Cass. 1re civ., 20 décembre 2017, n° 16-20.997
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Avocats :
SCP Odent et Poulet, SCP Thouin-Palat et Boucard
Sur le premier moyen :
Attendu que M. X...fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la " note en délibéré " qu'il a transmise le 23 janvier 2015, alors, selon le moyen, que les parties ne peuvent pas déposer de note à l'appui de leurs observations après la clôture des débats, si ce n'est pour répondre aux arguments développés par le ministère public ou à une demande du président ; que, cependant, une demande de réouverture des débats, fondée sur l'apparition de faits nouveaux survenus après la clôture, n'a pas pour objet d'appuyer des observations antérieures à cette dernière mais d'obtenir un débat qui n'a pas eu lieu sur les éléments nouvellement apparus ; qu'une demande de réouverture des débats est de surcroît nécessairement postérieure à la clôture des débats et ne requiert dès lors aucune autorisation, de sorte que si elle peut être jugée fondée ou infondée, elle ne peut pas être déclarée irrecevable ; qu'en l'espèce, M. X...avait écrit le 22 janvier 2015 à la juridiction, postérieurement à la clôture (9 décembre 2014), pour demander la réouverture des débats afin qu'il puisse être discuté entre les parties d'un élément nouveau, à savoir un courrier du 15 janvier 2015 reçu de l'administration fiscale qui, faisant état de bénéfices de la SCP très supérieurs à ceux connus de M. X...pour les années 2012-2013, avait une incidence sensible sur l'appréciation des préjudices de ce dernier ; que, pour déclarer cette demande « irrecevable en application de l'article 445 du code de procédure civile », la cour d'appel a retenu qu'elle n'avait pas été autorisée par le président ; qu'en analysant cette demande comme une note en délibéré, soumise aux exigences de l'article 445 du code de procédure civile, la cour d'appel a violé le texte susvisé par fausse application ;
Mais attendu que l'interdiction posée par l'article 445 du code de procédure civile, sous réserve des exceptions prévues par ce texte, concerne toutes les écritures judiciaires, quels qu'en soient la présentation et le contenu ; qu'il s'ensuit qu'après avoir exactement qualifié la lettre transmise après la clôture des débats de note en délibéré, c'est à bon droit que la cour d'appel l'a déclarée irrecevable, faute pour M. X...d'avoir été autorisé à la déposer ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième à sixième branches :
Attendu que M. X...fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes relatives à la répartition des bénéfices, alors, selon le moyen :
1°/ que, pour justifier le rejet de la demande de M. X...relative au remboursement de son compte courant, la cour d'appel a retenu que la saisie conservatoire pratiquée par les ayants droit de M. Z..., le 10 juillet 2005, pour la somme de 151 490 euros, avait eu pour effet de rendre totalement indisponible la totalité du compte courant de M. X...; qu'en se déterminant ainsi, après avoir pourtant constaté que les provisions acceptées par M. X...portaient exclusivement sur ses « propres droits aux bénéfices » distribuables, et non pas sur son compte courant, peu important à cet égard que la saisie ait été pratiquée « entre les mains de la société civile professionnelle notariale », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1134 du code civil ;
2°/ que, selon les constatations de la cour d'appel, la somme de 151 490 euros, au regard de la 13e résolution du 18 mars 2005, n'était provisionnée que sur les « propres droits » de M. X...« aux bénéfices » ; que, cependant, la cour d'appel a également constaté que ce dernier n'avait aucun droit sur ces bénéfices, ni avant le 8 juin 2005, date de sa suspension provisoire, ni après, dès lors, d'une part, qu'il était supposé, selon la décision, y avoir renoncé et que, d'autre part, la distribution des bénéfices n'était plus possible depuis 2005 ; qu'il s'ensuivait que la saisie conservatoire pratiquée par les consorts Z...n'avait pu atteindre ni les propres droits aux bénéfices de M. X...ni son compte courant ; qu'en jugeant dès lors qu'elle avait eu pour effet de rendre ce dernier totalement indisponible, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1134 du code civil ;
3°/ que la renonciation à un droit ne peut se présumer et, pour être utilement opposée par celui qui s'en prévaut, elle doit être certaine, expresse et non équivoque ; qu'en l'espèce, la SCP et M. Y..., pour soutenir que M. X...aurait renoncé à tout droit sur les bénéfices, avaient invoqué la 14e résolution de l'assemblée générale du 18 mars 2005, aux termes de laquelle, au regard des risques de suspension même passagère de M. X...pouvant nuire à la SCP, celui-ci avait déclaré accepter renoncer aux bénéfices pendant la période d'empêchement ; que, cependant, M. X...avait soutenu que cette résolution n° 14 ne pouvait pas être interprétée comme une renonciation sans équivoque à ses droits sur les bénéfices dès lors qu'une telle interprétation conduisait à rendre inapplicable la résolution n° 13 de la même assemblée générale, appliquée pourtant par ailleurs par la cour d'appel, qui stipulait que la provision prévue pour faire face à la créance de M. Z... devait être constituée sur les bénéfices auxquels M. X...avait droit, et qu'une retenue mensuelle de 2 000 euros devait être opérée sur les mêmes bénéfices, jusqu'à constitution complète de la provision prévue à hauteur de 150 000 euros ; qu'ainsi, si la renonciation de M. X...était jugée certaine, l'application de la résolution n° 13 s'avérait impossible, que la cour d'appel a cru pourtant devoir appliquer ; qu'en affirmant dès lors que M. X...avait renoncé à tous bénéfices échus et à échoir, sans répondre à ce chef de ses conclusions, la cour d'appel a privé sa décision de motif, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
4°/ que la résolution n° 14 indique que M. X...« accepte de renoncer aux produits dont il aurait vocation pendant la période d'empêchement » ; qu'ainsi, à supposer qu'elle soit applicable et que M. X...y ait effectivement renoncé à ses bénéfices, cette renonciation ne pouvait porter, pour l'avenir, qu'à compter du début de cette période d'empêchement ; que, cependant, comme la cour d'appel l'a constaté, la mesure d'interdiction d'exercer la profession de notaire pendant cinq ans n'est intervenue que par arrêt du 16 mars 2012 ; qu'il s'ensuit que la renonciation invoquée ne pouvait pas porter sur les bénéfices antérieurs ; qu'en jugeant le contraire, pour retenir que M. X...n'avait pas droit au versement de sa part dans les bénéfices de la SCP, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil ;
5°/ que M. X...avait soutenu que la résolution n° 14 ne constituant nullement, en toute hypothèse, une intention libérale en faveur de M. Y..., les bénéfices qui n'étaient pas prélevés par lui-même devaient nécessairement entrer dans les comptes de la SCP, sans que M. Y..., en particulier, puisse les prélever à son profit, ainsi qu'il le prétendait pourtant dans ses écritures, y compris au regard de la majoration prévue par l'article 23 des statuts ; qu'en se bornant, dès lors, à affirmer, pour rejeter la demande de remboursement présentée par M. X...de ce chef, que M. Y...ne pouvait pas se voir reprocher, parce qu'il est le seul autre associé, d'avoir opéré des prélèvements sous réserve de l'affectation du reliquat, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ces prélèvements n'avaient pas constitué, en fait, une appropriation indue par M. Y...de bénéfices sur lesquels il n'avait aucun droit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil ;
Mais attendu, d'abord, qu'ayant relevé que les mesures conservatoires ou d'exécution mises en oeuvre en 2004 et 2005 par les créanciers de M. X...avaient eu pour effet de rendre indisponible la totalité de son compte courant d'associé au sein de la SCP, la cour d'appel en a exactement déduit qu'aucun remboursement ne pouvait intervenir à ce titre ;
Attendu, ensuite, que la cour d'appel, qui a répondu au moyen tiré du caractère équivoque de la renonciation aux bénéfices de M. X...prévue par la quatorzième résolution de l'assemblée générale du 18 mars 2005, et qui a procédé à la recherche prétendument omise, a souverainement interprété que l'empêchement de celui-ci s'entendait, non seulement de l'interdiction temporaire décidée le 16 mars 2012, mais encore de la suspension provisoire prononcée le 8 juin 2005 ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen, ci-après annexé :
Attendu que M. X...fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à la réparation des irrégularités de gestion imputées à M. Y...;
Attendu qu'en retenant, par motifs propres et adoptés, que M. X...avait exécuté de mauvaise foi ses obligations contractuelles, abusant de son droit de vote et contraignant ainsi M. Y...à procéder à certains actes de gestion au sujet desquels les inspections annuelles de l'office notarial réalisées par la chambre des notaires entre 2005 et 2012 n'avaient décelé aucune anomalie, de sorte que M. X...ne rapportait pas la preuve de fautes de gestion, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision de ce chef ;
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
Attendu que, pour rejeter les demandes de M. X...relatives à la répartition des bénéfices, l'arrêt retient que celui-ci n'est pas fondé à en réclamer pour la période antérieure au jugement de suspension du 8 juin 2005, dès lors que la treizième résolution de l'assemblée générale du 18 mars 2005 précise que M. X...accepte que soit provisionnée une somme de 150 000 euros sur ses propres droits aux bénéfices, destinée à couvrir un sinistre professionnel, la somme de 55 000 euros, distribuable au titre de l'année 2005, étant affectée à cette fin sur un compte particulier, et une retenue mensuelle de 2 000 euros étant opérée jusqu'à la constitution de cette provision ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la treizième résolution n'était pas exclusive de l'attribution d'un bénéfice résiduel à M. X...pour la période comprise entre le 18 mars et le 8 juin 2005, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de M. X...relatives à la répartition des bénéfices du 18 mars au 8 juin 2005, l'arrêt rendu le 27 janvier 2015, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.