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Décisions

Cass. crim., 27 octobre 1999, n° 98-85.757

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

M. Challe

Avocat général :

M. Di Guardia

Avocat :

M. Odent

Limoges, du 17 juin 1998

17 juin 1998

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que, par convention du 2 juillet 1991, la ville de Panazol a concédé à la société d'équipement du Limousin (SELI), société anonyme d'économie mixte, la construction de logements locatifs dans une zone d'aménagement concertée, en application du programme européen dit EUROREX, permettant l'obtention de financements particuliers ; que l'article 10 de cette convention prévoyait que les marchés de travaux seraient passés, en accord avec le concédant, pour un montant estimé à 17 469 780 francs, avec la société SOCAMIP, choisie dès la conception du projet ;

Attendu qu'après l'échec du programme EUROREX, une procédure d'appel d'offres a été mise en oeuvre le 4 octobre 1991, par la ville de Panazol, en qualité de maître d'ouvrage ; que la commission d'ouverture des plis, réunie le 13 novembre 1991, sous la présidence du maire de cette ville et hors la présence du représentant de la direction régionale de la concurrence, a déclaré l'appel d'offres infructueux au motif que le montant total des offres des entreprises les moins disantes, soit 16 755 173 francs, était supérieur au bilan prévisionnel de l'opération, à savoir 16 170 000 francs, et a chargé la société SOCAE, appartenant au même groupe que la SOCAMIP, de négocier le marché ;

Que, finalement, le marché a été conclu pour un montant de 14 327 162 francs, dont 6 616 495 francs pour le lot principal, entièrement sous-traité à la SOCAMIP, alors que l'acte d'engagement de la SOCAE ne prévoyait pas le recours à la sous-traitance ;

Attendu qu'à la suite du contrôle de la gestion de la SELI par la chambre régionale des comptes, celle-ci a adressé au procureur de la République, le 27 octobre 1995, un rapport selon lequel l'opération avait favorisé une entreprise prédésignée, la SOCAMIP, qui ne remplissait pas les conditions requises pour concourir à l'appel d'offres ;

Que, saisi le 30 octobre 1995, le service régional de police judiciaire a procédé à une enquête au terme de laquelle Bernard X..., directeur de la SELI, et Jean-François Y..., chargé d'opérations dans cette société, ont été cités pour favoritisme devant le tribunal correctionnel qui, par jugement du 15 octobre 1997, a constaté l'extinction de l'action publique par la prescription ;

Que, sur l'appel du ministère public, la cour d'appel a déclaré l'action publique non prescrite et condamné chacun des prévenus à 10 000 francs d'amende ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation : (sans intérêt) ;

Mais sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 8 du Code de procédure pénale, 7 de la loi du 3 janvier 1991 dans sa rédaction applicable en la cause, 432-14 du Code pénal :

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré l'action publique non prescrite et, en conséquence, a déclaré Jean-François Y... et Bernard X... coupables des faits qui leur étaient reprochés et, en répression, les a condamnés chacun à une amende de 10 000 francs ;

" aux motifs que, contrairement à l'appréciation des premiers juges, la prescription de l'action publique n'est nullement acquise ; qu'en effet, le délit visé à la prévention procédant nécessairement d'actes en partie occultes, le délai de prescription ne saurait courir de leur commission mais ne commence qu'à partir de la date à laquelle ils ont été révélés à l'autorité chargée de mettre en oeuvre l'action publique ; que le procureur de la République ayant été saisi le 27 octobre 1995 et l'enquête, interruptive de prescription, ayant été initiée le 30 octobre suivant, le moyen tiré de la prescription de l'action publique doit être écarté ;

" alors que, comme l'avait reconnu le tribunal, le délit d'avantage injustifié ayant un caractère instantané, le délai de prescription de 3 ans court à compter de la date où l'élément matériel du délit est établi ou du jour où l'infraction a été commise ; que si certains délits peuvent avoir un caractère clandestin retardant le point de départ du délai de la prescription, il n'en est pas ainsi du délit d'avantage injustifié qui suppose une exécution matérielle ; qu'en décidant le contraire, motif pris de ce que le délit d'avantage injustifié visé à la prévention procédant nécessairement d'actes en partie occultes, le délai de prescription ne saurait courir du jour de sa commission mais ne commencerait qu'à partir de la date à laquelle il a été révélé à l'autorité chargée de mettre en oeuvre l'action publique, la chambre des appels correctionnels a violé les articles 8 du Code de procédure pénale et 7 de la loi du 3 janvier 1991 (devenu l'article 432-14 du Code pénal) dans sa rédaction applicable en la cause " ;

Vu les articles 7 et 8 du Code de procédure pénale, ensemble l'article 7 de la loi du 3 janvier 1991 devenu l'article 432-14 du Code pénal ;

Attendu que le délit d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public est une infraction instantanée qui se prescrit à compter du jour où les faits la consommant ont été commis ; que, toutefois, le délai de prescription de l'action publique ne commence à courir, lorsque les actes irréguliers ont été dissimulés ou accomplis de manière occulte, qu'à partir du jour où ils sont apparus et ont pu être constatés dans des conditions permettant l'exercice des poursuites ;

Attendu que, pour infirmer le jugement qui avait déclaré l'action publique éteinte par la prescription, la juridiction du second degré énonce que " le délit visé à la prévention procédant nécessairement d'actes en partie occultes, le délai de prescription ne saurait courir du jour de leur commission mais ne commence qu'à partir de la date à laquelle ils ont été révélés à l'autorité chargée de mettre en oeuvre l'action publique " ; que les juges ajoutent que le procureur de la République ayant été saisi le 27 octobre 1995 et l'enquête interruptive de prescription ayant été ordonnée le 30 octobre suivant, le moyen tiré de la prescription doit être écarté ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans établir que les actes irréguliers avaient été dissimulés ou accomplis de manière occulte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième moyen proposé :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Limoges, du 17 juin 1998, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris.