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Décisions

Cass. com., 11 octobre 1967, n° 65-13.852

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

Nîmes, du 16 juin 1965

16 juin 1965

Sur le premier moyen:

Attendu que l'arrêt attaqué (Nîmes, 16 juin 1965) constate que l'article 24 des statuts de la société à responsabilité limitée "Clinique Mistral", constituée à Alès entre quatre médecins (Boissier, Conrozier, Delage et Goubert) pour l'exploitation dans cette ville d'une clinique médicale et chirurgicale, prévoyait qu'en cas de décès de l'un des associés ses héritiers auraient la faculté de céder les parts sociales au successeur du défunt dans sa spécialité et que, si dans le délai d'un an à compter du jour du décès les héritiers n'avaient pas usé de cette faculté, les associés survivants auraient alors le droit d'effectuer le rachat des parts pour leur compte personnel; que, Conrozier étant décédé le 9 mai 1949, sa veuve, faisant valoir d'une part, que l'indivision existant entre elle et sa fille mineure ne pourrait être utilement réglée qu'à la majorité de cette dernière et, d'autre part, que le médecin qui avait remplacé le défunt dans sa spécialité était dans l'impossibilité matérielle d'acheter les parts, a obtenu une décision de l'assemblée générale des associés, en date du 24 mars 1950, l'autorisant à ne pas cèder "présentement" les parts et la nommant co-gérante de la société avec Delage; que, le 26 mai 1954, est survenu le décès de Boissier, à la suite duquel le capital social a été réduit et réparti de la manière suivante: 871 parts à la succession Conrozier, 871 parts à Delage et 257 à Goubert; que, par la suite, les motifs allégués par la dame veuve Conrozier pour se soustraire à l'application de l'article 24 des statuts ayant cessé, Goubert a suivant lettre du 22 novembre 1960 notifié à la dite dame son intention d'acquérir les parts sociales de feu Conrozier dans les conditions prévues aux statuts;

Attendu qu'il est reproché à la Cour d'appel d'avoir déclaré fondée la demande de Goubert, alors que, selon le pourvoi, les associés survivants, dans leur délibération du 24 mars 1950, avaient à l'unanimité et en accord avec la dame Conrozier, décidé de renoncer à bénéficier du droit de rachat prévu par l'article 24 des statuts, et étaient convenus de conserver la dame Conrozier en qualité d'associé de la société jusqu'à ce qu'une solution puisse valablement intervenir, et alors qu'un nouvel accord, pris à l'unanimité des associés, était nécessaire pour remettre en vigueur ce droit de rachat;

Mais attendu que, relevant que par leur délibération du 24 mars 1950 les associés survivants avaient provisoirement décidé d'autoriser la dame Conrozier à ne pas céder les parts de la succession Conrozier et à représenter au sein de la clinique le docteur Conrozier "jusqu'à ce qu'une solution puisse valablement intervenir", la Cour d'appel rejette comme "invraisemblable" l'interprétation selon laquelle cette phrase signifierait "jusqu'à ce qu'un nouvel accord unanime intervienne entre les associés qui ont participé à la délibération, y compris dame Conrozier", ce qui aurait pour effet de subordonner à la volonté de la dite dame la possibilité pour les associés survivants d'exercer leur droit de rachat; que l'arrêt retient, au contraire, que les associés survivants n'avaient envisagé qu'une suspension temporaire de ce droit, et qu'en réalité, dans leur commune intention, l'autorisation accordée à la dame Conrozier de ne pas céder "présentement" les parts ne devait durer que jusqu'à ce que disparaissent les motifs invoqués par cette dernière pour obtenir la prorogation du délai d'un an prévu par les statuts;

Qu'en statuant ainsi la Cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir souverain d'interpréter une clause ambigüe ; que le moyen ne peut être accueilli;

Sur le second moyen, pris en ses deux branches:

Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt attaqué d'avoir, sur la demande de Goubert, annulé, comme entachée d'abus de droit, la décision de fusion prise le 13 décembre 1963 par Delage et la dame Conrozier réunis en assemblée générale extraordinaire, aux motifs que cette fusion ne présentait pas d'intérêt pour la "Clinique Mistral" société absorbée et que l'opération avait été réalisée à l'insu de Goubert, alors, selon le pourvoi, que, d'une part, il appartenait au docteur Goubert d'apporter la preuve de l'abus de droit par lui allégué, que les défendeurs à l'action n'avaient nullement à justifier devant les juges du fond de l'intérêt de la fusion et qu'au surplus la question de savoir si cette opération était ou non avantageuse pour la société "Clinique Mistral" soulevait un problème de pure opportunité que l'assemblée générale extraordinaire avait seule qualité pour résoudre, sans que les juges du fait puissent exercer un droit de contrôle dans ce domaine; que, d'autre part, il résultait des documents de la cause, dont la Cour d'appel a dénaturé les termes que l'opération de fusion n'avait pas été réalisée à l'insu du docteur Goubert, celui-ci ayant été régulièrement convoqué à l'assemblée générale extraordinaire et ayant eu connaissance, ayant la réunion, du texte des résolutions soumis à l'assemblée;

Mais attendu que l'arrêt constate qu'ensuite de la lettre du 2 novembre 1960, par laquelle Goubert avait informé la dame Conrozier de sa volonté d'acquérir les parts, des pourparlers avaient eu lieu, la dame Conrozier ayant accepté, après protestations et sous toutes réserves, de désigner un expert en vue d'une évaluation du prix et Goubert ayant réitéré sa volonté par lettres adressées tant à la dame Conrozier qu'à Delage; que, finalement, Goubert fit délivrer, le 4 mai 1963, une sommation à laquelle la dame Conrozier répondit par un refus; que, dix jours plus tard, le 14 mai 1963, était fondée à Paris, entre sept personnes étrangères à la clinique Mistral, une société anonyme au capital de 10,000 francs, dénommée "Clinique Alésienne" avec siège social à Moret sur Loing (Seine et Marne), ayant pour objet l'absorption, par voie de fusion, de la société Clinique Mistral; que les 1er et 8 novembre 1963 la dame Conrozier et Delage ont signé le traité de fusion sans en informer Goubert ; que, convoqué ensuite aux fins de délibération, celui-ci a, alors, assigné les deux sociétés en nullité du traité, mais que, néanmoins, la dame Conrozier et Delage se sont réunis en assemblée générale extraordinaire de la Société Clinique Mistral, le 13 décembre 1963, ont déclaré qu'ils formaient la majorité en nombre des associés représentant les trois quarts du capital social et ont approuvé le traité aux termes duquel ladite société était absorbée par la société anonyme Clinique Alésienne ; qu'enfin, le lendemain, ils ont, en conséquence de cette fusion, constaté la dissolution de la Clinique Mistral et se sont désignés comme liquidateurs;

Attendu d'une part, qu'après avoir énoncé à juste titre que les décisions d'une assemblée générale peuvent être annulées pour abus de droit lorsqu'elles ont été prises sans aucun égard pour l'intérêt de la société mais uniquement en vue de favoriser l'intérêt d'un associé ou d'un groupe d'associés, majoritaire, au détriment d'un associé minoritaire, la Cour d'appel, saisie des conclusions par lesquelles Goubert faisait valoir que les décisions litigieuses, prises à son préjudice, étaient contraires à l'intérêt social, relève, sans commettre aucun renversement du fardeau de la preuve, que les raisons de la fusion ne sont précisées ni dans le traité des 1er et 8 novembre 1963, ni dans la délibération du 13 décembre 1963, ni même dans les écritures de Delage et de la dame Conrozier, que l'examen des comptes annuels, sur lesquels les parties sont d'accord, permet de constater que le chiffre d'affaires de la Clinique Mistral et le nombre des malades qui y étaient soignés ne cessaient d'augmenter régulièrement, que c'est seulement en plaidant que Delage et dame Conrozier ont allégué que la fusion devait permettre d'améliorer l'équipement de la clinique mais que n'apparait pas pour autant l'intérêt d'une fusion avec une société anonyme au modeste capital de 10.000 francs, alors que les apports de la société absorbée ont été évalués par les commissaires aux comptes à la somme de 799.600 francs et alors que rien n'établit que Goubert ne soit opposé à une rénovation du matériel d'équipement de la clinique ;

Qu'en s'expliquant de la sorte sur les prétentions dont elle était saisie la Cour d'appel n'a nullement excédé ses pouvoirs ;

Attendu, d'autre part, que c'est par une appréciation souveraine des documents de la cause que la Cour d'appel, qui retient que la dame Conrozier et Delage s'étaient entendus, parce qu'ils y trouvaient un intérêt personnel, pour, de connivence avec des tiers, faire échec au droit de rachat de Goubert, déclare que la création de la société absorbante dont le siège était intentionnellement fixé loin d'Alès, l'élaboration du traité de fusion, enfin la signature du dit traité ont eu lieu "à l'insu" de Goubert;

Qu'ainsi le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches.

PAR CES MOTIFS:

REJETTE le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 16 juin 1965 par la Cour d'appel de Nîmes.