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Décisions

CA Bordeaux, 2e ch., 7 décembre 1989, n° 3055/88

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Etablissements Métallurgiques Louis Vernières (SARL)

Défendeur :

Oxymétal (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gaubert

Conseillers :

Mme Bache, Mlle Courbin

Avoués :

SCP Lacampagne-Puybaraud, SCP Boyreau

Avocats :

Me Brouillaud, Me Tocanne, Me Dacharry

T. com. Bordeaux, du 20 juin 1985

20 juin 1985

Le 19 Août 1985, la Société ETABLISSEMENTS METALLURGIQUES LUIS VERNIERES agissant par son gérant, a interjeté appel d'un jugement rendu le 20 Juin 1985 par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX? appel dirigé contre la SARL OXYMETAL, représentée par son gérant, appel portant sur l'ensemble du jugement sauf en ce qu'il a débouté la Société OXYMETAL de la demande tendant à voir condamner la Société VERNIERES à lui céder les parts qu'elle détient de la Société OXYMETAL, et à voir constater la nullité du vote émis par la Société VERNIERES le 2 Juillet 1984.

Le Tribunal statuant tant sur les assignations délivrées les 11 Septembre 1984 et 3 Décembre 1984 par la Société VERNIERES à la Société OXYMETAL que sur l'assignation du 19 Novembre 1984 donnée par la Société OXYMETAL à la Société VERNIERES, joignant les instances, a rendu la décision dont le dispositif est ici rappelé Donne acte à Monsieur R. ..., à Monsieur B. ..., à Monsieur ... M., à Monsieur J. ..., à Monsieur P. ..., à Monsieur J. ... et à Monsieur J. ... de ce qu'ils interviennent spontanément en la présente instance et de ce qu'ils adhérent aux conclusions et aux demandes de la Société OXYMETAL ;

Condamne la Société OXYMETAL à payer à la Société VERNIERES la somme de 92 023,13 F ;

Dit que le taux d'intérêts applicable pour les livraisons et prestations de services intervenus entre les parties est le taux contractuel de 1,20 % par mois, qui sera décompté à partir de l'échéance des traites acceptées et, à défaut d'acceptation à partir de la mise en demeure ;

Dit qu'en s'opposant à la participation de la Société EXPANSON, la Société VERNIERES a occasionné à la Société OXYMETAL un préjudice qui sera déterminé par expertise ;

Condamne la Société VERNIERES 0 payer, à titre de provision la somme de 500 000 F à la Société OXYMETAL ;

Ordonne à due concurrence, la compensation entre le montant de ces deux condamnations ; Et pour fixer le quantum,

Nomme Monsieur ..., demeurant Boulevard Georges V BORDEAUX? expert qui aura pour mission de convoquer les parties ;

Prendre connaissance de toutes pièces comptables et bancaires et, plus généralement, de tous éléments susceptibles de déterminer les sommes dues par les parties au titre de livraisons ou de prestations de services et les intérêts calculés suivant les normes précisées au présent jugement, et de déterminer le montant du préjudice subi par la Société OXYMETAL par suite de la privation de la participation de la Société EXPANSO et les concours financiers qui étaient conditionnés par cette participation ;

Dit que l'expert fera, faute de conciliation entre les parties, un rapport de ses opérations, sur lequel il sera conclu par les parties et statué ce que de droit ;

Dit qu'en cas d'empêchement, il sera procédé au remplacement de l'expert par ordonnance rendue sur requête de la partie la plus diligente ;

Fixe à 3 000 F le montant de la provision sur les frais et honoraires de l'expert qui devra être consigné au Greffe du Tribunal par la Société OXYMETAL dans les quinze jours de la demande qui lui en sera faite par Monsieur le Greffier ;

Déboute toutes parties du surplus de leurs demandes ;

Ordonne l'exécution provisoire nonobstant appel de la présente décision à charge pour la Société OXYMETAL de constituer caution à hauteur de 400 000 F ;

Dit que la caution devra garantir toutes restitutions ou réparations pouvant intervenir ; qu'elle devra être constituée par un engagement de caution fourni par un établissement bancaire ou par un dépôt de la somme susvisée à la Caisse de Dépôts et Consignations ;

Réserve les dépens en fin d'instance ;

Il n'a pas été interjeté appel contre les associés intervenus aux débats devant les premiers juges, lesquels leur en ont donné acte, et ceux-ci ne sont pas présents devant la Cour.

Au soutien de son appel, la Société VERNIERES a conclu les 25 Mai 1988, 25 Septembre et 13 Novembre 1989, à ce qu'il plaise à la Cour de

Dire et juger recevable et bien fondé l'appel partiel interjeté par la Société des ETABLISSEMENTS METALLURGIQUES LOUIS VERNIERES contre le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX Le 20 Juin 1985 ;

Pour fruits

Réformer ladite décision dans les limites de l'appel de la Société VERNIERES. Dire et juger que détenant moins de 25 % du capital, la Société VERNIERES ne pouvait matériellement se rendre coupable d'un abus de minorité social de la Société OXYMETAL

Dire et juger que la Société VERNIERES n'a commis aucune faute à l'occasion du vote négatif du 2 Juillet 1984. Dire et juger qu'en tout état de cause, la Société OXYMETAL n'a subi aucun préjudice et qu'il n'existe aucun lien entre la faute alléguée et le préjudice invoqué.

Débouter en conséquence la Société OXYMETAL de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions et la condamner à rembourser à la Société VERNIERES la provision de 500 000 F indument versée, avec intérêts de droit calculés au taux légal à compter du jour du règlement et ce, jusqu'à complet paiement.

Condamner la Société OXYMETAL à payer à la Société VERNIERES une somme de 187 913,35 F provisoirement arrêtée en principal et intérêts au 31 Mai 1988 ; sauf à parfaire, compte tenu des intérêts à échoir au taux contractuel de 1,20 % par mois et ce jusqu'à complet paiement.

Condamner la Société OXYMETAL à payer à la Société des ETABLISSEMENT METALLURGIQUES LOUIS VERNIERES, une somme de 25 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Condamner la Société OXYMETAL aux entiers dépens, comprenant

1°) les dépens du jugement du 20 Juin 1985,

2°) les frais d'expertise de Monsieur ...,

3°) les frais de saisie-conservatoire consécutifs à l'ordonnance du 7 Août 1984,

4°) les frais de saisie conservatoire consécutifs à l'ordonnance du 8 Novembre 1984,

5°) les dépens des ordonnances de référé des 14 et 23 Novembre 1984,

6°) les dépens d'appel, ces derniers avec distraction au profit de Maitre ..., Avoué, par application des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Société OXYMETAL, intimée, ne formant aucun appel incident a conclu le 28 Juin 1989 à ce que soit confirmé le jugement intrepris,

Dit et juger que la Société VERNIERES s'est rendue coupable d'un abus dans son droit d'associé, La condamner à payer à la Société OXYMETAL une somme de 2 millions de francs à titre de dommages intérêts, Dire et juger que la somme de 39 000 F détenue par le conseil de la Société VERNIERES en qualité de séquestre devra être restituée.

Condamner la Société VERNIERES à payer à la Société OXYMETAL une somme de 20 000 F à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Condamner la Société VERNIERES aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ceux compris les frais d'expertise, et pour les frais d'appel, cette condamnation profitant à la S.C.P. BOYREAU, sur ses affirmations de droit.

La Cour se réfère pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, au jugement déféré et aux conclusions déposées.

DECISION DE LA COUR

Statuant dans les limites de l'appel, et sans qu'il soit invoqué les conclusions du rapport de Monsieur ...,  expert désigné par les premiers juges, auxquels il appartiendra de ce prononcer sur les conclusions contestées dudit rapport, la Cour estimant nécessaire que soit respecté le principe du double degré de juridiction.

Sur l'abus de droit dont se serait rendu coupable la Société VERNIERES en émettant le 2 Juillet 1984 un vote négatif sur les deux résolutions qui lui étaient soumises, à savoir augmentation du capital social de la SARL OXYMETAL porté de 450 000 F à 600 000 F au moyen de la création de 150 parts nouvelles de 1 000 F chacune, de nominal sous forme de parts privilégiées amortissables au profit de la seule Société EXPANSO, et modification en conséquence de l'article 7 des statuts quant à la répartition du capital social.

Attendu qu'il est ainsi reproché à la Société VERNIERES seule, et actionnaire minoritaire, d'avoir bloqué l'adoption d'une délibération qui satisfaisait à l'intérêt social, non pas dans le but de protéger ses seuls intérêts mais dans celui de nuire et pour satisfaire à un désir de déstabilisation d'une société, à laquelle elle s'était vu contrainte d'adhérer et à laquelle elle entendait refuser toute chance de survie.

Attendu qu'en aucun cas la Société VERNIERES ne peut être considérée comme disposant seule d'une minorité de blocage alors que sa participation au capital social de 450 000 F est de 100 000 F, soit 22 % de celui-ci.

Attendu que ce n'est que par l'adjonction du vote émis par un autre associé qu'ont pu être atteints les 25 % du capital social permettant au vote négatif du 2 Juillet 1984, de paralyser l'augmentation de capital.

Attendu que l'associé qui a émis ce vote négatif n'a, quant à lui, jamais été mis en cause.

Attendu que les premiers juges ont estimé que quelle que soit la façon dont cette minorité est constituée, il suffit qu'ait été atteint le quorum suffisant, pour qu'un des associés minoritaires, en l'espèce la seule Société VERNIERES, ait à justifier de son opposition, à défaut de se voir reprocher un abus dans l'exercice de son droit d'associé.

Attendu que la Cour ne peut adopter une telle analyse.

Attendu qu'il est constant que la Société VERNIERES ne disposait pas à elle seule d'une minorité de blocage. Attendu que celle-ci n'a été atteinte que par le cumul des votes d'au moins deux associés et ne peut constituer un abus que dans la mesure où il est établi une collusion entre les associés minoritaires pour faire obstacle à une augmentation de capital dans le seul but de protéger leurs propres intérêts et ce en méconnaissance totale de l'intérêt social.

Attendu qu'une telle collusion n'est ni prouvée ni même prétendue alors que les associés ont noté par écrit, par courrier signé et sans qu'aucun d'eux ne soit le mandataire de l'autre.

Qu'en conséquence la seule Société VERNIERES ne détenant pas 25 % du capital social ne peut s'être rendue coupable d'un abus de minorité.

Attendu que les premiers juges méconnaissant cette évidence ont estimé que la Société VERNIERES aurait dû justifier de son vote négatif.

Attendu que tout associé, même minoritaire n'a pas à justifier de son vote mais que c'est aux associés qui se prétendent victimes d'un abus de droit d'en rapporter la preuve.

Attendu que les premiers juges ont considéré que la Société VERNIERES qui avait, sur les propositions de Monsieur ... (courrier du 4 Janvier 1984) estimé bénéfique la participation d'EXPANSO n'a pas justifié son refus de voir entrer postérieurement EXPANSO dans le capital d'OXYMETAL.

Attendu que c'est là méconnaître que l'accord aurait été donné au stade de l'information, accord non concrétisé dans le stade de la réalisation et qui pouvait n'être plus, postérieurement, jugé nécessaire.

Attendu surabondamment que la Société VERNIERES, largement créancière d'OXYMETAL, ignorait les conditions exactes de la création des parts privilégiées, amortissables au profit d'EXPANSO.

Que les conséquences immédiates de cette création étaient pour elle la minoration de sa participation et la renonciation à son droit préférentiel de souscription.

Attendu que si la Société OXYMETAL a subi de par le comportement de la Société VERNIERES un préjudice, elle devra en poursuivre le dédommagement par tout autre moyen que celui d'un abus de minorité dont matériellement la Société VERNIERES n'a pu se rendre coupable.

Attendu que les premiers juges ne pourront être suivis en leur décision et qu'il sera entré en voie de réformation.

Attendu que la mission confiée de ce chef de la procédure à Monsieur ..., Expert, devient sans objet.

Attendu que la provision mise à la charge de la Société VERNIERES avec bénéfice de l'exécution provisoire et sans réserve de la compensation devra lui être restituée par la Société OXYMETAL.

Sur les comptes entre les parties

Attendu que ceux-ci relèvent de l'appréciation du Tribunal après expertise de Monsieur ....

Attendu toutefois qu'à la lecture des conclusions des parties, il apparait que la créance de la Société VERNIERES n'est critiquée par la Société OXYMETAL que pour une très faible partie de son montant.

Attendu qu'à la date du 31 Mai 1988, la Société VERNIERES précise qu'il lui est dû en principal et intérêts une somme de 187 913,35 F.

Attendu que la Société OXYMETAL conteste cette créance à hauteur de 39 000 F.

Attendu que s'agissant de créances anciennes, il peut être accordée à titre provisionnel, une somme de 160 000 F restant à parfaire par décision des premiers juges auxquels il appartiendra de statuer sur les frais d'expertise et de procédures de recouvrement engagées par les parties.

Attendu qu'il est inéquitable de laisser à la charge de la Société VERNIERES, eu égard aux circonstances de la cause, la charge des frais irrépétibles exposés par elle tant en première instance qu'en appel ; que la Cour estime avoir les éléments nécessaires pour fixer à la somme de 20 000 F l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR Statuant dans les limites de l'appel, Le dit recevable en la forme et fondé en son principe. Réformant le jugement du 20 Juin 1985 et statuant à nouveau,

Constate que la Société VERNIERES ne disposait pas de 25 % du capital social de la Société OXYMETAL.

Dit la Société OXYMETAL mal fondée à prétendre que la Société VERNIERES s'est rendue coupable d'un abus de minorité lors du vote émis le 2 Juillet 1984.

Déboute en conséquence la Société OXYMETAL de sa demande tendant à réparation d'un préjudice dont il lui appartiendra si elle l'estime nécessaire de poursuivre la réparation sur tout autre moyen de droit.

Condamne la Société OXYMETAL au remboursement de la provision de 500 000 F allouée par les premiers juges sous réserve de la compensation avec la condamnation devenue définitive, laquelle a été ordonnée par les premiers juges.

Condamne par provision la Société OXYMETAL à payer à la Société VERNIERES la somme de 160 000 F à valoir sur le règlement définitif de sa créance.

Renvoie les parties devant les premiers juges pour qu'il soit statué sur le règlement définitif du compte, sur les dépens de première instance, sur les frais d'expertise et sur les frais de recouvrement engagés par les parties.

Condamne la Société OXYMETAL à payer à la Société VERNIERES la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Condamne la Société OXYMETAL aux dépens d'appel dont distraction au profit de la S.C.P. LACAMPAGNE-PUYBARAUD, Avoués à la Cour, conformément à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.