articles 122-1 et 122-2 du Code pénal ;
Attendu qu'en cet état, le premier juge a, à bon droit, déclaré Lucien X... coupable des faits reprochés, les éléments constitutifs du délit poursuivi étant caractérisés ;
Que par ces motifs et ceux non contraires du premier juge, il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qui concerne la déclaration de culpabilité ;
Attendu, en revanche, que la peine prononcée par le tribunal n'apparaît pas pleinement adaptée aux circonstances de fait et à la personnalité du prévenu qui n'a jamais été condamné ;
Qu'il y a donc lieu de réformer sur ce point le jugement attaqué et de condamner Lucien X... à la peine d'amende de 1 000 euros et de l'assortir d'un sursis en application des articles 132-29 et suivants ;
PAR CES MOTIFS
Recevant les appels comme réguliers en la forme ;
Confirme le jugement attaqué en tant que déclaratif de culpabilité.
Réformant quant à la peine ;
Condamne Lucien X... à la peine d'amende de 1 000 euros assortie d'un sursis.
Constate que le présent arrêt est assujetti au droit fixe de 120 euros résultant de l'article 1018 A du code général des impôts, et dit n'y avoir lieu à contrainte par corps.
Le tout par application des dispositions des articles susvisés.