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Décisions

Cass. crim., 22 février 1993, n° 91-85.162

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Le Gunehec

Rapporteur :

M. Bayet

Avocat général :

M. Galand

Avocats :

SCP Le Bret et Laugier, SCP Vier et Barthélemy, SCP Piwnica et Molinié, M. Odent

Paris, du 4 juill. 1991

4 juillet 1991

Sur le premier moyen de cassation de Paul Z... pris de la violation de l'article 513 du Code de procédure pénale, de l'article 6. 1 et 6. 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, des principes généraux du droit, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué, qui a condamné Z... à payer des dommages-intérêts à la Banque de Paris et des Pays-Bas, partie civile, a été rendu à la suite de débats au cours desquels la parole a été donnée en dernier lieu au ministère public ;

" alors qu'aux termes de l'article 513, dernier alinéa, du Code de procédure pénale, le prévenu ou son conseil auront toujours la parole les derniers ; que cette règle concerne notamment les cas où, comme en l'espèce, seule la partie civile est appelante d'un jugement de relaxe ; qu'en effet, pour allouer des dommages-intérêts, les juges répressifs doivent constater préalablement l'existence d'une faute pénale " ;

Attendu qu'il appert des mentions de l'arrêt attaqué que, sur appel de la société la Banque Paribas, partie civile, dirigé à l'encontre notamment de Paul Z..., relaxé en première instance, ont été entendus à l'audience des débats, le susnommé en ses interrogatoires et moyens de défense, ses conseils en leur plaidoirie et l'avocat général en ses réquisitions ;

Attendu qu'en cet état, et dès lors que les prescriptions du dernier alinéa de l'article 513 du Code de procédure pénale ne sauraient concerner la partie intimée sur les intérêts civils, la cour d'appel n'a pas encouru les griefs du moyen qui ne peut qu'être écarté ;

Sur le premier moyen de cassation de Michel X... et pris de la violation des articles 405 du Code pénal, 1382 et 1383 du Code civil, 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Michel X... coupable d'escroquerie en ce qui concerne six opérations de cessions de créance au bénéfice de la Banque Paribas, prononcé à son encontre une peine de 4 mois d'emprisonnement avec sursis et de 10 000 francs d'amende, et l'a condamné solidairement avec Z... et Y... à payer à la banque une somme de 1 900 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

" aux motifs qu'en revanche, pour les six autres opérations de créance visées dans l'acte de poursuite, les éléments du délit d'escroquerie sont réunis ; qu'aux termes de la loi du 2 janvier 1981 dont les dispositions sont reprises dans la convention du 2 mai 1983, la cession des créances s'opère par la seule remise du bordereau au cessionnaire ; que, par suite, le bordereau qui crée des droits et obligations à l'égard du cédant et du cessionnaire constitue un titre, dont la production doit, lorsque ce titre contient des mentions erronées, être assimilée à des manoeuvres frauduleuses au sens de l'article 405 du Code pénal ; qu'en inscrivant, sur les borderaux de cession remis à la banque, des créances qui étaient sorties du patrimoine de la société Sodemecane, soit qu'elles avaient été déjà réglées, soit que leur provision avait été transférée à un autre bénéficiaire, les responsables financiers de Sodemecane ont procédé à l'émission de titres inexacts, ce qui constitue non pas un simple mensonge écrit comme le soutiennent les prévenus, mais une véritable manoeuvre destinée à donner force et crédit à l'affirmation selon laquelle ladite société était créancière de sociétés telles que la SNIAS et CAV Diésel ; que ces manoeuvres frauduleuses destinées à faire croire à l'existence d'un crédit devenu imaginaire, ont été déterminantes de l'inscription au crédit du compte de la société du montant des créances ainsi cédées ;

" alors que le simple mensonge, même fait par écrit, ne constitue pas une manoeuvre frauduleuse, s'il n'est corroboré par un fait extérieur, une mise en scène ou l'intervention d'un tiers, destinée à lui donner force et crédit ; que dès lors, la cour d'appel, en se bornant à constater que les bordereaux de cession de créances établis en application de la loi du 2 juin 1981 et remis à la banque étaient revêtus des seules mentions émanant des responsables financiers de la Sodemecane et présentant des indications erronées sur les créances cédées, n'a caractérisé l'existence d'aucune manoeuvre frauduleuse laquelle ne peut au surplus résulter de la seule affirmation que ce genre de document constitue un titre ; que, faute en particulier de relever que les mentions inexactes de ces documents auraient été appuyées soit par l'intervention d'un tiers, soit par la production de tout autre document ou élément matériel de nature à persuader l'établissement financier de l'existence des créances cédées, l'arrêt attaqué est entaché d'une insuffisance de motifs, et n'a, subsidiairement, pas donné de base légale à sa décision " ;

Sur le second moyen de cassation du même demandeur et pris de la violation des articles 405 du Code pénal, 1382 et 1383 du Code civil, 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Michel X... coupable d'escroquerie en ce qui concerne six opérations de cessions de créances au bénéfice de la Banque Paribas, prononcé à son encontre une peine de 4 mois d'emprisonnement avec sursis et de 10 000 francs d'amende, et l'a condamné solidairement avec Z... et Y... à payer à la banque une somme de 1 900 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

" aux motifs que X... dont la tâche consistait à répartir, entre les différentes banques et en fonction de la position de la société Sodemecane, les factures qui lui étaient remises par le service comptabilité de la société et qui a personnellement signé plusieurs bordereaux de cessions, ne peut valablement prétendre qu'il ignorait l'existence des doubles mobilisations et des paiements directs intervenus ; qu'en sa qualité de directeur financier, il lui appartenait avant d'émettre un bordereau de s'assurer de l'existence de la créance cédée ; qu'en outre, ces opérations de double mobilisation étaient facilement décelables ;

" et aux motifs que X... doit réparer le préjudice subi par la banque, lequel doit être évalué à la somme de 1 900 000 francs ;

" alors, d'une part, que l'escroquerie est un délit intentionnel et n'est pas constituée par la simple négligence ; que, dès lors, la cour d'appel ne pouvait sans se contredire attribuer un caractère frauduleux aux six opérations de cessions critiquées et retenir simultanément la responsabilité pénale de X... pour simple négligence en déclarant qu'il devait en sa qualité de directeur financier s'assurer de l'existence de la créance cédée avant l'émission de tout bordereau ; qu'en statuant ainsi, l'arrêt attaqué a, sur l'intention coupable indispensable à l'existence de l'escroquerie, entaché sa décision d'un défaut de motif " ;

" alors, d'autre part, que la cour d'appel devait répondre au chef péremptoire des conclusions d'appel de X... invoquant la faute de la Banque Paribas ayant consisté à ne pas notifier de façon systématique les cessions de créances aux débiteurs cédés et à réclamer avec un retard particulièrement important les paiements afférents, dès lors qu'il soutenait par ailleurs que cette faute était la cause du dommage subi par ladite banque et l'exonérait, en ce qui le concerne, de toute réparation ; qu'en s'abstenant d'examiner l'incidence du comportement fautif ainsi invoqué au regard de la demande indemnitaire présentée par la banque, et, subsidiairement, d'un éventuel partage des responsabilités, l'arrêt attaqué n'est, une fois encore, pas motivé " ;

Sur le premier moyen de cassation de Jean-Claude Y... et pris de la violation des articles 405 du Code pénal et 1383 du Code civil, des articles 3, 592 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que la cour d'appel, dans la limite de l'action civile dont elle restait exclusivement saisie à l'encontre de Y..., a condamné celui-ci à payer à la Banque Paribas le montant de six des créances mobilisées et visées dans l'acte de poursuite ;

" aux motifs que, pour ces six opérations de cession de créances, les éléments du délit d'escroquerie sont réunis ; qu'en effet, aux termes de la loi du 2 janvier 1981, la cession des créances s'opère par la seule remise du bordereau au cessionnaire ; qu'il en résulte que le bordereau qui crée des droits et obligations à l'égard du cédant et du cessionnaire constitue un titre dont la production doit, lorsque ce titre contient des mentions erronées, être assimilée à des manoeuvres frauduleuses au sens de l'article 405 du Code pénal ; qu'en l'espèce, en inscrivant sur les bordereaux de cession remis à la banque des créances qui étaient sorties du patrimoine de la société Sodemecane, soit qu'elles avaient déjà été réglées, soit que leur provision avait été transférée à un autre bénéficiaire, les responsables financiers de la société Sodemecane ont procédé à l'émission de titres inexacts, ce qui constitue non pas un simple mensonge écrit comme le soutiennent les prévenus mais une véritable manoeuvre destinée à donner force et crédit à l'affirmation selon laquelle la société Sodemecane était créancière de sociétés telles que la SNIAS et CAV Diésel ;

" alors que la remise à un établissement de crédit, conformément aux dispositions de la loi du 2 janvier 1981, d'un bordereau de cession de créances professionnelles ne peut, à elle seule, caractériser la manoeuvre frauduleuse constitutive d'une escroquerie dès lors que l'affirmation inexacte de l'existence de la créance cédée, mensonge dont ce document ne constitue que le support écrit, n'est confortée ni par l'intervention d'un tiers ni par aucun acte matériel extrinsèque propre à persuader l'établissement bénéficiaire de l'existence de ladite créance de sorte qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 405 du Code pénal pour fausse application " ;

Sur le second moyen proposé par le même demandeur et pris de la violation des articles 405 du Code pénal et 1382 du Code civil, des articles 3, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale :

" en ce que la cour d'appel, dans la limite de l'action civile dont elle restait exclusivement saisie à l'encontre de Y..., a condamné celui-ci à payer, solidairement avec X... et Z..., à la Banque Paribas, le montant de six créances mobilisées et visées dans l'acte de poursuite ;

" aux motifs que les faits constatés à l'encontre de X... constituent des agissements frauduleux qui ont porté préjudice à la partie civile et dont il doit réparation ; que Y... qui accomplissait les mêmes tâches et avait les mêmes responsabilités que X... et qui a personnellement signé plusieurs bordereaux de cessions au profit de la Banque Paribas sera également tenu de réparer le dommage subi par la partie civile et résultant directement des faits frauduleux susmentionnés retenus à l'encontre de X... (arrêt p. 9 et p. 10) ;

" alors, d'une part, que la cour d'appel ne pouvait se contenter de présomptions quant à l'intention frauduleuse avec laquelle auraient été effectuées les doubles mobilisations, de sorte qu'en se fondant sur les " tâches " et " responsabilités " confiées à Y... pour en déduire qu'il ne pouvait prétendre ignorer l'existence de ces doubles mobilisations, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé à son égard l'élément intentionnel de l'infraction pénale qui seule aurait pu constituer le soutien de l'action civile exercée par la Banque Paribas à son encontre, a privé sa décision de base légale ;

" alors, d'autre part, et en toute hypothèse, qu'en statuant par les motifs précités sans constater que Y..., dont il est précisé qu'il n'avait personnellement signé que certains bordereaux de cession, avait, pour les six mobilisations critiquées, agi de concert avec X..., et dans un dessein commun, condition qui seule eût été de nature à justifier une condamnation solidaire prononcée au titre des réparations civiles, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale " ;

Sur le second moyen de cassation de Paul Z... et pris de la violation de l'article 405 du Code pénal, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné Z... à payer des dommages-intérêts à la Banque de Paris et des Pays-Bas, partie civile ;

" aux motifs que, bien qu'il n'ait pas personnellement émis les bordereaux litigieux, l'implication de Z... dans les opérations frauduleuses est certaine ; qu'en premier lieu, il assurait, en sa qualité de directeur général, le suivi financier de la société ; qu'en second lieu, il est mis en cause par X... et Y... qui affirment qu'ils recevaient les ordres de Z... concernant les mobilisations et les cessions de créances ; qu'enfin, la secrétaire personnelle de Z..., Mme A..., qui, à l'évidence, agissait sur les instructions de son chef, a, dans l'affaire SNIAS Marignane, signé le second bordereau de cession frauduleux ;

" alors que tout jugement en matière correctionnelle doit énoncer les faits dont le prévenu est jugé coupable et constater l'existence de tous les éléments constitutifs de l'infraction poursuivie, et que l'arrêt qui, abstraction faite de motifs généraux et hypothétiques, n'a relevé, à l'encontre de Z..., aucune faute personnelle caractérisant un ou plusieurs éléments du délit d'escroquerie poursuivi, n'a pas légalement justifié sa décision " ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il appert de l'arrêt attaqué que, pour déclarer Michel X... coupable d'escroquerie, dire établis à l'encontre de Paul Z... et de Jean-Claude Y... les faits d'escroquerie à eux reprochés et les condamner tous trois solidairement à des dommages-intérêts, la cour d'appel constate que la société Sodemecane, dont les susnommés sont les responsables financiers, et la Banque Paribas, partie civile, ont conclu une convention en date du 2 mai 1983 mettant en place entre les parties un type de mobilisation de créances sous forme de cession de créances professionnelles, telle qu'instituée par la loi du 2 janvier 1981 dite " loi Dailly " ;

Attendu qu'à l'égard de six opérations réalisées, dans le cadre de cet accord, par les responsables de la société Sodemecane et dénoncées comme frauduleuses par la partie civile, la cour d'appel, après avoir décrit lesdites opérations, relève qu'aux termes de la loi précitée, dont les dispositions sont reprises dans la convention, la cession des créances s'opère par la seule remise du bordereau au cessionnaire ; qu'il s'ensuit que ce document, qui crée des droits et des obligations à l'égard du cédant et du cessionnaire, constitue un titre ; que, dès lors, selon les juges, en inscrivant sur les bordereaux de cession remis à la Banque Paribas des créances qui étaient sorties du patrimoine de la société Sodemecane, soit qu'elles eussent déjà été réglées, soit que leur provision eût été transférée à un autre établissement financier, les responsables de Sodemecane ont procédé à la production de titres inexacts, ce qui constitue, non de simples mensonges écrits, mais de " véritables manoeuvres frauduleuses ", au sens de l'article 405 du Code pénal ;

Attendu que les juges retiennent que Michel X... ne peut valablement invoquer son ignorance, dès lors qu'il a signé personnellement plusieurs bordereaux de cession et qu'en sa qualité de directeur financier de la société il lui appartenait de s'assurer de l'existence de la créance cédée avant d'émettre un bordereau ; que Paul Z... est impliqué dans ces opérations frauduleuses, dès lors qu'il assurait en qualité de directeur général le suivi financier de la société, qu'il est mis en cause par X... et Y... qui affirment avoir reçu de sa part les ordres concernant les cessions litigieuses et qu'un bordereau de cession frauduleux a été établi par sa secrétaire agissant sur ses instructions ;

Attendu que la cour d'appel précise enfin que les susnommés, qui ont agi ensemble et de concert, sont tenus de réparer le dommage subi par la Banque Paribas, partie civile, et résultant directement des faits frauduleux ;

Attendu qu'en cet état, et dès lors que les faits constatés caractérisent au surplus l'altération de la vérité dans un document valant titre, entrant dans les prévisions de l'article 150 du Code pénal, la cour d'appel a justifié sa décision tant à l'égard de la condamnation pénale que des intérêts civils ;

D'où il suit que les moyens ne sauraient qu'être écartés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE les pourvois.