Cass. com., 27 juin 2018, n° 15-29.366
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Thouin-Palat et Boucard
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 novembre 2015), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 10 février 2015, pourvoi n° 13-14778), que les actions de la société anonyme Acadomia groupe, devenue Domia Group (la société), sont admises aux négociations sur le marché libre de Nyse-Euronext ; que la société, ayant pour dirigeants M. Y..., président du conseil d'administration, ainsi que MM. Z... et A..., compte parmi ses actionnaires la société Madag et la société Capris ; que le 28 février 2007, l'assemblée générale des actionnaires a autorisé l'augmentation différée du capital par voie d'émission d'obligations à bons de souscription et/ou d'acquisition d'actions remboursables (OBSAAR) ; que le 3 avril 2007, le conseil d'administration a décidé de procéder à l'émission d'un emprunt obligataire de 10 millions d'euros auquel étaient attachés 1 999 950 bons de souscription (les BSAAR) ; que les obligations ont été intégralement souscrites par deux établissements de crédit qui ont ensuite vendu les BSAAR à MM. Y..., Z... et A... ; que le 25 février 2008, ces derniers, agissant de concert avec la société Bastogne Invest, ont exercé 910 000 BSAAR, ce qui leur a permis de contrôler la société ; que lors de l'assemblée des actionnaires du 29 février 2008, le bureau, après avoir retenu que "la société Capris détenant à ce jour 192 339 actions de la société, agissant de concert avec les sociétés Madag, Satisfonds et M. B..." avait "franchi à la hausse, sans le déclarer à la société, le seuil de 5 % en mars 2007", a limité les droits de vote de ces actionnaires à 123 027, correspondant à 5 % du capital de la société au mois de mars 2007 ; que le bureau a ajouté que le même groupe d'actionnaires, agissant de concert, avait franchi à la hausse les seuils de 10 %, 15 %, 20 % et 25 % sans les déclarer à la société ; que lors de l'assemblée générale du 20 février 2009, la même limitation des droits de vote a été appliquée à ces actionnaires ; que la société Madag et d'autres actionnaires ont assigné la société aux fins d'annulation des décisions de privation de droits de vote prises par le bureau de l'assemblée générale ;
Sur le premier moyen, pris en ses cinquième, sixième et septième branches :
Attendu que la société Madag fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation des décisions de privation des droits de vote prises par le bureau de l'assemblée générale des actionnaires de la société à son égard, de rejeter sa demande de restitution de l'ensemble des droits de vote dont elle avait été privée depuis 2008, de rejeter sa demande de constatation du caractère irrégulier de l'augmentation de capital réalisée en 2013 et de suspension corrélative des droits de vote et des droits à dividende attachés aux actions ainsi émises alors, selon le moyen :
1°/ que le bureau de l'assemblée générale d'une société n'est qu'un "juge de l'évidence" qui n'a donc pas compétence pour se livrer à l'examen des présomptions d'accord de concert mentionnées à l'article L. 233-10, II, du code de commerce, étant rappelé que ces présomptions sont toutes réfragables ; qu'en retenant, pour dire que l'existence d'un concert entre les sociétés Capris et Madag était avérée en mars 2007, que les sociétés Capris et Madag appartenaient "au même groupe familial C.../B..." constitué de "18 personnes physiques", alors que ces éléments n'ont pas été visés par le bureau de l'assemblée générale en date du 29 février 2008 qui ignorait tout des structures actionnariales respectives des sociétés Capris et Madag, étant rappelé qu'il n'avait en tout état de cause pas la compétence requise pour se livrer à une telle analyse juridique supposant que soit caractérisée une action de concert entre dix-huit personnes physiques, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 233-3, L. 233-7 et L. 233-10 II, 3°, du code de commerce ;
2°/ que le bureau de l'assemblée générale d'une société n'est qu'un "juge de l'évidence" qui n'a donc pas compétence pour se livrer à l'examen d'un éventuel faisceau d'indices ; qu'en retenant, pour dire que l'existence d'un concert entre les sociétés Capris et Madag était avérée en mars 2007, que M. B... était le gérant de la société Capris et de la société HFG, cette dernière étant détentrice d'une action de la société Capris et d'une partie du capital de Madag, et le président du conseil d'administration de Madag, alors que cette circonstance, si elle était de nature à justifier que M. B... s'exprime au nom de ces personnes morales dont il était le représentant légal, ne pouvait à elle seule démontrer qu'une politique commune avait été mise en oeuvre vis-à-vis d'AcaDomia Groupe par ces sociétés à partir de mars 2007, alors que la société Madag n'était même pas encore actionnaire d'AcaDomia Groupe à cette époque, sachant en outre que leurs comportements n'ont jamais été parallèles puisque ces sociétés n'ont jamais acheté, vendu ni exercé, ensemble ou en même temps, des droits de vote, la cour d'appel s'est déterminée par des considérations inopérantes, violant ainsi les articles L. 233-3, L. 233-7 et L. 233-10 du code de commerce ;
3°/ que le bureau de l'assemblée générale d'une société n'est qu'un "juge de l'évidence" qui n'a donc compétence pour constater le manquement d'un associé à l'une de ses obligations déclaratives qu'en l'absence de contestation sérieuse dudit manquement par son auteur, par exemple si celui-ci a lui-même procédé à une régularisation du défaut de notification ; qu'à défaut de régularisation, l'absence de contestation peut néanmoins résulter d'une reconnaissance expresse, par l'actionnaire concerné, de l'existence d'un accord de concert d'où serait résulté pour lui ladite obligation déclarative ; qu'aux termes des courriels qu'il avait adressés les 29 mai 2007, 27 juillet 2007, et 6 septembre 2007 à la direction de la société AcaDomia Groupe, M. B... s'était borné à faire état de l'augmentation de la participation individuelle de la société Madag entre les mois de mai et décembre 2007, tout en soulignant qu'en revanche les participations des autres entités affiliées au groupe familial B... C... n'avaient quant à elles pas progressé depuis le mois d'avril 2007 ; que le courriel en date du 2 janvier 2008 se contente de communiquer sur la situation globale de ces entités au 31 décembre 2007, sans aucunement mentionner le terme "concert" qui aurait pu induire une responsabilité solidaire entre ces personnes morales distinctes ; qu'en déduisant de ces seuls courriels la reconnaissance par M. B... d'un accord de concert existant en mars 2007 entre lui-même, le FCP Satisfonds, ainsi que les sociétés Capris et Madag, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 233-7, L. 233-10 et L. 233-14 du code de commerce ;
Mais attendu qu'ayant constaté que l'existence du concert entre les société Madag et Capris, invoquée devant le bureau de l'assemblée générale du 29 février 2008, n'avait pas été contestée devant ce dernier, la cour d'appel en a déduit à bon droit qu'il était de la compétence de ce bureau de la constater et d'appliquer les limitations de droits de vote résultant du défaut de déclaration de franchissements de seuil opérés de concert ; que le moyen, qui critique des motifs surabondants, est inopérant ;
Et sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche :
Attendu que la société Madag fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa "demande" tendant à ce qu'il soit jugé que la suspension pendant deux années de ses droits de vote au sein de la société ne pouvait commencer à courir qu'à compter de la date de régularisation de la déclaration par l'actionnaire des franchissements de seuil de participation, de rejeter sa demande d'annulation des décisions de privation des droits de vote prises par le bureau de l'assemblée générale des actionnaires de la société, de rejeter sa demande de restitution de l'ensemble des droits de vote dont elle avait été privée depuis 2008 et de rejeter sa demande de constatation du caractère irrégulier de l'augmentation de capital réalisée en 2013 et de suspension corrélative des droits de vote et des droits à dividende attachés aux actions ainsi émises, alors, selon le moyen, que l'actionnaire qui n'a pas déclaré un franchissement de seuil à la hausse dans le délai prévu par l'article R. 233-1 du code de commerce est privé, pendant les deux ans qui suivent la régularisation de sa déclaration, des droits de vote aux assemblées générales de la société pour les actions excédant la fraction qui aurait dû être déclarée (CC, décision n° 20136-469 QPC du 28 février 2014) ; que cette sanction "automatique" qui ne nécessite pas l'intervention d'un juge judiciaire n'a été déclarée conforme aux droits et libertés garantis par la Constitution, en particulier au principe de la nécessité des peines, que dans la mesure où elle ne s'applique qu'à la suite de la régularisation par l'actionnaire défaillant de la notification manquante et parce qu'elle ne peut s'étendre que sur une durée maximale de deux ans ; qu'en jugeant que la limitation à deux années de la suspension des droits de vote de l'actionnaire n'ayant procédé à la déclaration de franchissement de seuils imposée par l'article L. 233-7 du code de commerce ne commençait à courir que du jour de la régularisation et qu'en l'espèce la déclaration de franchissement de seuil n'avait jamais été régularisée, pour en déduire que la "limitation" des droits de vote de la société Madag était toujours valable, la cour d'appel a violé les articles L. 233-7 et L. 233-14 du code de commerce ;
Mais attendu que, selon l'article L. 233-14 du code de commerce, la privation des droits de vote se poursuit jusqu'à l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date de régularisation de la notification ; qu'ayant constaté qu'aucune déclaration de franchissement de seuil n'avait jamais été régularisée, la cour d'appel en a déduit à bon droit que la privation était toujours en cours ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième et huitième branches, le deuxième moyen, pris en sa première branche, ni sur le troisième moyen, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.