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Décisions

Cass. crim., 23 mars 1993, n° 92-83.381

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Zambeaux

Rapporteur :

M. Dumont

Avocat général :

M. Monestié

Avocat :

Me Blondel

Paris, 11e ch., du 3 avr. 1992

3 avril 1992

Statuant sur le pourvoi formé par :

- X... François contre l'arrêt de la ... chambre, en date du 3 avril 1992 qui, pour marchandage, l'a condamné à une amende de 5 000 francs ;

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des règles et principes qui s'évincent de l'article 513 du Code de procédure pénale, ensemble violation dudit texte ;

"en ce qu'il résulte de l'arrêt que Mme le conseiller Guirimand a été appelée d'une autre section (A) de la 11ème chambre de la cour d'appel de Paris pour compléter la Cour (section B de la 11ème chambre), en remplacement d'un de ses membres, légitimement empêché, et a été entendu en son rapport ;

"alors qu'un conseiller appelé d'une autre formation de la chambre uniquement pour compléter la formation du jugement de la Cour en remplacement d'un de ses membres, légitimement empêché, ne peut valablement à l'audience sauf circonstances exceptionnelles nullement relatées faire le rapport oral" ;

Attendu que l'article 513 du Code de procédure pénale n'interdit pas à un conseiller appelé d'une autre chambre ou d'une autre section de chambre de la cour d'appel en remplacement d'un conseiller empêché, de faire le rapport oral prévu par ce texte ;

Que le moyen ne peut être admis ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles L. 125-1 et L. 152-3 du Code du travail, ensemble méconnaissance des exigences de l'article 593du Code de procédure pénale et du principe de légalité des délits et des peines ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré François X... coupable du délit de marchandage prévu par l'article L. 125-1 du Code du travail et l'a en répression condamné à une amende 5 000 francs ;

"aux motifs propres qu'il appartient aux juges du fond saisis de poursuite exercées contre un employeur sur le fondement de l'article L. 125-1 du Code du travail de rechercher par l'analyse des éléments de la cause véritable nature de la convention intervue entre les parties ; que le contrat d'entreprise, dit aussi de "sous-traitance" est une convention par laquelle un employeur offre à son co-contractant un travail ou un service réalisé par son propre personnel qui reste placé sous sa direction et sous sa responsabilité ; qu'il a pour objet l'exécution d'une tâche objective, définie avec précision, habituellement rémunérée de façon forfaiture ; que le prêt de main-d'oeuvre à but lucratif, que seules peuvent légalement pratiquer les entreprises du travail temporaire, est réalisé par la mise à la disposition de l'entreprise utilisatrice, pour une durée déterminée, de salariés dont la rémunération est calculée en fonction de cette durée, du nombre et de qualification des travailleurs détachés, lesquels sont placés sous l'autorité et la responsabilité de l'entreprise utilisatrice ;

"et aux motifs encore qu'il résulte des éléments de fait précédemment exposés que, contrairement aux allégations des prévenus, le contrat liant les sociétés "Bouygues" et "SECC" ne peut s'analyser en un contrat de sous-traitance, dès lors que la SARL "SECC", dont le personnel était placé sous l'autorité de l'encadrement de la société "Bouygues" ne fournissait à cette dernière entreprise que des prestations de main-d'oeuvre rémunérées en tant que telles, et qu'elle exécutait son travail avec l'équipement et les matériaux de la société "Bouygues" ; que sous le couvert du contrat de sous-traitance conclu, François X... et Michel A... ont tous deux pris part à une opération à but lucratif de fourniture de main-d'oeuvre au sens de l'article L. 125-1 du Code du travail ;

"et aux motifs enfin, que le caractère lucratif de cette opération résulte notamment du profit réalisé par l'entreprise "Bouygues" qui, grâce au recours à une prétendue sous-traitance, n'a pas eu à supporter des charges financières ou sociales découlant de l'emploi de salariés ; que cette opération a eu pour effet de causer un préjudice aux salariés concernés et d'éluder l'application des dispositions prévues à l'article L. 125-1 du Code du travail susvisé ; qu'en effet, la société "Bouygues" applique la Convention collective du bâtiment, ce qui n'est pas le cas de la Sarl "SECC" ; que par ailleurs, les salariés de cette dernière société n'ont pas bénéficié du comité d'établissement et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail existant dans l'entreprise "Bouygues" ;

"et aux motifs non contraires des premiers juges que la société Bouygues emploie environ 200 personnes à son dépôt des Sablons à Chilly-Mazarin et applique la convention collective du bâtiment ; que la Sarl SECC emploie au total 40 personnes et intervient sur le marché dans le secteur du bâtiment ; que le 31 octobre 1989, un accident du travail se produisait au dépôt des Sablons, la victime, M. Patrick C..., appartenant au personnel de la société SECC ; que de l'audition de la victime, il ressortait qu'il s'agissait d'un "intérimaire de la société SECC, détaché auprès de la société Bouygues" ; que ladite victime travaillait sur les conseils d'un camarade de l'atelier chaudronnerie appartenant à l'entreprise Bouygues et sous l'autorité du chef d'atelier appartenant à la même entreprise, à savoir M. B..., lequel lui assignait telle ou telle tâche en fonction du travail à réaliser ;

"et aux motifs aussi que trois autres salariés de la société SECC étaient rencontrés sur le site de Chilly-Mazarin, à savoir MM. Z..., F... et E..., ce dernier étant présenté par la société Bouygues comme l'interlocuteur de la société SECC ; qu'il est exact à cet égard que celui-ci transmet les relevés d'heures signés de M. B... à la société SECC, mais il est aussi exact qu'il n'a, au sein du site des Sablons, aucun rôle d'encadrement sur les trois ouvriers susmentionnés, dont la qualité du travail est directement surveillée et appréciée par la société Bouygues, l'horaire de travail du salarié de la société SECC, étant celui de l'entreprise Bouygues, le travail s'effectuant toujours sur le site de Chilly-Mazarin avec le matériel de la société Bouygues et les matières premières fournies par ladite société ;

"et aux motifs qu'à l'audience, il a été expliqué par les prévenus que le contrat liant les deux sociétés était un contrat de sous-traitance ; qu'à cet égard il y a d'abord un échange téléphonique, en général entre M. B... et Mme G..., cette dernière représentant la société SECC, sur le travail à effectuer et sur le prix forfaitaire, un devis étant alors établi par la société SECC, puis un bon de commande émanant de la société Bouygues signé par X... ; que cependant, M. B... a expliqué que les devis parvenaient parfois avec retard, voire avec beaucoup de retard, et que quelquefois, eu égard à l'activité en dents de scie de l'atelier, il employait des salariés de la société SECC en prolongeant leur mission par un autre travail, même non prévu dans les documents contractuels, le forfait étant alors complété quand le travail a été fini ; qu'un des responsables de la société SECC a d'ailleurs reconnu que sa société ne facturait à la société Bouygues que de la main-d'oeuvre ;

"et aux motifs enfin que la société Bouygues applique la convention collective du bâtiment, ce qui n'est pas le cas de la société SECC, un comité d'établissement et un comité d'hygiène et de sécurité étant élu dans la société Bouygues, dont les avantages ne profitent pas aux salariés de la société SECC, en sorte qu'il appert des éléments susévoqués que le contrat liant les sociétés des deux prévenus ne saurait être analysé comme un contrat de sous-traitance (convention par laquelle Michel A... aurait offert à François X... un travail ou un service réalisé par son propre personnel resté placé sous la direction et la responsabilité du premier prévenu, ayant pour l'objet l'exécution d'une tâche objective, déclinée avec précision, habituellement rémunérée de façon forfaitaire), mais comme un contrat de prêt de main-d'oeuvre à but lucratif que seules les entreprises de travail temporaire peuvent organiser ; qu'il est encore établi que la pratique ci-dessus relatée créait indubitablement un préjudice aux salariés de la société SECC ;

"alors que d'une part, le prêt de la main-d'oeuvre à but lucratif doit être caractérisé à l'endroit de l'entreprise qui a mis à disposition du personnel dans le cadre de relations contractuelles avec l'entreprise utilisatrice ; qu'en retenant cependant le caractère lucratif de l'opération du seul profit réalisé par l'entreprise utilisatrice, profit résultant de l'économie par ladite société de charges financières ou sociales découlant de l'emploi de salariés, la Cour, qui de surcroît ne caractérise pas l'existence de bénéfices, viole l'article L. 125-1 du Code du travail, ensemble le principe de l'interprétation stricte de la loi pénale ;

"alors que, d'autre part, et en toute hypothèse, la Cour se borne à affirmer le caractère lucratif du prêt de main-d'oeuvre sans procéder à la moindre comparaison au regard des salaires susceptibles de revenir aux salariés concernés dans chacune des entreprises en cause et au coût desdits salariés pour chacune des entreprises, que n'est pas davantage évoqué l'avantage financier ou le bénéfice que tirerait de l'opération spécialement la société SECC ; qu'ainsi la Cour ne met pas à même la chambre criminelle d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision déférée à sa censure ;

"alors que de troisième part, un même fait ne peut être appréhendé sous deux angles pour caractériser autant d'éléments constitutifs de l'infraction, à savoir "l'opération à but lucratif" et "le préjudice causé au salarié" ; qu'ainsi, la cour d'appel n'a pu retenir légalement tout à la fois que le caractère lucratif de l'opération résultait du profit réalisé par l'entreprise Bouygues qui, en procédant comme elle l'a fait, n'a pas eu à supporter les charges financières ou sociales découlant de l'emploi de salariés et que le préjudice causé auxdits salariés s'évincerait de la circonstance que la société Bouygues appliquerait la Convention collective du bâtiment, ce qui n'était pas le cas de la Sarl SECC ; qu'ainsi la Cour, en retenant le même fait sous deux qualifications :

opération à but lucratif et préjudice souffert par les salariés, viole l'article L. 125-1 du code du travail ;

"alors que, de quatrième part, la Cour ne pouvait se contenter d'affirmer sans s'expliquer davantage quant à ce, que la ou les situations contractuelles nouées entre les sociétés Bouygues et SECC ne pouvaient s'analyser en un contrat de sous-traitance "dès lors que la Sarl SECC, dont le personnel était placé sous l'autorité de l'encadrement de la société Bouygues, ne fournissait à cette dernière entreprise que des prestations de main-d'oeuvre rémunérées en tant que telles, et qu'elle exécutait son travail avec l'équipement et les matériaux de la société Bouygues" ; que ce motif lapidaire et péremptoire ne permet pas à la Cour de Cassation d'exercer son contrôle, et ce d'autant plus que le prévenu insistait sur le fait que c'étaient des travaux spécifiques qui étaient effectués par le personnel provenant de la société SECC, active dans le bâtiment, travaux qui donnaient lieu à la mise en place de devis dûment acceptés, la société SECC ayant d'ailleurs sur le site où étaient actifs lesdits salariés un interlocuteur dotés de responsabilités, à savoir M. D... ; qu'ainsi l'arrêt attaqué n'est pas légalement justifié ;

"alors que, par ailleurs, le prévenu faisait valoir que les salariés de la société SECC, active sur le site, bénéficiaient de la convention collective du bâtiment ; qu'en ne s'expliquant par ce qu'il en était en fait à cet égard et en se bornant à affirmer en une formule amphibologique que la société Bouygues applique la Convention collective du bâtiment, ce qui n'est pas le cas de la Sarl SECC, pour se prononcer en ce qui concerne le préjudice causé aux salariés, élément constitutif de l'infraction, la Cour ne met pas à même la chambre criminelle de la Cour de Cassation d'exercer son contrôle sur la légalité de la décision déférée à son examen ;

"et alors, enfin, que la cour d'appel ne précise pas davantage en quoi les salariés de la société SECC travaillant au dépôt des Sablons de la société Bouygues à Chilly-Mazarin ne pouvaient bénéficier du comité d'Hygiène et de sécurité dudit établissement, ensemble des conditions de travail existant l'entreprise Bouygues, les règles de sécurité s'imposant notamment à toute entreprise utilisatrice qui se doit alors de faire bénéficier les salariés fussent-ils actifs dans le cadre d'un contrat de sous-traitance de structures propres à voir assurer le respect desdites règles d'hygiène et de sécurité ; qu'ainsi, l'arrêt tel qu'il est ne permet pas à la chambre criminelle d'exercer son contrôle" ;

Attendu, d'une part, que le moyen n'est pas recevable en ce qu'il tend pour partie à remettre en cause les constatations de fait des juges du fond qu'il n'appartient pas à la Cour de Cassation de réviser et selon lesquelles, sous le couvert d'un contrat de sous-traitance conclu avec la société Bouygues, la société SECC se bornait à prêter à la première en dehors des règles du travail temporaire, des salariés exécutant des travaux peu spécialisés sous l'autorité de membres de l'entreprise utilisatrice, à laquelle elle ne facturait que le coût de cette main-d'oeuvre ;

Attendu, d'autre part, qu'en relevant le profit recherché par la société Bouygues qui n'avait pas à supporter les charges sociales et financières qu'elle aurait eues si elle avait employé ses propres salariés, les juges ont suffisamment caractérisé à l'égard du prévenu, directeur local de cette société, le but lucratif de l'opération ;

Attendu, enfin que, contrairement à ce qui est allégué, l'arrêt attaqué n'a pas caractérisé le préjudice subi par les salariés en se fondant sur le profit de l'entreprise utilisatrice mais sur le fait, souverainement constaté par les juges, qu'ils n'avaient pu bénéficier de l'existence dans cette dernière d'institutions représentatives du personnel ;

D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi.