CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 15 février 2016, n° 15/00127
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Burger Saint Pierre (SARL)
Défendeur :
Saint Pierre (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Moulis
Conseillers :
M. Straudo, M. Muller
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame Laurence Q. épouse Z. est propriétaire d'un appartement de type 3 à usage locatif au premier étage d'un immeuble en copropriété situé [...], au rez-de-chaussée duquel la S.A.R.L BURGER SAINT PIERRE exploite un fonds de commerce de restauration rapide sous l'enseigne BURGER A LA UNE dans des locaux reçus à bail le 23 mars 2012 de la S.C.I. SAINT PIERRE.
Se plaignant de nuisances sonores et olfactives liées au système d'extraction de ce commerce côté cour, elle a, par acte d'huissier en date du 21 novembre 2013, fait assigner la S.C.I. SAINT PIERRE et la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE devant le tribunal d'instance de TOULOUSE en indemnisation de sa perte de loyers et de son préjudice moral sur le fondement de l'article 1382 du code civil.
Par jugement en date du 9 décembre 2014, le tribunal, considérant que les nuisances sonores ont excédé les inconvénients normaux de voisinage jusqu'au remplacement du système d'extraction, a :
- condamné in solidum la S.C.I. SAINT PIERRE et la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE à payer à Madame Laurence Q. épouse Z. la somme de 2.000 € à titre de dommages et intérêts pour perte de chance (de relouer plus rapidement l'appartement) et dit que la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE devra garantir la S.C.I. SAINT PIERRE à ce titre
- ordonné l'exécution provisoire
- condamné in solidum la S.C.I. SAINT PIERRE et la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE à payer à Madame Laurence Q. épouse Z. la somme de 1.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, dit que la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE devra garantir la S.C.I. SAINT PIERRE à ce titre et condamné la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE à payer à la S.C.I. SAINT PIERRE la somme de 700 € au même titre
- débouté les parties de leurs plus amples demandes
- condamné in solidum la S.C.I. SAINT PIERRE et la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE aux dépens.
Suivant déclaration d'appel en date du 12 janvier 2015, la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE a relevé appel général de ce jugement, avant de conclure le 10 avril 2015 dans le délai de trois mois impartis par l'article 908 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 novembre 2015.
Dans ses dernières conclusions (responsives et récapitulatives) signifiées par voie électronique le 29 juin 2015, la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE demande à la cour, réformant le jugement dont appel, au visa des articles 1382 et suivants et 1315 du code civil, de :
- à titre principal, dire et juger que le rapport de la mairie de TOULOUSE du 3 août 2012 ne lui est pas opposable et que Madame Laurence Q. épouse Z. ne rapporte pas la preuve de préjudices indemnisables directement liés à son activité et, en conséquence, prononcer sa mise hors de cause pure et simple
- à titre subsidiaire, dire et juger que la S.C.I. SAINT PIERRE doit délivrer des locaux conformes à la destination du bail et condamner celle-ci à la relever et garantir de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre
- condamner Madame Laurence Q. épouse Z. ou tout succombant au paiement de la somme de 1.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 17 juin 2015, Madame Laurence Q. épouse Z. demande à la cour, au visa de l'article 1382 du code civil, de :
- débouter la S.C.I. SAINT PIERRE et la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE de leurs demandes tendant à leur mise hors de cause et au rejet de ses demandes
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a constaté l'existence d'un trouble anormal de voisinage et d'un préjudice indemnisable subi par elle
- le réformer uniquement en ce qui concerne le montant des dommages et intérêts alloués et, statuant à nouveau, condamner in solidum la S.C.I. SAINT PIERRE et la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE à lui payer les sommes de :
4.400 € au titre du préjudice résultant de la perte de loyers pendant quatre mois
2.000 € au titre du préjudice moral
3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Dominique A. en application de l'article 699 du même code.
Dans ses dernières et uniques conclusions signifiées par voie électronique le 5 juin 2015, la S.C.I. SAINT PIERRE demande à la cour, au visa des articles 1382 et suivants du code civil, de :
- réformant partiellement le jugement dont appel, constater que Madame Laurence Q. épouse Z. est en défaut de rapporter la preuve du préjudice allégué ni de ce qu'elle en serait responsable et, en conséquence, débouter celle-ci de ses demandes à son encontre
- en tout état de cause, confirmer le jugement dont appel et condamner la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE à la relever et garantir indemne de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre
- condamner les succombants à lui verser la somme de 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Olivier T..
MOTIFS
Le droit reconnu au propriétaire par l'article 544 du code civil de jouir de son bien de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par les lois ou les règlements, trouve sa limite dans l'obligation qu'il a de ne causer à la propriété d'autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage.
Il appartient à celui qui se prétend victime d'un trouble anormal du voisinage d'en rapporter la preuve.
En outre, la réparation et/ou la cessation du trouble peut être demandées tant au propriétaire de l'immeuble dont émane le trouble qu'au locataire de cet immeuble à condition que son occupation ou son activité soit à l'origine du trouble.
En l'espèce, le rapport relatif aux nuisances sonores engendrées par la ventilation du restaurant BURGER A LA UNE, dressé le 3 août 2012 par le service communal d'hygiène et de santé de la mairie de TOULOUSE et dont Madame Laurence Q. épouse Z. a obtenu communication par l'intermédiaire de sa locataire ayant déposé plainte le 19 juillet 2012 auprès de l'Office de la Tranquillité, est parfaitement opposable à la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE, bien qu'il n'ait pas été établi contradictoirement à son égard, dès lors qu'il a été régulièrement communiqué dans le cadre de l'instance et soumis à la discussion contradictoire des parties, avec l'ensemble des autres éléments de preuve produits par Madame Laurence Q. épouse Z..
Il y est fait état de mesures sonométriques réalisées en continu du 26 juillet 2012 à 19 heures au lendemain à 1 heure dans le logement occupé par Madame Emmanuelle B. au premier étage, dans la chambre donnant sur la cour, fenêtres ouvertes, et mettant en évidence 'une émergence supérieure à la valeur limite définie par la réglementation en période nocturne, en dBa ainsi que dans les fréquences 125Hz, 250Hz, 500Hz, 1000Hz, 2000Hz et 4000Hz'.
Le premier juge a, à juste titre, déduit de ce rapport, rejoignant les explications claires et non équivoques de Madame Emmanuelle B. dans sa lettre du 15 juillet 2012 quant aux raisons l'ayant amenée à donner son préavis de fin de location, que le système d'extraction du commerce de restauration rapide exploité sous l'enseigne BURGER A LA UNE au rez-de-chaussée de l'immeuble était spécifiquement à l'origine de nuisances sonores côté cour excédant les seuils admissibles pour l'habitation, s'ajoutant à celles côté rue inhérentes à la fréquentation des bars et restaurants du quartier et dépassant comme telles les inconvénients normaux du voisinage, ce jusqu'au remplacement du réseau d'extraction incriminé par un caisson d'extraction avec 'isolation double paroi' et 'plots antivibratils', effectué les 22, 23 et 24 juin 2013 par la S.A.R.L. IFCA selon devis en date du 11 février 2013 pour un coût de 7.086,42 € TTC facturé le 10 juillet 2013 à la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE.
La réparation de ce trouble anormal du voisinage incombe tant à la S.C.I. SAINT PIERRE, propriétaire des locaux commerciaux dont émane le trouble, qu'à la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE, locataire dont l'activité de restauration nécessitant l'usage d'un système d'extraction est à l'origine du trouble.
En revanche, le caractère anormal des nuisances olfactives liées aux odeurs de friture s'échappant du système d'extraction, également dénoncées par Madame Emmanuelle B., n'a fait l'objet d'aucun constat objectif et ne peut être retenu.
S'agissant du préjudice indemnisable, si les nuisances sonores directement à l'origine du départ de Madame Emmanuelle B. fin août 2012 n'ont pas empêché Madame Laurence Q. épouse Z. de retrouver dès septembre 2012 de nouveaux locataires pour son appartement du premier étage, elles ont, lorsque ceux-ci ont eux-même donné congé le 2 octobre 2012 avec un préavis de trois mois, contribué avec d'autres nuisances à dissuader tous les candidats à la location ayant visité le bien par l'intermédiaire de la S.A.R.L. BOURSE DE L'IMMOBILIER puis de la S.A.R.L. ORPI CAPITOLE IMMOBILIER, à tout le moins jusqu'au 28 mars 2013, ainsi qu'en ont attesté ces deux agents immobiliers.
Le préjudice matériel en résultant consiste donc en une simple perte de chance de relouer l'appartement sur la période de janvier à mars 2013, pouvant être estimée, par référence au loyer mensuel de 1.000 €, hors charges, prévu au bail conclu le 8 juillet 2011 avec Madame Emmanuelle B. et seul justifié, à la somme de 2.000 € retenue par le premier juge.
Le jugement dont appel sera donc confirmé en ce qu'il a condamné in solidum la S.C.I. SAINT PIERRE et la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE au paiement de cette somme à titre de dommages et intérêts pour perte de chance.
Par ailleurs, compte tenu de la relative diligence de la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE à remédier aux nuisances sonores, le préjudice moral allégué n'apparaît pas caractérisé.
Le jugement dont appel sera donc également confirmé en ce qu'il a débouté Madame Laurence Q. épouse Z. de sa demande à ce titre.
S'agissant de la répartition de la dette, le système d'extraction à l'origine des nuisances sonores existait à l'entrée de la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE dans les lieux le 23 mars 2012 en tant qu'équipement que le précédent exploitant, exerçant une activité de pharmacie, s'était engagé à laisser en place lors de la cession à son profit le 26 février 1997 du droit au bail des locaux initialement à usage de restaurant et la S.C.I. SAINT PIERRE ne justifie pas de son allégation selon laquelle il aurait été modifié lors des travaux d'aménagement du nouveau commerce de restauration rapide.
Néanmoins, l'article 9.1 du nouveau bail à effet du 1er avril 2012, relatif à l'état des lieux loués, qui stipule notamment que 'le locataire prendra les lieux loués dans l'état où ils se trouvent au moment de son entrée en jouissance, sans pouvoir exiger aucune réfection, remise en état, adjonction d'équipements supplémentaires, ou travaux quelconques, même s'ils sont liés à l'inadaptation des locaux à l'activité envisagée, la vétusté, ou des vices cachés', que 'la charge de tous les travaux qui pourraient être nécessaires pour mettre les locaux loués et les équipements ou installations compris dans la location, en conformité avec la réglementation existante (...) sera exclusivement supportée par le locataire' et que 'il en sera de même si cette réglementation vient à se modifier en cours de bail qu'il s'agisse de règles d'hygiène, de non pollution, de maintien de l'environnement, d'urbanisme, de voirie, de sécurité ou autre', met clairement et valablement à la charge de la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE les travaux de mise en conformité de ce système d'extraction, y compris, le cas échéant, par remplacement puisqu'un tel remplacement ne fait pas partie des grosses réparations au sens de l'article 606 du code civil, seules mise à la charge du bailleur par l'article 9.4 relatif aux réparations.
Le jugement dont appel ne peut donc qu'être confirmé en ce qu'il a condamné la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE à garantir la S.C.I. SAINT PIERRE des condamnations in solidum prononcées contre elles au profit de Madame Laurence Q. épouse Z..
Enfin, en tant que partie perdante, la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE supportera seule les dépens d'appel, ainsi que les sommes respectives de 1.200 € et de 1.000 € au titre des frais non compris dans les dépens exposés en appel par Madame Laurence Q. épouse Z. et par la S.C.I. SAINT PIERRE en application l'article 700 du code de procédure civile, sans pouvoir elle-même bénéficier de ce texte.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Y ajoutant,
CONDAMNE la S.A.R.L. BURGER SAINT PIERRE aux dépens d'appel, à recouvrer par Maître Dominique A. et Maître Olivier T., avocats, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
La CONDAMNE à payer à Madame Laurence Q. épouse Z. la somme de 1.200 € (mille deux cents euros) et à la S.C.I. SAINT PIERRE celle de 1.000 € (mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile et la DÉBOUTE de sa demande au même titre.