Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 8, 18 novembre 2014, n° 13/15364

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

SBE (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hirigoyen

Conseillers :

Mme Hebert-Pageot, M. Boyer

Avocats :

Me Hardouin, Me Sulzer, Me Boccon-Gibod, Me Rafin

TGI Paris, du 10 juin 2013, n° 11/11484

10 juin 2013

Mmes Pascale S. et Emmanuelle B., qui sont demi soeurs, ont constitué le 4 août 2000 la SCI SBE, au capital de 16 000 euros, réparti par moitié entre elles et dont elles sont cogérantes.

Cette SCI a acquis un local à usage commercial aux fins de location dans un immeuble situé 37, rue Yves Toudic à Paris, 10ème arrondissement, grâce à un prêt, lequel a été entièrement remboursé le 31 août 2010.

Soutenant, pour l'essentiel, ne pas être informée ni consultée sur les décisions sociales prises par Mme S. seule, laquelle ne convoque jamais d'assemblée générale, être privée des comptes et ne pas percevoir de revenus tirés de l'activité de la société, Mme B. a fait assigner, par acte du 8 juillet 2011, la société SBE et Mme S. devant le tribunal de grande instance de Paris pour solliciter, d'une part, au visa de l'article 1844-7, 5° du code civil la dissolution anticipée de la SCI pour justes motifs, d'autre part, exerçant alors l'action ut singuli, la condamnation de Mme S. à rapporter à la société l'ensemble des sommes indûment prélevées sur les comptes sociaux depuis sa création, évaluées à 40 000 euros, sauf à parfaire.

Par jugement du 10 juin 2003, le tribunal, retenant que la mésentente entre les deux associés égalitaires exposait la société à un risque de paralysie, a :

- ordonné la dissolution anticipée de la SCI SBE,

- désigné un mandataire liquidateur aux fins, notamment, de réaliser l'actif par la vente de l'immeuble et d'assurer la reddition des comptes sociaux en vérifiant notamment qu'il a été procédé à une répartition égalitaire des bénéfices entre les associés,

- débouté Mme B. du surplus de ses demandes,

- débouté Mme S. de sa demande de dommages intérêts,

- dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et fait masse des dépens, lesquels ont été mis à la charge de la SCI.

Mme S. et la SCI SBE ont relevé appel de cette décision par déclaration en date du 25 juillet 2013.

Dans leurs dernières conclusions signifiées le 28 avril 2014, elles demandent à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Mme B. de sa demande de dommages intérêts, de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, de dire n'y avoir lieu à dissolution, de débouter Mme B. de ses demandes, de la condamner à lui payer la somme de 10 000 euros pour procédure abusive et la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner aux dépens.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 13 décembre 2013, Mme B., agissant à titre personnel et exerçant l'action ut singuli, demande à la cour de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, de débouter Mme S. de ses demandes, de la condamner à lui payer, ainsi qu'à la SCI, la somme de 4 000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

SUR CE

Le jugement déféré n'est pas critiqué en ce qu'il a débouté Mme B. de sa demande visant à la condamnation de Mme S. à rapporter à la SCI la somme de 40 000 euros au titre de prélèvements indus, demande qui n'est pas reprise en cause d'appel. Il sera dès lors confirmé de ce chef.

Aux termes de l'article 1844-7, 5° du code civil, la dissolution anticipée d'une société peut être prononcée à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de celle-ci.

Mme B. fait divers griefs à Mme S. et en particulier de ne pas tenir de comptabilité, de ne procéder à aucune reddition de comptes, de ne pas convoquer d'assemblée générale, de ne lui verser aucun revenu, alors que cette dernière prélèverait indûment des sommes sur le compte de la société sans justification.

Mais ces griefs ne sont pas établis ou sont inopérants.

Il est en effet constant que jusqu'en 2009, la SCI, qui n'est propriétaire que d'un seul bien immobilier à usage de local commercial, n'a perçu aucun revenu, les loyers du bail commercial initialement consenti à une société La Zueca ayant été intégralement affectés au remboursement de l'emprunt destiné à financer l'acquisition, le prêt ayant été définitivement soldé le 31 août 2010.

Il est justifié que la comptabilité est tenue, la gestion de la location du local appartenant à la SCI ayant été confiée, depuis l'année 2009, à un agent immobilier extérieur, le cabinet Walter Wainstock Immobilier, auquel Mme B. s'adresse pour vérifier les comptes, lesquels sont au demeurant accessibles en ligne aux deux associées qui disposent, chacune, d'un code d'accès depuis le site internet de cet agent.

S'agissant de la répartition des bénéfices, Mme S. verse au débat un tableau récapitulatif attestant de la répartition égalitaire entre les deux associés (22 500 euros chacune depuis le mois de mai 2009) ainsi que la déclaration des sociétés immobilières non soumises à l'impôt sur le revenu (formulaire dit n°2072) qui est établie, à l'occasion de chaque exercice fiscal, par un expert-comptable, lequel adresse à l'intimée le document extrait dudit formulaire lui permettant d'établir sa propre déclaration.

Mme B. ne conteste pas avoir reçu en 2010, soit avant l'engagement de la présente instance, une réédition de l'ensemble des comptes de gestion depuis le mois d'août 2007, l'intégralité des relevés du compte bancaire ouvert au nom de la SCI pour les années 2009, 2010 et 2011 étant de surcroît versée au débat sans susciter de discussion de sa part, à l'exception d'une somme de 5 000 euros prélevée le 5 mai 2009 qui ne lui paraît pas suffisamment justifiée. Mais il sera relevé sur ce point que Mme B. ne justifie pas avoir interrogé sa demi soeur sur la cause de ce prélèvement et qu'elle a renoncé en cause d'appel à exercer l'action ut singuli de ce chef. En cet état, le grief de prélèvements indus n'est pas établi.

Mme B. ne saurait imputer l'absence de convocation d'assemblée générale à faute à Mme S. alors qu'elle est, elle-même, cogérante et ne justifie ni n'allègue avoir pris en cette qualité aucune initiative propre à pallier cette carence.

Enfin, la sous-évaluation manifeste alléguée du loyer commercial n'est nullement étayée, alors qu'il est constant que le premier locataire a cédé le fonds de commerce à une société Le Chapelier Fou, le projet d'acte de cession ayant été adressé à Mme B. qui a autorisé Mme S. à signer en son nom, de sorte que la première ne saurait soutenir que l'opération se serait déroulée à son insu, la SCI ayant consenti un nouveau bail de neuf ans qui a commencé à courir le 1er janvier 2006 moyennant un loyer annuel en principal de 10 800 euros dont il n'est nullement établi qu'il serait inférieur au prix du marché.

Les premiers juges ont néanmoins retenu que les griefs ainsi articulés, l'existence même de ce contentieux, l'échec d'une tentative de médiation dans le cours de l'instance, comme le climat de défiance entre associées que l'éloignement géographique de Mme B., laquelle réside à Lyon, ne peut qu'entretenir, révélaient la disparition de tout affectio societatis et exposaient la société à un risque de paralysie'.

Mais la disparition de l'affectio societatis, même entre deux associés égalitaires, ne suffit pas à justifier la dissolution d'une société, il faut encore que la mésentente entre associés paralyse le fonctionnement de celle-ci, la charge de cette preuve incombant à celui qui se prévaut de ce motif de dissolution.

Or, la preuve d'une telle paralysie n'est pas rapportée par l'intimée qui laisse sans réplique les observations de l'appelante, laquelle fait valoir que la société n'a plus à supporter la charge de l'emprunt contracté pour l'acquisition, que le bien est loué dans des conditions conformes au marché, que la situation comptable est bénéficiaire, la SCI remplissant l'ensemble de ses obligations sociales et fiscales, n'ayant aucun passif, disposant de comptes bancaires créditeurs et n'ayant, en l'état, à gérer qu'un bail commercial qui se poursuit sans difficulté.

En cet état, la seule défiance manifestée par Mme B. à l'égard de Mme S., laquelle serait aisément susceptible d'être surmontée par une meilleure et plus régulière circulation de l'information entre les deux cogérantes, ne caractérise pas, faute de paralysie démontrée, le juste motif de dissolution anticipée de la société.

Le jugement déféré sera par conséquent infirmé de ce chef et Mme B. déboutée de sa demande en dissolution.

L'abus allégué du droit d'agir en justice n'est pas suffisamment caractérisé et Mme S. sera déboutée de sa demande de ce chef.

L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de quiconque et les circonstances propres à l'espèce justifient que les dépens d'appel soient, comme les dépens de première instance, supportés par la seule SCI.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a ordonné la dissolution anticipée de la SCI SBE et a désigné un mandataire liquidateur avec telle mission déterminée,

Le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Déboute Mme B. de sa demande en dissolution anticipée de la SCI SBE,

Rejette toute autre demande,

Dit que les dépens d'appel seront supportés par la SCI et qu'ils pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.