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Décisions

Cass. 2e civ., 22 septembre 2016, n° 15-12.328

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Flise

Avocats :

SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre

Paris, du 12 déc. 2013

12 décembre 2013

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 décembre 2013), que M. X... et les sociétés Bayard Montaigne et Arcade investissements conseil se sont associés en 1995 avec la société Continental cargo, devenue la société Continental Investments and Management (la société CIM), au sein de la société Compagnie européenne d'hôtellerie (la société CEH) ; que se prévalant de la clause de retrait et de rachat des actions de la société CEH détenues par eux, instaurée à leur profit par le pacte d'actionnaires les liant à la société CIM, ils ont obtenu par ordonnance du président d'un tribunal de commerce la désignation d'un expert chargé de procéder à l'évaluation des actions de la société CEH à la date du 31 décembre 2005 ; qu'ultérieurement, ils ont fait assigner au fond la société CIM en paiement du prix de cession de leurs actions sur la base du rapport d'expertise ; que par un jugement du 28 juin 2012, un tribunal de commerce a prononcé l'exécution forcée de la cession à la société CIM des 45 % appartenant aux retrayants, la société Bayard Montaigne, M. X... et la société Arcade Investissements Conseil dans la société CEH au prix de 2 835 900 euros, condamné la société CIM à payer cette somme aux trois retrayants, ainsi qu'une somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ; que la société CIM a saisi un juge de l'exécution pour obtenir des délais de paiement, la mainlevée et le cantonnement de la saisie conservatoire des titres opérée le 29 avril 2011, ainsi que la remise, sous astreinte, d'un ordre de mouvement original signé à son profit ; qu'à titre reconventionnel, M. X... et les sociétés Bayard Montaigne et Arcade Investissements Conseil ont demandé au juge de l'exécution d'assortir d'une astreinte l'obligation de cession forcée prononcée par le tribunal de commerce ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société CIM fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables ses demandes tendant à l'octroi de délais de paiement, la mainlevée et le cantonnement de la saisie conservatoire des titres, alors selon le moyen,

1°/ qu'après signification d'un commandement ou d'un acte de saisie, selon les cas, le juge de l'exécution a compétence pour accorder un délai de grâce ; qu'elle faisait valoir que des saisies avaient été opérées par M. X... et les sociétés Bayard Montaigne et Arcade Investissements Conseil sur son patrimoine, notamment la saisie conservatoire des titres CEH lui appartenant pour un montant de 3 500 767, 95 euros, la saisie attribution des créances qu'elle détenait sur la société Résidence Bernard de Ventadour, pour un montant de 2 839 455, 27 euros et la saisie-attribution de droits d'associés ou valeurs mobilières qu'elle détenait dans le capital de la société Résidence Bernard de Ventadour, pour un montant de 2 839 623, 27 euros, que son patrimoine demeurait donc saisi à hauteur de 9 179 846, 41 euros au titre de la créance de prix des titres CEH de Monsieur X... et des sociétés Bayard Montaigne et Arcade Investissements Conseil, que sa dette était bien celle pour laquelle des délais de paiement étaient sollicités et qu'il existait donc bel et bien des mesures exécutoires sur le patrimoine de la société CIM pour le remboursement du prix des titres justifiant sa demande de délais de paiement ; qu'en se bornant à énoncer, pour déclarer irrecevable sa demande de délais de paiement, qu'aucun acte d'exécution forcée n'avait été diligenté contre elle du chef du jugement du tribunal de commerce de Paris du 28 juin 2012 sans tenir compte, comme il lui était demandé, des mesures exécutoires réalisées sur le patrimoine de la société CIM pour le remboursement du prix des titres et qui justifiaient la demande de délais de paiement dès lors que le jugement du 28 juin 2012 était invoqué par Monsieur X... et les sociétés Bayard Montaigne et Arcade Investissements Conseil pour faire valider les saisies attributions réalisées grâce aux décisions antérieurement rendues qui portaient sur le même objet, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution et 510 du code de procédure civile ;

2°/ que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que des délais de grâce peuvent être accordés au débiteur qui justifie de difficultés réelles dans le règlement de sa dette, résultant de circonstances indépendantes de sa volonté ; qu'elle faisait valoir que, par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 28 juin 2012, elle avait été condamnée au règlement du prix des titres CEH appartenant à M. X... et aux sociétés Bayard Montaigne et Arcade Investissements Conseil, pour un montant de 2 835 900 euros, qu'elle avait payé la somme de 450 000 euros le 10 novembre 2011, celle de 100 000 euros le 24 octobre 2012 et celle de 500 000 euros le 6 mars 2013, qu'elle mettait en oeuvre tous les moyens nécessaires pour régler sa dette vis-à-vis de ses créanciers mais qu'elle se trouvait dans l'impossibilité de pouvoir s'exécuter immédiatement en raison du caractère extraordinaire et particulièrement important du montant de sa dette, que ses revenus avaient nettement diminué ces dernières années, que ses résultats s'étaient amoindris, que sa trésorerie ne lui permettait pas de faire face au règlement auquel elle avait été condamnée par jugement du 28 juin 2012, ce que confirmaient les commissaires aux comptes luxembourgeois, que seul le recours au crédit au crédit pourrait lui permettre de régler sa condamnation mais que là encore, elle se heurtait à d'importantes difficultés, compte tenu des saisies dont était affecté son patrimoine, qu'elle avait déjà versé la somme de 1 050 000 euros, qu'elle était de parfaite bonne foi et versait aux débats ses bilans des années 2003 à 2010 ainsi que l'attestation de son commissaire aux comptes du 10 avril 2012 ; qu'en se bornant à affirmer qu'elle ne justifiait d'aucun élément nouveau relatif à sa situation financière ou patrimoniale, sans examiner les éléments produits en appel par elle, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que le créancier ne peut procéder à des mesures d'exécution que pour le paiement de l'obligation et le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie ; que la société CIM faisait valoir que la saisie conservatoire pratiquée le 29 avril 2011 par les créanciers sur son patrimoine, maintenue par jugement du juge de l'exécution de Grasse du 13 mars 2012, excédait très manifestement ce qui se révélait nécessaire pour obtenir le paiement de leur créance dès lors que les actions de la société CEH saisies avaient une valeur de 3 461 058, 1140 euros alors que la créance s'élevait à la somme de 1 785 900 euros, compte tenu des paiements le 10 novembre 2011, le 24 octobre 2012 et le 6 mars 2013 ; qu'en se bornant à énoncer que le caractère excessif des saisies litigieuses n'était pas démontré eu égard au montant de la créance des intimés telle qu'elle résultait des calculs du premier juge, sans rechercher si, compte tenu des règlements intervenus s'élevant à la somme de 1 000 050 euros, la saisie des titres pour une valeur de 3 461 058 euros alors que la créance de M. X... et des sociétés Bayard Montaigne et Arcade Investissements Conseil s'élevait à 1 785 900 euros n'était pas excessive, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 111-7 et L. 121-2 du code des procédures civiles d'exécution ;

Mais attendu qu'il résulte des dispositions du troisième alinéa de l'article 510 du code de procédure civile et du deuxième alinéa de l'article R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution que le juge de l'exécution ne peut accorder de délais de grâce qu'après la signification d'un commandement ou d'un acte de saisie ;

Et attendu qu'ayant, par motifs propres et adoptés, retenu, d'une part, qu'aucun acte d'exécution forcée n'avait été diligenté contre la société CIM du chef du jugement du tribunal de commerce du 28 juin 2012 statuant au fond et que la demande de délai de paiement de la société ne se rattachait à aucune mesure d'exécution forcée, les actes de saisie antérieurs dont elle faisait état ayant été délivrés en vertu de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 mars 2012 et le procès-verbal de saisie conservatoire de ses titres du 29 avril 2011 l'ayant été sur la base d'une ordonnance du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Grasse du 12 avril 2011, et, d'autre part, par des motifs non critiqués par le pourvoi, que le tribunal de commerce avait rejeté la demande de délais de la société CIM, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Et attendu, enfin, qu'ayant exactement retenu, par motifs propres et adoptés, qu'en raison de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du tribunal de commerce du 28 juin 2012, lequel avait subordonné la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée le 29 avril 2011 au paiement des sommes dues, la nouvelle demande de mainlevée formée par la société CIM devant le juge de l'exécution, en l'absence d'élément nouveau, était irrecevable, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la société CIM fait grief à l'arrêt d'assortir l'obligation d'avoir à exécuter les ordres de virement des valeurs mobilières emportant cession d'actions de la société CEH à son profit signifiés par les défendeurs depuis le 26 septembre 2008, soit à faire retranscrire sur le registre des mouvements de titres de la société CEH ces ordres de mouvement, d'une astreinte provisoire de 1 500 euros par jour de retard passé le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, alors selon le moyen,

1°/ que les juges du fond sont tenus de répondre aux conclusions des parties dont ils sont saisis ; qu'elle rappelait que la cession de titres financiers s'effectuait au moyen d'un ordre de mouvement signé par le cédant ou par son représentant qualifié et, au vu de l'ordre de mouvement, la société émettrice des titres (donc la société CEH) constatait la cession sur le registre des mouvements de titres, l'opération intervenue et procédait au virement des titres du compte du cédant à celui du ou des cessionnaires, qu'en l'espèce, l'émetteur des titres de la société CEH n'était pas elle-même mais ladite société CEH, qu'il ne lui appartenait pas de mouvementer des titres d'une société qu'elle n'avait pas émis et dont elle n'était pas le mandataire social et qu'elle se trouvait donc dans l'impossibilité d'exécuter la décision à laquelle elle avait été condamnée sous astreinte, pour porter sur le droit d'un tiers, tiers non partie en la présente instance ; qu'en assortissant l'obligation d'avoir à exécuter les ordres de virement des valeurs mobilières emportant cession d'actions de la société CEH à son profit signifiés par les défendeurs depuis le 26 septembre 2008, soit à faire retranscrire sur le registre des mouvements de titres de la société CEH ces ordres de mouvement, d'une astreinte de 1 500 euros par jour de retard courant sans limitation de délai à l'expiration du délai d'un mois de la signification de l'arrêt, sans répondre à ces conclusions déterminantes de nature à établir l'impossibilité dans laquelle elle se trouvait d'exécuter les termes du jugement du 21 novembre 2012, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que les juges du fond sont liés par les conclusions prises devant eux et ne peuvent modifier les termes du litige dont ils sont saisis ; qu'elle faisait expressément valoir que l'affirmation des intimés selon laquelle les ordres de mouvements originaux lui auraient été remis en 2008 était fausse et invitait la cour d'appel à prendre connaissance du procès-verbal de signification d'ordonnance de référé en date du 26 septembre 2008 qui indiquait que c'était une copie certifiée conforme des trois ordres de mouvement qui lui avait été remise ; qu'en affirmant cependant qu'il n'était pas contesté qu'elle était en possession des originaux des bordereaux de cession des titres litigieux depuis le 26 septembre 2008, cependant qu'elle contestait détenir ces originaux, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

3°/ que les juges du fond sont tenus de répondre aux conclusions des parties dont ils sont saisis ; qu'après avoir rappelé que le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche, et que le tribunal de commerce de Paris, dans son jugement du 14 avril 2010- confirmé par arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 décembre 2010 frappé d'un pourvoi en cassation qui avait été rejeté par arrêt en date du 3 mai 2012 – avait débouté « la société Bayard Montaigne, Monsieur Alain X..., la Sarl Arcade Investissement Conseil de leur demande de dire que la vente des titres est définitivement formée », elle faisait valoir que ces décisions, revêtues de l'autorité de la chose jugée, avaient clairement retenu qu'à la date du 20 juin 2007, la vente n'était pas formée, faute de prix, et que le jugement du 21 novembre 2012 avait porté atteinte à l'autorité de la chose jugée entre les parties sur le même différend en considérant que les ordres de mouvement sur la cession auraient dû intervenir le 26 septembre 2008, quand la cession des titres ne pouvait être définitivement formée qu'à compter de la fixation du prix définitif par l'expert, soit le 27 octobre 2011, et demandait à la cour d'appel de constater que la cession de titres n'avait été réalisée que le 27 octobre 2011 et de juger qu'en raison de l'autorité de la chose jugée attachée aux décisions aux décisions du tribunal de commerce de Paris du 14 avril 2010, de la cour d'appel de Paris en date du 14 décembre 2010 et de la Cour de cassation en date du 3 mai 2010, il était impossible de la condamner à régulariser lesdites cessions en date du 26 septembre 2008 et à verser des intérêts sur le règlement du prix à compter de cette date qu'en omettant de répondre à ce chef déterminant de ses conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant retenu que le jugement exécutoire du tribunal de commerce de Paris avait prononcé l'exécution forcée de la cession à la société CIM des 45 % des intimés dans la société CEH, et qu'il appartenait donc à cette dernière de réaliser cette cession soit en exécutant les ordres de virement des valeurs mobilières soit en les faisant transcrire par la société CEH sur les registres des mouvements des titres, la cour d'appel n'a pas modifié l'objet du litige et a répondu aux conclusions prétendument délaissées, sans les dénaturer ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société CIM fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. X..., à la société Bayard Montaigne et à la société Arcade Investissements Conseil la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive, alors selon le moyen, que l'arrêt attaqué l'a condamnée à payer à M. X..., la société Bayard Montaigne et la société Arcade investissements Conseil la somme de 2 000 euros, chacun, en ce que le défaut d'exécution spontané du jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 28 juin 2012 et la saisine du juge de l'exécution d'une demande de délais de paiement dès le prononcé de la condamnation continuent de justifier de sa résistance abusive ; qu'en statuant ainsi, cependant que c'était en raison de l'absence de régularisation des mutations de titres et de la résistance de M. X..., des sociétés Bayard Montaigne et Arcade investissements Conseil qu'elle n'avait pas pu lever les fonds pour financer le règlement du prix et qu'elle avait néanmoins consenti de nombreux efforts puisqu'elle avait réglé une somme de 1 000 050 euros et qu'ainsi ses demandes n'étaient pas dépourvues de fondement, la cour d'appel n'a caractérisé aucun abus du droit fondamental de se défendre en justice et a violé l'article 1382 du code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a retenu, par motifs propres et adoptés, qu'un litige particulièrement long a opposé les parties, le droit de retrait de M. X... ayant été déclaré fondé le 20 juin 2007, et que le défaut d'exécution spontanée du jugement du tribunal de commerce du 28 juin 2012 continuait de justifier la sanction de la résistance abusive de la société, a ainsi légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.