Livv
Décisions

Cass. com., 3 avril 2012, n° 11-13.370

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Avocats :

SCP Bénabent, SCP Ortscheidt

Paris, du 14 déc. 2010

14 décembre 2010

Joint les pourvois n° K 11-13. 370 et n° Q 11-13. 581 qui attaquent le même arrêt ;

Donne acte à la société CMS du désistement partiel de son pourvoi n° K 11-13. 370 en tant qu'il est dirigé contre les sociétés TAJ et RBA ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 décembre 2010), que le 23 novembre 2001, la société 3S informatique, aux droits de laquelle se trouve la société CMS, a conclu avec la société Deloitte et Touche Corporate finance, aux droits de laquelle vient la société Deloitte finance, un contrat d'assistance et de conseil en vue de l'acquisition des titres des deux sociétés filiales de la société EMC, les sociétés MCI SA et MCI Inc ; que la société Deloitte finance a remis un rapport intitulé " Analyse de l'opportunité MCI pour 3S " ; que le 21 décembre 2001, la cession des titres des deux sociétés est intervenue ; qu'à la suite de difficultés financières ultérieures rencontrées par celles-ci, la société CMS a recherché la responsabilité de la société Deloitte finance pour manquement à son obligation de conseil ;

Sur l'irrecevabilité du pourvoi n Q 11-13. 581, relevée d'office après avertissement délivré aux parties :

Vu le principe " Pourvoi sur pourvoi ne vaut " ;

Attendu que, par application de ce principe, le pourvoi formé le 7 mars 2011 par la société CMS qui succède à un précédent pourvoi formé le 3 mars 2011 par celle-ci contre la même décision, n'est pas recevable ;

Sur le premier moyen du pourvoi n K 11-13. 370 :

Attendu que la société CMS fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de condamnation de la société Deloitte finance à lui payer des dommages-intérêts pour manquement à son devoir de conseil, alors, selon le moyen :

1°/ qu'un devoir de conseil s'exécute par la formulation d'un conseil, c'est-à-dire d'une prise de position claire à propos de l'opportunité même de la décision pour laquelle le conseil est sollicité ; qu'en estimant que la société Deloitte finance avait satisfait à ses obligations en l'état de motifs desquels il résulte qu'après avoir énuméré les arguments favorables à l'opération litigieuse, celle-ci s'est bornée à faire la liste des " contre " et n'en a tiré formellement aucune conclusion, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du code civil ;

2°/ qu'en estimant que la société Deloitte finance avait " clairement fait connaître " les risques de l'opération sur l'opportunité de laquelle elle avait à se prononcer par l'énumération des arguments défavorables à sa réalisation en des termes dont elle a pourtant ressenti le besoin de fournir, pour les rendre intelligibles, une traduction entre crochet, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 1147 du code civil ;

3°/ qu'en affirmant inexactement que, dans le document intitulé par la société Deloitte finance " Analyse de l'opportunité MCI pour 3S ", le mot " risque " figurant après la question " Quid du financement de l'acquisition ? " avait été " souligné par l'auteur du rapport ", la cour d'appel a dénaturé ce dernier, et par conséquent violé l'article 1134 du code civil ;

4°/ qu'en statuant comme elle l'a fait, après avoir constaté, d'une part, que la société Deloitte finance avait exécuté sa mission dans un court laps de temps et reconnu n'avoir recueilli que peu d'informations sur la situation des sociétés MCI SA et MCI Inc. et, d'autre part, que l'opération était " risquée ", sans rechercher, ainsi qu'elle y était cependant invitée, si la société Deloitte finance n'avait pas commis une faute en recommandant à la société 3S informatique la conception et la formalisation d'un " projet industriel séduisant pour " vendre " à EMC le rachat de MCI par 3S pour un prix autour de 50 MF ", la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1147 du code civil ;

5°/ que le devoir de conseil comporte celui de déconseiller ; que manque gravement à ses obligations la société spécialisée en conseils stratégiques aux entreprises qui, informée par son client du souci de celui-ci, non pas de se lancer dans une activité spéculative, mais de seulement surmonter les obstacles prévisibles à la poursuite de sa croissance dans son propre secteur, ne lui déconseille pas formellement une acquisition dont elle a identifié les risques et qui ne correspond pas à cet objectif ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient qu'à la suite de l'étude de la situation des deux sociétés MCI, la société Deloitte finance a clairement fait connaître, dans la rubrique de son rapport intitulée " Analyse de l'opportunité MCI pour 3S " et sous la rubrique " synthèse ", divisée en " pour " et en " contre ", que, si l'opération présentait des atouts, elle était néanmoins risquée pour les raisons qu'elle énumérait et qu'elle posait en conclusion la question suivante : " Quid du financement de l'acquisition ? risque sur le groupe 3S dans son ensemble " ; que l'arrêt retient encore que la société Deloitte finance, qui disposait d'un court laps de temps pour procéder à sa mission, a décelé les points faibles de l'opération, qu'elle en a fait part à la société 3S informatique et que, malgré les très nettes réserves exprimées par le rapport, celle-ci a poursuivi l'opération qu'elle envisageait et que ses dirigeants ont pris les décisions qu'ils étaient libres de prendre ; qu'il en déduit que la société Deloitte finance a développé une opinion circonstanciée, complétant les avis émis par les deux autres prestataires de services intervenant à ses côtés, et soulignant, comme eux, les risques courus en cas de poursuite de l'opération envisagée, quand, de son côté, et selon la lettre d'intention du 26 novembre 2001, la société 3S informatique avait évalué le prix d'acquisition à 7, 6 millions d'euros, " quels que soient les résultats des contrôles préalables, sous réserve d'une documentation satisfaisante " ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations dont elle a pu déduire qu'aucune responsabilité n'était encourue par la société Deloitte finance, et abstraction faite du motif surabondant critiqué par la troisième branche, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche non demandée visée à la quatrième branche, a légalement justifié sa décision ; que le moyen qui ne peut être accueilli en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et sur le second moyen du même pourvoi :

Attendu que la société CMS fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société Deloitte finance une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en déduisant l'abus du droit d'agir en justice de la société CMS de ce que certaines de ses allégations ne reposaient sur " aucun document probant " et de " la légèreté et la témérité avec lesquelles ces accusations sont exprimées en vue de suggérer une collusion entre la société Deloitte et la société EMC les rendent fautive ", après avoir infirmé le jugement de première instance en ce qu'il avait déclaré la société CMS irrecevable à agir, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'abus de cette dernière dans l'exercice de son droit d'agir en justice, a violé l'article 1382 du code civil ;

2°/ que l'inexécution fautive, par la société Deloitte finance, de son devoir de conseil a conduit la société CMS à réaliser pour un prix très excessif une acquisition contraire à ses intérêts, mais ayant ouvert droit, au profit de ladite société Deloitte finance, à des commissions de résultats liées au montant de l'opération ; qu'en considérant que la société CMS avait commis une faute dans l'exercice de son droit d'agir en justice en formulant l'hypothèse que cette conséquence n'avait peut-être pas été étrangère à la
cause qu'elle invoquait à l'appui d'une demande à laquelle la défenderesse opposait une clause exclusive de responsabilité, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu, par une appréciation souveraine des faits qui lui étaient soumis, que les allégations formulées par la société CMS, de façon interrogative et dubitative, ne reposaient sur aucun document probant et que la légèreté et la témérité avec lesquelles cette société avait porté des accusations en vue de suggérer une collusion entre la société EMC et la société Deloitte finance les rendaient fautives en mettant cette dernière dans l'obligation de se défendre d'accusations graves et vexatoires portées contre elle, la cour d'appel, qui n'a pas retenu à l'égard de la société Deloitte finance une inexécution fautive du contrat, a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et attendu que par suite du rejet du pourvoi de la société CMS, le pourvoi incident éventuel de la société Deloitte finance est devenu sans objet ;

PAR CES MOTIFS :

DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi n Q 11-13. 581

REJETTE le pourvoi n° K 11-13. 370.