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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 16 janvier 2009, n° 07/07068

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

ELF AQUITAINE (Sté), TOTAL FRANCE (Sté)

Défendeur :

PAUL BOYE (Sté), PAUL BOYE TECHNOLOGIES (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. GIRARDET

Conseillers :

Mme REGNIEZ, Mme SAINT-SCHROEDER

Avoués :

SCP FISSELIER-CHILOUX-BOULAY, SCP GUIZARD

Avocats :

Me MOLLET-VIEVILLE, Me JONQUET

Paris, du 7 fév. 2007

7 février 2007

La cour est saisie d'appels interjetés par la société ELF AQUITAINE SA et la société TOTAL FRANCE SA venant aux droits de la société ELF ANTAR à l'encontre d'un jugement rendu le 7 février 2007 par le tribunal de grande instance de Paris.

Il sera rappelé que :

- la société ELF Aquitaine est titulaire de plusieurs brevets déposés de 1983 à 1990 relatifs à un procédé dit 'STELF' qui a pour objet la production du froid et de la chaleur par réaction chimique utilisant pour la mise en oeuvre de la réaction une 'matrice' constituée d'un graphite naturel expansé (GNE) qui est à la fois poreux pour laisser pénétrer le gaz, et conducteur de chaleur (ou de froid) pour extraire du milieu les calories produites, et qui permet la réalisation d'une réaction totale,

- la société Paul BOYE TECHNOLOGIES, spécialisée dans la fabrication de vêtements civils et militaires de type NBC (nucléaire, bactériologique et chimique) a été intéressée en 1990 par ce procédé afin de produire une climatisation individuelle des vêtements, et a obtenu, après un accord de secret du 18 octobre 1990, de confier une étude à la société Atelier de Communication en Techniques d'Engineering-ACTE, sur le fonctionnement et le 'dimensionnement' d'un système de climatisation portable utilisant le procédé STELF ainsi que sur les perspectives et risques liés notamment à la présence de réactifs solides et à l'utilisation d'ammoniac,

- en suite de cette étude, la société Paul BOYE SA, société mère, a signé, le 19 avril 1991, un contrat d'option de licence du procédé STELF pour une durée de dix-huit mois, un contrat d'études pour la réalisation d'un prototype ayant été signé préalablement avec la société TRI-THERME TECHNOLOGIE le 13 février 1991,

- après plusieurs études et réunions au sein du 'club Stelf' (réunissant les sociétés intéressées par le procédé, des laboratoires de recherches tel le CNRS, ELF et la société CARBONE LORRAINE, co-titulaire d'un brevet portant sur le réactif 'IMPEX'), la société Paul BOYE SA a levé l'option et signé, le 22 février 1993 un contrat de licence exclusive d'exploitation des brevets relatifs à ce procédé (énumérés en annexe) excepté pour le brevet 'Impex' pour lequel seule une licence d'utilisation était consentie selon l'article 2 du contrat pour le domaine d'application visé à l'article 1.3 ( système de climatisation associé à un support textile destiné à fonctionner de manière autonome et discontinue pour climatiser dans une fourchette de température de 15° à 40° tous vêtements et combinaisons à usage civil ou militaire et toute enveloppe portable pour un individu telle que, par exemple : sacs de couchage, tentes, brancards),

- de 1993 à 2000, la société Paul BOYE a cherché à mettre au point un système de climatisation portatif adapté pour des vêtements mais disant, d'une part, que les informations tenant à la densité énergétique de la réaction qui lui auraient été données par la société ELF AQUITAINE n'étaient pas conformes à la réalité et affectaient le résultat industriel de l'invention et, d'autre part, à titre subsidiaire, que les réactifs (Soldex et Impex) de l'invention ne permettaient pas de réaliser une adaptation industrielle a assigné, ainsi que la société PAUL BOYE Technologies, les sociétés ELF Aquitaine et Elf Antar actuellement TOTAL France, devant, en dernier lieu, le tribunal de grande instance de Paris, en annulation, caducité et résiliation du contrat de licence aux torts du breveté.

Par le jugement entrepris, le tribunal a :

- donné acte aux sociétés Paul BOYE SA et Paul BOYE TECHNOLOGIES de leurs interventions volontaires,

- débouté la société TOTAL France de ses demandes d'irrecevabilité,

- ordonné la résiliation de la convention de licence conclue entre la société Paul BOYE et la société ELF AQUITAINE,

- avant dire droit sur le préjudice subi par la société Paul BOYE Technologies, ordonné une expertise,

- condamné la société ELF Aquitaine à payer à la société Paul BOYE Technologies une provision de 120 000 euros au titre des sommes avancées pour l'exploitation du brevet,

- condamné la société ELF Aquitaine à payer à chacune des sociétés BOYE la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du (nouveau) Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la résiliation et de la mesure d'expertise ainsi que de la provision allouée,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- condamné la société ELF Aquitaine aux dépens d'ores et déjà engagés.

Par leurs dernières conclusions du 9 octobre 2008, les sociétés ELF Aquitaine et TOTAL France invitent la cour à :

- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- dire que les sociétés PAUL BOYE et MANUFACTURE DE VETEMENTS PAUL BOYE (actuellement Paul BOYE Technologies) sont irrecevables et, subsidiairement, mal fondées en tous leurs moyens et demandes, les en débouter,

- dire qu'elles ont failli à leur obligation de parvenir à la réalisation industrielle de l'invention, objet de la licence du 22 février 1993 et de son avenant du 22 janvier 1998,

- prononcer la résiliation de la licence et de son avenant aux torts exclusifs des sociétés BOYE et les condamner solidairement à leur payer la somme de 100 000 euros en remboursement du préjudice subi,

- subsidiairement, dire, compte tenu des fautes des sociétés BOYE, que la licence et son avenant sont caducs ou, à tout le moins, résiliés sans tort ou subsidiairement aux torts réciproques des parties, mais en toute hypothèse sans frais ni charge pour l'une ou l'autre,

- en toute hypothèse, les condamner solidairement à payer à chacune d'elles la somme de 200 000 euros en application de l'article 700 du (nouveau) Code de procédure civile,

- les condamner solidairement aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP FISSELIER, avoué, aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du (nouveau) Code de procédure civile.

Par leurs dernières conclusions du 22 octobre 2008, les sociétés Paul BOYE demandent à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et y ajoutant demandent la condamnation des appelantes aux intérêts légaux depuis la délivrance de l'assignation et leur capitalisation conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil et la condamnation des sociétés ELF Aquitaine et Total France à payer à chacune d'elles la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du (nouveau) Code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance dont le montant, pour ceux la concernant, pourra être recouvré par la SCP GUIZARD en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR :

Sur la recevabilité

Considérant que la société TOTAL France ne reprend pas le moyen d'irrecevabilité des demandes formées à son encontre, écarté par les premiers juges ; qu'il sera seulement rappelé que le tribunal a dit que, bien que non signataire des conventions passées, elle s'était substituée dans l'exécution des contrats à la société ELF Aquitaine ;

Mais considérant que les sociétés appelantes réitèrent, dans leurs dernières conclusions, le moyen d'irrecevabilité de la demande de la société PAUL BOYE TECHNOLOGIES, soutenant que le tribunal a, à tort, constatant que la société Paul BOYE SA, signataire du contrat de licence, détenait 50% des droits de cette société, admis qu'elle était en droit de transférer le contrat de licence sans en référer à la société ELF AQUITAINE alors que le contrat de licence, selon son article 2.3, admettait cette possibilité dans le cas d'une participation de plus de 50% ;

Considérant que l'article 2.3 susvisé précise que 'la licence est incessible. BOYE s'interdit donc de substituer un tiers dans ses droits et obligations. ... Il ne pourra notamment faire apport en société sans autorisation d'ELF. Toutefois, BOYE aura le droit de transférer tout ou partie de ses droits et obligations à des sociétés de son Groupe, c'est à dire à des sociétés dont il détient plus de 50 % du capital' ;

Considérant que, contrairement à ce qu'avance la société PAUL BOYE TECHNOLOGIES, il n'est pas démontré que la société PAUL BOYE aurait une participation supérieure à 50% ; qu'elle ne peut donc utilement se prévaloir de cette disposition ;

Mais considérant qu'ainsi que l'a exactement souligné le tribunal, bien que signé par Monsieur Paul BOYE représentant la société PAUL BOYE SA, ce dernier est également dirigeant de la société PAUL BOYE Technologies ; qu'il ressort, en outre, de l'ensemble des documents et lettres échangées entre le donneur de licence et la société PAUL BOYE TECHNOLOGIES qu'en réalité, la société ELF, titulaire des brevets, a, en traitant directement avec cette société, admis l'existence d'un transfert du contrat à son bénéfice, cette société étant son partenaire dans tous les échanges et réunions qui ont eu lieu au sein du 'club STELF' ; que le jugement sera, sur ce point, confirmé ;

Sur la demande en résiliation aux torts de la société ELF

Considérant que le tribunal, après avoir rejeté l'argumentation fondée sur la transmission d'informations erronées, a, cependant, prononcé la résiliation du contrat de licence aux torts de la société ELF au motif, en substance, que le licencié n'avait pu 'démarrer industriellement' sa production par la faute de la société ELF, en raison de l'impossibilité d'obtenir un réactif ; qu'il a écarté l'application de l'article 5 du contrat relatif à l'exemption de responsabilité de la société ELF en ce qui concerne les aléas, risques et périls de la réalisation industrielle, estimant que la phase de réalisation industrielle n'était pas effective ; qu'il a, également, relevé que 'si la société ELF ne s'était effectivement pas engagée à produire aux sociétés BOYE le réactif nécessaire à la réalisation industrielle, son obligation étant une seule obligation de moyens, force est d'observer qu'à part les propositions d'Impex et de Soldex dont la livraison s'est révélée impossible dès que la phase des prototypes a été achevée, les sociétés défenderesses n'ont proposé aucun autre réactif, montrant ainsi que le choix d'un autre réactif s'avérait difficile sinon impossible en l'état du marché, aucun autre réactif ne semblant en fait posséder les propriétés suffisantes pour l'exploitation du brevet' et que 'la société Paul BOYE Technologies justifie d'efforts importants pour exploiter l'invention, efforts qui se sont avérés vains du fait d'une impossibilité insurmontable faute de solutions pouvant être apportées par la société ELF AQUITAINE à la résolution du problème' ;

Considérant que les sociétés appelantes critiquent cette décision, faisant valoir, en substance, qu'il a été fait une confusion sur l'objet du contrat de licence ; que celui-ci est relatif à l'exploitation d'un procédé dit STELF correspondant à divers brevets ; qu'aucun d'eux ne concernait une application industrielle pour des produits précis ; qu'elles ne se sont à aucun moment engagées à fabriquer un réactif utilisable dans ce procédé afin de réaliser les produits correspondant au projet de la société BOYE, l'obligation principale de donneur de licence étant de garantir la validité des brevets et d'autoriser, pour le domaine particulier d'application, l'exploitation de ce procédé en utilisant des réactifs comportant le graphite naturel expansé, sans s'obliger à fournir les réactifs, la licence comportant l'autorisation de les fabriquer (à l'exception du réactif Impex de la société CARBONE LORRAINE) ; que la société ELF s'est seulement engagée, par une obligation de moyen, à faire tous ses efforts pour l'obtention de l'Impex, réactif, objet d'un brevet dont elle est co-titulaire avec la société CARBONE LORRAINE ;

Qu'elles ajoutent que, contrairement à ce qu'a dit le tribunal, il n'est pas possible de distinguer la phase de démarrage de la phase de réalisation industrielle, la première étant comprise dans la seconde, et d'exclure l'application de l'article 5 du contrat ;

Considérant que les sociétés défenderesses ne contestent pas le caractère brevetable du procédé STELF et la possibilité de pouvoir exploiter industriellement l'application envisagée mais soutiennent que l'exploitation industrielle de l'application envisagée nécessitait l'existence d'un réactif disponible devant être produit industriellement et qu'en l'occurrence, seul le réactif IMPEX permettait une application industrielle ; qu'elles estiment que le breveté s'était nécessairement engagé à ce qu'un réactif produit industriellement soit disponible au bénéfice du licencié et que la convention de licence comprend ainsi, de première part, l'obligation du breveté de délivrer le brevet de l'IMPEX et les brevets résultant de son évolution comme l'IMPEX M et de seconde part, une stipulation de porte fort de disponibilité d'un réactif permettant l'exploitation industrielle des brevets et une promesse de bons offices sur les conditions de cette disponibilité ;

Qu'elles soutiennent que le breveté a manqué à ces trois obligations, étant avéré qu'aucun réactif n'était disponible pour une exploitation industrielle ;

Considérant, cela exposé, qu'il est constant que la société ELF est titulaire d'un ensemble de brevets, déposés en France et dans divers pays étrangers, relatif à un procédé d'obtention de chaleur et de froid par un système mettant en oeuvre une réaction chimique entre solide et gaz par l'intermédiaire du graphite naturel expansé ; que ce procédé, appelé STELF, peut être utilisé avec plusieurs réactifs, l'élément commun étant l'usage du graphite naturel expansé ; que divers brevets de perfectionnement ont été déposés dont plusieurs relatifs à un réactif spécifique dit 'IMPEX' puis 'IMPEX M', la société ELF n'étant que co-titulaire de ce brevet avec la société CARBONE LORRAINE ;

Considérant qu'il est tout aussi constant qu'avant de signer un contrat d'option de licence puis le contrat de licence, la société BOYE a fait procéder à différentes études de faisabilité et qu'un prototype de gilet a été présenté dans la presse en février 1993 ; qu'un avenant à ce contrat a été signé le 22 janvier 1998 pour autoriser notamment la société BOYE à utiliser le procédé STELF pour un réactif alliant le couple CO2/charbon actif, objet d'un brevet déposé par cette société ; que la société BOYE a, ainsi, au regard des études et de la réalisation du prototype, eu connaissance des difficultés de mise au point du procédé breveté pour l'adapter à son domaine d'application ;

Considérant que par l'article 2.1 du contrat de licence exclusive d'exploitation des brevets et de l'information technique, la licence est limitée à la fabrication, l'utilisation et la vente des produits [pompes à chaleur chimiques des brevets] entrant dans le domaine d'application [système de climatisation associé à un support textile]' ; que selon l'article 4, ELF s'engageait également à 'fournir par l'intermédiaire de l'expert ou de tout autre spécialiste .... l'assistance technique et les conseils utiles, relevant du domaine des systèmes thermo-chimiques à la réalisation industrielle des produits' ;

Que selon ces dispositions, la société ELF s'est engagée, en sa qualité de titulaire des brevets et de donneur de licence à garantir la validité des brevets et leur possibilité d'exploitation technique et à donner une assistance technique ; qu'aucun des articles du contrat de licence et de son avenant ne porte engagement de la société ELF de fournir des réactifs 'opérationnels' pour le domaine d'activité visé par le contrat ; qu'il n'est, par ailleurs, pas contesté que la société ELF a rempli son obligation d'assistance technique et que les brevets visés au contrat ont bien un résultat industriel ;

Considérant que par le contrat de licence, le breveté s'est engagé à permettre l'exploitation de son procédé, de manière exclusive, pour l'appliquer au domaine précisé au contrat, mais ne s'est pas engagé à participer à la mise au point de l'application industrielle de son procédé, nécessaire pour les produits industriels, ni à fournir un réactif ; que le risque pris par l'industriel qui cherche à utiliser le procédé pour l'appliquer à des produits spécifiques n'est pas, sauf clause particulière, supporté par le breveté ;

Considérant qu'ainsi, en l'espèce, contrairement à ce que prétendent les sociétés BOYE, la société ELF n'a pas manqué à son obligation de délivrance ; que le tribunal ne peut davantage être suivi en ce qu'il a estimé que la société ELF n'avait pas procuré les moyens de permettre la phase de démarrage industriel ; qu'en effet, l'argumentation ainsi soutenue et les motifs des premiers juges reposent sur le postulat que le procédé STELF ne pouvait recevoir une application industrielle qu'avec le réactif intitulé IMPEX, alors que l'obligation de délivrance portait sur l'exploitation des procédés utilisant des réactifs comportant du graphite naturel expansé ;

Considérant que le licencié fonde son argumentation, notamment, sur le fait que dans les brevets relatifs à l'impex, il est mentionné que les précédents mélanges utilisant le graphite présentent des inconvénients (difficulté à obtenir des mélanges homogènes, manutention difficile, volume important occupé selon le brevet du 11 avril 1991, ou, selon le brevet du 28 mars 1995-IMPEX M de CARBONE LORRAINE, le procédé utilisant un graphite expansé de densité compris entre 0,001 et 0,02 est difficilement applicable de manière industrielle, notamment pour des raisons de rendement ) ;

Considérant, toutefois, qu'un perfectionnement dans les procédés mettant en oeuvrele graphite ne supprime pas la portée inventive des précédents brevets ; qu'il n'est, d'ailleurs, pas dit que les procédés antérieurs sont dénués de tout résultat industriel mais seulement qu'ils sont d'application industrielle difficile ; que le domaine d'application industrielle pour des vêtements a été choisi par la société Paul BOYE, qui en assume, ainsi qu'il a déjà été dit, les risques industriels, même si, en définitive, elle estime ne pas pouvoir passer au stade d'une fabrication industrielle, ne disposant pas d'un réactif suffisamment adapté ou d'un réactif (en l'occurrence l'impex) indisponible ; qu'il doit être en outre observé que la licence ne portait pas sur une autorisation de fabrication de 'l'impex' et qu'il avait déjà été réalisé un prototype utilisant le réactif 'soldex', avant la signature du contrat et que ce réactif était en 1999 et 2000, (peu avant l'assignation) fabriqué par un tiers la société ALCALI ;

Qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments que la société ELF n'avait pas d'obligation de fournir un réactif opérationnel pour le domaine d'activité choisi par la société Paul BOYE et qu'au surplus, l'absence de toute application industrielle du réactif 'soldex' n'est pas démontrée ; qu'en conséquence, ce grief sera rejeté, la société ELF ayant rempli son obligation de délivrance de brevets dont le procédé était techniquement réalisable et n'ayant aucune obligation de fournir un réactif particulier ; qu'il ne peut de ce point de vue lui être fait reproche, contrairement à ce qu'ont dit les premiers juges, de ne pas avoir permis le démarrage industriel en ne fournissant aucun réactif permettant la mise au point industrielle des produits ;

Considérant que les sociétés intimées ne peuvent davantage être suivies dans leur argumentation selon laquelle la société ELF, s'étant portée fort de l'exécution de l'engagement passé par un tiers de fournir de l'Impex, est tenue d'une obligation de résultat et que cet engagement n'a pas été respecté, la société CARBONE LORRAINE ayant décidé de cesser la fabrication de ce réactif qui aurait permis l'exploitation industrielle des produits;

Considérant qu'en effet, ainsi qu'il a déjà été dit, le réactif Impex n'est qu'un réactif parmi d'autres susceptible d'être utilisé dans l'application industrielle du procédé de climatisation spécifique pour des vêtements de protection, qui engendraient également des difficultés liées à la nécessité d'une aération et à l'aménagement du dispositif pour permettre la ventilation ; qu'il ne ressort d'aucune des clauses du contrat de licence et de son avenant du 22 janvier 1998 que la société ELF se serait portée fort d'un engagement d'approvisionnement en Impex par la société CARBONE LORRAINE de la société PAUL BOYE et serait responsable de la non exécution de cet approvisionnement par la société CARBONE LORRAINE ; que ce second moyen sera écarté ;

Considérant que par le contrat de licence (et son avenant), la société ELF était tenue d'une obligation de moyens en application de l'article 2.5 du contrat de licence sur les conditions d'approvisionnement en Impex (brevet DPI 5846) fabriqué par la société CARBONE LORRAINE ; qu'elle a , aux termes de cet article, l'obligation de 'faire ses meilleurs efforts, dans le cadre de son accord avec la société CARBONE LORRAINE pour que BOYE obtienne les quantités nécessaires à ses productions, et, à des prix raisonnables' ;

Que la société ELF a, au cours des réunions du 'club STELF' indiqué les demandes faites par elle auprès de la société CARBONE LORRAINE ; que celle-ci a présenté plusieurs propositions de prix en fonction des quantités prévisibles, interrogeant les sociétés du club 'STELF' dont la société BOYE sur leurs besoins futurs ; que plusieurs des sociétés n'ont plus donné suite à leur projet, de telle sorte que les quantités prévisibles se sont réduites augmentant d'autant le coût de ce réactif ; qu'il ressort également des pièces versées aux débats qu'un différend sur des sommes dues est né entre la société BOYE et la société CARBONE LORRAINE, ce qui a gelé leurs relations ; que ce n'est qu'en 2000 que la société BOYE a repris contact avec cette société qui lui a alors indiqué qu'elle ne fabriquait plus ce produit ; que la société ELF qui justifie être intervenue conformément à son obligation de moyens en déployant ses meilleurs efforts pour obtenir des quantités nécessaires aux productions de la société BOYE à des prix raisonnables, avant la rupture des relations entre la société BOYE et la société CARBONE LORRAINE, ne peut se voir reprocher de ne plus pouvoir proposer de 'l'impex', alors que la société BOYE avait un différend avec ce fournisseur ;

Qu'elle n'avait, par ailleurs, aucune obligation de présenter des solutions alternatives, étant observé qu'elle a, en 1999, donné son autorisation à la société Paul BOYE de consulter la société ALCALI pour la fourniture de réactifs, prototype ou de pré-séries 'nécessaires au développement du domaine d'application' et que des fournitures ont été fournies par cette société en 1999 et en 2000 (selon un rapport du 1er mars 2000) ; que ce dernier rapport met encore en évidence que le procédé SELF est exploitable industriellement ;

Considérant qu'ainsi, sans qu'il soit nécessaire de se référer à l'article 5 du contrat de licence qui exclut la responsabilité de la société ELF pour tout aléa et risque liés à la réalisation industrielle, aucune faute ne peut être imputée à la société ELF dans l'exécution de ses obligations de donneur de licence ; que le jugement sera, en conséquence, infirmé de ces chefs ;

Sur les demandes de la société ELF

Considérant que la société ELF, estimant que la société BOYE n'a pas rempli l'obligation du licencié, de procéder à la réalisation industrielle de l'invention, demande que la résiliation soit prononcée aux torts de cette société et qu'elle soit condamnée à payer des dommages et intérêts;

Mais considérant qu'il ne saurait être reproché à la société BOYE de ne pas avoir poursuivi les mises au point nécessaires à la fabrication de produits utilisant le procédé STELF ; qu'en effet, elle démontre, d'une part, qu'elle a investi d'importantes sommes afin de parvenir à la réalisation industrielle des produits, d'autre part, qu'elle y a travaillé durant plus de huit ans en rencontrant des difficultés d'ordre technique ; qu'elle rapporte ainsi la preuve de ce qu'elle a tout fait pour pouvoir fabriquer puis commercialiser les produits ;

Considérant qu'en outre, l'article 5 du contrat de licence mentionne que si la société BOYE estime que la réalisation industrielle des produits mettant en oeuvre l'information technique et les brevets est impossible ou trop difficile, le contrat sera résilié sans indemnité à sa demande et l'article 21prévoit également une possibilité de résiliation à chaque échéance annuelle avec un préavis de six mois et sans indemnité ;

Qu'il ressort de l'actuelle procédure que la société BOYE a, en définitive, estimé que la réalisation industrielle était trop difficile au regard des mises au point nécessaires pour obtenir un réactif adapté à l'application industrielle qu'elle voulait faire ; qu'elle n'a, certes, pas mis en jeu les possibilités ci-dessus mentionnées ; que la société ELF, pour sa part, n'a jamais mis en demeure la société BOYE d'exécuter son obligation de fourniture de produit industriel ; qu'elle ne saurait, en conséquence, prétendre que son licenciée a commis une faute dont elle devrait réparation;

Que, dans ces conditions, il n'y a pas lieu de prononcer une résiliation pour faute du contrat de licence et de son avenant ;

Considérant qu'aucune des parties ne souhaitant poursuivre les relations contractuelles, il convient de prononcer la résiliation du contrat de licence, étant au surplus relevé que la société PAUL BOYE pouvait y mettre fin sans indemnité conformément aux dispositions susvisées des articles 5 et 21 du contrat de licence ;

Considérant que des raisons d'équité commandent d'allouer aux sociétés appelantes la somme de 20 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens ; que la décision sera infirmée en ce qu'elle avait alloué aux sociétés PAUL BOYE une somme à ce titre et condamné la société ELF aux dépens ;

PAR CES MOTIFS:

Confirme le jugement sur le rejet des fins de non-recevoir ;

Pour le surplus l'infirme en toutes ses dispositions ;

Dit que les sociétés ELF AQUITAINE et TOTAL FRANCE ont rempli leurs obligations contractuelles ;

Dit que le contrat de licence du 22 février 1993 et son avenant du 22 janvier 1998 sont résiliés;

Rejette toutes autres demandes ;

Condamne in solidum les sociétés PAUL BOYE SA et PAUL BOYE TECHNOLOGIES à payer aux sociétés ELF AQUITAINE et TOTAL FRANCE la somme globale de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Les condamne in solidum aux entiers dépens ;

Autorise la SCP FISSELIER-CHILOUX-BOULAY, avoués, à recouvrer les dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile