CA Paris, 14e ch. A, 21 mars 2001, n° 2000/21702
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Landtel France (Sté), Landtel NV (Sté)
Défendeur :
Pinault Printemps-Redoute (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lacabarats
Conseiller :
M. Pellegrin
Avoués :
SCP d'auriac-Guizard, SCP Monin
Avocats :
Me Derains, Me Vuillez
Le 7 juillet 2000, la société française PINAULT PRINTEMPS-REDOUTE (P.P.R.) et la société néerlandaise LANDTEL NV ont signé un document intitulé "Offer letter" en vue de la cession par la première à la seconde de 75% des actions appartenant à P.P.R. dans le capital de la société française KERTEL, le prix de la cession étant fixé à 305.000.000 francs.
Des difficultés étant apparues pour la réalisation de la vente, la société P.P.R. a obtenu le 11 octobre 2000 deux ordonnances du président du tribunal de commerce de Paris l'autorisant à pratiquer des saisies conservatoires d'une part sur les actions de la société KERTEL objet de l'accord du 7 juillet, d'autre part sur les actions de la société LANDTEL FRANCE qui auraient été détenues par le représentant de LANDTEL NV, X.
Une nouvelle ordonnance rendue par la même juridiction le 13 novembre 2000 a notamment autorisé P.P.R. à pratiquer une saisie conservatoire sur les titres de LANDTEL FRANCE détenus par LANDTEL NV, tout en constatant que la mainlevée de la saisie portant sur les titres KERTEL n'était pas demandée et en rétractant la saisie faite au préjudice de X. Les sociétés LANDTEL NV et LANDTEL FRANCE ont interjeté appel le 17 novembre de l'ordonnance du 13 novembre 2000 ;
Par leurs conclusions du 9 février 2001, elles demandent à la cour :
d'infirmer l'ordonnance,
de dire que les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour prononcer une saisie conservatoire à l'égard d'une société étrangère, de rétracter en conséquence l'ordonnance ayant autorisé la saisie conservatoire des titres de LANDTEL FRANCE détenus par LANDTEL NV,
de dire sur le fond P.P.R. mal fondée en ses demandes et de rétracter en conséquence l'ordonnance,
de condamner P.P.R. à leur payer à chacune la somme de 100.000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive,
subsidiairement de fixer le montant de la créance de P.P.R. pour laquelle l'autorisation de saisie est accordée,
de condamner P.P.R. à leur payer à chacune la somme de 20.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Par conclusions du 30 janvier 2001, la société P.P.R. demande à la cour de débouter les sociétés appelantes de leurs demandes, de confirmer l'ordonnance, à titre subsidiaire d'accueillir à nouveau sa demande de saisie conservatoire, de condamner les sociétés appelantes à lui payer la somme de 50.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Sur la compétence
Considérant qu'invoquant l'article 211 du décret du 31 juillet 1992, les sociétés appelantes font valoir que le juge compétent pour autoriser une mesure conservatoire ne peut être que le juge du lieu où demeure le débiteur et qu'en l'espèce la société LANDTEL NV ayant son siège social à l'étranger, le président du tribunal de commerce aurait dû se déclarer incompétent pour statuer sur la demande de la société P.P.R. ;
Considérant cependant que la compétence de principe ainsi attribuée en matière de mesure conservatoire au juge du domicile du débiteur n'exclut pas l'application de l'article 9 alinéa 2 du même décret du 31 juillet 1992, texte de portée générale qui donne compétence au juge du lieu d'exécution de la mesure si le débiteur demeure à l'étranger ; qu'en vertu de cette règle et après avoir constaté que le siège de la société LANDTEL FRANCE dont les actions devaient être saisies était à Paris, c'est à juste titre que le juge des référés a rejeté l'exception et retenu sa compétence ;
Sur le bien fondé de la saisie conservatoire
Considérant qu'en vertu des articles 67 de la loi du 9 juillet 1991 et 210 du décret du 31 juillet 1992, l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens d'un débiteur ne peut être accordée qu'au requérant dont le créance paraît fondée dans son principe, s'il justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement ;
Considérant que le document intitulé "offer letter" ou "lettre d'offre" revêtu de la signature des deux parties manifeste clairement l'accord des sociétés P.P.R. et LANDTEL NV pour l'achat par la seconde d'actions de la société KERTEL appartenant à la première, la date de réalisation de l'achat devant intervenir à une date ultérieure fixée d'un commun accord ; que divers communiqués de presse ou courriers postérieurs à la signature de l'offre ont corroboré l'intention de LANDTEL de se substituer à P.P.R. dans le contrôle du capital de KERTEL;
Considérant que l'existence incontestable d'une telle intention de la part de la société LANDTEL NV et l'absence de réalisation de la transaction prévue ne suffisent pas à justifier la saisie conservatoire ;
Considérant qu'il convient en effet d'observer qu'après avoir fait fixer le montant de la créance garantie au prix convenu pour la cession en prétendant que la vente était parfaite, la société P.P.R. a finalement informé la société LANDTEL de ce qu'elle se considérait déliée de toute obligation à son égard et a engagé une procédure d'arbitrage tendant, non à la résolution ou résiliation de la convention prétendument conclue, mais à une simple "évaluation" de ses préjudices découlant, selon la demanderesse à l'arbitrage, du refus abusif de LANDTEL de réaliser la transaction ;
Considérant que si la certitude de la créance n'est pas une condition d'emploi des mesures conservatoires, encore faut-il qu'elle ne soit pas affectée d'une trop grande indétermination quant à sa cause, son objet et son montant ;
Considérant que la créance de dommages-intérêts dont se prévaut la société P.P.R. ne satisfait pas à cette exigence dès lors qu'elle implique une analyse approfondie de la "lettre d'offre", document complexe assorti de nombreux engagements ou conditions dont le respect et la réalisation sont controversés, une recherche en l'état aléatoire de l'imputabilité de la rupture, aucun document n'établissant de manière évidente la responsabilité de l'une ou l'autre partie dans la rupture de leurs relations ; qu'il n'existe pas ainsi une apparence de créance suffisante pour autoriser une saisie conservatoire, de sorte que la décision attaquée doit être infirmée sur ce point ;
Considérant que, bien que non fondée, l'action de la société P.P.R. n'a pas été engagée dans des conditions fautives et ne saurait justifier l'allocation aux sociétés LANDTEL de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Considérant en revanche qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de ces sociétés la totalité de leurs frais de procédure non compris dans les dépens ;
PAR CES MOTIFS
Confirme la décision déférée, en ce qu'elle a retenu sa compétence et donné différents actes aux parties et rétracté la saisie faite au préjudice de X,
L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau :
Rejette la demande d'autorisation de saisie conservatoire des titres de LANDTEL FRANCE détenus par LANDTEL NV présentée par la société P.P.R.,
Rejette la demande de dommages-intérêts présentée en cause d'appel par les sociétés LANDTEL,
Condamne la société P.P.R. à payer aux sociétés LANDTEL NV et LANDTEL FRANCE, ensemble, la somme de 20.000 francs au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Condamne la société P.P.R. aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.