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Décisions

Cass. crim., 19 juin 1997, n° 96-83.274

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

M. Roman

Avocat général :

M. Dintilhac

Avocat :

Me Foussard

Caen, du 29 avr. 1996

29 avril 1996

REJET des pourvois formés par :

- le procureur général près la cour d'appel de Caen,

- X... Charles-Marie,

contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 29 avril 1996, qui, après avoir pour partie relaxé le prévenu, notamment des chefs de malversations commises par un administrateur judiciaire et d'ingérence, l'a condamné pour complicité d'abus de biens sociaux et présentation de comptes annuels infidèles à 3 mois d'emprisonnement avec sursis et 150 000 francs d'amende.

LA COUR,

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires produits ; 

I. Sur le pourvoi du prévenu :

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 427, 453, 513, 591 et 593 du Code de procédure pénale et de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, manque de base légale, défaut de motifs :

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande d'audition de témoins et a retenu la culpabilité de Charles-Marie X... en raison du délit de présentation de faux bilan pour l'exercice 1988 ;

" aux motifs qu'au vu des pièces du dossier et des débats au fond, la cour d'appel n'a pas ordonné l'audition de M. Y... ; qu'en effet, il a été entendu lors de l'information, puis par les premiers juges qui ont procédé à son audition complète à l'audience et à sa confrontation avec Charles-Marie X... (arrêt p. 18, alinéa 7) ;

" et aux motifs que, faute de disposer de l'avis d'un technicien comptable, il est vain de soutenir que le délit de présentation de faux bilans est caractérisé pour les années 1989 et 1990 en rapprochant les propos tenus par le prévenu le 4 janvier 1989 de ce qu'il tenait au comptable de la SECAG le 9 juillet 1991, par lesquels il rappelait, s'agissant du compte courant, qu'il " n'y avait aucune provision à effectuer, car il effectuerait des propositions de règlements de dettes à 100 % " (arrêt p. 40, alinéa 5) ;

" 1° alors que, premièrement, l'audition d'un témoin s'impose à la cour d'appel, lorsque son audition est rendue nécessaire par les termes mêmes du jugement entrepris ; que l'audition du commissaire aux comptes devant les premiers juges a été inexactement rapportée dans les motifs du jugement, ainsi que cela résulte des notes d'audience ; que son audition était, dès lors, nécessaire devant la cour d'appel ;

" 2° alors que, deuxièmement, le prévenu doit disposer de tout moyen de preuve pour démontrer l'erreur de retranscription dans le jugement des notes d'audience et retraçant le déroulement des débats ; que seule l'audition du commissaire aux comptes permettait de mettre en lumière la retranscription erronée de son témoignage ; qu'en refusant de procéder à cette audition, la cour d'appel a méconnu le principe de l'égalité des armes ;

" 3° alors que, troisièmement, et en toute hypothèse, la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, rejeter la demande d'audition du commissaire aux comptes comme étant inutile et affirmer ne pas disposer d'un avis technique sur les bilans " ;

Attendu que, pour rejeter la demande d'audition du commissaire aux comptes, présentée en cause d'appel par le demandeur, l'arrêt attaqué relève que ce témoin a été entendu à l'information, puis par les premiers juges, qui ont procédé alors à son audition complète à l'audience et à sa confrontation avec le prévenu ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que le demandeur était en mesure de discuter la déposition du témoin, telle que rapportée aux notes d'audience et dans le jugement déféré, la cour d'appel, qui ne s'est référée à l'absence d'avis d'un technicien comptable que pour motiver la relaxe du chef de présentation de comptes annuels infidèles pour les exercices 1989 et 1990, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation de l'article 437-2° de la loi du 24 juillet 1966, des articles 8, 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de prescription et a retenu la culpabilité de Charles-Marie X... en raison du délit de présentation de faux bilans pour l'exercice 1988 ;

" aux motifs que, s'agissant du délit de présentation de faux bilans pour les exercices 1988, 1989 et 1990, en se fondant sur un rapport du 4 janvier 1989 adressé au procureur de la République d'Avranches, et par lequel Charles-Marie X... précisait que la créance de la société SPAP sur les époux Z..., d'une somme de 3 190 418 francs, " ne serait pas intégralement payée si elle l'était en partie ", le ministère public reproche au prévenu d'avoir présenté des bilans inexacts pour les exercices 1988 à 1990, ne comportant aucune provision tenant compte du caractère non recouvrable de cette créance ; que, pour cela, il est fait état notamment des déclarations des comptables A... et B... qui, prenant connaissance, au cours de l'enquête, du courrier du 4 janvier 1989, estimaient avoir été trompés par l'administrateur judiciaire, qui les avait assurés à plusieurs reprises que cette créance serait intégralement payée ; que ces témoins ajoutaient que cet élément nouveau les aurait conduits à provisionner en grande partie cette créance ; que Charles-Marie X... soutient que l'infraction concernant l'exercice 1988 est prescrite ; que ce moyen sera rejeté ; qu'en effet, par réquisitions des 4 mars et 6 août 1991, le ministère public donnait l'ordre aux services de police judiciaire d'enquêter sur les infractions pénales commises au sein de la société SPAP ; qu'à ces demandes d'enquête étaient joints divers documents faisant état du compte courant débiteur des époux Z..., des détournements de chèques des clients de la société (chèques Collin) et de leurs incidences sur la comptabilité de l'entreprise ; que, le 22 janvier 1992, le ministère public demandait aux mêmes services d'approfondir l'enquête sur le montant des détournements, le mode opératoire utilisé et les complicités éventuelles au sein des sociétés du groupe SPAP ou parmi les interlocuteurs extérieurs à ce groupe ; que de telles réquisitions d'enquête sur les infractions susceptibles d'avoir été commises dans le cadre d'une société commerciale, objet d'une procédure collective, sont des actes de poursuite qui impliquent nécessairement la recherche de tout délit dont a pu être victime la personne morale et de toutes les infractions qui leur seraient connexes ou indivisibles ; qu'ainsi elles sont interruptives de prescription à l'égard des infractions liées à la vie sociale et rattachées aux faits principaux par un lien de connexité ; que l'infraction de présentation de faux bilans est en rapport étroit et complémentaire avec les abus de biens sociaux reprochés à Mme Z..., puisqu'elle concerne exclusivement le dessein de l'administrateur judiciaire de masquer le caractère non recouvrable des détournements inscrits au débit de son compte courant, et ce en concertation avec Mme Z... ; que, par ailleurs, s'agissant des années 1989 et 1990, faute de disposer de l'avis d'un technicien comptable, il est vain de soutenir que le délit de présentation de faux bilans est caractérisé en rapprochant les propos tenus par Charles-Marie X... le 4 janvier 1989 de ceux qu'il tenait au comptable de la SECAG le 9 juillet 1991, par lesquels il rappelait, s'agissant du compte courant, qu'" il n'y avait aucune provision à effectuer, car il effectuerait des propositions de règlements de dettes à 100 % " ; que, comme le soutient Charles-Marie X..., sans être sérieusement contredit, les deux écrits sont distants d'un an et demi et ne peuvent être utilement comparés, alors que la situation de la Société SPAP, et donc les difficultés de remboursement de Mme Z... ont pu favorablement évoluer pendant cette période ; qu'ainsi, il n'est pas établi avec une certitude suffisante que la créance de la société à l'égard des époux Z... était manifestement irrecouvrable sur les années 1989 et 1990 et qu'elle nécessitait de ce fait l'inscription d'une provision pour créance douteuse ; qu'en revanche, en écrivant le 4 janvier 1989 que cette créance " ne serait pas intégralement payée si elle l'était en partie ", Charles-Marie X..., compte tenu de ses compétences, et conformément au principe de prudence comptable et aux obligations édictées par l'article 9 du Code de commerce, ne pouvait ignorer que cette créance devait nécessairement entraîner l'inscription d'une provision importante au bilan de l'exercice 1988 pour que les comptes reflètent objectivement la situation comptable de la société ; que Charles-Marie X... ne peut soutenir que le rapport du 4 janvier 1989 était rédigé dans l'ignorance des comptes de 1988, alors que l'exercice était clos et qu'il ne faisait aucune réserve sur le résultat de ces comptes en cours d'établissement ; qu'en ne recourant pas à la technique des provisions, Charles-Marie X... a violé les règles de sincérité et de prudence comptables ; que le risque de défaut de paiement est un élément objectif et concret que la technique comptable doit prendre en compte, indépendamment des obligations légales des débiteurs ; que Charles-Marie X... sera donc déclaré coupable de présentation de faux bilans pour l'exercice 1988 et que le jugement serait réformé au bénéfice du doute en ce qu'il avait retenu le prévenu dans les liens de la prévention pour les bilans 1989 et 1990 ;

" 1° alors que, premièrement, les réquisitions du procureur de la République prises dans le cadre de l'article 75 du Code de procédure pénale n'interrompent la prescription de l'action publique qu'à la condition de viser des faits précis ; que par réquisitions des 4 mars et 6 août 1991 le ministère public ordonnait aux services de police de rechercher toutes infractions pénales commises au sein de la société SPAP ; que, par leur généralité, et nonobstant les pièces qui n'y étaient annexées qu'à titre d'exemple, ces réquisitions ne visaient aucun fait précis et n'ont interrompu la prescription de l'action publique à l'égard d'aucune infraction ;

" 2° alors que, deuxièmement, appelée à statuer sur l'exception de prescription de l'action publique, la cour d'appel n'a pas déterminé la date de commission du délit reproché à Charles-Marie X..., de telle sorte que s'il fallait considérer que l'infraction de présentation de faux bilans a été consommée au cours de l'année 1988, et au plus tard au 4 janvier 1989, seule circonstance constatée par l'arrêt, les réquisitions du ministère public du 22 janvier 1992 qui au demeurant visent d'éventuels faits de détournements de fonds et non des infractions comptables n'ont pu interrompre le cours de la prescription de l'action publique, qui expirait, dans cette hypothèse, le 4 janvier 1992 ;

" 3° alors que, troisièmement, en tout cas, et quant au fond, s'il fallait considérer que l'infraction a été commise en 1989, l'arrêt souffre d'une insuffisance, puisqu'il est constaté qu'en 1989 Charles-Marie X... a pu légitimement croire en la solvabilité des époux Z... " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt partiellement confirmatif attaqué que, par jugements des 26 septembre et 2 octobre 1987, le tribunal de commerce de Granville a prononcé le redressement judiciaire de la Société parisienne de prêt-à-porter (SPAP), dont Jack Z... et son épouse, née Brigitte D..., avaient été successivement président du conseil d'administration, ainsi que le redressement judiciaire personnel des époux Z..., et a désigné dans les deux procédures Charles-Marie X... comme administrateur ;

Sur le moyen pris en ses deux premières branches :

Attendu que, pour dire non prescrit le délit de présentation de comptes annuels infidèles de la SPAP, en ce qui concerne l'exercice 1988, l'arrêt attaqué retient que ces comptes ont été présentés aux actionnaires le 28 juin 1989 et que la prescription de l'action publique a été interrompue par les réquisitions du procureur de la République adressées aux services de police judiciaire les 4 mars et 6 août 1991, aux fins d'enquêter sur les infractions pénales commises au sein de la société SPAP, et le 22 janvier 1992, en vue d'approfondir l'enquête sur le montant des détournements, le mode opératoire utilisé et les complicités éventuelles ;

Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors qu'en cas d'infractions connexes, un acte interruptif de la prescription concernant l'une d'elles a nécessairement le même effet à l'égard des autres, la cour d'appel, loin de violer les articles 7 et 8 du Code de procédure pénale, en a fait l'exacte application ;

Sur le moyen pris en sa troisième branche :

Attendu que, pour déclarer Charles-Marie X... coupable de présentation de comptes annuels infidèles de la société SPAP, en ce qui concerne le seul exercice 1988, l'arrêt attaqué relève que le prévenu n'a fait inscrire au bilan aucune provision au sujet de la créance de la société sur les époux Z..., dont le compte courant était débiteur de 3 190 418 francs, alors que, dans un rapport adressé au procureur de la République le 4 janvier 1989, il avait écrit que cette créance " ne serait pas intégralement payée, si elle l'était en partie " ;

Que les juges ajoutent que, pour satisfaire aux exigences de l'article 9 du Code de commerce, une provision pour créance douteuse d'au moins 50 % de son montant aurait dû être inscrite au bilan de l'exercice 1988, selon l'avis des experts comptables entendus au cours de la procédure ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations procédant d'une appréciation souveraine, et dès lors que les comptes annuels doivent donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise au dernier jour de l'exercice, la cour d'appel, qui a tenu compte des allégations du prévenu relatives à l'évolution de la solvabilité des époux Z... pour le relaxer du chef de présentation de comptes annuels infidèles en ce qui concerne les exercices 1989 et 1990, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Qu'ainsi le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation de l'article 437-2° de la loi du 24 juillet 1966, des articles 8, 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Charles-Marie X... coupable de complicité d'abus de biens sociaux au préjudice de la société Manche Confection ;

" aux motifs que, le 23 avril 1990, Charles-Marie X... a constitué la SCI Adel comprenant quatre associés, c'est-à-dire Me C..., M. B..., Brigitte Z... et lui-même ; que l'objet social était de construire de nouveaux locaux dont la société Manche Confection deviendrait locataire, l'apport de chacun des associés étant fixé à 150 000 francs ; qu'il est à préciser que, dès le 3 octobre 1989, la SPAP avait pris le contrôle de la société Manche Confection et que Mme Z... en était devenue président du conseil d'administration ; que Charles-Marie X... était lui-même administrateur de cette société et participait, aux côtés du dirigeant, aux actes de gestion de la SA ; que Charles-Marie X... avait décidé la constitution de la SCI Adel et que la société Manche Confection paierait à Mme Z..., sur un compte courant, un salaire mensuel de 20 000 francs qui serait bloqué jusqu'à la souscription du capital social de la société Adel ; qu'avant la création de la société Adel Mme Z... ne percevait aucun salaire de la société Manche Confection ; qu'il convient de rappeler que les tâches de Mme Z... au sein de la société Manche Confection étaient réduites, compte tenu de ses activités dans les autres entreprises qu'elle dirigeait ; que le seul élément qui a déterminé, à partir de février 1990, le paiement d'un salaire net de 20 000 francs mensuels, avec effet rétroactif au 1er décembre 1989, était incontestablement la décision de Charles-Marie X... de constituer une SCI à laquelle devait être associée Mme Z..., laquelle n'avait d'autre solution, pour libérer ses parts sociales, que de recevoir de Manche Confection une rémunération qu'elle avait pourtant reconnue justifiée quelques semaines auparavant ; que, dès lors, la décision de faire payer par Manche Confection un salaire auquel Mme Z... avait renoncé, pour le seul besoin de constituer partie du capital de la SCI dans laquelle le prévenu était associé, caractérise un usage des biens de la société dans un intérêt contraire à celle-ci et qui profitait incontestablement non seulement à son associée, Mme Z..., mais également à la SCI dont Charles-Marie X... était associé et gérant ; que cette décision portait incontestablement un préjudice à la société Manche Confection qui, subissant des difficultés financières, n'avait pas payé de rémunérations à Mme Z..., et qui a dû ensuite supporter financièrement, et sans contrepartie nouvelle, la souscription du quart du capital social d'une SCI dont elle devenait ensuite la locataire, sans être au nombre de ses associés ; que l'infraction d'abus de biens sociaux est imputable au premier chef à Mme Z..., président de la société Manche Confection, qui en a directement bénéficié ; qu'il est établi que Charles-Marie X... en a été l'initiateur en donnant des instructions et en décidant de faire verser une rémunération à Mme Z... ; qu'eu égard à la mission confiée par le tribunal de commerce, qui le conduisait à participer, directement aux côtés du dirigeant, aux actes de gestion de la SA, Charles-Marie X... s'est donc sciemment rendu complice par instructions, puis par aide ou assistance, du délit principal commis par Mme Z... ;

" 1° alors que, premièrement, l'abus de biens sociaux n'est pas constitué si l'usage qui est fait des biens profite à la société ; que la cour d'appel n'a pas constaté que l'activité de la SCI Adel ne profitait pas à la société Manche Confection, qui avait besoin de nouveaux locaux ; qu'elle a ainsi privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

" 2° alors que, deuxièmement, faute d'avoir recherché si la constitution de la SCI Adel n'a pas semblé nécessaire, eu égard aux prévisions du plan de redressement de la SA Manche Confection, tout autant qu'en ce qui concerne le redressement du groupe de sociétés organisé autour de la société SPAP, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'élément intentionnel de la complicité reprochée à Charles-Marie X... " ;

Sur le quatrième moyen de cassation pris de la violation de l'article 437-2 de la loi du 24 juillet 1966, des articles 8, 591 et 593 du Code de procédure pénale, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Charles-Marie X... coupable de complicité d'abus de biens sociaux au préjudice de la société Manche Confection ;

" aux motifs que, le 23 avril 1990, Charles-Marie X... a constitué la SCI Adel, comprenant quatre associés, c'est-à-dire Me C..., M. B..., Brigitte Z... et lui-même ; que l'objet social était de construire de nouveaux locaux dont la société Manche Confection deviendrait locataire, l'apport de chacun des associés étant fixé à 150 000 francs ; qu'il est à préciser que, dès le 3 octobre 1989, la SPAP avait pris le contrôle de la société Manche Confection et que Mme Z... en était devenue présidente du conseil d'administration ; que Charles-Marie X... était lui-même administrateur de cette société et participait, aux côtés du dirigeant, aux actes de gestion de la SA ; que Charles-Marie X... avait décidé la constitution de la SCI Adel et que la société Manche Confection paierait à Mme Z..., sur un compte courant, un salaire mensuel de 20 000 francs qui serait bloqué jusqu'à la souscription du capital social de la société Adel ; qu'avant la création de la société Adel, Mme Z... ne percevait aucun salaire de la société Manche Confection ; qu'il convient de rappeler que les tâches de Mme Z... au sein de la société Manche Confection étaient réduites, compte tenu de ses activités dans les autres entreprises qu'elle dirigeait ; que le seul élément qui a déterminé, à partir de février 1990, le paiement d'un salaire net de 20 000 francs mensuels, avec effet rétroactif au 1er décembre 1989, était incontestablement la décision de Charles-Marie X... de constituer une SCI à laquelle devait être associée Mme Z..., laquelle n'avait d'autre solution pour libérer ses parts sociales que de recevoir de Manche Confection une rémunération qu'elle avait pourtant reconnue injustifiée quelques semaines auparavant ; que, dès lors, la décision de faire payer par Manche Confection un salaire auquel Mme Z... avait renoncé, pour le seul besoin de constituer partie du capital de la SCI dans laquelle le prévenu était associé, caractérise un usage des biens de la société dans un intérêt contraire à celle-ci et qui profitait incontestablement non seulement à son associée, Mme Z..., mais également à la SCI dont Charles-Marie X... était associé et gérant ; que cette décision portait incontestablement un préjudice à la société Manche Confection qui, subissant des difficultés financières, n'avait pas payé de rémunérations à Mme Z..., et qui a dû ensuite supporter financièrement, et sans contrepartie nouvelle, la souscription du quart du capital social d'une SCI dont elle devenait ensuite la locataire, sans être au nombre de ses associés ; que l'infraction d'abus de biens sociaux est imputable au premier chef à Mme Z..., président de la société Manche Confection, qui en a directement bénéficié ; qu'il est établi que Charles-Marie X... en a été l'initiateur en donnant des instructions et en décidant de faire verser une rémunération à Mme Z... ; qu'eu égard à la mission confiée par le tribunal de commerce, qui le conduisait à participer directement, aux côtés du dirigeant, aux actes de gestion de la SA, Charles-Marie X... s'est donc sciemment rendu complice par instructions, puis par aide ou assistance, du délit principal commis par Mme Z... ;

" 1° alors que, premièrement, l'abus de biens sociaux suppose qu'un dirigeant ait pris un engagement au nom de la société qu'il dirige ; que la rémunération payée au président du conseil d'administration résulte d'une décision du conseil d'administration ; que la rémunération de Mme Z..., au titre de ses fonctions de président du conseil d'administration de la SA Manche Confection, résulte d'une décision de ce conseil d'administration et non d'une décision de Mme Z... elle-même ; qu'en décidant que le paiement de cette rémunération pouvait constituer un abus de biens sociaux, dont Charles-Marie X... aurait été complice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

" 2° alors que, deuxièmement, l'abus de biens sociaux résulte de l'usage fait des biens et du crédit d'une société ; qu'en disposant des sommes versées sur son compte courant d'associé, Mme Z... n'a pas fait usage des biens et du crédit de la SA Manche Confection ; que, dès lors, l'infraction d'abus de biens sociaux n'est pas caractérisée et que Charles-Marie X... ne peut en être complice ;

" 3° alors que, troisièmement, et en toute hypothèse, le président d'une société anonyme a droit à une rémunération, quelles que soient les fonctions qu'il exerce, du seul fait des responsabilités qu'il assume et du mandat dont il est chargé ; qu'en se fondant sur le seul fait que l'activité de Mme Z... dans la SA Manche Confection était réduite la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

" 4° alors que, quatrièmement, et en tout cas, l'administrateur provisoire d'une société anonyme ne participe pas aux décisions du conseil d'administration ; qu'en retenant la complicité de Charles-Marie X..., ce qui postule qu'il a pris une part dans la décision du conseil d'administration de la SA Manche Confection relative à la rémunération de Mme Z..., la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, selon l'arrêt attaqué, Charles-Marie X..., qui avait été nommé par une décision du tribunal de commerce de Coutances administrateur provisoire de la société Manche Confection, a constitué avec Brigitte Z..., président de son conseil d'administration, et avec deux autres personnes, une société civile immobilière en vue de construire des locaux industriels qui ont été donnés à bail à la société ; que Brigitte Z... a libéré ses parts de la SCI par le débit de son compte courant au sein de la société anonyme ;

Attendu que, pour déclarer Charles-Marie X... coupable, notamment par instructions données, de complicité d'abus de biens sociaux, la juridiction du second degré retient que Brigitte Z..., qui avait une activité très réduite dans la société Manche Confection, où elle ne paraissait qu'une fois par mois, et qui avait, au cours d'une séance du comité d'entreprise, déclaré renoncer à percevoir un salaire, a néanmoins, à l'instigation du prévenu, fait porter à son compte courant d'associé un salaire mensuel de 20 000 francs destiné uniquement, à ses propres dires, à libérer sa part du capital de la SCI ;

Attendu qu'en cet état la cour d'appel, qui a souverainement apprécié le caractère abusif du salaire perçu par Brigitte Z... sans contrepartie effective au profit de la société, laquelle n'a obtenu la disposition des locaux construits par la SCI qu'en lui versant un loyer, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

D'où il suit que les moyens, nouveaux et mélangés de fait en ce qu'ils allèguent l'existence d'une délibération du conseil d'administration fixant la rémunération de Brigitte Z..., ne peuvent être admis ;

II. Sur le pourvoi du procureur général :

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 175 ancien et 432-12 nouveau du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que la cour d'appel a renvoyé Charles-Marie X... des fins de la poursuite du chef d'ingérence " ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué qu'ayant été désigné par le tribunal de commerce en qualité d'administrateur provisoire de la société Manche Confection Charles-Marie X... a constitué, avec d'autres personnes, une société civile immobilière qui a donné à bail des locaux industriels à la société qu'il était chargé d'assister ;

Attendu que, pour renvoyer le prévenu des fins de la poursuite du chef d'ingérence, l'arrêt attaqué énonce que " la qualité professionnelle de Charles-Marie X... et le cadre dans lequel celui-ci exerçait ses fonctions dans la société Manche Confection ne sont pas compris dans les qualités ou fonctions visées à l'article 175 ancien du Code pénal applicable à la date des faits " ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, et dès lors que, n'étant pas chargé d'une mission de service public et n'exerçant aucune prérogative de puissance publique, un administrateur provisoire, bien que nommé par décision de justice, n'est pas un agent du gouvernement, fonctionnaire ou officier public, au sens de l'article 175 précité, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Qu'ainsi le moyen doit être écarté ;

Mais sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 207 de la loi du 25 janvier 1985, 591 et 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que la cour d'appel a renvoyé Charles-Marie X... des fins de la poursuite du chef de s'être rendu acquéreur, directement ou indirectement, de biens du débiteur " ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que constituent des biens du débiteur, au sens de l'article 207, alinéa 2, de la loi du 25 janvier 1985, tous les éléments actifs et passifs du patrimoine ; que ne peuvent en être exclues les créances sur le débiteur et les actions ou parts sociales de la société en redressement judiciaire, qui ouvrent droit à une quote-part de l'actif en cas de liquidation ;

Attendu qu'il résulte du jugement et de l'arrêt que Charles-Marie X..., administrateur au redressement judiciaire de la SPAP, a acheté par l'intermédiaire d'un prête-nom 10 % des actions de cette société ;

Attendu que, pour relaxer le prévenu du chef du délit d'acquisition directe ou indirecte d'un bien du débiteur par un mandataire de justice désigné dans une procédure collective, prévu par l'article 207, alinéa 2, de la loi du 25 janvier 1985, l'arrêt attaqué se borne à énoncer qu'étant un titre constatant la créance de l'actionnaire sur la société à hauteur de l'apport qui en est la contrepartie, l'action ne peut être considérée comme un bien du débiteur ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ;

Que, dès lors, la cassation est encourue de ce chef ;

Et sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 207, alinéa 1er, 2°, de la loi du 25 janvier 1985, 591 et 593 du Code de procédure pénale :

" en ce que la cour d'appel a renvoyé Charles-Marie X... des fins de la poursuite du chef d'avoir, dans un intérêt personnel, fait un usage de ses pouvoirs d'administrateur judiciaire contraire aux intérêts des créanciers ou du débiteur " ;

Vu lesdits articles ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte du jugement et de l'arrêt que Charles-Marie X..., désigné en qualité d'administrateur dans les deux procédures de redressement judiciaire ouvertes à l'égard de la SPAP et de ses dirigeants, les époux Z..., a déclaré au représentant des créanciers de ces derniers la créance de la société résultant de leur compte courant débiteur, fixée provisoirement à 1 franc ;

Que, néanmoins, faute de figurer à l'état des créances du redressement judiciaire des époux Z..., déposé au greffe du tribunal de commerce et visé par le juge commissaire, la créance de la SPAP s'est trouvée éteinte en vertu de l'article 53 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Attendu que, pour renvoyer Charles-Marie X... des fins de la poursuite du chef d'avoir, dans son intérêt, fait, de ses pouvoirs d'administrateur au redressement judiciaire, un usage qu'il savait contraire aux intérêts des créanciers ou du débiteur, infraction prévue par l'article 207, alinéa 1er, 2°, de la loi du 25 janvier 1985, la cour d'appel, après avoir relevé que l'administrateur a reçu du représentant des créanciers quatre états provisoires, qu'il a assisté à la vérification des créances et qu'il n'a pas signalé l'omission de celle de la SPAP dans ces documents, énonce que " l'attitude de passivité et d'attente de Charles-Marie X..., pour critiquable qu'elle soit, ne peut suffire à caractériser l'intérêt personnel exigé par l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985, puisqu'elle a eu pour effet d'appauvrir la SPAP, que le prévenu cherchait à contrôler, voire à s'approprier " ;

Que les juges ajoutent que " l'intérêt personnel de Charles-Marie X... dans ce même dessein, en avantageant manifestement Mme Z..., est certes discernable, mais insuffisamment caractérisé pour permettre de prononcer une déclaration de culpabilité " ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi les juges, qui ne pouvaient, sans se contredire, déclarer non caractérisé l'intérêt personnel de Charles-Marie X..., tout en constatant son dessein de prendre le contrôle de la société, en accord avec son dirigeant, ont privé de base légale leur décision ;

D'où il suit que la cassation est à nouveau encourue ;

Par ces motifs :

I. Sur le pourvoi de Charles-Marie X... :

Le REJETTE ;

II. Sur le pourvoi du procureur général :

CASSE ET ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Caen, en date du 29 avril 1996, en ses seules dispositions ayant renvoyé Charles-Marie X... des fins de la poursuite des chefs d'infractions à l'article 207 de la loi du 25 janvier 1985 et ayant prononcé la peine, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et, pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée :

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris.