Livv
Décisions

Cass. crim., 7 mars 2012, n° 11-81.918

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Avocat :

SCP Monod et Colin

Nancy, du 24 fév. 2011

24 février 2011

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 432-12 du code pénal, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable du chef de prise illégale d'intérêts ;

"aux motifs que M. Y..., officiellement employé par la commune de Marville et par le syndicat mixte à compter de juillet 2003, plus particulièrement en charge de la réparation des chalets de base de loisir de Marville (base de loisir exploitée par le syndicat mixte), dont les premières fiches horaires dataient cependant du 19 avril 2003, révélait au cours de son audition avoir effectué des travaux dans l'intérêt de M. X..., principalement dans sa résidence, pour l'aménagement d'un appartement, ainsi qu'au sein de l'auberge ; que les travaux dans l'appartement de M. X... avaient débuté en mars 2003 et avaient perduré jusqu'en 2005 ; que d'autres représentants ou salariés de la commune avaient travaillé avec lui sur ce chantier, à savoir MM. Z..., A... et B... ; que ces travaux consistaient notamment en la pose de portes, de cloisons, d'isolations ou de plafonds effectués sur son temps de travail, comme il était mentionné sur les fiches hebdomadaires qu'il remettait à la mairie, qu'il donnait l'une d'elle aux enquêteurs, correspondant à la semaine du 23 au 27 janvier 2006 sur laquelle était indiqué notamment « la remise en place d'éléments de cuisine » de l'auberge ; que M. Y... remettait également aux enquêteurs deux agendas sur lesquels il avait mentionné en 2003 et 2004, les travaux effectués au profit de M. X... dont il ressort qu'il avait effectivement travaillé plus de cinquante jours au total dans l'intérêt personnel du sénateur de juillet 2003 à août 2005 ; que sur réquisition, la mairie de Marville communiquait une partie seulement des fiches hebdomadaires de ces trois salariés entre 2002 et 2005 ; que la perquisition réalisée en octobre 2007 dans les locaux de la mairie ne permettait pas de saisir les nombreuses fiches manquantes ; que malgré le caractère incomplet de ces documents, leur exploitation et leur comparaison (effectuée à deux reprises) avec le carnet personnel détenu par M. Y... permettait de confirmer la fiabilité d'une part des carnets de l'employé, d'autre part de ses déclarations et d'établir avec certitude que celui-ci avait travaillé durant 56 jours de travail de 2003 à 2005 au profit de M. X..., tant au domicile de ce dernier qu'à l'auberge ; que l'examen des dates de congé et de récupération de M. Y... confirmait par ailleurs qu'aucun des travaux personnels mentionnés dans les agendas ou dans les fiches hebdomadaires n'était intervenu durant ces périodes ; que M. A..., employé de la commune de Marville et du syndicat mixte de 2000 et 2005, déclarait avoir lui aussi réalisé des travaux au profit de M. X..., sur son temps de travail, précisant qu'il s'agissait à la fois de sa maison d'habitation (isolation et nettoyage du grenier, dalle de garage, tonte de pelouse, débroussaillage du verger et de l'appartement que celui-ci faisait aménager dans un bâtiment attentant (cloisons, blocs-portes, travaux divers) ; que, tout en travaillant essentiellement pour le compte de la mairie, il avait réalisé ces travaux entre 2000 et 2005 ; qu'il précisait entre autres, en avoir effectués dans le jardin et le verger du maire en 2004 et 2005, sur des périodes de plusieurs jours, voire d'une semaine entière ; que comme M. Y..., son collègue de travail, il avait mentionné ces travaux exécutés pour le compte personnel de M. X... dans les feuilles hebdomadaires remises à la mairie, reconnaissant toutefois qu'il ne les remplissait pas systématiquement et qu'il ne précisait pas nécessairement s'il travaillait dans l'intérêt de M. X... ou de celui de la mairie de Marville ; qu'il indiquait n'avoir jamais mentionné sur ces fiches quelques travaux qu'il avait effectués pour M. X... pendant ses congés (cinq jours en 2005) rémunérés par ce dernier par chèque emploi-service pour 385 euros en date de février 2005, correspondant à 55 heures de travail rémunérées à 7 euros chacune dont la remise à M. A... n'est pas discutée) ; que les gendarmes ont comptabilisé dans un premier temps 43 heures de travaux au profit de Claude X... sur les fiches hebdomadaires déposées par M. A... de fin 2002 à août 2005 ; qu'ils relevaient cependant que 93 fiches hebdomadaires manquaient pour la moitié de l'année 2003 et l'année 2004 ; que particulièrement sur la deuxième moitié de l'année 2003 et de l'année 2004, 11 de ces fiches manquantes pouvaient correspondre à des congés ; qu'ils sont parvenus à 140 h après examen complémentaires de ces fiches après audition détaillée de l'employé qui permettait d'écarter de la liste certain travaux (appartement Fristz et « hangar ») mais également de mettre en évidence que d'autres avaient bien été effectués pour M. X... ; que M. A... ajoutait qu'il existait probablement dans ces fiches d'autres travaux au profit de M. X... qu'il n'avait pas identifiés, remarquant que s'il n'avait pas toujours rempli celles-ci, il était évident que la mairie n'avait pas transmis au cours de l'enquête toutes les fiches qu'il avait rédigées ; qu'il certifiait enfin qu'il n'avait jamais mentionné dans les fiches hebdomadaires les quelques travaux effectués pour le compte de M. X... en dehors de ses heures de travail et pour lesquelles il reconnaissait avoir été rémunéré en chèques emploi-service ; qu'interrogé sur l'activité de M. Y..., il précisait avoir peu travaillé avec lui, ce dernier étant surtout aidé par M. Z..., mais confirmait que celui-ci avait beaucoup oeuvré dans l'appartement, en particulier durant une période de trois mois où celui-ci travaillait là pratiquement tous les jours ; que M. B..., embauché en juillet 2003 par le syndicat mixte de la vallée de l'Othain, chargé du gardiennage et de l'entretien du camping du plan d'eau, en arrêt maladie depuis janvier 2005, déclarait lui aussi avoir effectué des travaux de rénovation dans le domicile de M. X... entre 2003 et 2004, à savoir l'isolation du garage selon durant plusieurs semaines, l'aménagement du grenier de la maison et du garage, ainsi que du grenier de l'ancienne maison ; qu'il confirmait au cours de ses auditions que M. A... et M. Y... étaient parfois à ses côtés et que ces travaux étaient exécutés sur ses heures de travail pour la communauté de communes, sur commande personnelle de M. X... ; qu'il assurait par ailleurs n'avoir jamais perçu de sommes d'argent supplémentaires ou d'avantages en nature en contrepartie de son travail ; que l'examen de ses fiches transmises confirmait formellement la réalisation par M. B... de travaux au profit personnel de M. X..., pour un total estimé selon les enquêteurs de 19 heures ; que l'examen des fiches transmises confirmait formellement la réalisation par M. B... de travaux au profit personnel de M. X..., pour un total estimé selon les enquêteurs de 19 heures entre 2003 et 2005 ; que tout comme MM. A... et Y..., l'examen des dates de congés et de récupération de M. B... confirmait qu'aucun des travaux personnels mentionnés dans ses fiches hebdomadaires n'était intervenu durant ces périodes, que de nombreuses fiches le concernant manquaient entre 2003 et 2004 (hors des congés) ;

"et aux motifs que l'article 432-12 caractérise la prise illégale d'intérêt par le fait par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif de prendre, recevoir ou conserver directement ou indirectement un intérêt quelconque dans une opération dont elle a au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou la paiement ; qu'en l'espèce, ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges, il ressorts des faits ci-dessus exposés que M. X..., investi d'un mandat électif public, a très directement bénéficié d'avantages dans le cadre de la rénovation et d'entretien de biens lui appartenant, en utilisant à son profit exclusif trois salariés de la commune de Marville ou du syndicat mixte de l'Othain ;

"alors que le délit de prise illégale d'intérêt suppose que son auteur ait réalisé un acte de sa fonction dans une entreprise ou dans une opération dont il avait la charge d'assurer l'administration ou la surveillance ou pour laquelle il avait pour mission d'assurer un paiement ou de réaliser un acte de liquidation ; qu'en se bornant à relever que M. X... avait prétendument bénéficié des travaux réalisés par des employés de la commune et du syndicat mixte sans constater la réalisation, par l'intéressé, d'un acte de sa fonction en lien avec ces travaux, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'élément matériel du délit de prise illégale d'intérêt reproché au prévenu et a violé les textes précités" ;

Attendu que M.Biwer, maire de la commune de Marville et président du syndicat mixte d'aménagement de la base de plein air de la vallée de l'Othain, est poursuivi du chef de prise illégale d'intérêts pour avoir fait réaliser par des employés communaux ou du syndicat mixte précité, sur leur temps de travail, des travaux d'entretien et de rénovation de biens immobiliers ou de terrains lui appartenant ;

Attendu que, pour le déclarer coupable de ce chef, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que, d'une part, le maire a seul l'administration de l'ensemble des affaires de la commune, en application de l'article L.2122-18 du code général des collectivités territoriales, d'autre part, le président d'un syndicat mixte est l'ordonnateur des dépenses et prescrit l'exécution des recettes dudit syndicat, la cour d'appel a justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 3 du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-26, 131-27, 432-12, 432-17 du code pénal, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a condamné M. X... à une peine complémentaire de privation des droits civiques, civils et de famille pour une durée de cinq ans ;

"aux motifs que bien que M. X... ait déjà été condamné pour des infractions commises dans le cadre de son mandat électif, la cour considère qu'il peut être fait une application indulgente de la sanction pénale, au regard de son âge, de sa situation familiale et de son insertion sociale, et estime qu'une peine de deux mois d'emprisonnement outre l'amende prononcée par les premiers juges est adaptée, tant à la gravité des faits qu'à la personnalité du prévenu ; qu'en revanche, la peine complémentaire de privation des droits civiques, civils et de famille apparait seule de nature à prévenir la récidive et doit être confirmée ;

"1°) alors que les articles 432-17 et 131-26 du code pénal, en ce qu'ils autorisent une juridiction pénale à prononcer une peine complémentaire de privation des droits civiques, civils et politiques, et de priver ainsi de son éligibilité le prévenu déclaré coupable de prise illégale d'intérêt ne sont pas conformes à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et au principe de nécessité des peines qui en découle ainsi qu'à l'article 6 de cette même Déclaration et au principe selon lequel tout citoyen dispose du droit d'être éligible et ne peut en être privé qu'en cas de stricte nécessité ; que la constatation par le Conseil constitutionnel de l'inconstitutionnalité de ces dispositions dans le cadre de la question prioritaire de constitutionnalité présentée par l'exposant dans le cadre du présent pourvoi privera de fondement l'arrêt attaqué ;

"2°) alors qu'en retenant que l'âge, la situation familiale et l'insertion sociale du prévenu justifiait une application indulgente de la loi pénale et, dans le même temps, la présence d'un risque de récidive important au point que le prononcé d'une privation des droits civiques, civils et de famille pour une durée de cinq ans s'impose, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs contradictoires quant la présence de facteurs de récidive de nature à justifier la privation de ces droits, et avec eux le droit d'être éligible, et n'a pas légalement motivé sa décision ;

"3°) alors que les juridictions correctionnelles ne peuvent prononcer une peine de privation de droits de vote et d'éligibilité que si cette mesure est nécessaire à la répression et à la prévention des infractions ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que la privation des droits civiques, qui emporte privation du droit de vote et de l'éligibilité, est justifiée par le risque de récidive que présenterait le prévenu ; qu'en prononçant cette peine à l'égard de monsieur X... qui exerce les mandats de sénateur et de maire, avec pour conséquence la déchéance de l'intéressé de son mandat de sénateur pourtant étranger aux faits de prise illégale d'intérêt prétendument commis dans la gestion de la commune de Marville et du syndicat mixte d'aménagement de la base de plein air de la vallée de l'Othain, au lieu de limiter la peine prononcée à une interdiction d'exercer les fonctions de maire et de président d'un organisme de coopération communal telles que visées par la prévention, la cour d'appel a porté une atteinte injustifiée au droit du prévenu d'être éligible et d'exercer son mandat de sénateur et a violé l'article 3 du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles 131-26 et 131-27 du code pénal" ;

Attendu que, pour condamner M.Biwer, déclaré coupable de prise illégale d'intérêts, à la privation des droits civiques pour une durée de cinq ans, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a fait l'exacte application de l'article 131-26 du code pénal qui ne limite pas l'inéligibilité aux mandats électoraux dans le cadre desquels ou à l'occasion desquels l'infraction a été commise, a justifié sa décision, sans méconnaître les dispositions de l'article 3 du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ;

D'où il suit que le moyen, devenu sans objet en sa première branche par suite de l'arrêt de la Cour de cassation du 21 septembre 2011 ayant dit n'y avoir lieu à transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité présentée par le prévenu, ne peut être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;