Cass. com., 28 novembre 2018, n° 16-29.053
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Darbois
Avocats :
SCP Alain Bénabent, SCP Nicolaý, de Lanouvelle et Hannotin
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mmes E... et D... Y... et MM. Z... et Bruno Y... sont associés du Groupement forestier du Boulay et du Fourneau (le Groupement), constitué, en 1997, pour une durée de 99 ans ; que, le 5 juillet 2013, l'assemblée générale extraordinaire du Groupement a décidé à la majorité des deux tiers prévue par l'article 22-5 paragraphe b des statuts la réduction de la durée du groupement de 99 à 19 ans, portant ainsi le terme de la société au 31 décembre 2016 ; qu'estimant qu'une telle décision ne pouvait être adoptée qu'à l'unanimité et qu'elle était contraire à l'intérêt social, M. Bruno Y... a assigné le Groupement et ses associés en annulation de la délibération adoptée le 5 juillet 2013 ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois premières branches :
Attendu que M. Bruno Y... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande alors, selon le moyen :
1°/ que décider de réduire la durée de vie d'une société, revient à anticiper le terme auquel la société sera dissoute de plein droit, donc à anticiper sa dissolution ; que la décision de dissolution anticipée d'une société ne pouvant être prise, quelles que soient les stipulations statutaires qui prétendraient déroger à cette règle d'ordre public, qu'à l'unanimité, s'agissant d'une modification fondamentale du contrat de société lui-même, la décision de réduire la durée de la vie sociale ne peut elle-même être valablement adoptée qu'à l'unanimité ; que cette décision ne relève pas de la règle de la majorité, fût-elle qualifiée ; qu'au cas présent, la cour d'appel a elle-même relevé que la décision de réduire la durée de vie du Groupement forestier de 80 ans, pour la fixer 2 ans et demi après la délibération litigieuse, revenait à décider sa dissolution pour un terme anticipé ; qu'elle n'en a toutefois pas tiré les conséquences qui s'imposaient, en acceptant que les associés formant le groupe majoritaire aient pu décider cette dissolution avancée en assemblée générale extraordinaire, à une majorité des deux tiers des voix présentes ou représentées ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 1832, 1844-6 et 1844-7 du code civil, ensemble le principe selon laquelle la décision des associés de modifier le terme de la vie sociale revêt un caractère contractuel et non institutionnel ;
2°/ que les statuts du Groupement forestier assimilaient l'hypothèse de la réduction de la durée de vie de la société à celle de la dissolution anticipée, à l'article 22-5-b, en unissant ces deux décisions par la conjonction de coordination « ou » exprimant l'équivalence, dès lors que ces décisions s'inscrivaient dans une énumération dont elles ne constituaient pas les derniers termes, la locution « la réduction de durée ou la dissolution anticipée du Groupement » étant suivie par une virgule, elle-même suivie d'un autre type de décisions (« nomination et révocation du ou des liquidateurs ») ; qu'en estimant que les associés auraient, par ces statuts, manifesté une volonté de distinguer spécifiquement l'hypothèse de la « réduction de durée » de celle de la « dissolution anticipée », pour ne soumettre à la règle de majorité qualifiée édictée in limine dans l'article 22-5-b que le premier type de délibération, et non le second, lequel relèverait, lui, de l'article 5 des statuts (soumettant à la loi de l'unanimité les questions de « durée – prorogation – dissolution »), la cour d'appel a dénaturé les statuts, en violation de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, ensemble le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les documents de la cause ;
3°/ que les statuts soumettaient expressément toutes les questions de durée de vie de la société à la règle de l'unanimité, en vertu de leur article 5 précité ; que c'est par inadvertance que, au milieu de nombreuses décisions liées au fonctionnement de la société comme institution (et non à sa terminaison comme contrat susceptible d'être « résilié »), l'article 22-5-b paraissait soumettre à la règle de la majorité qualifiée (des deux-tiers des voix présentes ou représentées), à côté de la « prorogation » ou de la « dissolution anticipée », la « réduction de durée » ; qu'en refusant d'appliquer l'article 5 des statuts, qui avait manifestement la prééminence, en tant que loi spéciale des parties dérogeant à la loi générale inexactement exprimée à l'article 22-5-b, la cour d'appel a méconnu la loi des parties, en violation de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;
Mais attendu que, contrairement au postulat de la première branche, la réduction de la durée d'une société n'a pas pour conséquence d'entraîner sa dissolution anticipée ; qu'ayant retenu, par une interprétation, exclusive de dénaturation, des articles 5 et 22-5, paragraphe b, des statuts du Groupement, que l'ambiguïté de leurs termes rendait nécessaire, que les décisions de réduction de la durée du Groupement étaient soumises à la seule règle de majorité stipulée à l'article 22-5, paragraphe b précité, la cour d'appel a pu en déduire que la délibération litigieuse n'était pas soumise à la règle de l'unanimité prévue à l'article 5 des statuts, qui ne visait que les décisions de prorogation et de dissolution anticipée ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que pour rejeter la demande d'annulation de la délibération adoptée le 5 juillet 2013, l'arrêt retient que les associés représentant, par eux-mêmes ou comme mandataires, les trois quarts du capital social pouvaient décider, à la majorité des deux tiers des voix représentées, de réduire la durée du Groupement, en application de l'article 22-5, paragraphe b, des statuts ;
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. Bruno Y... qui soutenait que le vote ayant abouti à l'adoption de la résolution du 5 juillet 2013 était contraire à l'intérêt social et constituait un abus de majorité, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 novembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Limoges.