CA Paris, Pôle 4 ch. 9, 27 septembre 2012, n° 10/24376
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Courtois, Courtois (épouse)
Défendeur :
CENTRE AUTO BILAN MONTREUIL (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Monsieur Alain SADOT
Conseillers :
Mme Patricia LEFEVRE, Madame Sabine LEBLANC
Avocats :
SCP LETU CAYLA, SCP MONIN - D'AURIAC, Me Jean-Pierre VANDAMME
Selon acte notarié du 14 janvier 2005, M Jean-Philippe COURTOIS et son épouse, Mme Zohra BENSLIMANont acquis un pavillon d'habitation au [...], cet immeuble jouxtait un garage exploité par la société AUTOVISION aux droits desquels viendra la SARL CENTRE AUTOBILAN MONTREUIL.
Par ordonnance en date du 14 mai 2007, le président du tribunal de grande instance de Bobigny a ordonné une mesure d'expertise afin de constater les nuisances sonores dénoncées par M et Mme COURTOIS depuis novembre 2005. Le technicien désigné, M COUASNET a déposé son rapport, le 16 juin 2008.
Par jugement en date du 19 novembre 2010, le tribunal d'instance de Montreuil sous Bois a annulé ce rapport d'expertise, déboutant de ce fait, M et Mme COURTOIS de l'intégralité de leurs demandes et les condamnant aux dépens en ce compris les frais et honoraires de l'expert.
M et Mme COURTOIS ont relevé appel de cette décision, le 17 décembre 2010. Dans le dernier état de leurs écritures du 14 avril 2011, ils demandent à la cour, infirmant cette décision, de condamner la SARL CENTRE AUTOBILAN MON TREUIL à réaliser, sous astreinte, les travaux préconisés par l'expert et au paiement de la somme de 9 750€ à titre de dommages et intérêts. Ils sollicitent également une somme de 4 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la condamnation de l'intimée aux dépens, en ce compris les frais et honoraires de l'expert, les dépens d'appel devant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Ils expliquent que depuis l'installation d'un centre de contrôle technique dans les locaux de l'ancien garage, ils sont victimes de nuisances sonores causées notamment par la transmission solidiennes des bruits et des vibrations des bancs d'essai. Ils s'opposent à l'annulation du rapport d'expertise, relevant que si l'expert a procédé, à deux reprises à des mesures inopinées, il a également procédé à des mesures, en présence des parties, l'ensemble de mesures étant concordantes. Ils reprennent les conclusions du technicien sur les causes des nuisances, leur caractère anormal et estiment justifiée l'allocation d'une somme mensuelle de 150€, pour réparer leur trouble de jouissance entre novembre 2005 et mars 2011.
Dans ses dernières conclusions du 25 novembre 2001, la SARL CENTRE AUTOBILAN MONTREUIL demande à la cour de confirmer le jugement critiqué et de débouter M et Mme COURTOIS de l'intégralité de leurs demandes, à titre subsidiaire, elle demande à la cour de limiter l'indemnisation du préjudice à la période de novembre 2005 à mai 2008 et en tout état de cause, de condamner les appelants au paiement d'une indemnité de procédure de 1 500€ et aux dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
En premier lieu, elle conclut à la nullité du rapport d'expertise ou à tout le moins à sa 'mise à l'écart' retenant le caractère non contradictoire d'une partie des opérations d'expertise, l'absence de communication des résultats des mesures du 21 novembre 2007, des contradictions dans les conclusions de l'expert et l'usage d'un matériel de mesure ne respectant pas les normes en vigueur. Subsidiairement, elle retient l'absence de démonstration de nuisances sonores aux sens des dispositions du code de la santé publique qu'elle rappelle, estimant que l'expert ne met pas en évidence de dépassements des limites admissibles. Elle ajoute, qu'il y a en l'espèce, pré-occuppation de son exploitation, ce qui interdit à M et Mme COURTOIS de se plaindre de prétendues nuisances. Enfin, elle relève que la somme réclamée au titre de l'indemnisation du préjudice n'est pas justifiée et que l'indemnisation doit cesser au jour où elle a réalisé les travaux d'insonorisation.
SUR CE, LA COUR
Considérant que la nullité des mesures d'instruction est, en vertu de l'article 175 du code de procédure civile, soumise aux dispositions qui régissent la nullité des actes de procédure ;
Que si l'article 160 du même code impose au technicien désigné de procéder à ses investigations, les parties étant présentes ou à tout le moins convoquées, les constatations matérielles ou les opérations purement techniques ne nécessitent pas la présence ni, a fortiori, la convocation des parties ;
Qu'en l'espèce, l'expert a procédé à des mesures de bruit inopinées, les 26 octobre et 21 novembre 2007, les résultats de ces mesures ayant été communiqués par les notes aux parties n°1 et 3 (des 31 octobre et 24 novembre 2007) ; qu'à la page trois de cette dernière note, il est indiqué que les mesures de bruit du 21 novembre 2007 font l'objet d'une annexe et ni l'intimée ni son conseil, n'ont avisé l'expert que cette note n°3 ne contenait pas l'annexe annoncée, l'affirmation que les résultats des secondes mesures inopinées n'auraient pas été communiqués avant la clôture des débats apparaît donc de pure circonstance et n'est étayée par aucune pièce ;
Que s'agissant d'investigations purement techniques, l'expert a pu valablement procéder seul ou en présence des seuls appelants, dès lors qu'il a ensuite communiqué aux parties, qui ont pu les discuter, les résultats de son travail avant le dépôt du rapport définitif ; que le juge ne pouvait donc pas considérer qu'il avait été porté atteinte aux droits de la défense et au principe du contradictoire étant ajouté que l'expert pouvait légitimement craindre que si sa venue avait été annoncée, le planning de travail de l'atelier soit modifié afin d'exclure, ce jour là, les travaux les plus bruyants ;
Qu'enfin, l'appelante prétend que l'appareil de contrôle ne serait pas conforme à la norme NFS 31-010 entretenant une confusion entre cette norme qui régit les opérations de mesures et celle applicable aux dispositifs techniques employés ; qu'en effet, l'arrêté du 5 décembre 2006 relatif aux modalités de mesurage des bruits de voisinage, précise en ses articles 1 à 3 que' l'indicateur acoustique à utiliser est l'émergence en niveau par bandes de fréquences de la méthode dite 'd'expertise " et de la norme NF S 31-010", et que 'les mesurages sont réalisés à l'aide d'un sonomètre intégrateur homologué de classe 1 ou de classe 2 au sens de la norme NF S 31-009 ou NF EN 61672-1 (normes retenues par l'arrêté du 28 octobre 1989 modifié par l'arrêté du 30 mai 2008), la cour pouvant constater que selon les indications données par l'expert, que le sonomètre utilisé respectait la norme NFS 31-009 ;
Considérant que dès lors, la décision rendue sera infirmée en ce qu'elle annule le rapport d'expertise ;
Considérant que l'expert indique avoir constaté des bruits caractérisés par :
'une émergence du niveau sonore très perceptible des bruits de fonctionnement des équipements de contrôle sur le bruit résiduel du séjour ; une apparition rapide et par séries des bruits de coups et chocs métalliques ; un caractère d'apparition inopinée, une répétition irrégulière fonction du nombre et du type de véhicules en station de contrôle technique, sachant que le nombre moyen de véhicules reçu dans l'atelier pour un contrôle et de 36 véhicules/jour environ ; des bruits d'intensité différentes' ;
Qu'il ajoute que les dépassements des niveaux de bruits mesurés dans le séjour portes et fenêtres fermées coté jardin constituent de réelles nuisances sonores, alors que dans ces bruits ne constituent pas des nuisances lorsque les portes et fenêtres donnant sur l'extérieur sont en position fermée or une erreur de plume permet d'expliquer cette contradiction apparente, l'expert ayant procédé à des mesures de bruit, fenêtres fermées, puis en entrouvrant la porte fenêtre du séjour, constatant alors (note aux parties n°3, page 39 des annexes) que le niveau du bruit résiduel de l'environnement mesuré était supérieur à tous les bruits particuliers constatés comme émergents émis par les activités du centre de contrôle technique ; qu'il précisait dans son annexe, que seules les émergences mesurées portes et fenêtre fermées étaient caractéristiques d'une nuisance sonore dans le séjour ;
Qu'enfin, la prétendue contradiction entre le niveau du bruit résiduel calculé en page 15 puis en page 17 du rapport ne résiste pas à l'examen, s'agissant de deux mesures distinctes, l'une étant une moyenne pondérée sur une période de temps longue (entre 9h08 et 9h20, le 26 octobre) et l'autre, étant calculée sur une période plus courte (entre 9H08mn 14sec et 9h08mn52) ;
Que dès lors, il n'y a pas lieu d'annuler le rapport de M COUASNET ou de l'écarter des débats ;
Considérant que l'expert retient des nuisances sonores, relevant des dépassements importants des niveaux d'émergences limites admises fixées par le code de la santé publique soit de + 0,7 à + 3,1 db pour les bruits de claquements et de + 1 dB à + 4db au niveau global de bruits de chocs ; que l'intimée conteste ces dépassements ;
Considérant que la définition des bruits de voisinage à laquelle s'est référé l'expert, est celle des articles R 1334-31 et suivants du code de la santé publique ; que ces textes fixent les valeurs limites de l'émergence définie comme la différence entre le niveau de bruit ambiant comportant le bruit mis en cause et le niveau de bruit résiduel (niveau sonore en absence du bruit particulier) ; que les valeurs admises de l'émergence sont calculées à partir des valeurs de 5 décibels dB(A) en période diurne (période en cause en l'espèce), valeur à laquelle est ajouté un terme correctif en fonction de la durée cumulée d'apparition du bruit particulier, (plus la durée de ce bruit se prolonge, moins le terme correctif est important) ;
Que ces textes précisent, s'agissant des bruits provenant des équipements des activités professionnelles, que l'atteinte à la tranquillité du voisinage pourra être caractérisée par l'émergence globale (prenant en compte toutes les fréquences) mais également, si le bruit est perçu à l'intérieur du logement (fenêtres ouvertes ou fermées), elle peut être complétée par l'utilisation des émergences spectrales (par bande d'octave), cette émergence globale et, le cas échéant, l'émergence spectrale ne pouvant être recherchée que lorsque le niveau de bruit ambiant mesuré, comprenant le bruit particulier est supérieur à 25 dB à l'intérieur du logement ;
Qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que les bruits de claquement ou de choc sont supérieurs à 25 dB ;
Que s'agissant :
- des bruits de claquements : l'émergence globale, c'est à dire la différence entre le niveau du bruit ambiant comprenant le bruit mis en cause et le niveau du bruit résiduel, prenant en compte toutes les fréquences s'étage entre + 10,1 et + 5,6 db ; compte tenu d'un passage moyen de 36 véhicules jour qui permet de retenir une durée cumulée d'apparition de ce bruit entre 5 et 20 minutes (l'expert évaluant à 200 secondes la durée de passage de 10 véhicules - page 15 des annexes), le correctif est de trois décibels et dès lors, le niveau d'émergence n'est pas atteint dans toutes les fréquences, mais uniquement dans les fréquences de 125 et 250 hertz, soit les fréquences les plus graves ; en revanche, il n'est pas contesté que l'émergence spectrale est dépassée ;
- des bruits de chocs, l'émergence spectrale n'est pas dépassée, seule l'émergence globale le serait selon l'expert ; pour ce faire, il retient une valeur de bruit résiduel sur une période calme de 26,1db, alors que la valeur mesurée était de 27,9 db ; mais même si seule cette dernière est pertinente, eu égard à une valeur moyenne de ce bruit de 36,7db, l'émergence est de 8,8 db, soit une valeur supérieure à la norme administrative ;
Considérant que les conclusions de l'expert mettent ainsi en évidence des nuisances dont le niveau dépasse les normes réglementaires associées à des bruits de claquements répétitifs et d'apparition soudaine tout au long de la journée ; que l'immeuble de M et Mme COURTOIS est implanté en bord de rue et dans une zone bruyante, l'expert relevant que lorsque la porte-fenêtre (située sur l'arrière du bâtiment) est ouverte, le bruit ambiant est supérieur aux bruits provenant de l'atelier ; que dès lors, le calfeutrement et la fermeture de leurs portes et fenêtres ne permettent pas à M et Mme COURTOIS de s'isoler du bruit, puisque leur environnement demeure alors perturbé par les bruits provenant de l'atelier de l'intimée ; que ces nuisances sonores constituent des troubles anormaux du voisinage ;
Considérant que l'article L112-16 du code de la construction et de l'habitation dispose que 'les dommages causés aux occupants d'un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales ou aéronautiques, n'entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l'acte authentique constatant l'aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l'existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s'exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu'elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions' ; qu'en l'espèce, l'achat par M et Mme COURTOIS de leur pavillon a été constaté par un acte notarié du 15 janvier 2005, les locaux voisins étant alors occupés par un garage, la société intimée n'ayant installé un centre de contrôle technique (dont les installations spécifiques sont en cause) qu'en vertu d'un bail à effet du 1er octobre 2005, soit postérieurement à l'acquisition du pavillon ; que dès lors, le texte précité ne peut pas recevoir application ;
Considérant que la société intimée doit en premier lieu mettre fin, aux nuisances en procédant ainsi que le préconise l'expert à une insonorisation et une 'désolidarisation' de ses équipements (décrit en page 19 de son rapport : réduction de la vitesse de démarrage des cylindres des postes de freinage, interposition de matériau isolant et 'désolidarisation' par un traitement anti-vibratile) et force est de constater que plusieurs années après l'expertise elle ne produit qu'un ordre de réparation relatif à la pose d'un 'démarrage progressif' ce qui est insuffisant pour justifier de la réalisation de cette prestation comme des autres travaux préconisés par l'expert ; que la cour ordonnera donc sous astreinte, les travaux préconisés, sans imposer à la société un contrat de maintenance ou le recours à de nouvelles mesures (ces dernières, pour être pertinentes devant être faites dans le logement de M et Mme COURTOIS) mais en préconisation l'exécution des travaux, sous le contrôle de l'architecte ou de l'acousticien de son choix ;
Qu'en second lieu, elle doit réparer l'entier préjudice de M et Mme COURTOIS qui, l'établissement étant exploité six jours sur sept, entre 8h30 et 18h30 ou 17h (le samedi) voient une tranquillité qu'ils ne peuvent obtenir qu'en fermant portes et fenêtres, troublée par des bruits, claquements et chocs inopinés ; que s'agissant de leur résidence principale, l'allocation d'une somme de 9 750€ (calculée sur une base mensuelle de 150€ sur la période de novembre 2005 à mars 2011) réparera ce préjudice ;
Considérant que la société intimée, partie perdante supportera les dépens de première instance (en ce inclus les frais et honoraires de l'expert judiciaire et d'appel ; qu'en équité, elle devra rembourser les frais irrépétibles de M et Mme COURTOIS ;
PAR CES MOTIFS
La Cour,
INFIRME le jugement du 19 novembre 2010 rendu par le tribunal d'instance de Montreuil sous Bois ;
Statuant à nouveau
ORDONNE la réalisation par la SARL CENTRE AUTOBILAN MON TREUIL des travaux préconisés par l'expert en page 19 de son rapport points 1, 2 et 3 sous le contrôle de l'architecte ou de l'acousticien de son choix, dans les 120 jours suivants la signification de la présente décision et à compter du 121ème jour sous astreinte de 120€ par jour de retard pendant 120 jours, délai à l'issue duquel il sera à nouveau statué, la partie la plus diligente devant saisir le juge compétent ;
CONDAMNE la SARL CENTRE AUTOBILAN MON TREUIL à payer à M et Mme COURTOIS la somme de 9750€ à titre de dommages et intérêts pour troubles de jouissance ;
CONDAMNE la SARL CENTRE AUTOBILAN MON TREUIL à payer M et Mme COURTOIS à la somme de 4000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
CONDAMNE la SARL CENTRE AUTOBILAN MON TREUIL aux dépens de première instance (en ce inclus les frais et honoraires de l'expert judiciaire) et d'appel et dit que ces derniers seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.