Cass. 1re civ., 15 avril 1986, n° 84-13.422
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Joubrel
Rapporteur :
M. Ponsard
Avocat général :
M. Rocca
Avocats :
SCP Labbé et Delaporte, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Liard
Attendu que Mme X..., de nationalité française, a assigné en divorce son mari, M.Picasso de Oyague, de nationalité péruvienne, fonctionnaire, à Paris, de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) ; que le tribunal de grande instance, au vu de documents d'où il résultait que M.Picasso de Oyague, assimilé à un membre de mission diplomatique, possède à ce titre une carte d'identité délivrée par le service du protocole du ministère des affaires étrangères, a dit qu'il bénéficiait de l'immunité de juridiction et a déclaré irrecevable la demande en divorce formée par Mme X... ; que l'arrêt infirmatif attaqué a, au contraire, refusé à M.Picasso de Oyague le bénéfice de l'immunité de juridiction et renvoyé la cause et les parties devant le tribunal pour qu'il soit fait droit au fond ;
Sur la recevabilité du pourvoi, contestée par la défense :
Attendu que la recevabilité du pourvoi immédiat est contestée par la défense, sur le fondement de l'article 608 du nouveau Code de procédure civile, au motif que l'arrêt, qui n'a pas mis fin à l'instance, n'a tranché dans son dispositif aucune partie du principal ;
Mais attendu que, malgré les termes de l'article 608 précité, le pourvoi est immédiatement recevable en cas d'excès de pouvoir ; que le juge qui statue en violation d'une immunité de juridiction excède ses pouvoirs ; qu'il s'ensuit que le pourvoi fondé sur cette violation est immédiatement recevable ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 123 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que la Cour d'appel a déclaré M.Picasso de Oyague irrecevable " à contester la compétence du tribunal de grande instance de Paris " en application de l'article 1074 du nouveau Code de procédure civile, qui attribue au seul juge aux affaires matrimoniales le pouvoir de statuer sur les exceptions d'incompétence en matière de divorce ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que le moyen tiré de l'immunité de juridiction, dont faisait état M.Picasso de Oyague, constituait une fin de non recevoir, invocable en tout état de cause, et non une exception d'incompétence, la Cour d'appel a violé le texte susvisé et faussement appliqué l'article 1074 du nouveau Code de procédure civile ;
Et sur la deuxième branche du moyen :
Vu l'article 19 de l'accord du 2 juillet 1954 entre la France et l'UNESCO, publié en vertu du décret n° 56-42 du 11 janvier 1956, ensemble les articles 31 et 32 de la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques, publiée en vertu du décret n° 71-284 du 29 mars 1971 ;
Attendu que le premier de ces textes confère aux directeurs de départements, chefs de services et bureaux de l'UNESCO, ainsi qu'aux fonctionnaires définis à l'annexe B de l'accord, pendant leur résidence en France, les privilèges, immunités, facilités et mesures de courtoisie accordés aux membres des missions diplomatiques étrangères en France ; que ces privilèges et immunités sont actuellement définis par la Convention de Vienne susvisée ;
Attendu que la Cour d'appel a refusé à M.Picasso de Oyague le bénéfice de l'immunité au motif que les fonctionnaires de l'UNESCO n'en bénéficient que pour les actes accomplis par eux en leur qualité officielle, ce qui n'était pas le cas des actes invoqués par Mme X... à l'appui de sa demande en divorce ;
Attendu, cependant, que, s'il est vrai que l'article 22, a, de l'accord précité dispose, pour tous les fonctionnaires de l'UNESCO, qu'ils jouiront de l'immunité à l'égard de toute action judiciaire pour les actes accomplis par eux en leur qualité officielle, l'article 19 confère à certains hauts fonctionnaires de cette organisation et à leurs familles, sans aucune condition, les privilèges et immunités diplomatiques, qui peuvent être levés dans les conditions prévues à l'article 21 ;
Attendu qu'en statuant comme elle l'a fait, alors que le jugement frappé d'appel, dont elle n'a pas contesté les énonciations sur ce point, avait constaté que M.Picasso de Oyague était assimilé à un membre de mission diplomatique, et sans rechercher si son immunité avait été levée par une décision du Directeur général de l'UNESCO, la Cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Sur le second moyen :
Vu l'article 688 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu qu'aux termes de ce texte, l'acte destiné à être notifié à un Etat étranger, à un agent diplomatique étranger en France ou à tout autre bénéficiaire de l'immunité de juridiction est notifié au Parquet et transmis par l'intermédiaire du ministre de la justice ;
Attendu que la Cour d'appel a encore refusé de prononcer la nullité de l'assignation sur le fondement de ce texte, au motif que M.Picasso de Oyague ne bénéficie pas, en tant que fonctionnaire de l'UNESCO, à raison de l'action introduite contre lui, de l'immunité de juridiction ;
Attendu qu'en statuant par ce motif erroné, elle a encore violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du premier moyen ;
CASSE et ANNULE l'arrêt rendu le 9 mai 1984, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant le dit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Versailles.