Cass. crim., 24 octobre 2001, n° 01-81.039
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. COTTE
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 498, 505 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable l'appel interjeté par le procureur général le 10 janvier 2000, soit près d'un mois après le jugement à l'encontre duquel ni le prévenu ni le procureur de la République n'avaient interjeté appel des dispositions pénales, et, statuant à nouveau, a modifié la peine prononcée en première instance contre le prévenu ;
"aux motifs que l'appel du procureur général a été interjeté dans les formes et délais légaux ;
"alors que n'est pas compatible avec le principe de l'égalité des armes découlant de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales la disposition de l'article 505 du Code de procédure pénale qui ouvre au seul procureur général un droit d'appel dans un délai de deux mois à compter du jugement correctionnel, dans la mesure où le droit d'appel du prévenu et du procureur de la République se trouve enfermé dans un délai plus bref de 10 jours ;
qu'ainsi l'appel du procureur général devait être déclaré irrecevable, et que la cassation interviendra sans renvoi" ;
Attendu qu'en déclarant recevable l'appel du procureur général l'arrêt n'encourt pas le grief allégué ; qu'en effet, l'article 505 du Code de procédure pénale, qui fixe à deux mois le délai d'appel du procureur général, n'est pas contraire à l'exigence d'un procès équitable, dès lors que le prévenu bénéficie également d'un droit d'appel et dispose d'un délai lui permettant de l'exercer utilement ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 432-14 et 432-17 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Dominique X... coupable de délit d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics ;
"aux motifs que le prévenu ne peut se retrancher utilement derrière son incompétence ; qu'en effet, maire depuis plus de 18 ans, il a passé plusieurs marchés publics et une expérience certaine ne peut lui être déniée ; qu'il convient de confirmer le jugement, tous les éléments du délit étant caractérisés ; qu'en conséquence, il convient de prononcer contre Dominique X... une peine d'inéligibilité pendant deux ans, cette peine étant de nature à sanctionner tant son incompétence avouée et que la Cour veut bien admettre que sa mauvaise foi dans la gestion des deniers publics ;
"alors, d'une part, qu'il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre et la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; que la cour d'appel ne pouvait pas, sans entacher sa décision de contradiction, considérer que Dominique X... ne pouvait se retrancher utilement derrière son incompétence pour démontrer son absence d'intention frauduleuse tout en admettant son incompétence avouée ; que, dès lors, en statuant par motifs contradictoires, la cour d'appel a privé sa décision de tout motif ;
"alors, d'autre part, que le délit d'atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics n'est constitué que si son auteur a procuré ou tenté de procurer un avantage injustifié à autrui ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que tous les éléments constitutifs du délit étaient réunis sans pour autant définir l'avantage injustifié prétendument procuré par Dominique X... ; que, dès lors, en s'abstenant de caractériser cet avantage injustifié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Attendu que, pour déclarer Dominique X..., maire de la commune de Luri, coupable d'avoir procuré à l'entreprise Seercap un avantage injustifié par des actes contraires aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics, la cour d'appel retient, qu'il a attribué à cette entreprise, sans justification de sa conformité aux exigences de l'article 52 du Code des marchés publics, la construction d'une piste forestière contre l'incendie, alors que la procédure des marchés négociés utilisée n'avait pas été précédée d'une mise en concurrence par publication d'un nouvel avis et par une consultation écrite de la moitié au moins des candidats au précédent appel ; que les juges ajoutent que son intention de frauder en attribuant le marché à l'entreprise qui avait sa préférence ressort tant de la réitération des irrégularités relevées que de l'absence de consultation de sa part auprès de la Direction Départementale de l'Agriculture ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs, d'où il résulte qu'un avantage a été nécessairement procuré à l'entreprise attributaire du marché, et dès lors que les juges ont relevé que l'incompétence du prévenu n'était nullement exclusive de sa mauvaise foi dans la gestion des deniers publics, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut être admis ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 131-10, 131-11, 131-26, 132-24 et 432-17 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, 7 et 3 du Protocole 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a prononcé contre Dominique X... une peine d'inéligibilité pendant deux ans à titre de peine principale ;
"aux motifs que la peine prononcée apparaît inappropriée ; qu'en effet, outre que le sentiment d'impunité avait pu naître d'une certaine carence de l'Etat dans le suivi et le contrôle des opérations menées par les municipalités, une peine d'amende avec sursis et inadaptée à la nature de l'infraction commise et à la qualité de l'auteur ; qu'en conséquence, il convient de prononcer contre Dominique X... une peine d'inéligibilité pendant deux ans, cette peine étant de nature à sanctionner tant son incompétence avouée et que la Cour veut bien admettre que sa mauvaise foi dans la gestion des deniers publics, l'une n'excluant pas l'autre ;
"alors, d'une part, qu'il résulte tant des motifs de l'arrêt que des conclusions régulièrement déposées par Dominique X... que ce dernier a agi sous le contrôle de la Direction Départementale de l'Agriculture et que sa compétence ne lui permettait pas de connaître les règles de déroulement d'un marché public avec précision ; qu'il s'ensuit que la mesure d'inéligibilité prise à son encontre, qui a pour conséquence nécessaire d'interrompre sa vie professionnelle, porte une atteinte considérable et disproportionnée à son droit d'être éligible qu'il tient de la Convention susvisée et ne respecte pas les critères de proportionnalité des peines tels que prévus par les textes susvisés ;
"alors, d'autre part, qu'il résulte de l'article 131-10 du Code pénal que toute peine complémentaire ne peut être prononcée que pour les délits spécifiquement prévus par la loi ; que, dès lors, les juges du fond ne peuvent prononcer une peine complémentaire d'interdiction des droits visés à l'article 131-26 du Code pénal pour réprimer un comportement autre que celui constitutif du délit poursuivi ; qu'en conséquence, en décidant que cette peine était de nature à sanctionner tant son incompétence avouée que sa mauvaise foi dans la gestion des deniers publics, la cour d'appel a voulu sanctionner un comportement qui n'est pas prévu par la loi et a donc violé les textes susvisés" ;
Attendu qu'en condamnant Dominique X..., déclaré coupable du délit de favoritisme, à 2 ans d'interdiction des droits civiques relatifs à l'éligibilité, la cour d'appel n'a fait qu'appliquer une peine prévue par les articles 432-14, 432-17 et 131-26 dont les dispositions ne sont pas contraires aux textes conventionnels invoqués ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
DECLARE IRRECEVABLE la demande au titre de l'article 618-1 du Code de procédure pénale présentée par Gérard Y... après le dépôt de rapport du conseiller rapporteur ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;