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Décisions

Cass. crim., 25 juin 1997, n° 96-81.108

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guilloux

Rapporteur :

Mme Batut

Avocat général :

M. Amiel

Avocat :

Me Choucroy

Agen, ch. corr., du 18 janv. 1996

18 janvier 1996

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 433-3, 121-4 et 121-5 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les prévenus coupables d'actes d'intimidation ou complicité desdits actes commis chez Me K..., huissier ;

" aux motifs que Y... avait, préalablement aux faits commis le 21 mars devant l'étude et le domicile de Me K..., pris l'initiative de l'envoi de lettres d'intimidation et de la visite rendue le 15 mars 1994 à Me K... ; c'est elle qui a organisé la manifestation du 21 mars 1994, a convoqué les adhérents de la CDCA et qui a dirigé pendant cette journée les divers mouvements et des tractations avec les services de police ; les actes commis au préjudice de Me M... constituaient la mise à exécution des menaces qui avaient été précédemment proférées à son égard ;

" que K..., Z..., J..., A..., B..., C..., D..., E..., G..., F..., H..., L..., étaient tous, à l'époque des faits, membres de la CDCA ; que K... se trouvait avec Y... lors de la visite rendue à Me M... le 15 mars 1994, qu'il a reconnu s'être introduit avec ses compagnons dans la cour de l'office de ce dernier mais, comme les autres membres de la CDCA poursuivis, a imputé à des tiers non identifiés les dégradations commises ;

" que Z..., B..., E... ont reconnu s'être introduits dans la cour de l'office et avoir participé à l'explosion des pétards et à l'incendie de cartons ;

" que C... et D... ont reconnu s'être introduits dans la cour de l'office niant toutefois leur participation aux dégradations, ils ont accompagné le groupe devant le domicile de Me K... ;

" que G... et A... ont reconnu avoir pénétré dans la cour de l'office en même temps que des fonctionnaires de police ;

" que H... a reconnu sa pénétration dans la cour de l'étude, disant avoir suivi l'initiative prise par d'autres, mais nié sa participation aux dégradations ;

" que F... a reconnu sa participation à la manifestation devant l'étude de Me M... et s'être rendu devant le domicile de ce dernier mais a nié avoir pénétré dans la cour et avoir commis des dégradations ;

" que l'ensemble de ces adhérents à la CDCA ont participé comme coauteurs ou complices, ne serait-ce que par leur présence délibérée et en nombre devant l'étude ou le domicile de Me K..., aux actes visant à intimider cet officier ministériel ; que plusieurs d'entre eux, susmentionnés ont pénétré à l'intérieur de la cour de l'office et y ont stationné jusqu'à l'arrivée des forces de l'ordre ;

" alors que le délit d'actes d'intimidation prévu par l'article 433-3 du Code pénal, réprime le fait d'user de menaces ou violences ou de commettre tout autre acte d'intimidation pour obtenir d'une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public, qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa mission, sa fonction ou son mandat ; qu'en l'espèce, où il résulte des constatations du jugement et de l'arrêt que les actes reprochés aux prévenus sous la qualification de menaces, violences ou tout autre acte d'intimidation ont été accomplis non pas pour faire pression sur cet huissier de justice afin qu'il effectue ou s'abstienne d'effectuer un acte de sa fonction, mais pour manifester leur colère, les juges du fond n'ont pas caractérisé l'existence des éléments matériels constitutifs de l'infraction poursuivie, dont ils ont déclaré les prévenus coupables " ;

Attendu qu'après avoir décrit, par les motifs repris au moyen, les actes d'intimidation exercés contre un huissier de justice par les onze prévenus, tous membres de la Confédération de défense des commerçants, professions libérales et agriculteurs, les juges relèvent que les faits avaient pour but de dissuader cet huissier de poursuivre le recouvrement forcé, notamment par voie de saisies, des cotisations sociales dont les intéressés refusaient de s'acquitter, ainsi que des amendes prononcées par le tribunal des affaires de sécurité sociale ;

Qu'ainsi, contrairement à ce qui est allégué, la cour d'appel a caractérisé en tous ses éléments constitutifs, notamment matériels, le délit d'actes d'intimidation commis contre une personne exerçant une fonction publique, prévu et réprimé par l'article 433-3 du Code pénal ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Mais sur le premier moyen pris de la violation des articles 2.3°, 19 et 25 de la loi d'amnistie n° 95-884 du 3 août 1995, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a décidé que l'ensemble des délits poursuivis à l'encontre des demandeurs à l'exception de I... était exclu du bénéfice de l'amnistie ;

" aux motifs qu'il est manifeste que les délits reprochés aux prévenus sont en relation avec des conflits de caractère artisanal, commercial et agricole ;

" qu'à l'exception de I..., tous les autres prévenus sont poursuivis au moins du chef d'intimidation ou complicité commise contre une personne exerçant une fonction publique, délit expressément exclu du bénéfice de l'amnistie ; que cette exclusion s'applique en ce qui les concerne à l'ensemble des délits poursuivis en vertu de l'article 19 de la loi du 3 août 1995 ;

" alors que, selon les dispositions de l'article 2.3° de la loi d'amnistie, sont amnistiés, lorsqu'ils sont passibles de moins de 10 ans d'emprisonnement, les délits en relation avec des conflits de caractère industriel, agricole, rural, artisanal ou commercial lorsqu'ils ont été commis avant le 18 mai 1995 ; que dès lors, en l'espèce, où il est constant que ces conditions étaient réunies pour la plupart des infractions reprochées aux prévenus, la Cour a violé l'article 19 de ladite loi d'amnistie en prenant prétexte de l'exclusion prévue par l'article 25.3° de ladite loi d'amnistie des délits d'intimidation envers une personne exerçant une fonction publique reprochés aux demandeurs, pour exclure également les autres infractions poursuivies du bénéfice de l'amnistie en invoquant les dispositions de ce texte qui ne concernent que les condamnations pour infractions multiples et non les poursuites exercées contre une même personne pour plusieurs infractions " ;

Vu lesdits articles ;

Attendu qu'aucun texte ou principe de droit n'exclut le prévenu poursuivi pour un délit entrant dans les prévisions de la loi d'amnistie du bénéfice de celle-ci en raison d'un lien de connexité entre ce délit et une autre infraction non amnistiée ;

Attendu que les onze prévenus sont poursuivis, non seulement pour le délit d'intimidation envers une personne exerçant une fonction publique, mais aussi pour violation de domicile ; que trois d'entre eux le sont également pour complicité de dégradations commises par plusieurs personnes au préjudice d'un officier ministériel, et Y..., en outre, pour outrages à personne dépositaire de l'autorité publique ;

Attendu qu'après avoir relevé que les faits, commis en décembre 1993 et mars 1994, sont en relation avec des conflits de caractère industriel, agricole, rural, artisanal ou commercial, la cour d'appel, pour écarter l'application de l'article 2.3o, de la loi du 3 août 1995, qui prévoit l'amnistie de droit des délits passibles de moins de 10 ans d'emprisonnement, commis dans de telles circonstances, énonce que, les prévenus étant tous poursuivis au moins pour le délit prévu par l'article 433-3 du Code pénal, expressément exclu du bénéfice de l'amnistie par l'article 25 de la loi précitée, cette exclusion doit être étendue à l'ensemble des infractions, en vertu de son article 19 ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, alors que ce dernier texte ne concerne que les personnes condamnées par une décision ayant force de chose jugée, la juridiction du second degré a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ;

Que la censure est, dès lors, encourue de ce chef ;

Que, cependant, la déclaration de culpabilité, les peines prononcées et les réparations civiles allouées étant justifiées des chefs des délits non amnistiés, la cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de Cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit, ainsi que le permet l'article L. 131-5 du Code de l'organisation judiciaire, et de mettre fin au litige ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel d'Agen, du 18 janvier 1996, mais seulement en ce qu'elle a déclaré les prévenus coupables de violation de domicile et Y..., J... et Z... coupables de complicité de dégradations commises par plusieurs personnes au préjudice d'un officier ministériel ;

CONSTATE l'amnistie de droit des délits précités ;

DECLARE l'action publique éteinte de ces chefs ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.