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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 15 novembre 2018, n° 18/06790

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aimar

Conseillers :

M. Prieur, Mme Petel

Avocat :

Me Graziani

T. com. Grasse, du 28 mars 2018, n° 2017…

28 mars 2018

Par acte sous seing prié du 1er novembre 2012 la SCI SUNSHINE a donné à bail à la SAS ALEXANDRE III un appartement non meublé constituant les lots 431 et 432 sis à Cannes 56 boulevard Alexandre III qu'elle a affecté aux besoins de son activité de loueur meublé de tourisme.

Dans le cadre de son activité et par acte SSP du 1er décembre 2013, la SAS ALEXANDRE III gérée par madame X a consenti à monsieur Y et Mme Z un bail à usage d'habitation meublé portant sur lesdits biens pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction moyennant un loyer mensuel de 800 euros charges comprises.

Au terme d'un avenant du 1er décembre 2014, le bail a été amendé pour y inclure un garage.

Dans le cadre d'un important contentieux opposant les copropriétaires et le syndicat des copropriétaires à la société ALEXANDRE III, le TGI de Grasse a prononcé, par jugement du 8 Juin 2016, assorti de l'exécution provisoire, l'interdiction à la SAS ALEXANDRE III de louer ses lots ou de les faire occuper par sa clientèle, assortie d'une astreinte de 3.000 euros par jour à compter de la signification de la décision.

En l'état de l'appel formé par la SAS ALEXANDRE II1, le Premier Président de la Cour a fait droit à sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire concernant l'interdiction d'exploiter les lots sous astreinte aux termes d'une ordonnance de référé du 25 juillet 2016 2016.

Le Tribunal de commerce de Grasse a prononcé par jugement du 22 Février 2017 1'extension de la liquidation judiciaire de la S.A.R.L. NOUVELLE VIGNETTE HAUTE à la SAS ALEXANDRE III et a désigné la SELARL JSA en qualité de Liquidateur judiciaire.

Par un second jugement du 26 Avril 2017, le Tribunal a rejeté la demande de la société tendant à ce que soit autorisée la poursuite de son activité de location.

En l'absence de congé, le bail a été reconduit tacitement et était en cours au jour de l'ouverture de la procédure collective de la SAS ALEXANDRE III.

En l'état de l'impossibilité pour la liquidation judiciaire d'assurer la poursuite des deux baux liant la SAS ALEXANDRE III à son bailleur la SCI SUNSHINE et à ses locataires M. Y et Mme Z, Me W es qualité a saisi le Juge Commissaire d'une demande tendant à ce qu'il en soit prononcée la résiliation sur le fondement des dispositions de l'article L.641-11-1 du Code de commerce.

Aux termes d'une ordonnance du 13 Septembre 2017, le Juge Commissaire a prononcé la résiliation du bail liant la SCI SUNSHINE à la SAS ALEXANDRE III mais n'a pas tranché la demande du liquidateur judiciaire tendant à voir constater la résiliation du second bail liant la SAS ALEXANDRE III à M. Y et Mme Z.

Aux termes d'une requête en omission de statuer la SAS ALEXANDRE III a saisi le Juge Commissaire aux fins qu'il soit statué sur l'intégralité des demandes du liquidateur judiciaire et notamment que soit prononcée la résiliation du bail liant la SAS ALEXANDRE III à M. Y et Mme Z.

C'est dans ces conditions que par ordonnance du 4 décembre 2017, le juge Commissaire a complété l'ordonnance du 13 septembre 2017 en se déclarant incompétent pour statuer sur la demande du liquidateur tendant à obtenir la résiliation du bail d'habitation et a renvoyé les parties a se pourvoir devant le Tribunal d'instance de Cannes.

La SAS ALEXANDRE III a alors formé un recours à l'encontre de cette ordonnance et c'est dans ces conditions que le Tribunal de commerce de Grasse s'est déclaré à son tour incompétent au profit du Tribunal d'instance de Cannes selon jugement du 28 Mars 2018.

Maître W es qualités de la SELARL JSA mandataire judiciaire, pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SAS ALEXANDRE III a interjeté appel de cette décision le 19 avril 2018 et a fait assigner les intimés à jour fixe sur autorisation du premier président en date du 23 avril 2018.

Maître W es qualités, demande dans ses dernières écritures en date du 12 juillet 2018 signifiées aux intimés défaillants le 20 septembre 2018 de :

Vu les articles R. 621-21 et R. 641-11 du Code de commerce,

- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de du 28 Mars 2918 en l'ensemble de ses dispositions,

- dire et juger que la juridiction compétente était le tribunal de commerce de (Grasse),

- se déclarer compétent pour connaître de la présente procédure,

- dire n'y avoir lieu à renvoi devant le Tribunal d'instance de Cannes, et la Cour usant de sa faculté d'évocation prévue à l'article 568 du CPC,

- infirmer l'ordonnance du 4 Décembre 2017 en ce que le Juge Commissaire s'est déclaré incompétent pour prononcer la résiliation du bail d'habitation,

- se déclarer compétent pour prononcer la résiliation du bail d'habitation liant la société ALEXANDRE III aux consorts Y et Z fondée sur les seuls besoins de la procédure de liquidation judiciaire,

- dire et juger qu'il est dans l'intérêt de la procédure de liquidation judiciaire de procéder à la résiliation du bail liant la SAS ALEXANDRE III aux consorts Y et Z,

- constater qu'au 15 Janvier 2018, les consorts Y et Z étaient redevables à l'égard de la procédure collective de la somme de 27.052 euros au titre des loyers impayés,

- condamner les consorts Y et Z solidairement à payer à Me W es qualités de liquidateur judiciaire es qualité de liquidateur judiciaire la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du CPC et aux entiers dépens l'instance.

Maître W es qualités fait valoir qu'en se déclarant incompétent au profit du Tribunal d'instance de Cannes pour statuer sur le recours formé à l'encontre d'une ordonnance du Juge commissaire rendue sur le fondement des dispositions de l'article L. 641-11-1 du Code de commerce, les premiers juges ont manifestement mal interprété les dispositions de l'article R.621-21 du Code de commerce, applicable en liquidation judiciaire par renvoi de l'article R.64-11, lequel prévoit que 'les ordonnances du juge-commissaire peuvent faire l'objet d'un recours devant le tribunal dans Les dix jours de la communication ou de la notification, par déclaration faite contre récépissé ou adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou au greffe.

Il en ressort que seul le Tribunal de la procédure collective, en l'espèce le Tribunal de commerce de Grasse, était compétent pour statuer sur un recours formé a l'encontre d'une ordonnance du Juge commissaire et c'est donc à tort qu'i1 s'est déclaré incompétent au profit du Tribunal d'instance de Cannes

Qu'en conséquence, Me W es qualité de Liquidateur judiciaire est recevable et fondé à solliciter l'annulation du jugement du 28 Mars 2018 et à voir dire et juger que le Tribunal compétent pour connaître du recours contre l'ordonnance du Juge Commissaire était le Tribunal de la procédure collective à savoir le Tribunal de commerce de Grasse.

Me W es qualités indique qu'il entend se prévaloir des dispositions de l'article 568 du Code de procédure civile et sollicite de la Cour qu`elle fasse usage de sa faculté d'évocation et statue sur les point non jugés par le Tribunal de commerce de Grasse.

Il expose à cet effet qu'en se déclarant d'office incompétent pour statuer eut la résiliation d'un contrat en cours, le Juge Commissaire a dénié exercer une compétence qui lui est pourtant expressément attribuée par l'article L.641-11-1 du Code de commerce. En application de cet article lorsque la prestation du débiteur ne porte pas sur le paiement d'une somme d'argent, le liquidateur judiciaire peut saisir le Juge commissaire aux fins de faire prononcer la résiliation d'un contrat en cours si celle-ci est nécessaire aux opérations de liquidation ;

Que la compétence du Juge commissaire est ici bien établie.

Il ajoute que s'agissant d'une disposition d'ordre public dérogatoire (au même titre que l'ensemble des dispositions du livre VI du Code de commerce), celle-ci ne peut recevoir exception au profit d'un autre disposition d'ordre public que lorsque le texte le prévoit,

Que l'article. L.641- 11-1 ne prévoit que deux exceptions pour lesquelles la compétence du Juge commissaire est écartée au profit du juge de droit commun à savoir les contrats de travail et de fiducie ;

Que les baux d'habitation ne soient à aucun moment visés en évoqués de sorte que le Juge commissaire était pleinement compétent pour statuer sur la requête présentée par le Liquidateur judiciaire.

Il rappelle que la résiliation prononcée ne repose pas sur l'exécution ou 1'inexécution du contrat de bail mais n'est fondée que par les seuls besoins de la liquidation judiciaire conformément à l'article L.641-11-1.

Que reconnaître la compétence du juge d'instance reviendrait alors à permettre à celui-ci de s'immiscer dans le déroulement de la procédure collective dont le seul garant est pourtant le Juge commissaire en application de l'article L.62I-9 du Code de commerce.

Il rappelle également que les actifs du débiteur doivent être réalisés dans les meilleurs délais par le liquidateur judiciaire afin d'intégrer le prix de cession au gage commun des créanciers de la procédure et précise qu'une telle situation locative grèvera lourdement l'issue de la vente aux enchères ou de gré à gré à intervenir en l'état de la faiblesse du loyer (900 euros), de l'importance des impayés et de l'absence de garanties souscrites ;

Qu'il est dans l'intérêt de la procédure collective de voir prononcer la résiliation dudit bail.

Il indique qu'un commandement de payer les loyers avait été délivré par la SAS ALEXANDRE III à ses locataires par exploit du 22 Novembre 2016 pour un montant de 13.552 euros, les locataires s'abstenant de procéder au règlement des loyers (900 euros ) depuis le mois de Juillet 2015, et qu'aucun loyer n'a été réglé entre les mains de Me W es qualités depuis le prononcé de la Liquidation judiciaire le 22 Février 2017 de sorte que le montant des impayés à ce jour s'élève à 27.052 euros.

Que compte tenu des délais écoulés et le montant des impayés, Me W es qualité entend obtenir la libération des lieux.

La SCI SUNSHINE demande dans ses dernières conclusions en date du 7 septembre 2018 de:

Vu l'article L 641-11-1 IV du Code de commerce

Vu les articles R 621-21 et R 641-11 du Code de commerce

- infirmer le jugement du 28 mars 2018,

- se déclarer compétent pour connaître de la présente procédure,

- dire n'y avoir lieu à renvoi par devant le Tribunal d'Instance de Cannes,

- dire et juger que le bail en date du 1er décembre 2014 entre la SAS ALEXANDRE III et monsieur Y et madame Z est résilié de plein droit du fait de la cessation d'activité de la SAS Alexandre III,

- d'ordonner l'expulsion de monsieur Y et madame Z et de toute personne dans les lieux de leur chef et ce avec l'assistance de la force publique s'il y a lieu,

- ordonner le transport et la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux dans un garde-meubles ou dans tout autre lieu au choix du bailleur aux frais, risques et périls des défendeurs et ce en garantie de toutes sommes qui pourront être dues,

- condamner monsieur Y et madame Z au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle de 900 euros, charges en sus, jusqu'à la libération effective des lieux par remise des clés, à titre provisionnel,

- dire que si l'occupation devait se prolonger plus d'un an, l'indemnité d'occupation serait indexée sur l'indice INSEE du coût de la construction s'il évolue à la hausse, l'indice de base étant le dernier indice paru à la date de l'ordonnance à intervenir,

- condamner monsieur Y et madame Z aux dépens et à la somme de 2000 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La SCI SUNSHINE expose qu'elle est propriétaire des baux objets des baux litigieux qui ont été loués à la SAS ALEXANDRE III qui les a sous loués aux consorts YZ et ATIKOVNA dans le cadre de son activité ;

Que le juge commissaire, juge de la liquidation demeure compétent pour statuer sur le sort du bail conclu entre la SAS ALEXANDRE III et les consorts YZ et ATIKOVNA conformément aux dispositions de l'article L 641-11-1 IV ;

Que le tribunal de la procédure collective dispose d'une compétence spéciale d'attribution qui déroge aux règles de l'attribution plus générale au tribunal d'instance des actions relatives au bail d'habitation.

Elle fait valoir que la résiliation du bail entre la SCI SUNSHINE et la SAS ALEXANDRE III n'engendre pas la résiliation du bail entre la SAS ALEXANDRE III et les consorts YZ et ATIKOVNA et que l'activité de la SAS ALEXANDRE III cessera définitivement par la résiliation du bail entre elle et ces derniers ;

Que cette résiliation est nécessaire aux opérations de liquidation de la SAS ALEXANDRE III.

Les consorts Y et Z n'ont pas comparu.

SUR CE

Les ordonnances du juge commissaire rendues sur le fondement l'article L 641-11 du code du commerce, pouvant, selon les dispositions de l'article R 621-21 du même code, faire l'objet d'un recours devant le tribunal, c'est à dire en l'espèce, le tribunal de commerce de Grasse, c'est donc à tort que ce dernier s'est déclaré incompétent pour connaître du recours de l'ordonnance du juge commissaire du tribunal de commerce de Grasse en date du 4 décembre 2017 rendue sur le fondement des premières dispositions précitées.

Selon l'article L 641-11-1 du code du commerce .IV : A la demande du liquidateur, lorsque la prestation du débiteur ne porte pas sur le paiement des sommes d'argent, la résiliation est prononcée par le juge commissaire si elle nécessaire aux opérations de liquidation et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du co contractant.

S'agissant d'un contrat en cours au sens de l'article L 641-11-1 précité, la requête en résiliation du contrat de location présentée par le liquidateur judiciaire, ressortait à la compétence du juge commissaire.

Il convient en conséquence, d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Grasse du 28 mars 2018.

Eu égard à la nature de l'affaire il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 568 du code de procédure civile et d'évoquer l'affaire, le premier juge s'étant déclaré incompétent au profit du tribunal d'instance de Cannes sans se prononcer sur les requêtes de Maître D... es qualités.

Le liquidateur ayant notamment pour mission de réaliser les actifs de la SAS ALEXANDRE III dans les meilleurs délais et aux meilleures conditions, il convient de faire droit à ses demandes de résiliation eu égard à l'impossibilité de louer les lieux pour la société ALEXANDRE III et à l'important arriéré de loyers, et ce dans l'intérêt de la procédure collective et donc des créanciers.

Le prononcé de la résiliation du bail dans de telles circonstances ne revêt pas pour les locataires qui ne le démontrent pas de conséquences manifestement excessives.

Il convient en conséquence d'infirmer le jugement du 28 mars 2018, d'évoquer, de déclarer la cour compétente pour connaître de la présente procédure, de dire que le bail en date du 1er décembre 2014 entre la SAS ALEXANDRE III et monsieur Y et madame Z est résilié dans l'intérêt de la procédure collective.

Le surplus des demandes de la société SUNSHINE qui n'a pas qualité pour saisir le juge commissaire dans le présent cadre est irrecevable en ses demandes présentées hors le cadre de saisine du juge commissaire.

L'équité commande de condamner monsieur Y et madame Z à payer la somme de 1000 euros à la SCI SUNSHINE et à Maître D... es qualités, celle de 3.000 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Les dépens resteront à la charge in solidum de monsieur Y et madame Z.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement par arrêt rendu par défaut, en dernier ressort,

Dit que la juridiction compétente était le tribunal de commerce de Grasse,

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Grasse du 28 mars 2018,

Evoque l'affaire,

Dit qu'il est dans l'intérêt de la procédure de liquidation judiciaire de procéder à la résiliation du bail liant la SAS ALEXANDRE III à monsieur Y et Mme Z,

Infirme l'ordonnance du 4 décembre 2017 en toutes ses dispositions,

En conséquence,

Prononce la résiliation du bail d'habitation liant la société ALEXANDRE III à monsieur Y et Mme Z,

Condamne monsieur Y et madame Z à payer à Maître W es qualités la somme de 3.000 euros et à la société SUNSHINE celle de 1000 euros par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Déclare irrecevables le surplus des demandes de la société SUNSHINE.

Condamne IN SOLIDUM monsieur Y et madame Z aux entiers dépens de première instance et d'appel.