Cass. com., 24 mars 1998, n° 96-10.172
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Métivet
Avocat général :
M. Jobard
Avocats :
SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, Me Foussard
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les consorts Boulerie, anciens associés et anciens liquidateurs de l'exploitation agricole à responsabilité limitée La Loge (l'EARL) qui avait été dissoute et radiée du registre du commerce et des sociétés, le 18 novembre 1992, après clôture des opérations de liquidation, et qui était titulaire d'un bail à ferme, ont, le 23 juillet 1993, assigné les bailleresses en paiement de l'indemnité due au preneur sortant ; que celles-ci ont formé une demande reconventionnelle en paiement d'un arriéré de fermage ;
Sur le second moyen, pris en sa première branche :
Attendu que les consorts Boulerie reprochent à l'arrêt, après avoir déclaré que le véritable titulaire d'un bail rural était l'EARL dissoute et que les deux anciens associés étaient irrecevables à agir en paiement de l'indemnité due au preneur sortant, d'avoir accueilli la demande reconventionnelle et de les avoir condamnés à payer aux bailleresses un solde de fermage, alors, selon le pourvoi, qu'en constatant d'un côté que le titulaire du bail était l'EARL dissoute et non les consorts Boulerie qui n'auraient ainsi eu aucune qualité à agir en son nom tout en condamnant, de l'autre, ces derniers au paiement des fermages dus par le débiteur principal, sans préciser le fondement de sa décision, la cour d'appel a violé l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que, par motifs adoptés, l'arrêt retient que l'EARL est régie par les dispositions de la loi du 11 juillet 1985 aux termes de laquelle l'exploitation agricole à responsabilité limitée est une société civile soumise aux dispositions des chapitres I et II du titre IX du Livre III du Code civil ; que ces dispositions incluant l'article 1859 du Code civil, la cour d'appel a ainsi précisé le fondement de sa décision ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé en sa première branche ;
Sur le second moyen, pris en sa seconde branche :
Attendu que les consorts Boulerie font encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le pourvoi, qu'en toute hypothèse, s'il avait effectivement admis le principe du paiement des fermages par les preneurs, le jugement définitif du 8 avril 1993 n'avait en revanche nullement dit qu'il s'agissait des consorts Boulerie, puisqu'il les avait au contraire déclarés irrecevables à agir pour obtenir paiement de l'indemnité due au preneur sortant, après avoir constaté que seule l'EARL était titulaire du bail ; qu'en conséquence, à supposer qu'elle ait entendu se retrancher derrière la chose jugée par cette décision pour condamner les consorts Boulerie à payer les fermages pour la période au cours de laquelle la société était titulaire du bail, la cour d'appel a méconnu l'autorité de la chose jugée y attachée en violation de l'article 1351 du Code civil ;
Mais attendu que le moyen fait seulement état d'une hypothèse, en supposant que la Cour aurait entendu se retrancher derrière la chose jugée ; qu'il est, par suite, irrecevable en sa deuxième branche ;
Sur le premier moyen, pris en sa première branche :
Attendu que les consorts Boulerie reprochent à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevable l'action exercée par les deux seuls coassociés et liquidateurs d'une EARL antérieurement dissoute, tendant au paiement par les bailleresses à ferme de l'indemnité due au preneur sortant, alors, selon le pourvoi, que la personnalité morale de la société subsiste pour les besoins de la liquidation jusqu'à publication de la clôture ; qu'en leur déniant la qualité à agir au prétexte que l'EARL avait été dissoute, que les opérations de liquidation avaient été clôturées le 18 novembre 1992 et que la société avait été radiée du registre du commerce et des sociétés le même jour, sans constater que la publication de la clôture des opérations de liquidation avait bien été éffectuée avant la demande en justice formée par les consorts Boulerie, ès qualités, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1844-8 du Code civil ;
Mais attendu qu'il résulte des dispositions combinées des articles 14 et 29 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978 relatif à l'application de la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 modifiant le titre IX du Livre III du Code civil, que la radiation d'une société au registre du commerce et des sociétés a lieu sur justification de la publication dans un journal d'annonces légales de l'avis de clôture de la liquidation ; qu'en retenant que l'EARL a été radiée du registre du commerce et des sociétés de Nantes le 18 novembre 1992, alors que la requête saisissant le tribunal paritaire des baux ruraux a été présentée par les consorts Boulerie le 23 juillet 1993, la cour d'appel a procédé à la constatation prétendument omise ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 1844-9, alinéa 4, du Code civil ;
Attendu qu'il résulte de ce texte que les associés d'une société dissoute peuvent demeurer dans l'indivision, pour tout ou partie des biens sociaux, lesquels sont alors régis à la clôture de la liquidation par les dispositions relatives à l'indivision ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable l'action engagée, en qualité de liquidateurs d'une EARL, dont ils étaient les seuls associés, par les consorts Boulerie en paiement de l'indemnité due au preneur sortant, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que le seul titulaire du bail à ferme était l'EARL qui avait été dissoute et radiée du registre du commerce après clôture des opérations de liquidation ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée par les conclusions des consorts Boulerie, si la clôture de la liquidation n'avait pas eu pour effet de leur transférer en indivision ainsi qu'ils le soutenaient les biens sociaux dont faisait partie le droit d'agir en paiement de la créance d'indemnité due au preneur sortant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action intentée par les consorts Boulerie, l'arrêt rendu le 5 octobre 1995, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Angers.