Livv
Décisions

Cass. 2e civ., 10 décembre 2020, n° 19-22.619

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pireyre

Rapporteur :

Mme Bohnert

Avocat général :

M. Girard

Avocats :

SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre

Toulouse, du 11 juill. 2019

11 juillet 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 11 juillet 2019 ), M. N... L..., mettant en doute la gestion de la Société [...] (la société SNTD) dont il est associé minoritaire, laquelle est présidée par la société Holding L... gestion, elle-même détenue par M. W... L..., a assigné ces sociétés devant le juge des référés d'un tribunal de commerce pour obtenir, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la désignation d'un expert.

2. La société SNTD et la société Holding L... gestion ont interjeté appel de l'ordonnance ayant fait droit à sa demande.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. N... L... fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande d'expertise fondée sur l'article 145 du code de procédure civile, alors :

« 1°/ que la mesure d'instruction in futurum a pour objet de permettre la conservation ou l'établissement avant tout procès de la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige, s'il existe un motif légitime à cette fin ; qu'il ne peut être exigé du requérant qu'il produise des éléments de nature à prouver la réalité des faits pour lesquels la mesure d'instruction est sollicitée ; qu'en retenant, pour exclure l'existence d'un motif légitime, que M. L... ne produisait aucun document apportant la moindre consistance à ses soupçons et que ses déductions ne reposaient sur aucun fait précis objectif et vérifiable, la cour d'appel, qui a statué au vu de la seule absence de preuve des faits que la mesure d'instruction sollicitée avait précisément pour objet d'établir, a violé l'article 145 du code de procédure civile ;

2°/ que le juge du référé in futurum ne saurait préjuger du litige au fond ; qu'ainsi, le motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, justifiant une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, ne saurait être subordonnée à la preuve par le demandeur du bien-fondé de la prétention qu'il pourrait formuler dans le cadre du litige qu'il serait susceptible d'engager, ni à la preuve de l'atteinte effective à ses droits, dont l'expertise in futurum sollicitée a précisément pour objet de permettre l'établissement en vue d'un éventuel procès ; qu'en l'espèce, en rejetant la demande d'expertise de M. N... L... comme dépourvue de motif légitime, au motif inopérant, s'agissant de l'existence d'abus de biens sociaux qu'il ne ferait fait état d'aucune réserve de sa part dans la gestion ou la comptabilité de l'entreprise et, quant aux dépens sponsoring et la gestion des comptes, qu'il ne contredirait pas les pièces produites par les parties adverses lesquelles auraient justifié le développement des activités « en dehors » de l'entreprise, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ;

3°/ que la mesure d'instruction in futurum a pour objet de permettre la conservation ou l'établissement avant tout procès de la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige, s'il existe un motif légitime à cette fin ; qu'en écartant l'existence d'un motif légitime car M. L... ne démontrerait pas l'existence d'un litige potentiel futur dont le contenu et le fondement sont cernés au prétexte que l'expertise aurait pour finalité une information sur des questions de gestion et non pas un intérêt probatoire pour un éventuel litige futur quand elle avait pourtant relevé que l'exposant reprochait à la holding et à M. W... L... une gestion contraire à l'intérêt social, qu'il envisageait une action en responsabilité et suggérait en termes clairs l'existence d'abus de biens sociaux, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article 145 du code de procédure civile ;

4°/ que, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ; qu'en retenant, pour rejeter la demande d'expertise de M. L..., que certaines des questions posées dans la mission confiée par le premier juge à l'expert constitueraient des mesures d'investigation d'ordre général, tout en relevant que ces missions étaient précises et avaient un objet spécifiquement défini, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile ;

5°/ que le juge peut commettre toute personne de son choix pour l'éclairer par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d'un technicien ; que tel est le cas pour définir les modalités d'exécution et de facturation d'une convention ou définir l'incidence d'un changement de méthode comptable sur les droits d'un associé minoritaire ; qu'en ayant jugé du contraire, au regard de la convention conclue entre la SARL Holding L... gestion et la SAS SNTD et du changement de méthode comptable entrepris depuis 2013 par cette dernière société sur le calcul de son bénéfice, dont M. N... L... est associé minoritaire, la cour d'appel de Toulouse a violé l'article 232 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

5. L'appréciation du motif légitime au sens de ce texte relève du pouvoir souverain du juge du fond.

6. Ayant relevé qu'aucun des documents produits par M. N... L... n'apportait la moindre consistance à ses soupçons de fautes de gestion, d'intention malveillante à l'encontre de la société SNTD et de ses associés et d'abus de biens sociaux, que celui-ci ne procédait que par déductions et affirmations, qui ne reposaient sur aucun fait précis, objectif et vérifiable, et qu'il ne démontrait donc pas l'existence d'un litige plausible, crédible, bien qu'éventuel et futur, dont le contenu et le fondement seraient cernés, approximativement au moins, et sur lesquels pourrait influer le résultat de l'expertise à ordonner, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel, qui n'a pas statué au vu de la seule absence de preuve de faits que la mesure d'instruction in futurum avait pour objet d'établir, a retenu, abstraction faite des motifs surabondants relatifs aux mesures d'investigation d'ordre général et aux questions posées à l'expert excédant des constatations de fait d'ordre technique, que M. L... ne justifiait pas d'un motif légitime à l'obtention de la mesure sollicitée.

7. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.