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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5 - 7, 26 mai 2009, n° 2008/16665

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Neuf Cegetel (SA)

Défendeur :

France Télécom (SA), Bouygues Telecom, Arcep

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fossier

Conseillers :

M. Remenieras, Mme Jourdier

Avocats :

Me Teytaud, Me Freget, Me Laude, Me Vogel, Me Delannoy

CA Paris n° 2008/16665

25 mai 2009

La société Neuf Cegetel est un opérateur autorisé en vertu de l'article L.33-l du code des postes et des communications électroniques à établir et à exploiter des réseaux ouverts au public, ainsi qu'à fournir au public des services de communications électroniques concurrents de ceux de la société France Télécom. Cet opérateur, issu de la fusion entre Cegetel et Neuf Télécom, fournit des services de téléphonie fixe et mobile, et des accès « haut débit » au réseau Internet. Elle faisait état de 3.2 millions d’abonnés ADSL à la fin de l'année 2007.

Est appelée « boucle locale » l’installation qui relie le point de terminaison du réseau France Télécom dans les locaux de l'abonné, au répartiteur principal ou à toute autre installation équivalente ; il s'agit d'un ensemble de tronçons en cuivre de qualité téléphonique ne comportant aucun équipement actif ou passif susceptible de modifier le signal. Afin de pouvoir raccorder ses propres équipements aux liaisons entre les répartiteurs (ou centraux téléphoniques) de France Télécom et les usagers, la société Neuf Cegetel a conclu avec la société France Télécom des conventions dans le cadre de l’« offre d' accès à la boucle locale » présentée par cet opérateur.

France Télécom étant en situation de monopole de fait sur le marché de l’accès à la boucle locale de cuivre, cet "opérateur historique" est tenu, en application de la réglementation communautaire transposée en droit français, de publier une offre technique et tarifaire détaillée assurant aux opérateurs alternatifs un accès dans des conditions transparentes, équitables et non discriminatoires, de façon à favoriser l’établissement d 'une concurrence loyale et durable.

Aussi la tarification des prestations d'accès obéit à trois principes : transparence, non-discrimination et orientation vers les coûts effectivement supportés par France Télécom pour fournir sa prestation.

A plusieurs reprises le régulateur a imposé à France Télécom des obligations particulières concernant son offre de référence.

La dernière convention d'accès à la boucle locale (ou convention de dégroupage) conclue entre Neuf Cegetel et France Télécom est datée du 3 juillet 2007 et elle fait référence à l'offre d'accès publiée par la société France Télécom en vigueur au jour de la signature, c'est-à-dire celle datée du 27 juillet 2005. La convention de 2007 annulait et remplaçait les précédentes conventions conclues le 1er octobre 2005 entre la société France Télécom et d'une part la société Neuf Cegetel, d'autre part la société Neuf Telecom.

Par un courrier du 4 février 2008, réitéré le 7 mars 2008, la société Neuf Cegetel a fait part à la société France Télécom de son désaccord sur certains points de la convention du 3 juillet 2007, en particulier sur le tarif des câbles de renvoi.

Le câble de renvoi, qui peut porter jusqu'à 128 paires de cuivre, réalise le raccordement entre les équipements France Télécom et les équipements de l'opérateur alternatif placés soit dans le même local que le répartiteur de France Télécom, soit dans des locaux à proximité ; cette prestation est entièrement fournie par France Télécom qui achète, installe et assure la maintenance des câbles. La facturation des câbles de renvoi distingue des frais d'accès au service et un prix mensuel. En effet une décision de l’ARCEP no 02-323 du 16 avril 2002 a imposé à France Télécom d'amortir le coût des câbles de renvoi sur 5 ans et de mensualiser le tarif correspondant.

Devant le refus de la société France Télécom, exprimé dans sa réponse du 14 mars 2008, de prendre en compte ses réclamations, la société Neuf Cegetel a, le 1 avril 2008, saisi l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ci-après : l’ARCEP) d'une demande de règlement de différend en se fondant sur l'article L.36-8 §I du code des postes et des communications électroniques qui dispose :

« En cas de refus d'accès ou d'interconnexion, d'échec des négociations commerciales ou de désaccord sur la conclusion ou l'exécution d'une convention d'interconnexion ou d'accès à un réseau de communications électroniques, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut être saisie du différend par l’une ou l’autre des parties.

...sa décision est motivée et précise les conditions équitables, d'ordre technique et financier, dans lesquelles l'interconnexion ou l'accès doivent être assurés. »

La société Neuf Cegetel demandait essentiellement à l’ARCEP de considérer que les câbles déployés avant le I janvier 2008 ne devaient plus faire I 'objet d 'une quelconque facturation, d'établir un nouveau tarif à compter du 15 mai 2005 pour les prestations liées aux câbles de renvoi, et de lui rembourser le trop-perçu.

L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes a rendu le 24 juillet 2008 sa décision :

 - donnant acte à la société Neuf Cegetel de son désistement de ses demandes concernant les frais de résiliation,

- décidant qu'à compter du 4 février 2008, la société France Télécom appliquera aux prestations de câbles de renvoi facturées à la société Neuf Cegetel les tarifs prévus par la nouvelle offre de référence d'accès à la boucle locale publiée le 15 mai 2008,

- rejetant le surplus des demandes formées par les parties.

Il ressort des termes de cette décision que :

- L'ARCEP s'est estimée compétente s'agissant d'un différend sur une prestation associée à l'accès au réseau.

- Elle a écarté la fin de non-recevoir opposée par la société France Télécom au motif que la demande de la société Neuf Cegetel équivaudrait à faire sanctionner un manquement à une obligation réglementaire, compétence qui relève de l'article L.36-11 et non de l'article L.36-8 du code des postes et des communications électroniques.

L'ARCEP s'est reconnu la possibilité, dans le cadre d'un règlement de différend, de constater un manquement à une obligation réglementaire et d’en tirer les conséquences sur la détermination des conditions techniques et tarifaires de la prestation.

L' ARCEP a ensuite examiné les demandes de la société Neuf Cegetel tendant à la modification de la convention de dégroupage afin de réduire la facturation de son parc de câbles de renvoi, et au remboursement par la société France Télécom du trop-perçu depuis le 13 mai 2005.

L'ARCEP a admis la recevabilité de la demande de révision des tarifs mais seulement pour la période postérieure à la date du 4 février 2008 considérée par elle comme le début de la période litigieuse résultant de la formalisation du différend.

Après avoir examiné tous les éléments, produits à sa demande par les parties, sur les coûts relatifs aux câbles de renvoi, et les avoir comparés aux tarifs de la nouvelle offre de référence publiée par la société France Télécom le 15 mai 2008 (mise en vigueur le 1er juillet 2008), l’ARCEP a estimé qu'il y avait lieu d'appliquer ces tarifs à l'ensemble des câbles de renvoi de Neuf Cegetel à compter du 4 février 2008.

La société Neuf Cegetel a saisi la Cour d'appel de PARIS d'un recours en réformation de cette décision.

Les parties ont déposé chacune plusieurs mémoires ; l’ARCEP a déposé des observations à deux reprises; la société Bouygues Telecom a formé une intervention accessoire aux côtés de la société Neuf Cegetel.

MOTIFS DE LA DÉCISION

LA COUR

Vu la décision nº2008-0839 rendue le 24 juillet 2008 par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes,

Vu le recours en réformation formé contre cette décision le 28 août 2008 par la société Neuf Cegetel,

Vu le mémoire contenant exposé complet des moyens déposé le 29 septembre 2008 par la société Neuf Cegetel à l'appui de son recours, soutenu par ses mémoires en réponse du 10 décembre 2008 et du 13 mars 2009,

Vu le mémoire en réplique de la société France Télécom, déposé le 17 novembre 2008, complété par son mémoire du 18 février 2009,

Vu les observations écrites de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en date du 27 novembre 2008, et ses observations complémentaires déposées le 18 février 2009,

Vu les conclusions d'intervention volontaire et accessoire déposées le 25 et le 26 mars 2009 par la société Bouygues Telecom,

Vu le mémoire en réponse à cette intervention déposée par la société France Télécom le 30 mars 2009,

Vu les conclusions en réplique de la société Bouygues Telecom déposées le 31 mars 2009,

Vu les observations écrites du ministère public, mises à la disposition des parties à la première audience du 6 janvier 2009 ;

Après avoir entendu à l’audience publique du 31 mars 2009, en leurs observations orales, les conseils des parties et de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, ainsi que le ministère public, chaque partie ayant été mise en mesure de répliquer ;

SUR CE

Sur la recevabilité de I 'intervention de la société Bouygues Telecom

Considérant que les dispositions des articles 328 à 330 et 554 du Code de procédure civile, auxquels il n'est pas dérogé par les articles R. 11-2 et suivants du code des postes et des communications électroniques, sont applicables aux procédures suivies devant la Cour sur les recours contre les décisions de l’ARCEP dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec la nature du contentieux ;

Qu'en l'espèce, la nature du règlement de différend, qui par certains aspects s'apparente à un contentieux entre parties, ne s'oppose à l'admission d'une intervention accessoire d'un tiers pour appuyer les prétentions de l'une des parties; que la société Bouygues Telecom fait valoir à juste titre que son intervention vise à la conservation de ses droits ; qu'en effet la société Bouygues Telecom, comme la société Neuf Cegetel, est signataire d'une convention d'accès à la boucle locale de France Télécom; que de plus aucune communication de pièces n'ayant été sollicitée par l'intervenant à titre accessoire, la société France Télécom est mal fondée à invoquer une atteinte à la "confidentialité absolue des conventions d'accès" ;

Que l’intervention accessoire de la société Bouygues Telecom est donc recevable au regard des dispositions des articles 330 et 554 du Code de procédure civile ;

Sur l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme

Considérant que la société Neuf Cegetel reproche à l’ARCEP une violation du principe d'impartialité du juge posé par l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, au motif que le collège qui s'est prononcé sur le différend est le même que celui qui s' est abstenu d ' exercer son pouvoir régulateur sur les tarifs de France Télécom et que de plus le président de l'Autorité se serait implicitement prononcé pour le rejet de la demande de la société Neuf Cegetel alors que l'affaire était en cours d'instruction;

Que la société France Télécom objecte que ce moyen est irrecevable car il ne figurait pas dans le mémoire déposé dans le délai prescrit par l'article R. 11-3 du code des postes et des communications électroniques ;

Considérant que l’auteur du recours doit déposer au greffe l’exposé complet de ses moyens dans le mois de sa déclaration de recours sous peine d'irrecevabilité; qu' en l’espèce la société Neuf Cegetel qui a formé son recours le 28 août 2008 a soutenu pour la première fois dans ses observations en réponse déposées au Greffe le 10 décembre 2008 le moyen tiré de la violation de l'article 6-1 de la C.E.D.H., sans d'ailleurs en tirer de conséquence spécifique puisqu’elle ne demande pas l’annulation de la décision de l’ARCEP mais réitère sa demande de réformation ;

Que ce moyen est irrecevable, la société Neuf Cegetel ne I ' ayant pas présenté dans les formes et délais prescrits par les articles L.36-8, R.11-2 et R. 11-3 du code des postes et des communications électroniques, dérogatoires aux règles du droit commun de l'appel prévues par le Code de procédure civile ;

Sur les demandes au fond de la société Neuf Cegetel

Considérant que la société Neuf Cegetel réitère devant la Cour en les précisant les demandes qu'elle avait présentées à I 'ARCEP à titre principal, à savoir de dire et juger que faute d'avoir pu justifier ses coûts afférents au parc de câbles de renvoi de Neuf Cegetel, et les charges d'amortissement correspondant aux travaux effectués au fur et à mesure, France Télécom doit rembourser toutes les sommes perçues depuis la date de notification de la décision du 19 mai 2005 (décision de l’ARCEP ayant imposé à France Télécom des obligations découlant du nouveau régime réglementaire issues des directives communautaires dites « 3ème paquet télécommunications ») et pour lesquelles elle n'établit pas à suffisance de droit, par salle de dégroupage, avoir supporté effectivement les dépenses correspondantes, sur la base de pièces comptables adéquates et en fonction de la configuration de la salle ;

Que la société Neuf Cegetel a formé une demande subsidiaire tendant à voir dire applicable, à compter de la notification de la décision du 19 mai 2005, à tous les câbles de renvoi de Neuf Cegetel utilisés à compter de cette même date, le tarif publié le 15 mai 2008, et ordonner en conséquence la restitution de la différence entre les montants versés par la société Neuf Cegetel à compter de la notification de la décision du 19 mai 2005, et ce qu'elle aurait dû verser en application du tarif publié le 15 mai 2008 ;

Considérant que dans l'exposé complet de ses moyens, déposé au Greffe le 29 septembre 2008, la société Neuf Cegetel (§54 et suivants) critique la décision de l’ARCEP, premièrement en ce qu'elle a refusé de connaître sa demande antérieure au 4 février 2008 au motif qu'elle ne pourrait pas se prononcer sur une période précédant la formalisation du différend, deuxièmement en ce que I'ARCEP a validé les coûts indiqués par la société France Télécom, sans vérifier aucun des points de contestation de Neuf Cegetel, méconnaissant ainsi la règle selon laquelle France Télécom a la charge intégrale de la preuve de l'orientation des tarifs vers les coûts ;

Que la société Neuf Cegetel fait valoir qu'il s'agit là d 'un double refus d ' appliquer le principe de reflet des coûts, et que cette violation de la loi est d'autant plus grave qu'elle s'apparente à un déni de justice et qu'elle engage la responsabilité de l'Etat français pour manquement à ses obligations communautaires étant donné l'origine des règles violées ;

1 - sur la limitation de l'intervention de I'ARCEP

Considérant que la société Neuf Cegetel, appuyée par la société Bouygues Telecom, reproche à l’ARCEP d'avoir restreint abusivement le champ de son intervention, de telle sorte que la plaignante ne pourrait recevoir aucune réparation pour le préjudice subi au cours de la période comprise entre la survenance des causes, qu' elle n' aura pu découvrir qu'a posteriori, et la formalisation du différend ;

Que la société France Télécom conteste qu'il puisse être porté atteinte aux conventions entre les parties tant que le différend n'a pas été formalisé ; qu'elle soutient qu'à défaut les tarifs doivent être ceux de l'offre de référence et des conventions d'accès conclues en application de cette offre, et que cela n'est pas contraire au droit communautaire ;

Considérant que la décision de I'ARCEP n'est pas critiquable en ce qu'elle a énoncé que l'Autorité avait la possibilité, dans le cadre d'une décision de règlement de différend, de constater un manquement à une obligation réglementaire et d'en tirer les conséquences sur la détermination des conditions techniques et tarifaires de la prestation; qu'elle n'est pas plus critiquable d'avoir dit recevable la demande de la société Neuf Cegetel tendant à la modification de la convention de dégroupage en ce qu'elle porte sur les conditions tarifaires des prestations d'accès ;

Considérant que pour rejeter ensuite les demandes portant sur la période antérieure au 4 février 2008, au motif que « les demandes de Neuf Cegetel relatives aux câbles de renvoi sont recevables en tant qu'elles portent sur une période litigieuse qui a débuté le 4 février 2008 », l’ARCEP s'est en réalité penchée sur la question de l’étendue de ses pouvoirs dans le cadre de l'article L.36-8 du code des postes et des communications électroniques ;

Considérant qu'il est exact que l’ARCEP est investie par la loi du pouvoir de régler les différends opposant les opérateurs de communications électroniques sur les conditions financières des prestations pour lesquelles ils ont conclu des conventions, que cette mission peut l'amener à imposer aux opérateur relevant de son autorité des prescriptions et des injonctions ayant une incidence sur la conclusion, le contenu ou l'exécution de leurs conventions et ainsi à restreindre, pour des motifs d'ordre public économique, le principe de la liberté contractuelle dont ils bénéficient; que néanmoins le champ de son intervention est délimité par les dispositions de l'article L.36-8 du code des postes et des communications électroniques ;

Qu'en l'espèce le litige entre les sociétés Neuf Cegetel et France Télécom ne se situe pas en amont de la fourniture d'accès, ni au cours de la négociation d'une convention d'accès, mais a surgi au cours de l'exécution d'une telle convention et plus précisément au cours de l'exécution de la convention signée conjointement le 3 juillet 2007 ;

Considérant que la société Neuf Cegetel rappelle à juste titre qu'elle avait tant le 25 octobre 2005, c'est-à-dire en cours d'exécution de la précédente convention, que le 5 juillet 2007, soit immédiatement après la signature de la dernière convention, exprimé son désaccord avec différentes tarifications de I 'offre de référence reprises dans la convention, et ce en des termes suffisamment généraux pour englober les prestations accessoires comme celles afférentes aux câbles de renvoi; que néanmoins, en abordant dans ces deux lettres les tarifs des prestations d ' accès, la société Neuf Cegetel y exprime seulement que son adhésion à la convention n'entraîne pas accord sur les tarifs et qu'elle est "en désaccord avec différentes tarifications de I 'offre de référence reprises dans cette convention, et notamment avec d 'une part les tarifs des accès partiel et total (frais d 'accès au service et abonnements récurrents) etc... (cf la lettre de 2005) ou encore qu'elle est « en désaccord avec différentes tarifications de l'offre de référence reprises dans cette convention : comme les tarifs des frais d 'accès au service et récurrents liés aux accès partiel et total » (cf la lettre de 2007) ;

Qu'en l’absence de précisions sur le ou les points faisant difficulté, et par exemple en l’espèce sur les prix critiqués ou sur les règles non respectées, une telle expression d'un désaccord général sur le coût des prestations d'accès n'appelait pas de réponse de France Télécom, ce qui ne permet pas de retenir ces lettres comme constituant la matérialisation d'un différend au sens de l'article L.36-8 SI du code des postes et des communications électroniques, aucune des trois situations visées par ce texte n'étant réalisée à la date de ces lettres, ni « refus d'accès ou d'interconnexion », ni « échec des négociations commerciales », ni « désaccord sur la conclusion ou l'exécution d'une convention d'interconnexion ou d’accès à un réseau de communications électronique » (article L36-8 I du code des postes et des communications électroniques) ; que d'ailleurs les conventions se sont exécutées par la fourniture des prestations réciproques, Neuf Cegetel ayant payé les factures de France Télécom jusqu'en février 2008;

Considérant qu'en revanche dans sa lettre du 4 février 2008 (citée au 540 de l'exposé de ses moyens), la société Neuf Cegetel dénonçait expressément à la société France Télécom les conditions de tarification de la prestation de câbles de renvoi en évoquant les obligations de mensualisation et d'amortissement sur cinq ans imposées par I'ARCEP, et en revendiquant une annulation de la facturation des câbles amortis; que la réponse formulée par la société France Télécom le 14 mars 2008 a cristallisé le différend ce qui a conduit la société Neuf Cegetel à saisir l’ARCEP le I er avril 2008 ;

Considérant que le pouvoir d'intervention de l’ARCEP dans les relations contractuelles entre opérateurs de télécommunications est le prolongement de son office de régulation préalable, lui permettant d' assurer l’efficacité et l’effectivité de la régulation en tranchant à bref délai le litige pour que soit au besoin rétabli l'équilibre concurrentiel du marché; que la finalité de son intervention pour « précise[r] les conditions équitables, d'ordre technique et financier, dans lesquelles l'interconnexion ou l'accès doivent être assurés » en présence de prétentions irréconciliables, exclut une remise en cause de la situation réglementaire et contractuelle préexistante à l'émergence du différend ;

Que par conséquent, loin d'opposer à la société Neuf Cegetel une quelconque prescription, l’ARCEP a appliqué exactement les dispositions de l'article L.36-8 du code des postes et des communications électroniques en refusant de modifier les conditions financières convenues entre Neuf Cegetel et France Télécom avant la date du 4 février 2008 ;

Considérant que la société Neuf Cegetel prétend à tort qu'une telle limitation du champ d'intervention de l’ARCEP heurterait les principes de hiérarchie des normes et de primauté et d'effectivité du droit communautaire ; qu'il n'est pas nécessaire de procéder à un renvoi préjudiciel en interprétation sur ce point devant la Cour de Justice des Communautés européennes, comme le demande la société Neuf Cegetel ;

Qu'en effet l'article 20 de la directive cadre nº2002/1921/CE du 7 mars 2002 imposant aux états membres de donner à l'autorité réglementaire nationale le pouvoir de prendre des décisions contraignantes pour résoudre le litige survenu entre des entreprises « en ce qui concerne des obligations découlant de la présente directive ou des directives particulières » et édictant que « les obligations que l'autorité réglementaire nationale peut imposer à une entreprise dans le cadre de la résolution d'un litige sont conformes aux dispositions de la présente directive ou des directives particulières » n'impose aucunement aux états membres de donner à cette autorité, dans ce cadre spécifique du règlement des litiges, le pouvoir de vérifier que les opérateurs se sont conformés à leurs obligations pour une période antérieure à la survenance du différend ;

Que la manière dont l’ARCEP a mis en œuvre les pouvoirs qu'elle tient de l'article L.36-8 du code des postes et des communications électroniques n'a pas eu pour effet de restreindre la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit communautaire puisque ces deux sources de droit posent bien, comme fondement à l'intervention de l'autorité de régulation dans un différend, l'existence d'un litige; qu'en l’espèce l’Autorité n' a nullement posé l’exigence d 'un formalisme qui restreindrait un droit conféré par l'ordre communautaire, mais a seulement employé normalement ses pouvoirs de résolution d'un litige de nature contractuelle entre deux opérateurs, survenu au cours de l’exécution de leur convention du 3 juillet 2007 ;

Que dès lors toutes les demandes afférentes à la remise en cause des tarifs contractuels pour une période antérieure au 4 février 2008 sont mal fondées ;

2 - sur la vérification des tarifs

Considérant que la décision de I'ARCEP nº 05-0277 du 19 mai 2005 impose à la société France Télécom, en tant qu'opérateur puissant sur ce marché, d 'offrir les prestations d'accès dégroupé à la boucle locale cuivre et à la sous-boucle locale cuivre ainsi que les prestations associées à des tarifs reflétant les coûts correspondants, en respectant en particulier les principes d'efficacité, de non-discrimination et de concurrence effective et loyale ;

Considérant que la société France Télécom ne conteste pas être soumise à cette obligation d'orientation de ses prix en fonction des coûts pour ses prestations relatives aux câbles de renvoi ; que la charge de la preuve du respect de cette règle lui incombe comme le rappelle l'article D.311 -II du code des postes et des communications électroniques ;

Considérant que la société Neuf Cegetel reproche à l’ARCEP de ne pas avoir exigé de la société France Télécom une preuve effective poste par poste et élément par élément des coûts réels dont elle demande le remboursement à ses concurrents; qu'elle soutient que celle-ci n'a pas apporté de justificatifs suffisants des coûts déclarés et s'est contentée d'affirmations générales en laissant même entendre que le secret des affaires l'empêchait de donner plus d 'informations; que la société Neuf Cegetel reproche encore à I'ARCEP de n' avoir fait aucun cas des éléments contraires apportés par elle ;

Considérant que la société Neuf Cegetel a finalement admis que le tarif doit être général et commun à tous les opérateurs et à toutes les situations (§203 de son mémoire du 10 décembre 2008), ce qui rend inopérantes toutes ses objections allant à l'encontre de ce principe ;

Qu'elle refuse à juste titre que ce tarif moyen soit construit sur des calculs purement théoriques ;

Considérant que cependant tant France Télécom que l’ARCEP se voient reprocher à tort de ne pas avoir justifié les chiffres avancés ;

Que tout d'abord c'est seulement un chapitre du questionnaire, à savoir “§C Chronique des investissements effectués dans les répartiteurs dégroupés”, pour lequel France Télécom a invoqué le secret des affaires pour ne pas communiquer des données globales sur les investissements portant sur les câbles de renvoi réalisés en distinguant chaque nœud de raccordement, ce qui fournirait à Neuf Cegetel des indications sur le déploiement de ses concurrents; que France Télécom a donné tous les coûts détaillés réclamés par le questionnaire de l’ARCEP et a justifié par des documents annexes ses prix de série et ses prix d'approvisionnement; que d'ailleurs les précisions figurant dans les documents intitulés « extraits de la série de prix Nº... » démontrent l’inanité des affirmations de la société Neuf Cegetel quant à la simplicité de l’installation de câbles de renvoi; que la critique concernant le pourcentage de salles uniques sans trémie est inopérante dès lors que France Télécom a précisé qu'elle ne facture pas de câbles de renvoi mais seulement des réglettes aux opérateurs installés dans les très petites salles ;

Considérant que plus généralement l’ARCEP, dans sa décision critiquée par la société Neuf Cegetel, après avoir résumé les mémoires de celle-ci et son argumentation, et après avoir confronté les réponses à son questionnaire d’enquête et les positions de chacune des parties, a tranché leur différend en répondant suffisamment aux critiques de la société Neuf Cegetel sur les paramètres à retenir pour évaluer les coûts ;

Que par ailleurs la critique sur l'absence de dégressivité des coûts de gestion des commandes et de pilotage des travaux en cas de commandes groupées de câbles de renvoi n'est pas justifiée étant donné que l’ARCEP a évalué les coûts propres à un câble de renvoi hors frais non récurrents liés aux commandes et aux chantiers (page 24 de la décision) ;

Considérant que contrairement à ce qu'avance la société Neuf Cegetel, l’Autorité ne s'est pas contentée de retenir les chiffres avancés par France Télécom sans les vérifier; qu'elle a procédé aux investigations adaptées et proportionnées à l’objectif recherché, étant observé que d'une part la loi lui imposait de trancher à bref délai, d'autre part que la société France Télécom faisait état de coûts similaires à ceux déjà présentés à l’ARCEP dans le cadre du processus de révision de son offre de référence entamé dès le mois de janvier 2008 ;

Que l’ARCEP a spécialement examiné les points de désaccord de la société Neuf Cegetel mais a estimé les contestations non justifiées au regard des chiffres précis, détaillés et cohérents fournis par la société France Télécom, ce qui lui a permis d'évaluer de manière irréprochable les trois postes de coûts de la prestation spécifique des câbles de renvoi dans les 53.2, 3.3 et 3.4 de sa décision ;

Considérant enfin que la société Neuf Cegetel reproche à tort à l’ARCEP de ne pas avoir vérifié les tarifs conventionnels critiqués par elle et d' avoir statué extra petita ; qu'en effet l’ARCEP a d'abord constaté que, par rapport à son évaluation ci-dessus rappelée, le nouveau tarif de référence publié par la société France Télécom respectait le principe de l'orientation vers les coûts et l'obligation d'étalement sur cinq ans; qu'elle a ensuite légitimement retenu qu'entre le 4 février 2008 et la date de sa décision, les coûts ne pouvaient pas avoir connu d'évolution significative; qu'elle a donc à bon droit décidé d'imposer à la société France Télécom, pour trancher le différend sur la facturation des câbles de renvoi, d'appliquer à la société Neuf Cegetel à compter du 4 février 2008, au lieu des prix résultant de leur convention, les prix, inférieurs, résultant du tarif qui serait mis en vigueur le 1er juillet 2008;

Considérant que l’ARCEP n'était tenue ni de répondre dans les motifs de sa décision à tous les détails de l’argumentation de la société Neuf Cegetel, ni d'ordonner des productions complémentaires qui ne lui étaient pas demandées ;

Que la décision frappée de recours n 'encourt donc aucune des critiques formulées par la société Neuf Cegetel ;

Considérant enfin que la dernière demande subsidiaire de la société Neuf Cegetel, tendant à ce que le tarif du 15 mai 2008 soit déclaré applicable depuis la notification de la décision du 19 mai 2005 (qui a imposé à France Télécom d'orienter vers les coûts les tarifs d'accès à la boucle locale) se heurte à ce qui a été dit précédemment sur le champ d'intervention de l’ARCEP ;

Considérant que par conséquent et sans avoir besoin de recourir à aucune des mesures avant dire droits sollicités par la société Neuf Cegetel dans son dernier mémoire, la Cour dispose des éléments suffisants pour dire non fondés les moyens exposés à I ' appui du recours ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Déclare recevable l'intervention accessoire de la société Bouygues Telecom ;

Déclare irrecevable le moyen tiré de la violation du principe d’impartialité posé par l'article 6. I de la Convention européenne des droits de l'homme :

Rejette le recours et toutes les demandes de la société Neuf Cegetel ;

Condamne la société Neuf Cegetel à payer à la société France Télécom la somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamne la société Neuf Cegetel aux dépens à l'exception des dépens afférents à l'intervention de la société Bouygues Telecom qui seront supportés par cette dernière ;