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Décisions

Cass. crim., 22 septembre 1998, n° 96-83.990

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

M. Desportes

Avocat général :

M. Lucas

Avocat :

SCP Ryziger et Bouzidi

Papeete, ch. corr., du 21 août 1996

21 août 1996

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation propre à Taratiera X... et pris de la violation des articles 175 du Code pénal, 485, 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que la décision attaquée a déclaré Taratiera X... coupable du délit d'ingérence ;

"aux motifs que, par contrat signé à Papeete le 17 juin 1993, Mataanoarii X..., épouse Hioe, a été engagée par l'Assemblée Territoriale de Polynésie "au service de M. Tarateria Tepa, président de la Commission du développement des archipels de l'Assemblée Territoriale, pour l'assister dans l'exercice de son mandat" et que, par contrat, en date du même jour, Béatrisse Manate, épouse X..., a été engagée dans les mêmes fonctions ; que, comme les premiers juges l'ont retenu, Taratiera X... a reconnu que ces salariées n'avaient fourni aucun travail en contrepartie de leur salaire ; que Taratiera X... était respectivement le mari et le frère des deux autres prévenues et que l'enquête a établi qu'en sa qualité de président de la Commission du développement des archipels de l'Assemblée Territoriale, il était libre des embauches dans la limite du budget qui lui était dévolu, la mission du président de l'Assemblée se limitant à la signature des contrats de travail ; qu'il importe peu, au regard des dispositions de l'article 175 du Code pénal, que le fonctionnaire qui a pris un intérêt dans ces actes ait une position subalterne, dès lors qu'il participait au moins en partie à la surveillance de ces actes ; que le délit existe dès lors que le fonctionnaire a eu, au temps de l'acte, l'administration ou la surveillance de l'affaire dans laquelle il a pris intérêt, celle-ci se réduirait-elle à de simples pouvoirs de préparation de décisions prises par d'autres ; qu'en l'espèce, comme l'ont relevé les premiers juges, il résulte de l'audition du président de l'Assemblée Territoriale de l'époque que son rôle dans la signature des contrats litigieux s'est limité à la signature de ceux-ci, l'article 52 bis du statut du Territoire applicable au

moment des faits accordant d'ailleurs cette compétence au seul président de l'Assemblée Territoriale ; que, lors de l'enquête préliminaire, Tarateria X..., qui ne disposait pas effectivement du pouvoir de signature des contrats de travail, a reconnu qu'il s'agissait de contrats politiques ne nécessitant pas la présence effective des personnels engagés ni même une prestation quelconque en échange du salaire versé ;

"alors que si un fonctionnaire commet le délit d'ingérence, dès lors qu'il a eu au temps de l'acte l'administration ou la surveillance de l'affaire dans laquelle il a pris intérêt, même si son rôle s'est réduit à de simples pouvoirs ou de préparation ou de proposition, c'est à condition que lesdits pouvoirs de préparation ou de proposition résultent d'un texte législatif ou réglementaire ; que le président de l'Assemblée Territoriale est l'ordonnateur du budget de l'Assemblée, qu'il nomme seul les agents de l'Assemblée, qu'il ne résulte d'aucun texte du statut que les présidents des Commissions de l'Assemblée, dont l'existence n'est du reste pas prévue par le statut lui-même, mais par le règlement intérieur de l'Assemblée Territoriale, aient un rôle légal quelconque dans le recrutement ou la préparation des contrats des agents de l'Assemblée Territoriale ; qu'il en résulte que, même si le président de l'Assemblée Territoriale s'en est en fait remis aux présidents des Commissions quant au recrutement du personnel affecté à celles-ci, cette circonstance de fait ne conférait pas à ceux-ci, en particulier à Taratiera X... un rôle de surveillance au sens de l'article 175 du Code de procédure pénale, faute d'avoir juridiquement un pouvoir quelconque de proposition ou de préparation des décisions prises par un autre" ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que Taratiera X..., membre de l'Assemblée Territoriale de Polynésie française, et président de la Commission du développement des archipels, a obtenu la signature, par le président de ladite Assemblée, de contrats de travail en faveur de son épouse, Béatrisse X..., et de sa soeur, Mataanoarii Hioe, recrutées l'une et l'autre pour l'assister dans son mandat de président de la Commission ;

Attendu que, pour le déclarer coupable d'ingérence, la cour d'appel relève que si la signature des contrats de travail relevait de la seule compétence du président de l'Assemblée Territoriale, et si Taratiera X... n'avait pas le pouvoir de signer ces contrats, il a reconnu qu'il s'agissait de "contrats politiques", ne nécessitant pas la présence effective des personnels engagés, ni même une prestation quelconque en échange du salaire versé ; que les juges ajoutent que le prévenu, en qualité de président de Commission, était libre des embauches dans la limite du budget qui lui était dévolu ; que les juges en déduisent qu'il a préparé l'engagement de son épouse et de sa soeur, dans son intérêt, et qu'ainsi, le délit d'ingérence est caractérisé ;

Attendu que, par ces constatations et énonciations, déduites d'une appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, la cour d'appel a justifié sa décision, au regard de l'article 175 ancien du Code pénal, sans encourir les griefs allégués ;

Qu'en effet, le délit prévu par les articles 175 ancien et 432-12 nouveau du Code pénal est constitué par la prise d'intérêt dans une affaire dont l'officier public avait l'administration ou la surveillance, celles-ci se réduiraient-elles à de simples pouvoirs de préparation ou de propositions de décisions prises par d'autres ; que tel a été le cas en l'espèce ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le second moyen de cassation propre à Béatrisse X... et Mataanoarii Hioe et pris de la violation des articles 460 et 175 du Code pénal ;

"en ce que la décision attaquée a déclaré Béatrisse Manate, épouse X..., et Manaanoarii, épouse Hioe, coupables de recel de délit d'ingérence ;

"aux motifs qu'il ressort de l'audition de Mataanoarii Hioe, soeur de Taratiera X..., que c'est après l'élection de ce dernier en qualité de conseiller territorial qu'elle a signé "avec lui et le président de l'Assemblée Territoriale" un contrat de travail à la suite duquel elle a perçu une rémunération de 120 000 francs Pacifique par mois pour faire des courses pour le compte de son frère ; que Béatrisse Manate, épouse de Taratiera X..., a également déclaré que si elle avait été employée à l'Assemblée Territoriale de juillet à décembre 1993, elle ne savait même pas qu'elle l'était, que c'est en consultant un relevé bancaire sur lequel figurait un virement qu'elle a demandé à son époux d'où provenait cette somme et que celui-ci a déclaré qu'il avait fait virer cet argent sur son compte, Béatrisse Manate, épouse X..., ajoutant qu'elle reconnaissait bien sa signature au bas du contrat de travail mais qu'elle avait signé sans avoir lu et qu'elle ne connaissait pas ainsi l'existence de ce contrat ; qu'il résulte de l'ensemble de ces faits que Taratiera X... a préparé l'engagement de son épouse et de sa soeur par le président de l'Assemblée Territoriale et qu'ainsi le délit d'ingérence est parfaitement caractérisé à son encontre, comme le sont, par voie de conséquence, ceux de recel de délit d'ingérence à l'encontre de Béatrisse Manate et de Mataanoarii Hioe ; qu'il y a lieu, dès lors, de confirmer le jugement attaqué dans l'ensemble de ses dispositions ;

"alors que le délit de recel suppose que les choses recelées proviennent d'une action qualifiée crime ou délit par la loi et que le prévenu ait bénéficié en toute connaissance de cause du produit d'une infraction en connaissant l'origine frauduleuse des objets recelés ; que la décision attaquée, qui a considéré que le délit de recel d'ingérence était parfaitement constitué à l'encontre de Béatrisse Manate et de Mataanoarii Hioe en faisant découler simplement l'existence du délit de recel du délit d'ingérence imputé à Taratiera X..., sans caractériser la connaissance des deux prévenues de ce que les fonds perçus par elles provenaient d'un délit ou même qu'ils avaient une origine frauduleuse, n'a pas légalement caractérisé le délit de recel" ;

Attendu que, pour déclarer Béatrisse X... et Mataanoarii Hioe coupables de recel d'ingérence, l'arrêt relève que les contrats de travail ont été signés, en présence de Taratiera X..., par les prévenues, qui ont perçu respectivement la somme de 2 431 620 francs pacifiques, et celle de 1 563 510 francs pacifiques, correspondant à un salaire, sans fournir aucun travail ;

Attendu qu'en déduisant de ces constatations et énonciations que les prévenues avaient sciemment recelé des sommes qu'elles savaient provenir d'un délit d'ingérence commis par Taratiera X..., la cour d'appel n'a pas encouru les griefs allégués ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.