CA Lyon, 3e ch. A, 11 juin 2015, n° 14/02049
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
EG Events (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tournier
Conseillers :
Mme Homs, M. Bardoux
EXPOSE DU LITIGE:
La société EG EVENTS et Sylvain A. détiennent respectivement 42 % et 8 % du capital de la société RPR EVENTS qui exploite un restaurant sous le nom commercial de « DOCKS 40 ».
Le 5 janvier 2010, la société EG EVENTS et Sylvain A. ont signé un pacte d'associés incluant une convention de vote à son article 6.
Au cours de deux assemblées générales de la société RPR EVENTS du 25 juin 2012 et du 13 décembre 2012, Sylvain A. n'a pas voté conformément aux directives qui lui avaient été transmises par la société EG EVENTS.
Estimant avoir subi un préjudice, la société EG EVENTS a assigné Sylvain A. devant le tribunal de commerce de Lyon.
Par jugement en date du 10 février 2014, le tribunal de commerce de Lyon a :
- dit et jugé que l'article 6 du pacte d'actionnaires conclu entre la société EG EVENTS et Monsieur Sylvain A. le 5 janvier 2010 est nul,
- rejeté les demandes formulées par la société EG EVENTS contre Monsieur Sylvain A.,
- condamné la société EG EVENTS à verser à Monsieur Sylvain A. la somme de 1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- condamné la société EG EVENTS en tous les dépens.
Par déclaration du 13 mars 2014, la société EG EVENTS a relevé appel de cette décision. L'ordonnance de clôture est du 24 mars 2015.
Dans ses dernières conclusions, déposées le 5 décembre 2014, la société EG EVENTS demande à la cour de :
- réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 10 février 2014 par le tribunal de commerce de Lyon,
- condamner Monsieur Sylvain A. à payer à la société EG EVENTS la somme de 400.000 € à titre de dommages et intérêts en raison de la violation délibérée à la convention de vote conclue dans le pacte d'associés,
- condamner Monsieur Sylvain A. à payer à la société EG EVENTS la somme de 5.000 €
Elle fait notamment valoir que :
La convention de vote est licite dès lors qu'elle a simplement réclamé de Monsieur A. qu'il veille, tout comme elle, au respect des dispositions statutaires.
Du fait du non respect du pacte par Sylvain A., elle s'est retrouvée privée d'une position d'associée égalitaire qui impacte la valeur des titres qu'elle détient puisqu'elle n'a plus aucune influence ni incidence sur les décision prises unilatéralement par le dirigeant.
Dans ses ultimes écritures du 23 mars 2015, Sylvain A. demande à la cour de :
- confirmer le jugement en date du 10 février 2014 dans toutes ses dispositions,
- dire et juger que la convention de vote contenue dans le pacte d'actionnaire en date du 5 janvier 2010 est nulle,
- débouter la société EG EVENTS de l'intégralité de ses demandes,
- condamner la société EG EVENTS à supporter les entiers dépens tant de première instance que d'appel, ces derniers distraits au profit de la SCP A. N., Avocat, ainsi qu'à verser à Monsieur Sylvain A. la somme de 5.000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SCP A. N..
Il expose notamment que :
La convention de vote, rédigée dans des termes généraux, le prive de toute liberté de réflexion, d'appréciation et de décision dans la mesure où il est tenu de voter dans le sens qui lui sera imposé par la société EG EVENTS quelque soit la décision prévue à l'ordre du jour.
Le non-respect de la convention et des directives dictées par la société EG EVENTS s'imposaient au regard de l'intérêt social de la société RPR EVENTS.
La société EG EVENTS n'a subi aucun préjudice, son vote n'ayant eu, au regard de la minorité de blocage dont dispose cette société, aucune incidence sur le résultat des votes. De plus, son comportement n'a aucune incidence négative sur la valeur des titres de la société EG EVENTS car l'addition de ses titres avec ceux de cette société ne conduit pas à former une majorité.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures devant la cour ci-dessus évoquées auxquelles il est expressément renvoyé pour répondre aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur l'article 6 du pacte d'actionnaires:
Attendu que les conventions de vote, qui ne sont pas toujours dépourvues d'utilité économique, permettent à plusieurs associés de s'engager réciproquement à voter dans un sens déterminé lors des scrutins d'où sortiront les décisions sociales, ou renoncent à prendre part à certains votes, ou s'engagent à voter dans un sens déterminé;
Que, pour être licites, ces conventions ne doivent pas, en premier lieu, être contraires à l'intérêt social et doivent, en second lieu, respecter le droit de vote de l'associé, droit fondamental et d'ordre public;
Qu'à cet égard, il se déduit des dispositions de l'article 1844 du code civil , aux termes duquel « tout associé a le droit de participer aux décisions collectives », que le droit de vote est un attribut essentiel de l'actionnaire;
Qu'ainsi, d'une part, l'associé doit disposer de la faculté de voter ou non;
Que, d'autre part, la convention de vote ne doit pas le priver du pouvoir de décision qui résulte de sa possession de titres sociaux;
Attendu qu'en l'espèce, dans le pacte d'associés signé par les parties le 5 janvier 2010 figure un article 6 par lequel Sylvain A. s'engage: « expressément et en toute connaissance de cause à exercer ses droits de vote, dans le cadre des décisions collectives des associés, telle que définie à l'article 20 des statuts, selon les directives qui lui seraient données par la société EG EVENTS »;
Que cet article est rédigé en des termes très vagues et généraux, qui privent l'actionnaire de toute liberté d'appréciation et, de facto, du pouvoir de décision attaché à la détention de ses titres et ce pour une durée qui demeure indéfinie puisque l'article 8 du même pacte stipule que « le pacte est conclu pour une durée de 10 années à compter de sa signature. Au terme de cette période de 10 ans, le pacte sera automatiquement renouvelé pour des périodes successives de cinq années » ; Qu'en outre le visa à l'article 20 des statuts, on ne peut plus général puisque ne portant pas sur des décisions précises, n'est pas davantage de nature à limiter ou à préciser le cadre d'exécution du pacte; Qu'ainsi l'article 6 du pacte d'actionnaire fait de Sylvain A. une simple machine d'enregistrement des décision de la société EG EVENTS;
Attendu qu'en outre une convention de vote ne doit pas conduire à des votes contraires à l'intérêt social;
Qu'en l'espèce, par lettre recommandée du 7 décembre 2012, la société EG EVENTS a demandé à Sylvain A. de voter contre les 8 résolutions fixées à l'ordre du jour de l'assemblée générale du 13 décembre 2012; Que cependant le jour de cette assemblée générale, la société EG EVENTS, représentée par Gilles B., a voté favorablement pour deux de ces résolutions, de sorte que l'on est en droit de s'interroger sur sa vision exacte de l'intérêt social;
Qu'au demeurant il suffit de se reporter au courrier recommandé donnant les instructions de vote pour constater qu'à aucun moment il ne fait allusion à l'intérêt social de la société EG EVENTS, mais uniquement à la nécessité de « préserver sur le plan du fonctionnement de la société et de ses règles de gouvernance le bloc capitalistique de 50% du capital »;
Que Christophe M. a notamment demandé à Sylvain A. de voter contre l'approbation des comptes de l'exercice clos le 31 décembre 2011 et de refuser la modification des statuts proposée par la direction sociale;
Que, pour autant, aucun élément comptable ne justifiait que les comptes clos au 31 décembre 2011 ne soient pas approuvés;
Que la modification des statuts semblait par ailleurs conforme à l'intérêt social; Qu'en effet l'étonnante rédaction de l'article 20 des statuts privait de compétence le président pour « toute décision concernant la signature du contrat engageant la société pour des charges d'un montant annuel supérieur à 5000€ », ce qui rend l'exploitation quotidienne d'un restaurant difficile sinon impossible, ce que n'avait pas manqué de noter Jean-Luc M. dans le cadre de l'audit des comptes, soulignant le caractère « pour le moins contraignant » de cet article « obligeant théoriquement le président à multiplier les consultations des associés, ces consultations étant impératives avant tout engagement de dépenses supérieur à 5000 € » et concluant: « Sur un plan strictement économique, cette autorisation donnée au président ne lui laisse en fait qu'une liberté de manœuvre très restreinte et rend la société pratiquement ingérable »;
Attendu qu'ainsi l'article 6 du pacte d'actionnaire, rédigé en des termes trop vagues et trop généraux portant atteinte au pouvoir de décision de l'associé et ne prenant pas en compte, pas plus que les instructions de vote, l'intérêt social, doit être réputé non écrit;
Que le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a dit cet article nul et et a, en conséquence, rejeté les demandes de la société EG EVENTS contre Sylvain A.;
Sur l'article 700:
Attendu que l'équité commande que les frais irrépétibles engagés par Sylvain A. ne demeurent pas à sa charge;
Qu'en conséquence, la société EG EVENTS sera condamnée à lui payer la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement par arrêt contradictoire,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris ,
Y AJOUTANT,
CONDAMNE la société EG EVENTS à payer à Sylvain A. la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société EG EVENTS aux entiers dépens, ceux d'appel pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.