CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 21 octobre 2009, n° 08/04715
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
S.N.C. CITEL OVP, S.A.S. CITEL 2
Défendeur :
SAS ABB, S.A. INDELEC
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Monsieur Didier PIMOULLE
Conseillers :
Mme Brigitte CHOKRON, Madame Anne-Marie GABER
Avoués :
SCP ARNAUDY - BAECHLIN, SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY, SCP BOMMART-FORSTER - FROMANTIN
Avocats :
Me Michel ABELLO, Me Grégoire DESROUSSEAUX, Me Philippe TACK
Vu l'appel relevé par la s.n.c. citel ovp et la s.a.s. citel 2 cp du jugement du tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre, 3ème section, n° de RG : 04/17031), rendu le 10 janvier 2007 ;
Vu les dernières conclusions des appelantes (18 juin 2009) ;
Vu les dernières conclusions (24 avri12009) de la s.a.s. abb france, intimée et incidemment appelante ;
Vu les dernières conclusions (23 juin 2009) de la s.a. indelec, intimée et incidemment appelante ;
* *
SUR QUOI,
Considérant que la société soulé protections surtensions (sps), aux droits de laquelle se trouve présentement abb france, ayant assigné la société citel 2cp puis les sociétés citel ovp et indelec en contrefaçon du brevet européen n° 0716493 délivré le 29 juillet 1998 pour la fabrication et la commercialisation de différents modèles d'antifoudre, et les sociétés défenderesses ayant contesté la régularité des inscriptions des transferts successifs de propriété de ce brevet au Registre national des brevets, par suite l'opposabilité des droits de propriété intellectuelle dont se prévalait la société sps, le tribunal, par le jugement dont appel, a déclaré les sociétés citel et indelec recevables en leur contestation, déclaré nulles certaines des inscriptions, a rejeté leurs autres fins de non recevoir et renvoyé les parties à conclure au fond ;
Considérant, pour la bonne compréhension des circonstances du litige, qu'il convient de rappeler que le brevet en cause, obtenu à l'origine par la société soulé matériel électrique (sme), a fait l'objet des transferts successifs suivants :
- 1er transfert : de sme à la société soulé protections surtensions (sps) par l'effet d'un traité d'apport partiel d'actif de la branche autonome d'activité de protection, para-surtension, para-surtenseurs et parafoudres, traité approuvé le 31 janvier 2000,
- 2ème transfert : de sps à sa société mère soulé finances développement (sfd), le 30 novembre 2004, par l'effet de la fusion absorption de la première par la seconde qui, à cette occasion, a pris la dénomination de son ancienne filiale dissoute sps,
- 3ème transfert : de la nouvelle société sps à la société abb entrelec, le 22 décembre 2006, par l'effet de la fusion absorption de la première par la seconde qui, à cette occasion, a pris la nouvelle dénomination de abb france ;
Considérant que ces différentes opérations ont donné lieu aux inscriptions suivantes au registre national des brevets :
- 1er transfert (de sme à l'ancienne société sps) :
. le 10 novembre 2003 sous le n° 135 807,
. le 27 octobre 2005 sous le n° 148 172 à l'initiative de l'ancienne société sps,
. le 17 juillet 2006 sous le n° 154 761 à la demande de la nouvelle société sps,
- 2ème transfert (de l'ancienne société sps à la société sfd devenue la nouvelle société sps)
. le 12 avril 2005 sous le n° 144 787,
. le 27 octobre 2005 sous le n° 148 176 à la demande de sfd,
- 3ème transfert (de la nouvelle société sps à abb france)
. le 21 février 2007 sous le n°157 310 ;
Considérant, en synthèse, que les appelantes, faisant valoir que toutes ces inscriptions sont, à des titres divers, entachées d'irrégularité, demandent à la cour de les déclarer recevables à en poursuivre la nullité ou en contester la validité, de dire ces inscriptions nulles et de nul effet, à tout le moins irrégulières et leur sont donc inopposables et que, par suite, la société sps est irrecevable à agir en contrefaçon ;
Considérant que abb france fait valoir que les sociétés citel et la société indelec ne sont pas recevables, pour se défendre sur une action en contrefaçon, à contester sa propre recevabilité à agir en invoquant la nullité, partant l'inopposabilité des inscriptions au Registre national des brevets des transferts des droits afférents au brevet en cause et soutient, à titre subsidiaire, que ces inscriptions sont régulières ;
1. Sur la portée de l'article 613-9 du code de la propriété intellectuelle :
Considérant que l'article 613-9, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle dispose :
«Tous les actes transmettant ou modifiant les droits attachés à une demande de brevet ou à un brevet doivent, pour être opposables aux tiers, être inscrits sur un registre, dit Registre national des brevets, tenu par l'Institut national de la propriété industrielle.» ;
Considérant que ces dispositions ont pour effet de priver le titulaire d'un droit attaché à un brevet transmis ou modifié dont la transmission ou la modification n'aurait pas été inscrite au Registre national des brevets de toute possibilité d'agir contre un tiers en lui opposant ce même droit, lequel, en d'autres termes, devrait être tenu pour seulement virtuel jusqu'à son inscription ; que l'inopposabilité ainsi prévue se justifie par la nécessité d'inciter les titulaires de tels droits à procéder à l'inscription requise et satisfaire ainsi à la finalité d'intérêt général attachée à leur publicité ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de distinguer, parmi les tiers visés par l'article 613-9 du code de la propriété intellectuelle, selon une discrimination que ce texte ne fait pas, entre ceux qui revendiquent pour eux-mêmes le droit du titulaire prétendu, ou ceux que ce dernier poursuit en contrefaçon en vertu de ce même droit ;
Considérant que abb france n'est donc pas fondée à soutenir que l'article 613-9 du code de la propriété intellectuelle « traite uniquement de l'opposabilité des transferts de droits sur [...] un brevet, entre les personnes prétendant avoir des droits concurrents sur ce titre. » ; qu'elle prétend vainement trouver des justifications à sa thèse en rapprochant la publicité requise par ce texte des règles existant en matière de publicité foncière - par nature étrangère à un système de publicité portant sur des droits incorporels - ou de celles applicables en matière de droits d'auteur - où, précisément, la contrefaçon n'est pas subordonnée à la publicité, qui n'existe pas, de ces mêmes droits ; qu'elle se garde, en toute hypothèse, de pousser son raisonnement jusqu'à son terme et ne soutient pas qu'elle serait en droit d'opposer à un contrefacteur supposé un droit qui n'aurait fait l'objet d'aucune inscription ;
Considérant en outre que les sociétés citel et indelec, assignées sur le fondement de la contrefaçon, ont qualité pour se défendre et intérêt à le faire en contestant l'opposabilité à leur égard tiers des droits dont se prévaut la société demanderesse ; que c'est donc à juste titre que le tribunal a jugé ces sociétés recevables à invoquer les dispositions de l'article 613-9 du code de la propriété intellectuelle pour se défendre des prétentions de abb france ;
2. Sur la contestation de la validité des inscriptions litigieuses :
Considérant que les sociétés citel, non plus que la société indelec, ne contestent la validité des actes translatifs de propriété du brevet successifs ;qu'elles font seulement valoir que, les conditions de forme des demandes d'inscription de ces actes n'ayant pas été exactement observées, soit par défaut de production d'un acte original, soit pour avoir été requises par un demandeur n'ayant pas - ou plus - qualité pour effectuer la formalité, soit encore par l'absence de désignation individualisée du brevet cédé, l'information que ces inscriptions donnent quant au propriétaire actuel du brevet ne suffirait pas à rendre opposable aux tiers les droits du titulaire actuel du brevet ;
Considérant que l'article R.613-53 du code de la propriété intellectuelle prévoit que figurent sur le Registre national des brevets, « pour chaque demande de brevet ou brevet :
[...]
2°) Les actes modifiant la propriété de la demande de brevet ou du brevet ou la jouissance des droits qui lui sont attachés [...];
3°) Les changements de nom, de forme juridique ou d'adresse [...] » ;
Que les articles R.613-55 et R.-613-56, d'une part, l'article R.613-57, d'autre part, précisent, respectivement pour les inscriptions prévues au 2°) et au 3°) de l'article R.613-53, par qui doivent être demandées ces inscriptions et les pièces à produire, tandis que l'article R.613-58 prévoit, en cas de demande d'inscription incomplète ou non conforme non régularisée dans le délai imparti au demandeur, que le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle rejette la demande ;
Considérant que l'éventuelle non conformité d'une demande d'inscription ne trouve ainsi d'autre sanction, le cas échéant, que dans son rejet par le directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle ; que ce rejet, qui entraîne l'absence d'inscription de l'acte, implique l'inopposabilité aux tiers du droit qui s'y rapporte ;
Considérant, à supposer qu'une telle décision de rejet puisse l'objet d'un recours éventuel du demandeur, qu'aucune disposition n'ouvre en revanche de recours aux tiers contre une inscription effective, laquelle remplit sa fonction dès lors qu'elle permet au public d'identifier la transmission ou la modification du droit ;
Considérant en effet que les inscriptions visées au 2° et au 3° de l'article R.613-53, qui n'ont d'autre finalité que l'information du public, n'ont pas pour objet de modifier une situation juridique et ne sont pas susceptibles de faire grief ; qu'au demeurant, les recours contre les décisions du directeur général de l'Institut national de la propriété industrielle, lorsqu'ils sont ouverts, doivent être exercés, à peine d'irrecevabilité, dans le délai d'un mois et dans les formes prévues par les articles R.411-20 et suivants du code de la propriété intellectuelle ; que, ces conditions n'étant pas satisfaites en l'espèce, les sociétés citel et indelec sont en toute hypothèse irrecevables à poursuivre la nullité ou à contester la régularité, la validité ou l'effet à leur égard des inscriptions successives relatives au brevet en cause ;
Considérant, en définitive, en l'état des inscriptions dont se prévaut abb france telles que précédemment rappelées, d'où il résulte que cette société apparaît au Registre national des brevets en qualité de titulaire des droits attachés au brevet délivré initialement à sme après les différents transferts intervenus, que les sociétés citel et indelec sont recevables, mais ne sont pas fondées, sur la prétendue nullité ou inefficacité de ces inscriptions, à contester l'opposabilité des droits de abb france et la recevabilité de cette dernière à agir en contrefaçon à leur encontre ;
Considérant que le jugement entrepris sera en conséquence confirmé, sauf toutefois en ce qu'il a déclaré nulles les inscriptions n° 148172 et 148175 effectuées le 27 octobre 2005 à la requête de la société soulé protecton surtensions dissoute depuis le 30 novembre 2004, disposition au demeurant sans conséquence sur l'issue du litige entre les parties, ainsi que le tribunal l'a constaté lui-même ;
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PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré nulles les inscriptions n° 148172 et 148175 effectuées le 27 octobre 2005 à la requête de la société soulé protecton surtensions dissoute depuis le 30 novembre 2004,
Le RÉFORMANT et STATUANT à nouveau de ce seul chef,
DÉCLARE les sociétés citel ovp et citel 2 cp ainsi que la société indelec irrecevables à agir en nullité des inscriptions en cause,
DÉBOUTE les parties de toutes leurs demandes contraires à la motivation,
CONDAMNE les sociétés citel ovp et citel 2 cp ainsi que la société indelec aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.