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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5-7, 19 janvier 2012, n° 2010/24694

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

France Télécom (SA)

Défendeur :

Bouygues Télécom (SA), Arcep

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Remenieras

Conseillers :

Mme Beaudonnet, Mme Meslin

Avocats :

Me Salat-Baroux, Me Teytaud, Me Savoie, Me Delannoy

CA Paris n° 2010/24694

18 janvier 2012

La cour est saisie par la société France Télécom d'un recours en annulation et/ou réformation des articles 1 et 2 de la décision n° 2010-1232 du 16 novembre 2010 (la Décision), notifiée le 24 novembre, de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Autorité ou ARCEP) qui, se prononçant sur une demande de règlement de différend présentée le 23 juillet 2010 par la société Bouygues Telecom dans le cadre d'un différend l'opposant à la société France Télécom, a décidé :

Article 1 : France Télécom doit modifier son offre d'accès à Bouygues Telecom afin de lui proposer à tout moment une offre d'accès aux lignes FttH permettant de bénéficier de droits d'usage pérennes sur l'infrastructure déployée, et d'amortir les investissements correspondants, dans des conditions raisonnables, moyennant un taux de rémunération du capital proportionné tenant compte du risque encouru.

Article 2 : France Télécom doit modifier son offre d'accès à Bouygues Telecom afin de prévoir la prise en charge d'au moins 90% des coûts du raccordement palier par l'opérateur commercial recrutant le client.

Article 3 : Le surplus des conclusions présenté par la société Bouygues Telecom est rejeté.

Article 4 : La société France Télécom devra appliquer la présente décision dans un délai de trois mois à compter de sa notification.

Vu la déclaration de recours, assortie d'un exposé sommaire des moyens, déposée par la société France Télécom le 22 décembre 2010 et tendant à l'annulation et/ou la réformation des articles 1 et 2 de la Décision ;

Vu les mémoires déposés par la société France Télécom à l'appui de son recours, les 24 janvier et 3 mai 2011, puis le 15 septembre 2011, ces dernières conclusions étant dites conclusions d'irrecevabilité, en réponse aux observations produites par l'ARCEP le 7 septembre 2011 et par Bouygues Telecom le 12 juillet 2011, et récapitulatives'. Cette société prie la cour d'annuler les articles 1 et 2 de la Décision, de déclarer irrecevable le recours incident de la société Bouygues Telecom, de constater que l'ARCEP a violé les dispositions des articles L. 36-6, L. 36-8 et L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques (CPCE), de condamner l'ARCEP à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la société Bouygues Telecom la somme de 80 000 euros à ce titre.

Vu les mémoires déposés les 8 mars, 3 mai et 12 juillet 2011 par la société Bouygues Telecom (Bouygues) qui demande à la cour de confirmer les articles 1 et 2 de la Décision, d'annuler la Décision en ce qu'elle rejette ses conclusions tendant à la suppression de la faculté de résiliation unilatérale du contrat commercial par France Télécom en cas de changement de contrôle de Bouygues Telecom et faire droit à sa demande tendant à ce que cette faculté de résiliation unilatérale soit supprimée, enfin de condamner France Télécom à lui payer la somme de 80 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les observations écrites de l'ARCEP en date du 7 avril 2011 et celles complémentaires du 7 septembre 2011, tendant au rejet des recours ;

Vu les observations écrites du Ministère Public, mises à la disposition des parties ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 10 novembre 2011, en leurs observations orales, les conseils des parties et de l'ARCEP, ainsi que le Ministère Public, chaque partie ayant été mise en mesure de répliquer;

SUR CE :

Sur le contexte du différend :

Le différend oppose la société France Télécom qui, depuis 2008, a entrepris de développer un réseau d'infrastructures de nouvelle génération en fibre optique jusqu'à l'abonné (FttH : Fiber to the Home) à la société Bouygues Télécom qui, fin 2010, a annoncé le lancement de son offre de détail en fibre optique s'appuyant sur le réseau très haut débit de Numéricable.

La fibre optique permet l'accès à internet et aux services associés à des débits de transmission très supérieurs à ceux permis par la paire de cuivre téléphonique et ce, sans dégradation du signal sur de longues distances.

Afin de pouvoir commercialiser des offres de détail de très haut débit sur fibre, les opérateurs de communications électroniques doivent déployer des réseaux en fibre optique.

Ces réseaux comprennent deux parties :

L'une, dite horizontale, correspond à la boucle locale de fibre déployée par chaque opérateur dans les infrastructures de génie civil jusqu'au pied des immeubles.

L'autre partie, dite verticale ou terminale, correspond à la boucle locale de fibre déployée du pied de l'immeuble jusqu'au domicile de l'occupant, abonné potentiel.

S'agissant de cette partie verticale du réseau, seule en cause dans la présente instance, il n'était pas envisageable d'imposer aux occupants d'un immeuble des travaux successifs pour que chaque opérateur puisse déployer une fibre optique du pied de l'immeuble aux logements. L'impossibilité de laisser chaque opérateur réaliser des travaux ne devait cependant pas conduire à créer un monopole de fait au profit du premier opérateur ayant installé la fibre dans l'immeuble.

C'est pourquoi la loi n°2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie (LME) a instauré un principe de mutualisation entre opérateurs commerciaux, reposant sur le partage de la fibre qui est installée dans l'immeuble par un opérateur, dit opérateur d'immeuble, choisi par le syndicat des copropriétaires pour y installer, gérer et entretenir la fibre optique.

Etant précisé que, dans l'immeuble, l'installation du réseau fibre optique s'effectue en deux temps :

- d'abord, la pose de la fibre optique dans une colonne montante, du point dit de mutualisation, situé au pied de l'immeuble, jusqu'au boîtier palier localisé à chaque étage de la colonne montante de l'immeuble.

- puis, le raccordement du logement depuis le boîtier palier jusqu'à la prise optique terminale située dans le logement de l'abonné, ce raccordement palier étant effectué soit lors des travaux initiaux, soit en général ultérieurement par l'opérateur commercial choisi par l'abonné.

La LME a été complétée par la loi n° 2009-1572 du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique qui, ainsi qu'il sera vu, a ajouté deux dispositions à l'article L. 34-8-3 du code des postes et télécommunications électroniques (CPCE).

Par une décision n° 2009-1106 du 22 décembre 2009 (la décision n° 2009-1106), l'ARCEP, a, en application des articles L. 34-8 et L. 34-8-3 du CPCE, précisé les modalités de l’accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique et les cas dans lesquels le point de mutualisation peut se situer dans les limites de la propriété privée'.

Cette décision fixe certaines règles de mutualisation de la partie terminale du réseau en prévoyant, en particulier, la fourniture par l'opérateur d'immeuble aux autres opérateurs d'une offre d'accès sous

forme passive à partir du point de mutualisation, c'est-à-dire du point où les boucles locales de fibre déployées par chaque opérateur sur la partie horizontale du réseau atteignent le réseau de l'opérateur d'immeuble et donc du point à partir duquel les opérateurs peuvent accéder à la partie verticale du réseau déployée dans l'immeuble par l'opérateur d'immeuble afin d'atteindre les abonnés, soit en d'autres termes, le point d’extrémité d’une ou plusieurs lignes au niveau duquel la personne établissant ou ayant établi dans un immeuble bâti ou exploitant une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique donne accès à des opérateurs à ces lignes en vue de fournir des services de communications électroniques aux utilisateurs finals correspondants, conformément à l'article L. 34-8-3 du CPCE.' (Article 1 de la décision n° 2009-1106).

En outre, la décision n° 2009-1106 prévoit en son article 5 des dispositions propres aux zones d'habitat très denses. Dans ces zones, lorsqu'une demande d'accès est formulée par un opérateur antérieurement à l'établissement des lignes d'un immeuble, l'opérateur d'immeuble doit faire droit aux demandes des autres opérateurs tendant à bénéficier pour chaque logement de l'immeuble d'une fibre optique supplémentaire, dite dédiée , entre le point de mutualisation et chaque logement et ce, moyennant un pré-financement des coûts de son installation, ou bien à pouvoir installer un dispositif de brassage à proximité du point de mutualisation.

Le réseau déployé à l'intérieur de l'immeuble peut donc être constitué soit d'une fibre ('architecture monofibre') soit de plusieurs fibres ('architecture multi-fibres').

Dans l'architecture monofibre, l’opérateur d’immeuble pose une fibre par logement. Cette fibre est partagée entre les opérateurs via un dispositif de brassage. Elle est mise à la disposition d’un opérateur lorsqu'il est choisi par un habitant comme opérateur commercial, étant observé que le changement d'opérateur commercial nécessite des opérations de brassage impliquant le déplacement d'un technicien au point de mutualisation pour permettre l'activation de la fibre au profit du nouvel opérateur choisi par l'occupant.

Dans l'architecture multi-fibres , l’opérateur d’immeuble pose plusieurs fibres par logement et chaque opérateur qui le souhaite dispose d'une fibre qui lui est dédiée , utilisable s il est choisi comme opérateur commercial par l'occupant du logement. L'opérateur bénéficie ainsi d'une infrastructure autonome de bout en bout. Si l'utilisateur final change d'opérateur commercial, l'opérateur désactive sa fibre tandis que l'entrant active la sienne.

Si aucun opérateur n'a, préalablement à la réalisation des travaux, déclaré vouloir disposer d'une fibre dédiée, l'opérateur d'immeuble peut, à son choix, déployer une ou plusieurs fibres entre le point de mutualisation et chaque logement. Les opérateurs tiers doivent alors s'adapter à l'architecture mise en place par l'opérateur d'immeuble.

La décision n° 2009-1106 imposait aux opérateurs d'immeuble de publier dans le mois leur offre d'accès à la partie terminale des lignes en fibre optique, offre dont les conditions tarifaires devaient respecter les principes de non-discrimination, d'objectivité, de pertinence et d'efficacité. Etant précisé que c'est sur la base de cette offre d'accès que l'opérateur d'immeuble conclut des conventions d'accès avec les opérateurs tiers intéressés.

France Télécom a publié son offre d'accès le 17 février 2010. L'offre de gros ainsi proposée aux autres opérateurs par France Télécom lorsque celle-ci est désignée comme opérateur d'immeuble et donc installe la fibre optique dans un immeuble, prévoyait :

- qu'antérieurement à la réalisation des travaux, une offre de co-investissement confère à l'opérateur co-investisseur un droit d'usage pérenne et amortissable dans la partie verticale du réseau (co-investissement ab initio).

- qu'une fois les travaux de câblage de l'immeuble réalisés par France Télécom, les autres opérateurs

ne peuvent bénéficier de l'accès que sous la forme d'une location de la fibre, conférant un droit non amortissable au preneur.

Par ailleurs, l'offre de France Télécom prévoyait la répartition des coûts de raccordement palier à hauteur de 50% par l'ensemble des co-investisseurs et de 50% par l'opérateur commercial réalisant le raccordement.

La société Bouygues Télécom estimant que l'offre d'accès de France Télécom contenait, en ses dispositions relatives à son offre de cofinancement des lignes FttH et à son offre de location des lignes FttH au point de mutualisation, des conditions discriminatoires, déséquilibrées et non équitables, et se plaignant du fait que France Télécom n'a pas donné suite à ses demandes répétées tendant à la modification de certaines conditions de son offre, a saisi l'ARCEP en règlement de différends.

La société Bouygues souhaitait, notamment, d'une part, pouvoir bénéficier du même droit d'usage pérenne et amortissable que les co-investisseurs ab initio sur les réseaux déjà posés par France Télécom (soit d'une possibilité de co-investissement a posteriori et donc à tout moment) et d’autre part, que l'offre d'accès de France Télécom mette intégralement à la charge de l'opérateur commercial initial les coûts de raccordement palier.

Par la Décision objet du présent recours formé par France Télécom, l'ARCEP a partiellement accueilli les demandes de Bouygues.

Sur l'article 1 de la Décision

Considérant qu'après avoir, dans son mémoire du 24 janvier 2011 (n° 32 et suivants), soutenu que l'article L. 34-8-3 du CPCE habilite seulement l'ARCEP à préciser les prescriptions applicables aux modalités de l'accès ab initio aux éléments de réseau des opérateurs d'immeuble mais ne lui permet pas d'imposer un droit d'accès a posteriori par co-investissement, la société France Télécom ne conteste plus, dans ses derniers mémoires, que l'accès visé par ce texte peut consister en un cofinancement a posteriori des lignes FttH et que l'ARCEP a compétence, le cas échéant, pour imposer aux opérateurs cette forme d'accès ; qu'elle fait valoir que, cependant, dès lors que l'ARCEP entend, conformément à l'article L. 34-8-3 du CPCE, préciser, de manière objective, transparente, non discriminatoire et proportionnée, les modalités de l'accès prévu au présent article', elle ne peut le faire que par une décision à caractère réglementaire dans le cadre et sous les conditions posées par l'article L. 36-6 du même code et que cette Autorité n'a pas, dans le cadre d'une procédure de règlement de différends entre opérateurs (article L. 36-8 du CPCE), le pouvoir de compléter ses décisions réglementaires en imposant des formes d'accès qui n'y sont pas prévues; que la société France Télécom soutient que si, en l'espèce, l'ARCEP est effectivement intervenue dans le cadre réglementaire pour préciser les règles d'accès aux lignes FttH, sa décision réglementaire n° 2009-1106 du 22 décembre 2009, prescrivant les formes que doit prendre l'accès aux lignes FttH en zones très denses, ne prévoit pas d'obligation pour les opérateurs d'immeuble de proposer une offre de cofinancement a posteriori, mais prévoit seulement l'hypothèse du cofinancement a initio (soit une forme d'accès, de nature et aux conséquences juridiques différentes); que, dès lors, l'ARCEP ne pouvait, dans le cadre d'une décision de règlement, lui imposer, ainsi que l'y oblige de fait l'article 1 de la Décision, de proposer en zones denses deux formes d'accès, soit outre une offre de cofinancement ab initio des lignes FttH, une offre de co-financement a posteriori de ces lignes non imposée par la décision réglementaire n° 2009-1106 ; qu'en se prononçant sur la mise en oeuvre d'une offre d'accès (cofinancement a posteriori) non préalablement prescrite et en en précisant les conditions techniques et financières dans l'article 1 de la Décision, l'ARCEP a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 36-8 du CPCE et, en lui imposant de fait, dans le cadre d'un règlement de différend une forme d'accès qu'elle ne pouvait, aux termes des articles L. 34-8-3 et L. 36-6 du CPCE, lui prescrire qu'au titre d'une décision réglementaire, l'ARCEP a commis un détournement de procédure ; qu'elle ajoute qu'en outre, l'article 1 de la Décision porte une atteinte excessive et injustifiée à son droit de propriété en accordant à Bouygues des droits réels sur son réseau de lignes FttH ;

Considérant que l'ARCEP observe notamment que la Décision, qui se borne à faire application de la règle de droit supérieure, n'a pas un caractère réglementaire, que l'argumentation de la requérante selon laquelle la décision n° 2009-1106 interdirait le cofinancement a posteriori manque en fait car repose sur une analyse inexacte de cette décision et qu'elle était compétente pour résoudre le différend opposant les parties ;

Considérant qu'il convient, pour répondre à l'argumentation de la requérante - concluant (page 38) que l ARCEP aurait donc dû se déclarer incompétente lorsque, sur le fondement de l’article L.36-8, Bouygues Télécom sollicitait l'édiction d'une règle ou d'une prescription relevant expressément, aux termes mêmes de l'article L. 34-8-3, du champ d'application de l'article L. 36-6 du CPCE'- de rappeler préalablement les dispositions de l'article L. 34-8-3 du CPCE et la décision réglementaire n° 2009-1106 ;

- Sur l'article L. 34-8-3 du CPCE :

Considérant que cette disposition est ainsi rédigée, les éléments issus de la loi n° 2009-1572 du 17 décembre 2009 étant soulignés :

Toute personne établissant ou ayant établi dans un immeuble bâti ou exploitant une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final fait droit aux demandes raisonnables d'accès à ladite ligne et aux moyens qui y sont associés émanant d'opérateurs, en vue de fournir des services de communications électroniques à cet utilisateur final.

L’accès est fourni dans des conditions transparentes et non discriminatoires en un point situé, sauf dans les cas définis par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, hors des limites de propriété privée et permettant le raccordement effectif d'opérateurs tiers, à des conditions économiques, techniques et d'accessibilité raisonnables. Dans les cas définis par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'accès peut consister en la mise à disposition d'installations et d'éléments de réseau spécifiques demandés par un opérateur antérieurement à l'équipement de l'immeuble en lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, moyennant la prise en charge d'une part équitable des coûts par cet opérateur. Tout refus d'accès est motivé.

Il fait l’objet d’une convention entre les personnes concernées. Celle-ci détermine les conditions techniques et financières de l'accès. Elle est communiquée à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes à sa demande.

Les différends relatifs à la conclusion ou à l’exécution de la convention prévue au présent article sont soumis à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes conformément à l'article L 36-8.

Pour réaliser les objectifs définis à l’article L. 32-1, et notamment en vue d’assurer la cohérence des déploiements et une couverture homogène des zones desservies, l'autorité peut préciser, de manière objective, transparente, non discriminatoire et proportionnée, les modalités de l'accès prévu au présent article.

Considérant que c'est à juste titre que la société France Télécom ne conteste plus (dernier mémoire page 25) que l'accès visé par ce texte peut consister en un co-financement a posteriori des lignes FttH (Cf Décision page 19) et que l'ARCEP a compétence pour imposer aux opérateurs cette forme d'accès ;

Qu'en effet, il résulte de la disposition sus-rappelée et des travaux qui l'ont préparée (Cf - rapports de Monsieur R. et de Mme d.) :

- que l'accès, défini par l'article L. 32 du CPCE comme toute mise à disposition de moyens, matériels ou logiciels, ou de services, en vue de permettre au bénéficiaire de fournir des services de télécommunications électroniques', est envisagé par l'article L. 34-8-3 du CPCE (1er alinéa et première phrase du second) à tout moment, soit avant ou après la réalisation des travaux ('Toute personne établissant ou ayant établi') ; qu'en ajoutant les termes établissant ou en 2009, le législateur a souhaité que le droit d'accès à la partie terminale des réseaux de fibre s'exerce non seulement après l'installation des lignes (une fois la ou les ligne(s) installée(s)), mais aussi au moment du câblage des immeubles ; que ces dispositions ne fixent pas la forme juridique que doit prendre l'accès, sous réserve que le modèle retenu réponde aux objectifs définis par l'article L. 32-1 du CPCE ;

- que l'obligation imposée à un opérateur tiers souhaitant co-investir dans le réseau, de se déclarer antérieurement à la réalisation des travaux (article L. 34-8-3 du CPCE, deuxième phrase du deuxième alinéa) ne concerne que le choix de l'architecture de la partie terminale du réseau au moment de la conception des travaux ; que cette disposition, ajoutée en 2009, a pour objet d'obliger l'opérateur d'immeuble, saisi d'une demande d'un opérateur tiers, à mettre en place les équipements (fibres dédiées ou dispositif de brassage) qui permettront aux opérateurs tiers de se connecter à la partie terminale des réseaux de fibre en disposant d'une fibre dédiée ou, à défaut d'une fibre partagée; qu'en précisant que la demande doit être formulée par l'opérateur tiers antérieurement à l'équipement de l'immeuble, le législateur a simplement imposé à l'opérateur d'immeuble l'obligation d'installer des fibres supplémentaires avant réalisation des travaux d'équipement de l'immeuble en fibre optique ;

Qu'ainsi, outre l'accès ab initio, l'article L. 34-8-3 du CPCE autorise l'accès a posteriori des opérateurs tiers à la partie terminale du réseau de fibre optique sans en imposer les modalités, pourvu que l'accès soit offert par l'opérateur d'immeuble dans des conditions transparentes et non discriminatoires, à tout opérateur lui en faisant la demande raisonnable et permette le raccordement effectif d'opérateurs tiers à des conditions économiques, techniques et d'accessibilité raisonnables;

- Sur la décision n° 2009-1106 de l'ARCEP du 22 décembre 2009 :

Considérant que, selon la société France Télécom, la décision réglementaire n° 2009-1106, ne prévoit pas, contrairement à la décision réglementaire n° 2010-1312 applicable en zones moins denses, l'obligation pour les opérateurs d'immeuble de proposer une offre de cofinancement a posteriori ; que la requérante expose que l'article 5 de cette décision, en ne prévoyant le cofinancement des lignes FttH que pour autant que les demandes d'accès des opérateurs tiers aient été formulées antérieurement à l’établissement des lignes , ne vise que le cofinancement ab initio; qu'elle ajoute que les opérateurs ne s'étant pas manifestés ab initio ne sont pas exclus du marché car ils bénéficient, à tout moment, ainsi que le prévoit l'article 2 de la décision d'une offre classique de mutualisation des lignes FttH dite offre de location des lignes FttH au point de mutualisation ;

Considérant que l'ARCEP conteste l'interprétation proposée par la requérante de la décision n° 2009-1106 ; qu'elle expose notamment que l'article 5 ne concerne que l'une des modalités de l'accès visé plus largement à l'article 2 et ne s'inscrit pas en opposition avec l'article 2 dont les termes généraux permettent toute forme d'accès pourvu qu'elle soit raisonnable et non discriminatoire ; qu'elle ajoute qu'en tout état de cause, la Décision n'a pas un caractère réglementaire car, même si la décision n° 2009-1106 n'avait prévu que le cofinancement ab initio, l'Autorité n'aurait pas pu refuser de régler le différend opposant les opérateurs France Télécom et Bouygues au regard de l'article L. 34-8-3 du CPCE (dont il n'est plus contesté qu'il pose une obligation générale d'accès sans exclure le cofinancement a posteriori) et des objectifs de régulation fixés par l'article L. 32-1-II du CPCE ;

Considérant que, par sa décision n° 2009-1106 en date du 22 décembre 2009, précisant, en application des articles L. 34-8 et L. 34-8-3 du CPCE, les modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique et les cas dans lesquels le point de mutualisation peut se situer dans les limites de la propriété privée', l'ARCEP décide :

Article 2

L'opérateur d'immeuble offre aux autres opérateurs l'accès aux lignes au point de mutualisation, sous forme passive, dans des conditions raisonnables et non discriminatoires.

Par dérogation à l'alinéa précédent, lorsqu'au moins quatre fibres optiques par logement ou local à usage professionnel ont été installées et que l'ensemble des fibres optiques installées sont exploitées par des opérateurs, l'accès peut être proposé en un point situé en amont du point de mutualisation, sous forme passive ou active.

L'accès aux lignes proprement dites s'accompagne de la mise à disposition des ressources

nécessaires associées à la mise en oeuvre effective de l'accès dans des conditions raisonnables et non discriminatoires, notamment celles précisées à l'annexe II de la présente décision.

Article 3

Les conditions tarifaires de l'accès prévu aux articles 2 et 5 de la présente décision doivent

être raisonnables et respecter les principes de non discrimination, d'objectivité, de pertinence et d'efficacité. Le taux de rémunération du capital utilisé pour la détermination de ces conditions tarifaires tient compte du risque encouru et confère une prime à l'opérateur d'immeuble.

Dans le respect de ces principes, lorsque l'opérateur bénéficiaire de l'accès participe au financement ab initio de l'installation des lignes de l'immeuble, sa contribution se compose du financement des coûts qui lui sont imputables, ainsi que d'une quote-part équitable des coûts ayant vocation à être partagés entre opérateurs.

Article 4

Dans un délai d'un mois à compter de la publication de la présente décision au Journal officiel de la République française, l'opérateur d'immeuble publie une offre d'accès qui comprend notamment les prestations suivantes, permettant de répondre aux obligations qui lui incombent au titre des articles 2, 3 et 5 de la présente décision :

- conditions d'installation d'une fibre optique dédiée ou d'un dispositif de brassage ;

- accès aux lignes par mise à disposition de fibre optique dédiée et/ou de fibre optique partagée ;

- accès aux ressources associées.

Pour chacune des prestations mentionnées à l'alinéa précédent, l'offre précise notamment les conditions de souscription et de résiliation, les informations préalables, les caractéristiques techniques, les processus de livraison et de service après-vente, les délais et préavis, la qualité de service et les conditions tarifaires.

L'opérateur d'immeuble établit et tient à jour des informations relatives aux coûts retraçant les investissements réalisés et présentant un degré de détail suffisant pour permettre le contrôle par l'Autorité du respect des dispositions de l'article 3.

Article 5

Le présent article ne s'applique que dans les zones très denses.

Lorsque les demandes d'accès sont formulées antérieurement à l'établissement des lignes d'un immeuble, l'opérateur d'immeuble fait droit aux demandes raisonnables des opérateurs portant sur les éléments constitutifs des lignes ou sur leur environnement technique, notamment aux demandes consistant à :

- bénéficier, pour chaque logement ou local à usage professionnel de l'immeuble, d'une

fibre optique dédiée permettant de desservir l'utilisateur final depuis le point de mutualisation ;

- pouvoir installer un dispositif de brassage des lignes au niveau ou à proximité du point

de mutualisation.

L'opérateur d'immeuble peut exiger que l'opérateur ayant fait une demande mentionnée ci-dessus participe ab initio au financement de l'installation des lignes dans l'immeuble, dans les conditions prévues à l'article 3.

Considérant que c'est à juste titre que l'ARCEP conteste la lecture de cette décision proposée par la requérante ;

Qu'en effet :

- l'article 2 et l'article 3, alinéa 1, de cette décision fixent de manière générale les principes généraux de l'accès à la partie terminale du réseau et ses conditions tarifaires ; que ces principes sont applicables que la demande d'accès soit présentée avant ou après la réalisation des travaux ;

- contrairement à ce qui soutenu, l'article 2 ne traite pas spécifiquement de l'hypothèse de la location (concept qui n'apparaît d'ailleurs pas dans la décision) mais vise toute modalité d'accès ;

- l'article 5 ne traite que de l'hypothèse (prévue par l'article L. 34-8-3, 2ème alinéa, 2ème phrase, du CPCE) d'une demande d'accès formulée antérieurement à la réalisation de la partie terminale du réseau ('Lorsque...') ; qu'il n'impose pas le co-financement ab initio pas plus qu'il n'exclut le co-financement a posteriori ;

Que c'est donc à tort que la requérante oppose l'article 5 relatif comme l'article 3, second alinéa, au seul cofinancement ab initio à l'article 2 (et l'article 3, premier alinéa), disposition qu'elle ne peut soutenir ne viser qu'une offre de location des lignes FttH au point de mutualisation ;

Qu'une telle interprétation peut d'autant moins être retenue que la décision rappelle expressément dans ses motifs (pages 29 et 30) que la demande d'accès peut être formulée antérieurement à l'établissement des lignes d'un immeuble' ou ultérieurement à l’installation des lignes ; qu’elle précise sur ce dernier point, qu''en vue d'encourager l'équipement des immeubles en fibre optique, et en cohérence avec les travaux européens tendant à favoriser le partage du risque et à conférer une prime de risque à l'opérateur qui investit, il convient de prévoir de façon complémentaire que, lorsque les opérateurs se manifestent ultérieurement à l'installation des lignes, leur contribution au partage des coûts soit déterminée en utilisant un taux de rémunération du capital qui tienne compte du risque encouru et confère une prime à l'opérateur d'immeuble.'; qu'est ainsi envisagée l'hypothèse d'un cofinancement a posteriori ;

Considérant que ce n'est donc qu'au surplus :

- qu'il est observé que la recommandation de l'ARCEP relative aux modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, publiée le 23 décembre 2009 (document dépourvu de caractère prescriptif, mais visant à guider les opérateurs dans l'établissement de leur offre d'accès aux autres opérateurs qui devra être publiée dans un délai d'un mois à compter de la publication de la décision de l'ARCEP (décision n° 2009-1106) et à faciliter la négociation de conventions d'accès entre opérateurs) rappelle que l’opérateur d’immeuble doit prévoir, dans le respect de l'article 2 du projet de décision de l'Autorité, la possibilité pour des opérateurs ne s'étant pas manifestés ab initio de se raccorder ultérieurement au point de mutualisation dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficient les opérateurs s'étant manifestés ab initio.';

- qu'il est constaté que la requérante ne conteste pas que les autres opérateurs, dans leurs offres d'accès établies sur le fondement de la décision n° 2009-1106 sus-rappelée, proposent des solutions de co-financement à tout moment et non pas uniquement a priori ; qu'elle ne conteste pas davantage avoir elle-même proposé un droit pérenne a posteriori aux opérateurs tiers pour les lignes en fibre optique qu'elle a déjà mises en place avant sa première offre commerciale (lignes installées avant le 1er janvier 2010) ;

Considérant qu'il résulte de ce tout qui précède que l'argumentation de la requérante manque en fait en ce qu'elle soutient que la décision n° 2009-1106 n'a pas envisagé l'hypothèse du cofinancement a posteriori ;

- Sur la compétence de l'ARCEP :

Considérant, ainsi que le relève la Décision (page 19), que la compétence de l'Autorité sur le fondement de l'article L. 36-6 du CPCE (décision réglementaire applicable à tous les opérateurs) n'entraîne pas son incompétence pour se prononcer sur une demande de règlement de différend dans les termes de l'article L. 36-8 du même code (décision qui ne s'impose qu'aux parties à la procédure) portant sur le même sujet ; que la requérante n'est pas fondée à soutenir que l'adoption de la Décision, rendue dans le cadre d'un règlement de différend, priverait le ministre du pouvoir d'homologation et donc de décision qu'il détient en application de l'article L. 36-6 du CPCE ; qu'en effet, l'homologation a pour seul objet de rendre obligatoire ou d'étendre la portée d'une décision et le ministre ne peut substituer son appréciation à celle de l'Autorité ;

Considérant, ainsi qu'il a été dit, que l'article L. 34-8-3 du CPCE autorise l'accès a posteriori des opérateurs tiers à la partie terminale du réseau de fibre optique sans en imposer les modalités, pourvu que l'accès soit offert par l'opérateur d'immeuble dans des conditions transparentes et non discriminatoires, à tout opérateur lui en faisant la demande raisonnable et permette le raccordement effectif d'opérateurs tiers à des conditions économiques, techniques et d'accessibilité raisonnables; que la décision n° 2009-1106 détermine les principes que doivent respecter les conditions tarifaires de l'accès offert par l'opérateur d'immeuble aux autres opérateurs ; qu'il ne peut donc être soutenu que le différend entre les parties porte sur une forme d'accès qui n'aurait pas été prévue par la loi et envisagée par la décision réglementaire n° 2009-1106 ;

Considérant, en outre, que le fait que la décision réglementaire n° 2009-1106 ne prévoit pas expressément, dans son dispositif, l'accès aux lignes par cofinancement a posteriori n'a pas d'incidence sur la compétence que confère à l'ARCEP l'article L. 36-8 du CPCE, disposition qui, en cas d'échec des négociations commerciales, permet à cette Autorité d'être saisie de différends relatifs à la mise en oeuvre des obligations des opérateurs et notamment ceux portant sur la conclusion de la convention d'accès prévue par l'article L. 34-8-3 du même code ; qu'en effet, cette dernière disposition autorisant l'accès des opérateurs à la partie terminale du réseau, et ce, tant ab initio qu'a posteriori, il appartient à l'ARCEP, après échec de négociations, de régler le différend opposant deux opérateurs sur les modalités financières, d'une offre d'accès a posteriori ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la Décision a imposé à la société France Télécom une forme d'accès par cofinancement a posteriori permise par les dispositions légales et que l'Autorité n'a pas commis de détournement de procédure en précisant, dans le cadre d'une procédure de règlement de différend, les conditions de l'offre d'accès a posteriori proposée par France Télécom à Bouygues ; que c'est à juste titre que l'ARCEP s'est déclarée compétente pour statuer dans ce cadre ;

- Sur l'atteinte invoquée au droit de propriété de France Télécom :

Considérant que la requérante soutient que le droit d’usage pérenne que l’article 1 de la Décision lui impose d'octroyer aux opérateurs tiers présente les caractéristiques d'un droit réel et opère, hors de toute prévision légale, un démembrement illicite de son droit de propriété auquel il porte atteinte dans des conditions inéquitables et disproportionnées en violation des articles 544 et suivants du code civil et 1 du Protocole n° 1 de la CEDH ; qu'elle ajoute que, même à supposer que ce droit d'usage puisse être qualifié de droit personnel, il porte atteinte à la sécurité juridique dans des conditions qui entachent l'article 1 d'illégalité ;

Mais considérant qu'il ne peut être soutenu que cette obligation mise à la charge de France Télécom par la Décision est dépourvue de base légale ;

Qu'ainsi qu'il a été vu, l'article L. 34-8-3 du CPCE impose à l'opérateur d'immeuble de faire droit aux demandes d'accès raisonnables émanant d'opérateurs tiers et ce, peu important le moment de la demande et donc soit lors de l'installation, soit après l'installation de la partie terminale du réseau, la seule différence entre les deux situations résultant du fait qu'avant les travaux, l'opérateur tiers peut influer sur le choix de l'architecture de la partie terminale du réseau à installer ;

Que France Télécom propose d'ailleurs elle-même aux opérateurs tiers, dans le cadre de son offre de mutualisation, avant réalisation des travaux dans l'immeuble, une offre de co-investissement conférant aux opérateurs tiers un droit d'usage pérenne ;

Qu'ainsi que le rappelle la société Bouygues, la loi institue, pour des motifs d'intérêt général tenant à la cohérence du réseau et à la nécessité de ne pas multiplier les travaux dans les immeubles, un monopole au profit des opérateurs d'immeuble, monopole qui a pour contrepartie un partage de l'unique réseau déployé dans l'immeuble entre l'opérateur d'immeuble et les opérateurs commerciaux afin que l'abonné puisse choisir son opérateur commercial, ce principe de mutualisation étant justifié par l'intérêt général qui s'attache à l'établissement d'une concurrence entre opérateurs sur le marché du très haut débit ;

Qu'ainsi que le souligne l'Autorité, la limite apportée par la loi (article L. 34-8-3 du CPCE) au droit de propriété de l'opérateur d'immeuble sur son réseau du fait de l'obligation d'en accorder l'accès à des opérateurs tiers trouve sa source dans les directives communautaires du 7 mars 2002 et est imposée pour des raisons d'ordre public économique, l'établissement d'une concurrence loyale et efficace entre les opérateurs (objectif fixé par l'article L.32-1 du CPCE) imposant que les opérateurs commerciaux aient accès de façon pérenne à la partie terminale du réseau, étant observé que le droit d'accès ainsi organisé fait l'objet d'une rémunération au profit de l'opérateur d'immeuble ;

Que c'est à juste titre que la Décision retient que la demande de Bouygues tendant à ce que France Télécom lui propose une offre d'accès à tout moment du déploiement des lignes FttH, est nécessaire, que sa demande tendant à bénéficier de droits d'usage pérennes sur l'infrastructure déployée et permettant d'amortir les investissements correspondants est proportionnée et que la mise en oeuvre de cette demande ne génère pas pour France Télécom des contraintes disproportionnées ;

Considérant, enfin, que le débat initié par la requérante sur la qualification du droit pérenne accordé à Bouygues par la Décision sur le réseau de lignes FttH de France Télécom (droit réel ou droit personnel) est sans conséquence sur le bien-fondé de la Décision contestée ; qu'il suffit de rappeler que la loi ne se prononce pas sur la nature du droit d'accès et que ce droit obéit à un régime juridique particulier déterminé contractuellement par les parties dans le respect de l'article L. 34-8-3 du CPCE et des objectifs de régulation (non-discrimination, investissement efficace, effectivité de la concurrence) ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté en ce qu'il vise l'article 1 de la Décision ;

Sur l'article 2 de la Décision

- Sur la compétence de l'ARCEP :

Considérant que la requérante fait valoir que l'article 2 de la Décision est illégal en ce que l'ARCEP était incompétente pour enjoindre une prise en charge d'au moins 90 % des coûts de raccordement palier par l'opérateur commercial recrutant le client car la demande de Bouygues portait sur la prise en charge de l'intégralité de ces coûts et les négociations commerciales n'avaient pas porté sur une prise en charge partagée ;

Considérant que l'offre de France Télécom, objet du présent différend, prévoyait la répartition des coûts du raccordement palier entre, d'une part, l'ensemble des opérateurs co-investisseurs (opérateurs bénéficiant d'un accès pérenne à l'infrastructure en fibre optique déployée dans l'immeuble) à hauteur de 50% et, d'autre part, l'opérateur commercial réalisant le raccordement pour les autres 50% ;

Que Bouygues a demandé à plusieurs reprises à France Télécom de modifier les conditions financières de son offre en mettant à la charge de l'opérateur commercial l'intégralité du coût du raccordement palier ;

Que France Télécom n'ayant pas donné suite à cette demande, Bouygues a saisi l'ARCEP en différend de la même demande ;

Considérant qu'il en résulte que le périmètre des négociations ayant échoué était compris entre le seuil de 50 % et celui de 100% à charge de l'opérateur commercial et que l'Autorité avait toute latitude pour statuer dans la fourchette comprise entre l'offre de France Télécom (50%) et la demande de Bouygues (100%) ; qu'en fixant à 90 % la prise en charge par l'opérateur commercial des coûts du raccordement palier, l'Autorité a statué dans les limites de sa saisine en faisant partiellement droit à la demande qui lui était soumise ; que c'est à tort que la requérante invoque l'illégalité de l'article 2 de la Décision pour incompétence de l'ARCEP ;

- Sur le fond :

Considérant que la requérante fait valoir que l'article 2 de la Décision est entaché d'une erreur

manifeste d'appréciation en ce qu'il lui impose un système manifestement déséquilibré constitutif d'une solution inéquitable qui brise l'équilibre de l'économie du très haut débit mis en place sous l'égide de l'ARCEP ; qu'elle produit en ce sens une étude du Cabinet Microéconomix dont elle déduit que l'article 2 lui impose des conditions inéquitables car la règle de partage des coûts de raccordement palier retenue fait supporter à l'opérateur commercial une proportion des coûts bien supérieure à la part des revenus qu'il peut espérer en tirer et ce, d'autant plus qu'une fois le raccordement palier créé et financé presque intégralement par l'opérateur commercial, tout autre co-investisseur peut démarcher son client pour lui proposer ses propres services en concurrence ou en complément mais avec une structure de coûts plus favorable ; qu'elle observe que le partage retenu par la Décision va, dans la mesure où elle sera très probablement l'opérateur commercial créant le plus de raccordement, la désavantager au profit d'opérateurs choisissant une stratégie de suiveur ; qu’elle en conclut que le partage imposé par l’Autorité compromet le développement de la concurrence entre opérateurs et n'incite pas à l'investissement des opérateurs dans le très haut débit et donc ni au raccordement rapide de nouveaux clients ni à la conversion des abonnés ADSL à la fibre ;

Considérant que la société Bouygues soutient, au contraire, que le partage imposé par la Décision (90/100) est plus équitable que celui proposé par France Télécom (50/50) qui conduit à mettre à la charge du dernier arrivé des opérateurs fixes une part importante des investissements revenant à France Télécom, principal opérateur sur le marché du haut et du très haut débit ; qu'elle fait valoir que l'étude produite par la requérante repose sur des hypothèses irréalistes ainsi que le montre l'étude du cabinet Tera consultants qu'elle produit et qu'aucun motif ne permet de justifier un partage 50/50 ;

Considérant que, par application de l'article L. 36-8 du CPCE, l'ARCEP doit trancher les différends entre les opérateurs en précisant les conditions équitables, d’ordre technique et financier, dans lesquelles l'interconnexion ou l'accès doivent être assurés ; que, tenue de statuer en équité, l'Autorité doit tenir compte de la règle de droit et apprécier toutes les circonstances de fait ;

Considérant que la requérante, qui soutient que l'Autorité a entaché sa Décision d'une erreur manifeste d'appréciation, n'en justifie pas ;

Qu'en effet d'une part, l'étude qu'elle verse aux débats repose notamment sur des hypothèses structurantes relatives à une prévision d'une évolution des parts de marché des opérateurs et à la durée d'amortissement des investissements du raccordement palier ; que ces hypothèses sont utilement contestées tant par la société Bouygues que par l'Autorité qui observent que la chute brutale de ses parts de marché envisagée dans cette étude pour France Télécom, opérateur actuellement le plus puissant sur le marché, n'est pas compatible avec la stratégie d'investissement développée par cette société, qui relèvent la rigidité ou le peu de fiabilité des hypothèses retenues s'agissant de la durée de vie d’un client et de la durée de vie du raccordement palier et qui mentionnent que cette étude ne prend pas en compte l'état du marché de détail actuel du haut et très haut débit ;

Qu'en effet d'autre part, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation et en prenant en compte les objectifs visés par l'article L. 32-I-II du CPCE que la Décision estime fondamental que les modalités de financement du raccordement palier n'aboutissent pas à la constitution d'une barrière à l'entrée pour un opérateur nouvel entrant à faible part de marché (Cf développements page 39) ;

Qu'en effet, enfin, s'agissant des risques de détournements de lignes invoqués par la requérante, que la Décision n'a pas ignoré les risques liés aux comportements de passager clandestin mais a montré comment des mécanismes alternatifs ne conduisant pas à élever des barrières à l'entrée pouvaient être mise en oeuvre pour limiter ces risques (Cf page 40) ;

Considérant qu'il en résulte que la Décision de l'ARCEP, qui n'a pas commis d'erreur de droit en prenant en compte les objectifs d'effectivité de la concurrence et d'efficacité de l'investissement visés par l'article L. 32-I-II du CPCE, ne procède pas d'une erreur d'appréciation des circonstances de fait et des demandes contradictoirement débattues devant elle, mais tend, sans disproportion au regard des objectifs poursuivis et des situations respectives des parties, à concilier les intérêts divergents en présence ;

Que ce n'est qu'au surplus que la cour observe que France Télécom ne conteste pas avoir elle-même prévu dans son offre d'accès aux lignes à très haut débit à fibre optique en dehors des zones très denses la prise en charge par l'opérateur commercial de l'intégralité du coût du raccordement final ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le recours doit également être rejeté en ce qu'il vise l'article 2 de la Décision ;

Sur la recevabilité du recours incident formé par la société Bouygues :

Considérant qu'il convient de rappeler que

- la cour a été saisie le 22 décembre 2010, par la société France Télécom d'un recours en annulation et/ou réformation des articles 1 et 2 de la décision n° 2010-1232 de l'ARCEP du 16 novembre 2010 (la Décision), notifiée le 24 novembre, prononçant sur une demande présentée par la société Bouygues Télécom et tendant au règlement de différends opposant les sociétés Bouygues Télécom et France Télécom ;

- le 8 mars 2011, la société Bouygues Télécom a déposé un premier mémoire tendant au rejet du recours de France Télécom et présentant des conclusions incidentes tendant à l'annulation de la Décision en ce qu'en son article 3, elle rejette ses conclusions tendant à la suppression de la faculté de résiliation unilatérale du contrat commercial par France Télécom en cas de changement de contrôle de Bouygues Télécom et à ce qu'il soit fait droit à sa demande tendant à ce que cette faculté de résiliation unilatérale soit supprimée ;

Considérant que la société France Télécom et l'ARCEP contestent la recevabilité du recours incident ainsi formé par la société Bouygues Télécom ;

Considérant que, pour faire juger recevables ses conclusions incidentes, la société Bouygues Télécom fait valoir que l'exercice d'un recours incident devant la cour d'appel est compatible tant avec les dispositions du CPCE qui, ne traitant que de l'appel principal, ne prévoient aucune dérogation à la possibilité prévue par le code de procédure civile d'exercer un recours incident, et ce au-delà du délai d'appel de droit commun, qu'avec la nature du règlement de différends, étant observé que le dépôt d'une déclaration de recours le dernier jour du délai ne doit pas fermer la porte du recours incident à la partie qui avait momentanément décidé de ne pas former de recours au vu l'équilibre de la décision ; qu'elle ajoute que le principe de l'égalité des armes est méconnu par l'impossibilité d'exercer un recours incident ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 36-8-III du CPCE : Les décisions prises par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en application des I et II peuvent faire l'objet d'un recours en annulation ou en réformation dans le délai d'un mois à compter de leur notification.

Que l'article R.11-2 du CPCE précise : Par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile, les recours contre les décisions de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes prévues à l'article L. 36-8 sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions suivantes.

Que, selon l'article R.11-3 du CPCE : Le recours est formé par déclaration écrite déposée en quadruple exemplaire au greffe de la cour d'appel de Paris contre récépissé. A peine d'irrecevabilité prononcée d'office, la déclaration précise l'objet du recours et contient un exposé sommaire des moyens. L'exposé complet des moyens doit, sous peine de la même sanction, être déposé au greffe dans le mois qui suit le dépôt de la déclaration.

Considérant que, contrairement à ce que soutient la société Bouygues, en visant les recours contre les décisions de l'ARCEP, l'article R.11-2 du CPCE n'est pas limité à l’appel principal, mais concerne tous les recours formés contre les décisions de l'ARCEP ;

Considérant que les articles R.11-2 à R.11-5 du CPCE, qui encadrent les délais, la fixation des délais et les formes dans lesquels doivent être formés les recours soumis à la cour d'appel, ne prévoient aucune disposition spécifique relative à un recours incident et que l'article R. 11-3 prévoit que c'est à peine d'irrecevabilité prononcée d'office que la déclaration de recours, qui doit par application de l'article L.36-8-III du même code être formée dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision de l'ARCEP, précise l'objet du recours et contient un exposé sommaire des moyens ;

Considérant que, si, ainsi que le relève la société Bouygues, le dépôt d'une déclaration principale de recours le dernier jour du délai interdit, de fait, le dépôt d'un recours incident, le principe de l'égalité des armes - qui s'applique aux décisions qui, comme celles de règlements de différends, sont des décisions relatives à des contestations sur les droits et obligations à caractère civil au sens de l'article 6 CEDH - n'est pas méconnu dès lors que la société Bouygues disposait, comme la société France Télécom, d'un délai d'un mois pour saisir la cour d'appel d'un recours contre la décision de l'ARCEP ;

Considérant qu'il en résulte que le recours incident formé par la société Bouygues le 8 mars 2011, soit plus d'un mois après la notification de la décision de l'ARCEP, doit être déclaré irrecevable ;

Considérant que l'équité conduit à allouer à condamner la société France Télécom à payer à la société Bouygues Télécom une somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Rejette le recours de la société France Télécom ;

Dit irrecevable le recours formé par la société Bouygues Telecom ;

Condamne la société France Télécom à payer à la société Bouygues Telecom la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties pour le surplus ;

Condamne la société France Télécom aux dépens.