Cass. com., 7 juillet 2015, n° 14-18.705
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Avocats :
SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 31 mars 2014), que le capital de la société civile Château de Ferrand (la société), constituée en 1981 en vue de l'exploitation d'un domaine agricole, était initialement réparti entre M. Raymond X..., son épouse et leurs quatre enfants, Bruno, Olivier, Françoise et Sylvie ; que M. Raymond X... ayant, après le décès de son conjoint, fait donation de ses parts à ses enfants, chacun d'eux est devenu titulaire de neuf cents des trois mille six cents parts représentant le capital social ; que, réunis en assemblée le 3 mai 2010, les associés ont décidé, à la majorité, de céder les actifs immobiliers de la société et de désigner un expert afin de procéder à leur évaluation ; que faisant valoir que ces décisions avaient été prises par une assemblée irrégulièrement convoquée et qu'en outre, elles étaient constitutives d'un abus de majorité, M. Olivier X... en a demandé l'annulation ainsi que l'allocation de dommages-intérêts ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. Olivier X... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation des délibérations adoptées le 3 mai 2010 alors, selon le moyen :
1°/ que la nullité de la convocation à une assemblée générale pour défaut de pouvoir de celui qui en est l'auteur n'est pas subordonnée à la démonstration d'un grief ; qu'après avoir constaté que M. Bruno X..., auteur de la convocation, n'est pas en mesure de justifier de sa désignation comme gérant, la cour d'appel ne pouvait, pour refuser d'annuler la délibération du 3 mai 2010, retenir que M. Olivier X... ne justifiait pas du grief que lui causerait une telle irrégularité ; qu'en se déterminant ainsi, elle a violé les articles 1846 et 1844-10 du code civil ;
2°/ que l'article 17 des statuts de la SCEA du Château de Ferrand prévoit que « la société est gérée par un ou plusieurs gérants, associé ou non, personne physique ou morale désignée pour une durée déterminée ou non par décision collective des associés en la forme extraordinaire » ; que les décisions sont prises par les associés réunis en assemblée ou résultent du consentement de tous les associés exprimé dans un acte ; qu'après avoir constaté l'absence de procès-verbal de l'assemblée générale ayant désigné M. Bruno X... en qualité de gérant, la cour d'appel ne pouvait retenir que M. Olivier X... aurait par le passé reconnu la qualité de gérant de son frère, sans constater que la désignation de M. Bruno X... en qualité de gérant résulterait du consentement de tous les associés exprimé dans un acte écrit ; qu'à défaut, elle a violé les articles 1846, 1853 et 1854 du code civil ;
3°/ que le silence ou l'absence de contestation antérieure ne prive pas le titulaire d'un droit de la possibilité d'en réclamer le respect ; qu'en retenant que M. Olivier X... a participé à plusieurs assemblées de cette société, convoquées et présidées par Bruno X... en qualité de gérant, et signé leurs procès-verbaux sans élever la moindre contestation sur cette qualité, quand l'absence de contestation portant sur de précédentes délibérations ne privait pas M. Olivier X... du droit de contester la délibération du 3 mai 2010, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1846 et 1844-10 du code civil ;
Mais attendu que l'annulation des décisions de l'assemblée des associés d'une société civile en raison d'une irrégularité affectant les modalités de la convocation des associés est subordonnée à la démonstration d'un grief par celui qui s'en prévaut ; qu'après avoir relevé que M. Olivier X..., qui contestait la régularité de sa convocation à l'assemblée du 3 mai 2010, au motif que l'auteur de cette convocation n'était pas en mesure de justifier de sa désignation en qualité de gérant, avait signé la feuille de présence à cette assemblée et y avait voté, et constaté que cet associé ne justifiait pas du grief que lui aurait causé l'irrégularité invoquée, la cour d'appel en a exactement déduit, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deux dernières branches, que la demande d'annulation des décisions litigieuses devait être rejetée ; que le moyen, pour partie inopérant, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et sur le second moyen :
Attendu que M. Olivier X... fait encore grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation ainsi que celle tendant au paiement de dommages-intérêts alors, selon le moyen :
1°/ que l'abus de majorité est caractérisé lorsque la décision prise est contraire à l'intérêt social et dans le seul dessein de favoriser les associés majoritaires au détriment des associés minoritaires ; qu'est manifestement contraire à l'intérêt social la décision de vendre l'intégralité de l'actif immobilier d'une société civile d'exploitation agricole, sans lequel celle-ci ne peut plus avoir aucune activité ; qu'en estimant que la cession de l'intégralité de l'actif immobilier de la SCEA du Château de Ferrand était conforme à l'intérêt social, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et partant a violé les articles 1833 et 1382 du code civil ;
2°/ que si la mésentente entre associés peut éventuellement conduire à la dissolution anticipée de la société, sous la stricte réserve que cette mésintelligence paralyse son fonctionnement, elle ne saurait, à elle seule, justifier la décision de vendre l'intégralité de son actif immobilier ; qu'en retenant que le conflit persistant entre M. Olivier X... et ses frère et soeurs justifiait la décision de céder l'intégralité de l'actif de la SCEA du Château de Ferrand, la cour d'appel qui a statué par des motifs impropres à caractériser la conformité de la décision prise à l'intérêt social, a violé les articles 1833 et 1382 du code civil ;
3°/ qu'en retenant, par motifs adoptés, que « sur la base de l'évaluation qui sera réalisée, Olivier X... pourra comme tout autre associé et aux mêmes prix et conditions, proposer une cession de ses parts ou racheter celles de ceux qui entendraient être dénoués de leur participation », quand ce dernier faisait, au contraire, valoir dans ses écritures d'appel que la décision de l'assemblée générale ne s'inscrivait pas dans le cadre d'une cession volontaire de parts sociales mais dans la réalisation de l'intégralité du patrimoine de la société et que la procédure de retrait avait précisément été éludée par les associés majoritaires, la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;
4°/ que l'abus de majorité est caractérisé lorsque la décision prise est contraire à l'intérêt social et dans le seul dessein de favoriser les associés majoritaires au détriment des associés minoritaires ; qu'en ne recherchant, malgré l'invitation qui lui était faite, si la décision de céder l'intégralité de l'actif de la société n'était pas un moyen de contourner l'article 13 des statuts fixant les modalités de retrait volontaire d'un associé et de priver ainsi M. Olivier X... du bénéfice du droit préférentiel d'achat des parts des associés qui souhaiteraient se retirer, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de les articles 1833 et 1382 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs adoptés, que les décisions des associés de procéder à la cession des actifs immobiliers de la société et de recourir à un expert chargé d'en déterminer objectivement la valeur vénale ne manifestent aucunement, de la part des majoritaires, une volonté de nuire à l'associé minoritaire ou de le spolier de ses droits, et ne sont pas contraires à l'intérêt de la société, dont le fonctionnement normal est à l'évidence rendu impossible par le conflit familial persistant entre les parties en raison des procédures de toute nature, y compris pénales, que se propose d'engager ou a engagées M. Olivier X... ; que l'arrêt ajoute que le conflit aigu entre ce dernier et ses frère et soeurs justifie de prendre des décisions de nature à y mettre un terme, dans l'intérêt même de la société ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu les termes du litige, a pu décider, sans avoir à faire d'autre recherche, que l'abus de majorité invoqué n'était pas caractérisé ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.