CA Paris, 1re ch., 21 octobre 1999, n° B19990172
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
CURIOZ (SA)
FAITS ET PROCEDURE
Un litige ayant opposé Monsieur François B à la société CURIOZ au sujet du conditions de résiliation des conventions souscrites par les parties pour l'exploitation par la seconde d'un brevet d'invention déposé par le premier et la procédure d'arbitrage mise en oeuvre conformément aux stipulations contractuelles ayant abouti à une sentence du 14 octobre 1997 rendue en droit et à charge d'appel, la Cour a par arrêt du 6 mai 1999 aux énonciations duquel il est expressément référé pou l'exposé des faits de la cause :
- confirmé la dite sentence en ce qu'elle a dit que la rupture était intervenue aux torts exclusifs de la société CURIOZ et prononcé à la date du 14 octobre 1997 la résolution du Contrat de Licence de brevet souscrit entre les parties le 18 mars 1994 aux torts exclusifs de la société CURIOZ ;
- Sursis à statuer sur le surplus des demandes en invitant les parties :
- à s'expliquer sur les effets de cette résolution et sur l'étendue de sa rétroactivité dans le cas d'espèce ;
- à formuler leurs demandes respectives en fonction des principes sus-rappelés en précisant notamment si le Contrat résolu a ou non produit des effets dont il importerait de tenir compte ;
- a tirer les conséquences de ces mêmes principes pour ce qui concerne les réclamations relatives aux frais afférents au brevet français et a son extension européenne ;
- à s'expliquer sur les diligences à effectuer en suite de la résolution prononcée sur le fondement de l'article 46 de la loi du 2 janvier 1968 ;
- Ordonné la réouverture des débats ;
Les parties ayant effectivement conclu pour préciser leurs demandes respectives, le litige se présente comme suit :
Monsieur François B soutient que le Contrat de Licence de brevet du 18 mars 1994 est un contrat à exécution successive dont la résolution ne peut opérer que pour l'avenir ;
Il en déduit que la société CURIOZ doit lui régler
- le compte de ses factures afférentes tant au Contrat de Licence de brevet du 18 mars 1994 qu'à sa mission complémentaire pour l'adaptation ultérieure du projet et notamment la première redevance annuelle qu'il aurait dû percevoir aux terme du contrat pour d'une part la France et la Suisse confondues, d'autre part les autres pays européens retenus par la société CURIOZ soit une somme de 2.076.947, 38 Francs + 71.740, 00 Francs = 2.148.687, 38 Francs ;
- une indemnité de 1.000.000 Francs pour réparer le préjudice financier que lui cause la résolution prononcée alors que la société CURIOZ s'est de mauvaise foi, appropriée abusivement son savoir-faire pour commercialiser sous son propre nom un brevet de porte coulissante directement inspiré des concepts et de la technique qu'il avait apportés ;
- le remboursement des frais qu'il a exposés pour le renouvellement du brevet FRANCE (805, 00 Francs) et du brevet EUROPE (9703, 47 Francs) ;
Il demande donc en définitive de condamner la société CURIOZ au paiement de ces diverses sommes, à tout le moins à titre de dommages et intérêts pour ce qui concerne les factures, si la qualification de contrat à exécution successive n'était pas retenue, et de lui allouer en sus une somme de 100.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
La société CURIOZ fait valoir quant à elle que le Contrat de Licence de brevet du 18 mars 1994 est indissociable du protocole du 27 septembre 1993 dont il n'était que l'accessoire, elle-même n'ayant jamais été intéressée par l'acquisition du seul brevet mais ayant recherché une collaboration avec un concepteur capable de lui permettre de développer une porte coulissante latérale pour camion à un prix acceptable pour le marché ;
Elle estime que le tout formait donc un groupe de contrats dont l'élément principal était un contrat d'entreprise auquel il a été mis fin en même temps qu'au Contrat de Licence de brevet du 18 mars 1994 ; le lien contractuel étant ainsi censé n'avoir jamais existé, et soutient en conséquence :
- qu'elle doit obtenir restitution de toutes les sommes versées par elle à Monsieur François B pour l'exécution des conventions résolues dès lors que celui-ci conserve et dispose librement d'un brevet dont il est réputé avoir eu la jouissance dès l'origine. et donc être remboursée des redevances déjà versées (180.000 Francs), des sommes payées pour l'acquisition de la Licence (190.000 Francs HT ou 229.140 Francs TTC) et de tous les débours entraînés par la demande de brevet européen ;
- que Monsieur François B qui ne peut se prévaloir d'aucune des stipulations d'une convention qui est censée n'avoir jamais été conclue, n'est fondé à lui réclamer ni le paiement des redevances ni celui des minima garantis ;
Elle dénie par ailleurs à Monsieur François B le droit de lui réclamer des factures afférentes à l'exploitation d'un brevet dont il reste propriétaire et observe que le montant des dommages et intérêts sollicités est manifestement excessif alors qu'il a aujourd'hui tout loisir de disposer de son brevet et de concéder la licence de son choix ;
Elle demande en définitive d'ordonner la restitution à son profit de la somme de 460.954, 45 francs, de condamner Monsieur François B à lui payer la somme de 2.500.000 Francs à titre de dommages et intérêts, de dire qu'il appartiendra à Monsieur François B d'effectuer les formalités prévues par l'article 46 de la loi du 2 janvier 1968 pour rendre la résolution opposable aux tiers et de débouter ce dernier de toutes ses prétentions ;
Elle sollicite par ailleurs l'allocation d'une somme de 100.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
DECISION
Considérant que la licence de brevet est assimilable à un contrat de louage ; qu'elle déploie ses effets dans le temps et constitue pour cette raison un contrat à exécution successive ;
Considérant qu'en ces de résolution judiciaire d'un contrat synallagmatique à exécution successive, le contrat, sauf s'il n'a reçu aucun commencement d'exécution ni produit aucun effet, ne se trouve résolu que pour l'avenir, pour la période à partir de laquelle l'un des contractants n'a plus rempli ses obligations ;
Considérant qu'il résulte en l'espèce des énonciations de l'arrêt du 6 mai 1999 auxquelles il est renvoyé, que Monsieur François B a exécuté son obligation de délivrance et fourni son savoir-faire jusqu'au jour où sa cocontractante lui a signifié qu'elle n'entendait plus respecter ses propres obligations ;
Que la résolution prononcée par l'arrêt du 6 mai 1999 ne peut donc pas avoir d'effet rétroactif ;
Qu'il s'en déduit en premier lieu que la société CURIOZ n'est fondée à obtenir ni le remboursement des versements, effectués pour l'acquisition de la licence ni celui des premières redevances et de ses débours et qu'elle doit être déboutée de sa demande de restitution de la somme de 460.954, 45 Francs ; qu'elle n'est pas davantage en droit de réclamer l'indemnisation d'un préjudice dont elle est exclusivement responsable ; que sa demande de dommages et intérêts doit donc aussi être rejetée ;
Considérant en revanche, sur les réclamations de Monsieur François B :
- Que le Contrat de Licence de brevet du 18 mars 1994 avait été conclu moyennant paiement d'une somme initiale de 300.000 Francs HT soit 355.800 Francs TTC qui devait être réglée selon les pièces produites, à hauteur de 59.300 Francs le jour même de la signature de la convention, à hauteur de 166.040 Francs en 7 échéances mensuelles de 23.720 Francs échelonnées du 10 avril au 10 octobre 1994, à hauteur de 11.860 Francs le 10 novembre 1994, le solde soit 118.600 Francs, étant dû par la société CURIOZ dans le mois suivant la première vente ;
Que de ce premier chef, Monsieur François B demande paiement d'une part de la somme de 11.860 Francs qui lui était acquise le 10 novembre 1994 et ne lui a jamais été réglée, d'autre part de celle de 118.600 Francs exigible après la première vente (factures des 18 mars 1994 et 19 avril 1996) ;
Mais considérant qu'il est constant que le Contrat de Licence de brevet du 18 mars 1994 n'ayant pas été exploité par la société CURIOZ, aucune vente n'est jamais intervenue ;
Qu'ainsi qu'en a justement décidé l'arbitre, Monsieur François B ne peut donc prétendre au paiement de la somme de 1l8.600 Francs qu'il réclame à ce titre ; qu'en revanche à il est fondé à obtenir celui de la somme de 11.860 Francs qu'au demeurant la société CURIOZ ne conteste pas rester lui devoir ;
- Que s'agissant des redevances, la société CURIOZ s'était, aux termes du Contrat de Licence de brevet du 18 mars 1994, engagée à payer à Monsieur François B une redevance sur le chiffre d'affaires des carrosseries de véhicules réalisées et vendues avec l'équipement de la technologie et des brevets B dont le pourcentage était précisé ; que pendant les trois années, il était stipulé qu'elle garantissait à son cocontractant des minima annuels de 100.000 Francs HT, dans les termes suivants :
"Cette redevance minimale s'entend respectivement pour :
- la France et la Suisse confondues
- chaque autre pays retenu par le Licencié" ;
Considérant que ces redevances minimal étaient dues à chaque date anniversaire de la convention du 18 mars 1994 au 18 mars 1997 ;
Qu'eu égard à la rupture intervenue, Monsieur François B est donc fondé à obtenir paiement de la première année des prévus ainsi qu'il le sollicite ;
Considérant cependant que les parties sont en désaccord sur l'interprétation qu'il convient de faire des stipulations sus-reproduites, la société CURIOZ soutenant qu'il n'était pas dans l'intention des parties de prévoir des redevances minima pour des pays européens où elle n'avait aucune possibilité d'exploitation ;
Mais considérant qu'il n'y a lieu de rechercher l'intention des parties pour interpréter une convention que dans le ces de dispositions obscures ou ambiguës ;
Et considérant qu'en l'espèce la clause contractuelle parfaitement claire, ne nécessite aucune interprétation ;
Qu'il s'en déduit que Monsieur François B est non seulement en droit d'obtenir ainsi qu'il le sollicite, la somme de 100.000 Francs HT soit 120.600 Francs TTC déjà accordée par l'arbitre au titre du minimum de redevances convenu pour la France et la Suisse confondues (facture du 20 mai 1996) mais aussi, en l'absence de toute ambiguïté des stipulations contractuelles sus-reproduites et dont il résulte clairement que des minima de redevances étaient également dus pour chacun des 15 pays européens retenus par la société CURIOZ pour l'extension envisagée du brevet , celle de 1.500.000 Francs HT ou 1.809.000 Francs TTC (facture du 20 juin 1996) correspondant à ceux-ci ;
Qu'à cet égard la sentence sera donc réformée ;
Considérait sur les autres demandes de Monsieur François B :
- que la facture du 14 septembre 1995 établie pour une somme totale de 5.760, 38 Francs représente le remboursement de frais de déplacements que celui de l'annuité numéro 3 du brevet 93.10940, ; qu'elle n'est discutée par la société CURIOZ qu'en ce qui concerne les frais afférents au dit brevet ; que s'agissant toutefois de frais exposés avant le prononcé de la rupture contractuelle, ils sont bien dus par le Licencié qui s'était engagé à "assumer tous les frais de propriété industrielle (article 9 du contrat) ;
- que la facture du 17 janvier 1996 d'un montant de 9.127 Francs dont la société CURIOZ ne discute pas le détail correspond à des frais de déplacement exposés par Monsieur François B pour la mise au point d'un produit commercialisable soit au titre du Contrat de Licence de brevet du 18 mars 1994 soit en exécution des accords complémentaires souscrits par les parties pour tenir compte des exigences de la société MIGROS ; qu'elle est elle aussi due par la société licenciée ;
- que la somme de 71.740 Francs facturée par Monsieur François B le 30 juillet 1994 correspond aux frais de maîtrise d'oeuvre et de déplacements nécessités par la mise au point du projet MIGROS que la société CURIOZ s'était également engagée à prendre en charge ; que ces prestations dont la société CURIOZ ne dénie pas qu'elles ont bien été fournies, sont elles aussi incontestable dues à Monsieur François B ;
- qu'en revanche, Monsieur François B qui aurait pu reprendre dès le printemps 1995, la libre disposition de son brevet alors que la société CURIOZ lui offrait à l'époque, de "reconsidérer" leurs relations (courrier du 30 mars 1995) et qui ne démontre pas la mauvaise foi de la société CURIOZ postérieurement à la rupture, n'établit pas le préjudice complémentaire qu'il allègue ;
Qu'il doit par suite être débouté de sa demande en paiement de la somme de 1.000.000 Francs qu'il forme à titre de dommages et intérêts ;
- que la société CURIOZ devait contractuellement à supporter tous les frais du brevet fiançais et de son extension européenne ; qu'elle doit donc les assumer jusqu'à la date de la résolution sans pouvoir prétendre au remboursement de ceux qu'elle a payés antérieurement, la Cour renvoyant sur ce point les parties à établir un compte précis des sommes effectivement dues encore à ce titre à Monsieur François B ;
Considérant qu'en définitive la société CURIOZ est redevable à Monsieur François B d'une somme totale de 2.148.687, 38 Francs outre les frais afférents aux brevets dans les conditions ci-dessus précisées ;
Considérant que s'agissant d'une dette contractuelle, elle doit porter intérêts au taux légal à compter de la saisine de l'arbitre qui a valu sommation de payer ;
Considérant que les autres dispositions de la sentence ne sont pas critiquées et doivent être confirmées ;
Considérant que la société CURIOZ qui sera condamnée aux dépens d'appel doit aussi être condamnée à payer à Monsieur François B une somme de 30.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile au bénéfice duquel elle- même ne peut prétendre ;
PAR CES MOTIFS
Vu l'arrêt du 6 mai 1999 ;
Infirme la sentence déférée dans ses dispositions relatives au montant des sommes dues à Monsieur François B ;
Statuant à nouveau sur ce point :
Condamne la société CURIOZ à payer à Monsieur François B la somme totale de 2.148.697, 38 Francs outre les frais afférents au brevet français et à son extension européenne jusqu'à la résolution des contrats avec intérêts au taux légal à compter de la saisine de l'arbitre ;
La condamne en outre à payer à Monsieur François B une somme de 30.000 Francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes respectives ;
Dit qu'en application de l'article 46 de la loi du 2 janvier 1968, l'arrêt du 6 mai 1999 et le présent arrêt devenus définitifs seront transmis par les soins du greffier ou à la diligence de l'une ou l'autre des parties à l'Institut National de la Propriété Industrielle pour inscription au registre national des brevets ;
Condamne la société CURIOZ aux dépens d'appel ;
Accorde à Maître Olivier B, avoué, le droit prévu à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.