Cass. 1re civ., 3 novembre 2016, n° 15-20.495
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Rapporteur :
Mme Wallon
Avocat général :
M. Cailliau
Avocats :
SCP Odent et Poulet, SCP Spinosi et Sureau
Attendu, selon l'arrêt attaqué ( Versailles, 7 mai 2015), que, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, le président d'un tribunal de commerce, saisi par voie de requête, a ordonné à un huissier de justice de se faire remettre et conserver sous séquestre des documents sur support informatique, en rapport avec la stratégie d'exploitation des brevets de la société MNI, permettant à la société Metabyte, qui a son siège social aux Etats-Unis, de faire valoir ses droits à l'encontre des sociétés Technicolor, Thomson Licensing et Technicolor USA Inc (les sociétés Technicolor), cette dernière ayant son siège social à Indianapolis tandis que les deux autres sont domiciliées en France ; que ces sociétés ont assigné la société Metabyte en rétractation de l'ordonnance, laquelle a sollicité, par une demande reconventionnelle, la communication des pièces séquestrées ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les sociétés Technicolor font grief à l'arrêt de rejeter la demande en rétractation de l'ordonnance et d'ordonner la communication, à la société Metabyte, des documents séquestrés, alors, selon le moyen :
1°/ que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ; que ne constitue pas une mesure d'instruction légalement admissible l'appréhension de correspondances de conseils internes et externes soumis au droit américain, travaillant aux Etats-Unis pour des sociétés américaines, dès lors que de telles correspondances sont protégées par un privilège de confidentialité résultant de la loi américaine sous l'empire de laquelle elles ont été échangées ; qu'en retenant néanmoins, pour débouter les sociétés Technicolor de leur demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 14 mai 2013 et pour ordonner la communication à la société Metabyte des documents séquestrés par un huissier, que l'article 145 du code de procédure civile exige seulement que la mesure ordonnée soit une mesure légalement admissible au regard du droit national, quand l'appréhension des documents litigieux constituait une violation des règles d'ordre public de droit américain instaurant un secret professionnel et un privilège de confidentialité, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil, le droit américain applicable à la protection du privilège de confidentialité tel qu'énoncé notamment par le Restatement (third) of the Law Governing Lawyers §119 (2000) et les articles 9 et 145 du code de procédure civile ;
2°/ que si, lorsqu'un litige présente un caractère international, la mise en oeuvre de l'article 145 du code de procédure civile ne préjuge pas de la loi qui sera applicable devant la juridiction éventuellement saisie au fond, seule une mesure de mise sous séquestre des éléments qui pourraient s'avérer couverts par un secret professionnel résultant de la loi étrangère potentiellement applicable, permet d'assurer un équilibre entre les intérêts des parties et de prévenir une atteinte irréversible au secret professionnel tel qu'il est protégé par cette loi étrangère ; que le maintien de la mesure de séquestre s'impose alors jusqu'à l'introduction de l'instance au fond et donc jusqu'à la détermination de la loi applicable au fond ; qu'en infirmant néanmoins la décision entreprise, qui avait dit qu'il convenait de garder sous séquestre les moyens de preuve saisis par l'huissier dans l'attente d'une saisine au fond et de la détermination de la loi applicable, et en ordonnant la communication à la société Metabyte des documents séquestrés, après avoir pourtant admis que le procès futur au fond pourrait être soumis au droit américain, qui prévoit un privilège de confidentialité différent de celui qui existe dans l'ordre juridique français, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil, et les articles 9 et 145 du code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir énoncé, d'abord, que la mise en oeuvre, sur le territoire français, de mesures d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile est soumise à la loi française et n'impose pas au juge de caractériser le motif légitime d'ordonner une mesure d'instruction au regard de la loi susceptible d'être appliquée à l'action au fond qui sera éventuellement engagée, ensuite, que les mesures admissibles sont celles prévues par les articles 232 à 284-1 du code de procédure civile, la cour d'appel a relevé que la mesure d'instruction sollicitée s'analysait en une mesure de constatation prévue par les articles 249 et suivants du même code, en tant que telle légalement admissible, dès lors qu'elle ne portait atteinte ni au principe de proportionnalité, ce qui n'était pas soutenu, ni aux libertés fondamentales, parmi lesquelles figuraient les règles internes de protection de la confidentialité des correspondances échangées entre le client et son avocat ainsi qu'entre l'avocat et ses confrères, les documents litigieux ayant été échangés entre des juristes n'ayant pas la qualité d'avocat au regard du droit français ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision de ce chef ;
Attendu, en second lieu, que l'arrêt énonce que le secret des affaires et le secret professionnel ne constituent pas en eux-mêmes un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile et relève que la seule réserve à la communication des documents séquestrés tient au respect du secret des correspondances entre avocats ou entre un avocat et son client édicté par l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, de sorte que rien ne s'oppose pour le surplus à la demande présentée par la société Metabyte ; que par ces énonciations et appréciations, la cour d'appel a pu statuer comme elle l'a fait, donnant leur efficacité immédiate aux mesures initialement ordonnées, qui permettent à cette société de recueillir les éléments de preuve et d'en tirer parti avant tout procès ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen, ci-après annexé :
Attendu que les sociétés Technicolor font le même grief à l'arrêt ;
Attendu que, dans son dispositif, l'arrêt n'a pas maintenu l'observation selon laquelle l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 ne vise pas les correspondances adressées pour information en copie à un avocat ; que ce moyen, qui se borne à critiquer les motifs de l'arrêt, est irrecevable ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.