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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 10 novembre 2020, n° 19/08127

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Valay-Brière

Conseillers :

Mme Baumann, Mme Bonnet

T. com. Nanterre, du 26 mars 2019

26 mars 2019

M. Guillaume D., par contrat de travail à durée indéterminée du 12 janvier 2009, a été embauché en qualité de cadre commercial par la société Solareo, présidée par M. Frédéric S..

Le 18 décembre 2009, M. D., devenu associé de la société Solareo, a consenti au bénéfice de M. S. une promesse irrévocable de cession de ses actions dans la société Solareo, en cas de perte de sa qualité de salarié de cette société.

Par convention de transfert du 1er juillet 2011, le contrat de travail de M. D. a été transféré à la société Solareo energy ; un nouveau contrat de travail a été signé entre la société Solareo energy et M. D., nommé directeur des opérations à compter du 1er juillet 2011.

À compter du 1er février 2014, un nouveau contrat de travail a été établi au nom de M. D. par la société Synergeco, autre société du même groupe également dirigée par M. S. ; celui-ci occupait toujours les fonctions de directeur des opérations.

M. D. a été licencié par lettre du 10 décembre 2015, licenciement qu'il a contesté par lettre du 31 décembre 2015 avant de saisir le conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye qui, par jugement du 17 juillet 2017, a notamment dit que M. D. était salarié de la société Synergeco, que son licenciement reposait sur un motif économique et l'a débouté de l'intégralité de ses demandes. La procédure est actuellement pendante devant la présente cour.

Par courrier du 16 mars 2018, M. S. a fait part à M. D. de sa décision de lever l'option consentie et de se porter acquéreur des 925 actions détenues par M. D. au prix d’un euro.

Par un courrier du 24 avril 2018, M. D. s'est opposé à cette demande en faisant valoir que cette promesse lui avait été extorquée lors de son embauche, celui-ci soutenant avoir dû signer un document en blanc et qu'en tout état de cause, elle était devenue caduque puisqu'elle prévoyait un délai de levée d'option qui était expiré.

Le 11 juin 2018, M. S. a assigné M. D. devant le tribunal de commerce de Nanterre afin d'obtenir la régularisation de l'acte de cession de ses actions dans la société Solareo.

Par décision contradictoire du 26 mars 2019, le tribunal a :

- condamné M. D. à régulariser les actes de cession de ses 925 actions dans la société Solareo au prix global d'un euro, 'déboutant du surplus de la demande' ;

- condamné M. D. à payer à M. S. la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant du surplus de la demande ;

- condamné M. D. aux dépens.

M. D. a interjeté appel de cette décision le 21 novembre 2019.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 28 août 2020, il demande à la cour de :

- réformer ou infirmer intégralement le jugement ;

Statuant de nouveau,

- débouter M. S. de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner M. S. au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 ainsi qu'aux entiers dépens.

M. D. qui rappelle les dispositions de l'article 1589 du code civil, la définition de la promesse unilatérale de vente ainsi que les articles 1190 et 1192 du code civil sur l'interprétation des contrats, expose qu'à défaut pour le bénéficiaire de lever l'option dans le délai prévu, la promesse devient automatiquement caduque. Il soutient, au regard de la rédaction de la promesse litigieuse, que d'une part le point de départ de la levée d'option d'acquérir les titres était son départ des effectifs de la société Solareo, le contrat visant tous les cas de perte de la qualité de salarié de la société ; que la perte de cette qualité étant intervenue le 1er juillet 2011, date à laquelle il a accepté le transfert de son contrat de travail vers la société Solareo energy, ce transfert étant conventionnel et non légal au sens de l'article L.1224-1 du code du travail et impliquant la perte de sa qualité de salarié de la société Solareo par la signature d'un nouveau contrat de travail, le premier juge ne pouvait considérer que le point de départ du délai d'option devait être fixé au 15 décembre 2015 ; que d'autre part, le délai à l'issue duquel la cession devait être régularisée à compter de son départ de la société était de 30 jours, soit le délai d'option accordé au bénéficiaire pour lever la promesse ; qu'en effet il ne peut être sérieusement retenu comme l'a fait le tribunal auquel il reproche une dénaturation du contrat, que ce délai n'était pas un délai d'option, que le bénéficiaire n'était enfermé dans aucun délai pour lever la promesse et que celui-ci pesait uniquement sur le promettant alors même qu'en signant la promesse ce dernier donne déjà son consentement à la cession qui ne devient parfaite que par la manifestation de la volonté du bénéficiaire d'accquérir à travers la levée de l'option.

Il soutient que par conséquent M. S. ne pouvait valablement lever la promesse qu'entre le 1er juillet 2011 et le 31 juillet suivant, la promesse étant caduque le 1er août 2011.

Il fait valoir en outre que :

- pour le cas où la cour considérerait que le point de départ prévu par la promesse devait être fixé au 15 décembre 2015, elle constaterait qu'au 16 mars 2018, le délai de 30 jours était également expiré de sorte que la cession ne pouvait intervenir,

- pour le cas où elle considérerait que le délai de 30 jours n'était pas un délai d'option, elle constaterait que faute de délai contractuel, l'exercice de la promesse était soumis à la prescription quinquennale de sorte que l'intimé ne pouvait agir en vertu de cette promesse que jusqu'au 31 juillet 2016 au plus tard,

- enfin, pour le cas où la cour ne retiendrait aucune des deux précédentes hypothèses, elle constaterait, au regard notamment du lourd contentieux qui s'est développé entre lui et son ancien employeur depuis décembre 2015, que la levée de l'option n'est pas intervenue dans un délai raisonnable comme l'impose la jurisprudence, s'agissant d'une promesse de vente stipulée sans délai.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 2 septembre 2020 , M. S. demande à la cour de :

- le recevoir en ses demandes et l'y déclarer bien fondé ;

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement ;

En tout état de cause,

- condamner M. D. à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner aux entiers dépens dont le recouvrement sera effectué, pour ceux-là concernant, par maître Oriane D., membre du cabinet JRF avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

M. S. soutient en premier lieu que son action n'est pas prescrite dans la mesure où M. D. a été salarié du groupe Solareo, avec transferts intragroupe par application de l'article L.1224-1 du contrat de travail et poursuite de son contrat de travail jusqu'à son licenciement pour motif économique ; que le contrat de travail de l'appelant s'est poursuivi de plein droit avec le nouvel employeur, les dispositions d'ordre public de l'article L.1224-1 s'imposant tant à l'employeur qu'au salarié, sans novation du contrat comme le précise d'ailleurs la convention de transfert signée le 1er juillet 2011 ; que les sociétés Synergeco et Solareo energy qui font partie du même groupe n'existaient pas lorsqu'il a été embauché au sein de la société Solareo, ce que sait parfaitement l'appelant qui n'a eu de cesse de plaider qu'il a contribué à la création et au développement de ces sociétés.

Il expose ensuite que si la promesse que M. D. a consentie indiquait un délai de régularisation spontanée de 30 jours à compter de son départ, elle n'enfermait par contre le bénéficiaire dans aucun délai de levée d'option, ce délai de 30 jours donné 'à titre indicatif' n'étant pas constitutif d'un délai de levée d'option ; qu'au contraire, à la lecture complète de l'engagement de M. D., on comprend que la volonté des parties était de prévoir un délai d'option implicite valable tant que la promesse n'était pas dénoncée, celle-ci n'étant enfermée dans aucun délai ; que considérer que les parties auraient fixé ou inséré un délai reviendrait à dénaturer leur intention qui était de laisser une option ouverte à M. D. de sorte qu'il était en mesure de pouvoir dénoncer l'option à tout moment et que lui-même, comme l'a jugé le tribunal, n'était enfermé dans aucun délai tant pour réclamer la levée que l'exécution forcée, la promesse à durée déterminée n'ayant été résiliée par aucune des parties.

Observant en outre que le dossier a été extrêmement contentieux et que M. D. a saisi le juge des référés puis le conseil de prud'hommes en faisant appel du jugement qui a été rendu, il souligne que celui-ci n'a d'ailleurs jamais jugé opportun de dénoncer sa promesse de cession d'actions et que devant l'absence d'exécution de celle-ci, il a légitimement levé l'option d'achat dont il bénéficiait par courrier recommandé envoyé le 16 mars 2018, cette levée d'option, réalisée dans un délai raisonnable compte tenu du dossier, étant toujours parfaitement valable de sorte que le jugement devra être confirmé en ce qu'il a condamné M. D. à exécuter l'obligation contractuelle qu'il a librement consentie.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 septembre 2020.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

Selon l'article 1589 du code civil, la promesse de vente vaut vente lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix.

Lorsque les termes d'une convention sont clairs et précis, il n'y a pas lieu à interprétation sous peine de dénaturer les obligations qui en résultent ou de modifier les stipulations qu'elle comporte.

Par acte sous seing privé établi le 18 décembre 2009 en faveur de M. S., président de la société Solareo, M. D. s'est engagé à céder les actions qu'il y détenait en ces termes :

' Je m'engage, par la présente, irrévocablement à vous céder ou à céder au profit d'une société que vous vous substitueriez, l'ensemble des actions que je détiendrais dans la société Solareo et ce, en cas de perte de ma qualité de salarié de la société Solareo pour quelque cause que ce soit (démission, licenciement, rupture conventionnelle, ...).

Cette cession sera régularisée dans les 30 jours de mon départ.

Le prix global de cette cession sera le suivant :

SITUATION NETTE DE LA SOCIETE figurant au dernier bilan approuvé x nombre de titres cédés / nombre total de titres = prix de cession.

Je vous confirme avoir bien réfléchi à cet engagement l'avoir consenti librement. En conséquence de quoi, si je ne m'exécutais pas lors de mon départ de la société, vous pourriez recourir à l'exécution forcée en nature des présentes.'

Étant précisé que les parties s'accordent pour dire que M. S. devait exercer son option pour que la cession puisse intervenir, il convient en premier lieu de définir si celui-ci était tenu de lever cette option dans un délai déterminé, et le cas échéant de recourir à l'exécution forcée de la cession d'actions, l'appelant n'opposant qu'à titre subsidiaire la prescription au bénéficiaire de la cession d'actions.

La promesse consentie par M. D. est une promesse unilatérale de cession des actions qu'il détenait par laquelle il s'est engagé irrévocablement à céder ses parts au cessionnaire, la nature de cette promesse impliquant que dès la signature de cet acte, il donnait son consentement à cette cession.

La promesse précise que la 'cession' sera régularisée dans le délai de trente jours du départ du salarié de la société, l'emploi de l'indicatif ayant une valeur impérative ; pour que la cession puisse intervenir dans ce délai, M. S., bénéficiaire de la cession devait, exerçant son option, confirmer qu'il acceptait la cession, étant souligné que celui-ci était le président des trois sociétés qui ont successivement employé M. D. et que M. S. a signé la lettre qui a mis fin au contrat de travail de M. D. ; il est d'ailleurs précisé dans la dernière phrase de l'acte valant promesse de cession des actions, à propos de l'exécution forcée à laquelle peut recourir le bénéficiaire de la cession, que celle-ci peut intervenir si le cédant ne s'exécute pas 'lors' de son 'départ de la société', ce qui confirme que l'exécution de la cession de la part du promettant devait s'effectuer sans délai, le délai d'un mois concernant exclusivement le bénéficiaire de la cession.

Si les parties s'opposent sur la date du départ de M. D. de la société Solareo, celui-ci ayant contesté devant le conseil de prud'hommes les conditions du transfert de son contrat de travail à la société Synergeco, il est constant qu'il a quitté le groupe auquel appartenaient les sociétés Solareo, Solareo energy et Synergeco à la suite de son licenciement intervenu par lettre du 10 décembre 2015.

Or M. S. n'a pas exercé son option conformément au délai prévu à la promesse de cession puisqu'il n'a notifié à M. D. son intention de lever l'option et de se porter acquéreur des 925 actions détenues par ce dernier que par courrier du 16 mars 2018. Cette option tardive, tant au regard de la date du licenciement de M. D. qu'au regard de la date à laquelle la juridiction prud'homale a confirmé sa validité, n'a pu produire effet, la promesse étant devenue caduque.

Dans ces conditions, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. D. à régulariser les actes de cessions des 925 actions qu'il détenait dans la société Solareo au prix total de 1 euro et en ce qu'il l'a condamné aux dépens et au titre de l'article 700 du code de procédure civile et statuant à nouveau, de débouter M. S. de l'ensemble de ses demandes.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement du 26 mars 2019 ;

Statuant à nouveau,

Déboute M. Frédéric S. de l'ensemble de ses demandes ;

Condamne M. Frédéric S. à verser à M. Guillaume D. la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne M. Frédéric S. aux dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.